Affaire T-308/00
Salzgitter AG
contre
Commission des Communautés européennes
« Aides d'État – Article 4, sous c), CA, articles 67 CA et 95 CA – Interventions financières en faveur de l'entreprise Salzgitter – Frontière avec l'ex-République démocratique allemande et l'ex-République tchécoslovaque – Aides non notifiées – Sixième code des aides à la sidérurgie – Sécurité juridique »
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Arrêt du Tribunal (quatrième chambre élargie) du 1er juillet 2004 |
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Sommaire de l'arrêt
- 1.
- CECA – Aides à la sidérurgie – Appréciation de légalité – Prise en compte de la jurisprudence du juge communautaire relative aux aides d’État relevant du traité CE – Limites
[Art. 4, c), CA]
- 2.
- CECA – Aides à la sidérurgie – Notion – Spécificité ou sélectivité
[Art. 4, c), CA]
- 3.
- CECA – Aides à la sidérurgie – Notion – Caractère juridique – Interprétation sur la base d’éléments objectifs – Contrôle juridictionnel – Portée
[Art. 4, c), CA ; art. 87, § 1, CE]
- 4.
- CECA – Aides à la sidérurgie – Notion – Mesures fiscales – Caractère sélectif de la mesure
[Art. 4, c), CA]
- 5.
- CECA – Aides à la sidérurgie – Aides en faveur des régions affectées par la division de l’Allemagne – Application des dispositions du traité CE – Exclusion
[Art. 4, c), CA ; art. 87, § 2, c), CE]
- 6.
- CECA – Aides à la sidérurgie – Notion – Mesures présentées comme relevant des aides en faveur des régions affectées par la division de l’Allemagne – Exclusion à raison de leur caractère compensatoire – Pouvoir d’appréciation de la Commission
[Art. 4, c), CA ; art. 87, § 2, c), CE]
- 7.
- CECA – Aides à la sidérurgie – Notion – Caractérisation d’une mesure fiscale en tant qu’avantage – Charge fiscale normale devant servir de point de comparaison
[Art. 4, c), CA]
- 8.
- CECA – Aides à la sidérurgie – Notion – Inclusion aussi bien des subventions que des allégements de charges – Obligation pour la Commission de prouver l’équivalence des effets d’un allégement de charges et de ceux d’une subvention
– Absence
[Art. 4, c), CA]
- 9.
- CECA – Aides à la sidérurgie – Interdiction – Affectation de la concurrence et des échanges entre États membres – Défaut de pertinence
[Art. 4, c), CA]
- 10.
- CECA – Aides à la sidérurgie – Inapplicabilité de l’article 67 CA – Pratique de la Commission – Défaut de pertinence
[Art. 4, c), CA et 67 CA ; décision générale n° 2320/81]
- 11.
- CECA – Aides à la sidérurgie – Autorisation par la Commission au titre de l’article 95 CA – Admissibilité – Pouvoir discrétionnaire de la Commission – Contrôle juridictionnel – Limites
[Art. 4, c), CA et 95 CA]
- 12.
- CECA – Aides à la sidérurgie – Interdiction – Aide octroyée illégalement – Absence de règle édictant une prescription relativement à l’exercice de ses compétences par la Commission – Respect des exigences de la sécurité juridique
[Art. 4, c), CA]
- 13.
- Droit communautaire – Principes – Protection de la confiance légitime – Sécurité juridique – Conditions d’invocabilité distinctes – Conséquences – Possibilité pour le bénéficiaire d’une aide illégale à la sidérurgie octroyée en violation de l’obligation de notification
d’invoquer la sécurité juridique pour contester la décision en ordonnant le remboursement nonobstant l’absence de création
d’une confiance légitime
- 14.
- CECA – Aides à la sidérurgie – Procédure administrative – Situation équivoque créée par l’inaction de la Commission et le silence des deuxième et troisième codes des aides à la sidérurgie
– Obligation de clarifier cette situation avant de pouvoir ordonner la restitution d’aides déjà versées
(Décisions générales nos 1018/85 et 3484/85)
- 1.
Les précisions qu’a apportées le juge communautaire quant aux notions visées par les dispositions du traité CE en matière
d’aides d’État sont pertinentes pour l’application des dispositions correspondantes du traité CECA dans la mesure où ces précisions
ne sont pas incompatibles avec celui-ci. Il est donc justifié, dans cette mesure, de se référer à la jurisprudence sur les
aides d’État relevant du traité CE pour apprécier la légalité des décisions concernant des aides relevant du traité CECA.
(cf. point 28)
- 2.
La spécificité ou la sélectivité d’une mesure étatique constitue une des caractéristiques de la notion d’aide d’État, que
ce soit dans le cadre du traité CE ou dans le cadre du traité CECA, en dépit du fait que ce critère n’est pas explicitement
mentionné à l’article 4, sous c), CA. Il importe donc de vérifier si la mesure en question entraîne, ou non, des avantages
au bénéfice exclusif de certaines entreprises ou de certains secteurs d’activité.
(cf. point 29)
- 3.
La notion d’aide d’État, telle qu’elle est définie dans le traité CE, présente un caractère juridique et doit être interprétée
sur la base d’éléments objectifs. Pour cette raison, le juge communautaire doit, en principe et compte tenu tant des éléments
concrets du litige qui lui est soumis que du caractère technique ou complexe des appréciations portées par la Commission,
exercer un entier contrôle en ce qui concerne la question de savoir si une mesure entre dans le champ d’application de l’article
87, paragraphe 1, CE.
Il ne saurait en aller autrement s’agissant de la question de savoir si une mesure entre dans le champ d’application de l’article
4, sous c), CA, puisque l’exercice d’un tel contrôle juridictionnel n’est pas incompatible avec le traité CECA.
(cf. points 30-31)
- 4.
En principe, une mesure fiscale susceptible d’être qualifiée d’aide d’État se distingue d’une mesure fiscale générale par
le caractère limité, en droit ou en fait, du nombre de ses bénéficiaires. À cet égard, il importe peu que la sélectivité de
la mesure découle, par exemple, d’un critère sectoriel ou d’un critère de localisation géographique sur une partie délimitée
du territoire d’un État membre. Il importe, en revanche, pour qu’une mesure soit susceptible d’être qualifiée d’aide d’État,
que les entreprises bénéficiaires de celle-ci appartiennent à une catégorie bien déterminée par l’application, en droit ou
en fait, du critère établi par la mesure en question.
(cf. point 38)
- 5.
De ce que la question de l’octroi d’aides d’État fait l’objet des dispositions de l’article 4, sous c), CA, il résulte que,
en ce qui concerne cette question, les dispositions du traité CE ne peuvent s’appliquer dans le domaine couvert par le traité
CECA.
Ainsi, en l’absence de dispositions dans le traité CECA identiques ou équivalentes à celles de l’article 87, paragraphe 2,
sous c), CE, la reconnaissance dans le cadre du traité CE de la compatibilité d’aides octroyées à l’économie de certaines
régions de la République fédérale d’Allemagne affectées par la division de l’Allemagne n’affecte ni le champ d’application
de l’article 4, sous c), CA, ni, partant, la notion d’aide d’État, telle qu’elle est énoncée par cette disposition.
(cf. points 63-64)
- 6.
L’abolition et l’interdiction des aides d’État, établies par l’article 4, sous c), CA, ayant un caractère général et absolu,
ne peuvent être annulées par la mise en oeuvre d’une procédure de compensation approximative et incertaine. L’examen du caractère
compensatoire de mesures étatiques s’inscrit dans le pouvoir d’appréciation de la Commission consistant à vérifier que les
conditions de la dérogation sollicitée sont remplies.
Dès lors, la simple invocation de l’exception prévue à l’article 87, paragraphe 2, sous c), CE, à savoir la reconnaissance
de la compatibilité d’aides octroyées à l’économie de certaines régions de la République fédérale d’Allemagne affectées par
la division de l’Allemagne, qui ne s’applique pas et n’a pas d’équivalent dans le cadre du traité CECA, ne saurait être considérée
comme la démonstration d’un lien de causalité certain, au titre de ce traité, entre l’avantage accordé à une entreprise et
un prétendu désavantage économique dont souffriraient les entreprises situées dans une région ayant été affectée par la division
de l’Allemagne.
(cf. points 72, 74-75)
- 7.
Dans le cadre du traité CECA, afin d’identifier les aides d’État, il convient uniquement de déterminer si, dans le cadre d’un
régime juridique donné, une mesure étatique est de nature à favoriser certaines entreprises ou certaines productions par rapport
à d’autres, lesquelles se trouveraient, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et
juridique comparable.
Par conséquent, pour déterminer si une mesure confère un avantage, il est impératif de déterminer le point de référence, dans
le cadre d’un régime juridique donné, à l’aune duquel la situation créée par ladite mesure sera comparée. Ainsi, en vue de
déterminer ce qui constitue une charge fiscale « normale », il ne saurait être procédé à un examen comparatif des règles fiscales
applicables dans l’ensemble des États membres, voire simplement de certains d’entre eux, sans dénaturer la vocation des dispositions
relatives au contrôle des aides d’État. En effet, en l’absence d’harmonisation au niveau communautaire des dispositions fiscales
des États membres, cet examen reviendrait à comparer des situations factuelles et juridiques différentes qui résultent de
disparités législatives ou réglementaires entre les États membres.
(cf. points 79-81)
- 8.
Si la notion d’aide d’État comprend non seulement des prestations positives, telles que les subventions elles-mêmes, mais
également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise
et qui, par là même, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques, il
n’ y a pas lieu d’établir une hiérarchie entre ce qui constituerait une subvention au sens strict du mot, d’une part, et les
autres mesures assimilables à une telle subvention, d’autre part, mais de définir la notion d’aide, au sens de l’article 4,
sous c), CA. Il résulte de cette définition que, dès lors que la preuve est rapportée qu’une intervention étatique constitue
un allégement de charges qui normalement auraient dû grever le budget d’une entreprise, cette mesure doit être qualifiée d’aide
et possède, en raison même de cette qualification, un effet identique à une subvention au sens strict du mot.
La Commission n’est donc pas tenue de rapporter la preuve supplémentaire que l’allégement de charges devant normalement être
supportées par une entreprise a le même effet qu’une subvention au sens strict du mot.
(cf. points 83-84, 89)
- 9.
Dans le cadre de l’article 4, sous c), CA, les aides d’État sont réputées incompatibles avec le marché commun, sans qu’il
soit nécessaire d’établir ni même de rechercher si, en fait, une atteinte aux conditions de la concurrence existe ou risque
de se produire. Pour relever des dispositions de cet article, une mesure d’aide ne doit donc pas nécessairement avoir d’incidence
sur les échanges entre les États membres ou sur la concurrence.
(cf. points 90-91)
- 10.
L’article 4, sous c), CA, en interdisant les subventions ou aides accordées par les États, sous quelque forme que ce soit,
vise à abolir et à prohiber certaines interventions des États membres dans le domaine que le traité CECA soumet à la compétence
communautaire. Il n’établit aucune distinction entre les aides individuelles et les régimes d’aides ni entre les régimes d’aides
spécifiques ou non au secteur du charbon et de l’acier, et l’interdiction qu’il édicte est formulée en termes stricts.
L’article 67 CA, quant à lui, tend à parer aux atteintes à la concurrence que l’exercice des pouvoirs retenus par les États
membres ne peut manquer d’entraîner et se borne ainsi à prévoir des mesures de sauvegarde que la Communauté peut adopter contre
l’action d’un État membre, laquelle, tout en exerçant une influence sensible sur les conditions de concurrence dans les industries
du charbon et de l’acier, ne porte pas de façon immédiate et directe sur ces industries. L’article 4, sous c), CA et l’article
67 CA visent ainsi deux domaines distincts, le second ne relevant pas de la matière des aides d’État.
Le fait que, jusqu’à l’adoption, par la décision n° 2320/81, du deuxième code des aides à la sidérurgie, la Commission a considéré
que l’article 4, sous c), CA s’appliquait uniquement aux aides spécifiques en faveur des entreprises sidérurgiques, c’est-à-dire
aux aides dont ces entreprises bénéficiaient spécialement ou principalement, alors que l’application à la sidérurgie des régimes
d’aides généraux et régionaux était soumise au contrôle de la Commission sur la base à la fois des dispositions de l’article
67 CA et de celles des articles 87 CE et 88 CE, n’est pas susceptible de remettre en cause cette interprétation.
(cf. points 107-112, 115)
- 11.
L’article 4, sous c), CA n’interdit pas à la Commission d’autoriser des aides d’État à la sidérurgie, soit au titre des catégories
spécialement visées par le code des aides à la sidérurgie, dans l’une de ses versions successives, soit, pour les aides d’État
qui ne relèvent pas de ces catégories, en se fondant directement sur l’article 95, premier et deuxième alinéas, CA.
Lorsqu’elle fait usage de cette dernière faculté, la Commission jouit d’un pouvoir discrétionnaire afin d’établir si des aides
sont nécessaires aux fins de la réalisation des objectifs du traité.
Dans ce domaine, le contrôle de légalité doit, par conséquent, se limiter à examiner si la Commission n’a pas excédé les limites
inhérentes à son pouvoir d’appréciation par une dénaturation ou une erreur manifeste d’appréciation des faits ou par un détournement
de pouvoir ou de procédure.
Si l’on entend établir que la Commission a commis une erreur manifeste dans l’appréciation des faits de nature à justifier
l’annulation de sa décision, il faut apporter des éléments de preuve suffisants pour priver de plausibilité les appréciations
des faits retenus dans la décision en cause.
(cf. points 131, 136-138)
- 12.
Pour remplir sa fonction, un délai de prescription doit être fixé par avance. La fixation de ce délai et de ses modalités
d’application relève de la compétence du législateur communautaire. Or, ce dernier n’est pas intervenu pour fixer un délai
de prescription dans le domaine du contrôle des aides accordées au titre du traité CECA.
Cependant, l’exigence fondamentale de la sécurité juridique, dans ses différentes manifestations, vise à garantir la prévisibilité
des situations et des relations juridiques relevant du droit communautaire et doit être prise en compte lorsque est examinée
la validité d’une décision de la Commission imposant le remboursement par une entreprise sidérurgique d’une aide d’État illégalement
octroyée.
(cf. points 159-161)
- 13.
La possibilité d’invoquer le principe de sécurité juridique n’est pas soumise aux conditions permettant d’invoquer la confiance
légitime dans la régularité d’une aide d’État.
C’est pourquoi l’entreprise sidérurgique qui a obtenu une aide d’État n’ayant pas fait l’objet d’une notification à la Commission
peut invoquer, pour contester la décision de la Commission en imposant le remboursement, la sécurité juridique, alors même
qu’il est exclu, sauf circonstances exceptionnelles, que le bénéficiaire d’une aide puisse avoir une confiance légitime dans
la régularité de celle-ci si elle a été accordée en violation des dispositions relatives à la procédure de contrôle préalable
des aides d’État.
(cf. points 165-166)
- 14.
C’est à juste titre qu’une entreprise sidérurgique ayant bénéficié d’aides illégales s’appuie sur le principe de sécurité
juridique pour contester la légalité d’une décision de la Commission ordonnant leur remboursement dans un cas où à l’époque
où elle a perçu lesdites aides existait, du fait de la Commission, une situation d’incertitude et de défaut de clarté relative
au régime juridique du type d’aides en cause, laquelle a été cumulée au défaut de réaction prolongé de la Commission, qui
était pourtant au courant du versement des aides, et qui a créé ainsi, en méconnaissance de son devoir de diligence, une situation
de caractère équivoque, qu’il lui aurait appartenu de clarifier avant de pouvoir prétendre entreprendre une quelconque action
visant à ordonner le remboursement des aides versées.
(cf. points 174, 180, 182)