ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
30 juin 2016 (*)
« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Libre circulation des capitaux – Impôt sur les successions – Réglementation d’un État membre prévoyant une réduction des droits de succession applicable aux successions comprenant un patrimoine qui a déjà fait l’objet d’une transmission successorale ayant donné lieu à la perception de tels droits dans cet État membre – Restriction – Justification – Cohérence du régime fiscal »
Dans l’affaire C‑123/15,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), par décision du 20 janvier 2015, parvenue à la Cour le 12 mars 2015, dans la procédure
Max-Heinz Feilen
contre
Finanzamt Fulda,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. M. Ilešič, président de chambre, Mme C. Toader, M. A. Rosas, Mme A. Prechal et M. E. Jarašiūnas (rapporteur), juges,
avocat général : M. M. Wathelet,
greffier : M. I. Illéssy, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 janvier 2016,
considérant les observations présentées :
– pour M. Feilen, par Me P. Thouet, Rechtsanwalt,
– pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement espagnol, par M. A. Rubio González, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme S. Sutton et M. M. Holt, en qualité d’agents, assistés de M. R. Hill, barrister,
– pour la Commission européenne, par MM. M. Wasmeier et W. Roels, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 mars 2016,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 63, paragraphe 1, et de l’article 65 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Max-Heinz Feilen au Finanzamt Fulda (service des impôts de Fulda, Allemagne) au sujet du refus de ce dernier de lui accorder le bénéfice d’une réduction des droits de succession auxquels est soumise la succession de sa mère.
Le cadre juridique
3 L’article 1er, paragraphe 1, point 1, de l’Erbschaftsteuer- und Schenkungsteuergesetz (loi allemande sur les droits de succession et de donation, ci-après l’« ErbStG »), dans sa version applicable à l’exercice fiscal 2007, soumet les transmissions pour cause de mort aux droits de mutation sur les successions.
4 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, points 1 à 3, de l’ErbStG :
« L’obligation fiscale s’applique :
1. Dans les cas visés à l’article 1er, paragraphe 1, points 1 à 3, à la totalité de la dévolution patrimoniale lorsque le défunt, à la date du décès, [...] ou l’acquéreur, à la date du fait générateur de l’impôt, ont la qualité de résidents. Sont considérés comme résidents :
a) les personnes physiques qui ont un domicile ou leur résidence habituelle sur le territoire national,
[...]
3. Dans tous les autres cas, sur les biens dévolus consistant dans le patrimoine interne au sens de l’article 121 du Bewertungsgesetz [(loi d’évaluation)]. [...] »
5 L’article 15 de l’ErbStG, qui définit les classes d’imposition, dispose, à son paragraphe 1 :
« En fonction de la relation personnelle existant entre le bénéficiaire et le défunt ou le donateur, il y a lieu de distinguer entre les trois classes d’imposition suivantes :
Classe d’imposition I :
1. le conjoint et le partenaire,
2. les enfants et les enfants du conjoint,
3. les descendants des enfants et des enfants du conjoint visés au point 2,
4. les ascendants, pour les successions ;
[...] »
6 S’agissant de la réduction des droits de succession, l’article 27 de l’ErbStG contient les dispositions suivantes :
« (1) Lorsque des personnes relevant de la classe d’imposition I acquièrent, par voie successorale, un patrimoine qui, au cours des dix ans qui ont précédé cette acquisition, a déjà été acquis par des personnes relevant de cette classe d’imposition et qui a donné lieu à la perception de droits de succession en vertu de la présente loi, le montant des droits à payer est, sous réserve des dispositions du paragraphe 3, réduit comme suit :
de …% |
de …% |
lorsque le délai entre les deux moments où l’obligation fiscale a pris naissance | |||
50 |
est inférieur à un an | ||||
45 |
est supérieur à un an, mais est inférieur à deux ans | ||||
40 |
est supérieur à deux ans, mais inférieur à trois ans | ||||
35 |
est supérieur à trois ans, mais inférieur à quatre ans | ||||
30 |
est supérieur à quatre ans, mais inférieur à cinq ans | ||||
25 |
est supérieur à cinq ans, mais inférieur à six ans | ||||
20 |
est supérieur à six ans, mais inférieur à huit ans | ||||
10 |
est supérieur à huit ans, mais inférieur à dix ans |
[...]
(3) La réduction visée au paragraphe 1 ne doit pas dépasser le montant qui résulte de l’application des pourcentages mentionnés au paragraphe 1 aux droits de succession payés par l’acquéreur précédent pour l’acquisition du même patrimoine. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
7 M. Feilen, qui réside en Allemagne, est l’unique héritier de sa mère, décédée au cours de l’année 2007 dans ce même État membre où se trouvait le lieu de sa dernière résidence. La succession de la mère était essentiellement constituée de la part de celle-ci dans la succession de sa fille décédée au cours de l’année 2004 en Autriche, où résidait également la mère jusqu’au décès de sa fille. Le partage de la succession de la fille n’ayant été effectué en Autriche qu’après le décès de la mère, les droits relatifs à cette succession, d’un montant de 11 961, 91 euros, ont été acquittés par M. Feilen.
8 Dans la déclaration fiscale relative à la succession de sa mère, M. Feilen a, d’une part, inscrit les droits de succession acquittés par lui en Autriche au passif successoral et, d’autre part, demandé une réduction des droits de succession au titre de l’article 27 de l’ErbStG. Dans son avis du 28 octobre 2009, le service des impôts de Fulda a déduit les droits de succession acquittés en Autriche en tant que dette successorale, mais a refusé d’accorder la réduction des droits de succession.
9 Le Finanzgericht (tribunal des finances, Allemagne) a rejeté le recours introduit par M. Feilen contre cet avis au motif que l’article 27, paragraphe 1, de l’ErbStG supposait une acquisition antérieure par voie successorale imposée en vertu de cette loi. Or, tel n’était pas le cas en l’espèce, puisque l’acquisition antérieure par la mère du patrimoine de sa fille n’avait pas été soumise aux droits de succession en Allemagne dès lors que ni la mère ni la fille n’étaient, à la date du décès de cette dernière, des résidents au sens de l’article 2, paragraphe 1, point 1, de l’ErbStG et que la succession ne comportait pas de patrimoine interne au sens de l’article 2, paragraphe 1, point 3, de l’ErbStG.
10 Saisi d’un pourvoi en Revision, le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne) émet des doutes sur la conformité de l’article 27 de l’ErbStG avec le droit de l’Union.
11 Il fait observer, premièrement, que la succession dont a bénéficié le requérant au principal pourrait relever des dispositions du droit de l’Union relatives aux mouvements de capitaux. Selon lui, la succession reçue par M. Feilen de sa mère ne devrait pas être considérée comme une opération purement interne dès lors que le patrimoine de cette dernière est constitué pour l’essentiel de la part de celle-ci dans la succession de sa fille en Autriche.
12 Deuxièmement, la juridiction de renvoi relève que le refus d’accorder une réduction des droits de succession en application de l’article 27, paragraphe 1, de l’ErbStG est susceptible, au regard de la jurisprudence de la Cour, de constituer une restriction aux mouvements de capitaux, car il a pour effet de diminuer la valeur d’une succession qui comporte un patrimoine ayant été soumis à des droits de succession étrangers. À cet égard, il exprime des doutes sur la question de savoir si, au vu de l’arrêt de la Cour du 12 février 2009, Block (C‑67/08, EU:C:2009:92), il convient d’exclure l’existence d’une telle restriction.
13 Troisièmement, ladite juridiction s’interroge sur la question de savoir si l’éventuelle restriction à la libre circulation des capitaux résultant de l’article 27, paragraphe 1, de l’ErbStG est justifiée en vertu des dispositions du traité FUE.
14 C’est dans ces circonstances que le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« La libre circulation des capitaux résultant de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, combiné à l’article 65 TFUE, s’oppose-t-elle aux dispositions d’un État membre qui prévoient, en cas de succession au bénéfice de personnes appartenant à une classe d’imposition déterminée, une réduction des droits de succession si la succession comporte un patrimoine qui, au cours des dix ans ayant précédé celle-ci, a fait l’objet d’une succession dont les bénéficiaires relèvent de la classe d’imposition précitée et si cette succession antérieure a été soumise à des droits de succession dans cet État membre, alors qu’une réduction des droits de succession est exclue si la succession antérieure a donné lieu à la perception de droits de succession dans un autre État membre ? »
Sur la question préjudicielle
15 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 63, paragraphe 1, et l’article 65 TFUE s’opposent à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit, en cas de succession au bénéfice de personnes appartenant à une classe d’imposition déterminée, une réduction des droits de succession lorsque la succession comporte un patrimoine qui, au cours des dix années ayant précédé celle-ci, a déjà fait l’objet d’une transmission successorale, à la condition que cette dernière ait donné lieu à la perception de droits de succession dans cet État membre.
16 Ainsi que l’a relevé la juridiction de renvoi, les successions, qui consistent en une transmission à une ou à plusieurs personnes du patrimoine laissé par une personne décédée, constituent, selon une jurisprudence constante de la Cour, des mouvements de capitaux au sens de l’article 63 TFUE, à l’exception des cas où leurs éléments constitutifs se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (voir, en ce sens, arrêts du 23 février 2006, van Hilten-van der Heijden, C‑513/03, EU:C:2006:131, points 39 à 42 ; du 17 janvier 2008, Jäger, C‑256/06, EU:C:2008:20, points 24 et 25 ; du 17 octobre 2013, Welte, C‑181/12, EU:C:2013:662, points 19 et 20, ainsi que du 3 septembre 2014, Commission/Espagne, C‑127/12, non publié, EU:C:2014:2130, points 52 et 53).
17 Or, la succession en cause au principal comporte un patrimoine provenant d’une succession antérieure intervenue entre la sœur et la mère de M. Feilen en Autriche où était alors situé ce patrimoine et où celles-ci résidaient à la date du décès de la sœur. Cet élément transfrontalier est la raison pour laquelle la réduction des droits de succession prévue à l’article 27 de l’ErbStG n’a pas été accordée à M. Feilen. Une telle situation ne pouvant être considérée comme une situation purement interne, la succession en cause au principal constitue une opération relevant des mouvements de capitaux au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE.
18 Il y a donc lieu d’examiner si une réglementation nationale telle que celle en cause au principal constitue une restriction aux mouvements de capitaux au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE et, dans l’affirmative, si une telle restriction est justifiée.
Sur l’existence d’une restriction aux mouvements de capitaux
19 La Cour a déjà jugé qu’une réglementation d’un État membre, qui fait dépendre l’application d’un avantage fiscal en matière de succession, tel un abattement sur la base imposable, du lieu de résidence du défunt ou du bénéficiaire ou du lieu des biens compris dans la succession, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée par l’article 63, paragraphe 1, TFUE lorsqu’elle aboutit à ce que les successions impliquant des non-résidents ou comprenant des biens situés dans un autre État membre sont soumises à une charge fiscale plus lourde que celle grevant les successions n’impliquant que des résidents ou ne comprenant que des biens situés dans l’État membre d’imposition et, partant, a pour effet de diminuer la valeur de la succession (voir, en ce sens, arrêts du 17 janvier 2008, Jäger, C‑256/06, EU:C:2008:20, points 30 à 35 ; du 17 octobre 2013, Welte, C‑181/12, EU:C:2013:662, points 23 à 26 ; du 3 septembre 2014, Commission/Espagne, C‑127/12, non publié, EU:C:2014:2130, points 57 à 60, ainsi que du 4 septembre 2014, Commission/Allemagne, C‑211/13, non publié, EU:C:2014:2148, points 40 à 43).
20 En l’occurrence, l’article 27, paragraphe 1, de l’ErbStG prévoit qu’une réduction des droits de succession est accordée pour l’acquisition, par voie successorale, d’un patrimoine par des personnes qui relèvent de la classe d’imposition I si ce patrimoine a, au cours des dix années ayant précédé cette acquisition, déjà fait l’objet d’une acquisition par des personnes relevant de cette classe d’imposition et si cette acquisition antérieure a donné lieu à la perception de droits de succession en Allemagne. De tels droits étant perçus, en vertu de l’article 2 de l’ErbStG, lorsque le défunt, à la date du décès, ou l’acquéreur, à la date du fait générateur de l’impôt, ont leur domicile ou leur résidence sur le territoire national ou lorsque les biens dévolus consistent en un « patrimoine interne », l’octroi de la réduction des droits de succession suppose que le patrimoine dont il s’agit se trouvait en Allemagne lors de la succession antérieure ou, s’il était situé à l’étranger, que l’une au moins des parties à cette succession résidait en Allemagne.
21 Cette réglementation fait donc dépendre le bénéfice de la réduction des droits de succession du lieu des biens compris dans la succession lors de la succession antérieure et du lieu de résidence du défunt ou du bénéficiaire lors de cette succession antérieure. Elle a pour conséquence qu’une succession comportant des biens qui étaient situés dans un autre État membre lors d’une succession antérieure dans laquelle aucune des parties ne résidait en Allemagne est soumise à des droits de succession plus élevés que ceux perçus en cas de succession ne comportant que des biens qui étaient situés en Allemagne lors d’une succession antérieure ou comportant des biens qui étaient situés dans un autre État membre lors d’une succession antérieure dont l’une au moins des parties résidait en Allemagne. Cette réglementation a ainsi pour effet, comme l’a constaté la juridiction de renvoi, de diminuer la valeur de la succession.
22 Il en résulte qu’une législation nationale telle que celle en cause au principal constitue une restriction aux mouvements de capitaux au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE.
23 La juridiction de renvoi ayant exprimé des doutes sur le point de savoir si l’arrêt du 12 février 2009, Block (C‑67/08, EU:C:2009:92) remet en cause cette conclusion, il convient de constater que, à la différence de la situation examinée dans cet arrêt, l’affaire au principal concerne non pas une double imposition d’éléments d’une même succession par deux États membres, mais le traitement fiscal d’une succession, par un État membre, qui diffère selon que celle-ci comporte ou non un patrimoine ayant déjà donné lieu dans ce même État membre à la perception d’un impôt lors d’une succession antérieure.
Sur les justifications d’une restriction aux mouvements de capitaux
24 Concernant une éventuelle justification fondée sur l’article 65 TFUE, il convient de rappeler que, aux termes du paragraphe 1, sous a), de cet article, l’article 63 TFUE « ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres [...] d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ».
25 Cette disposition de l’article 65 TFUE, en tant qu’elle constitue une dérogation au principe fondamental de la libre circulation des capitaux, doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Partant, elle ne saurait être interprétée en ce sens que toute législation fiscale comportant une distinction entre les contribuables en fonction du lieu où ils résident ou de l’État membre dans lequel ils investissent leurs capitaux est automatiquement compatible avec le traité. En effet, la dérogation prévue à l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE est elle-même limitée par le paragraphe 3 du même article, qui prévoit que les dispositions nationales visées audit paragraphe 1 « ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 63 [TFUE] » (arrêt du 4 septembre 2014, Commission/Allemagne, C‑211/13, non publié, EU:C:2014:2148, point 46 et jurisprudence citée).
26 Il y a donc lieu de distinguer les différences de traitement autorisées au titre de l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE des discriminations arbitraires interdites en vertu de l’article 65, paragraphe 3, TFUE. À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, pour qu’une réglementation fiscale nationale qui, aux fins du calcul des droits de succession ou de donation, opère une distinction entre les résidents et les non-résidents ou entre les biens situés sur le territoire national et ceux situés hors dudit territoire puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux, il est nécessaire que la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (arrêt du 3 septembre 2014, Commission/Espagne, C‑127/12, non publié, EU:C:2014:2130, point 73 et jurisprudence citée).
27 En ce qui concerne la comparabilité des situations en cause, il est constant que la réglementation en cause au principal met sur le même plan, aux fins des droits de succession, les personnes relevant de la classe d’imposition I et résidant sur le territoire national qui acquièrent par voie successorale un patrimoine comportant des biens qui ont, dans les dix années ayant précédé la succession, déjà fait l’objet d’une succession dont les bénéficiaires relevaient de la même classe d’imposition, quelle que soit la situation de ces biens ou le lieu de résidence des parties à celle-ci lors de cette succession antérieure. Ce n’est que pour l’application de la réduction des droits de succession prévue à l’article 27, paragraphe 1, de l’ErbStG que cette réglementation traite différemment ces personnes selon que les biens en question se trouvaient ou non sur le territoire national lors de la succession antérieure et selon que les parties à cette succession résidaient ou non sur ce territoire (voir, par analogie, arrêt du 17 octobre 2013, Welte, C‑181/12, EU:C:2013:662, point 51 et jurisprudence citée).
28 Il s’ensuit que la différence de traitement opérée par la réglementation en cause au principal concerne des situations qui sont objectivement comparables.
29 Il convient, dès lors, d’examiner si une telle réglementation peut être objectivement justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, telle que la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal évoquée par la juridiction de renvoi et invoquée par le gouvernement allemand.
30 À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a déjà admis que la nécessité de préserver la cohérence d’un régime fiscal peut justifier une restriction à l’exercice des libertés de circulation garanties par le traité. Toutefois, pour qu’une telle justification puisse être admise, il faut que soit établie l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé, le caractère direct de ce lien devant être apprécié au regard de l’objectif de la réglementation en cause (arrêts du 17 octobre 2013, Welte, C‑181/12, EU:C:2013:662, point 59, et du 7 novembre 2013, K, C‑322/11, EU:C:2013:716, points 65 et 66 ainsi que jurisprudence citée).
31 En l’occurrence, la juridiction de renvoi a considéré que l’avantage résultant de la réduction des droits de succession prévue à l’article 27, paragraphe 1, de l’ErbStG est directement lié au fait qu’il y a déjà eu une perception de droits de succession pour l’acquisition antérieure du même patrimoine par voie successorale. Cette juridiction a précisé que l’objectif de cette disposition est de réduire, dans l’hypothèse d’une transmission multiple du même patrimoine dans un délai de dix ans entre des personnes relevant de la classe d’imposition I, dans la limite de 50 %, les droits de succession afférents à ce patrimoine dans la mesure où celui-ci a donné lieu à une imposition à la charge de l’acquéreur antérieur.
32 Cette appréciation est partagée, en substance, par le gouvernement allemand qui précise que l’article 27 de l’ErbStG est fondé sur l’idée qu’un patrimoine est transmis entre parents proches d’une génération à la suivante et qu’une nouvelle imposition du même patrimoine, lorsque celui-ci a déjà été imposé dans un passé proche, est inéquitable dans une certaine mesure. Cet article serait donc destiné à éviter partiellement une double imposition du même patrimoine de manière rapprochée dans le temps, en renonçant à la perception d’une partie des droits de succession lorsque de tels droits ont été perçus en Allemagne lors d’une succession antérieure dans les délais prévus audit article. L’absence d’octroi de la réduction desdits droits dans le cas d’une acquisition antérieure exclusivement imposée à l’étranger serait objectivement liée au fait que la République fédérale d’Allemagne n’a pas pu imposer cette acquisition et percevoir les recettes fiscales correspondantes.
33 Au regard de ces éléments, il apparaît que, en prévoyant que peuvent bénéficier de la réduction des droits de succession uniquement les personnes recevant par voie successorale un patrimoine qui a donné lieu à la perception de tels droits en Allemagne lors d’une succession antérieure, la configuration de cet avantage fiscal reflète une logique symétrique (voir arrêts du 1er décembre 2011, Commission/Belgique, C‑250/08, EU:C:2011:793, point 73, et Commission/Hongrie, C‑253/09, EU:C:2011:795, point 74). Cette logique serait rompue si cet avantage fiscal bénéficiait aussi à des personnes héritant d’un patrimoine qui n’a pas donné lieu à la perception de droits de succession dans cet État membre.
34 Il en découle que, dans ce régime d’exonération des droits de succession, il existe un lien direct entre ledit avantage fiscal et le prélèvement antérieur.
35 Certes, la Cour a jugé, dans des affaires ne relevant pas du domaine de la fiscalité des successions, qu’un lien direct fait défaut lorsqu’il s’agit, notamment, d’impositions distinctes ou du traitement fiscal de contribuables différents (voir, en ce sens, arrêts du 18 septembre 2003, Bosal, C‑168/01, EU:C:2003:479, point 30, et du 24 février 2015, Grünewald, C‑559/13, EU:C:2015:109, point 49).
36 Toutefois, dans une situation particulière telle que celle visée à l’article 27 de l’ErbStG, la condition selon laquelle il doit s’agir du même contribuable ne saurait s’appliquer dès lors que la personne qui a acquitté les droits de succession lors de la succession antérieure est nécessairement décédée.
37 En outre, l’objectif poursuivi par l’article 27 de l’ErbStG est, ainsi que cela ressort des points 31 et 32 du présent arrêt, de réduire dans une certaine mesure la charge fiscale pesant sur une succession comportant un patrimoine transmis entre parents proches qui a déjà donné lieu à une imposition antérieure, en évitant partiellement la double imposition en Allemagne de ce patrimoine d’une manière rapprochée dans le temps. Au regard de cet objectif, il existe, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 71 de ses conclusions, un lien direct entre la réduction des droits de succession que cet article prévoit et la perception antérieure de droits de succession, cet avantage fiscal et ce prélèvement antérieur concernant le même impôt, le même patrimoine et les membres proches d’une même famille.
38 Il y a lieu de constater, en conséquence, que la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal peut justifier la restriction aux mouvements de capitaux résultant d’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal.
39 Encore convient-il, pour qu’une telle restriction soit justifiée, qu’elle soit appropriée et proportionnée au regard de l’objectif poursuivi (voir, en ce sens, arrêts du 1er décembre 2011, Commission/Belgique, C‑250/08, EU:C:2011:793, point 78, et Commission/Hongrie, C‑253/09, EU:C:2011:795, point 79).
40 À cet égard, il convient de constater qu’une réduction des droits de succession calculée par l’application de pourcentages en fonction du délai écoulé entre les deux moments où l’obligation fiscale a pris naissance et subordonnée à la condition que le patrimoine a déjà donné lieu à la perception de tels droits en Allemagne dans les dix années qui précèdent apparaît appropriée pour atteindre l’objectif poursuivi par l’article 27 de l’ErbStG, tel que décrit au point 37 du présent arrêt. Cette réduction est en outre proportionnée au regard de cet objectif, dès lors que la République fédérale d’Allemagne n’avait pas de pouvoir d’imposition sur la succession antérieure. Dans ces circonstances, limiter le bénéfice de cette réduction à des situations dans lesquelles ledit patrimoine a donné lieu à une imposition en Allemagne apparaît proportionné au regard dudit objectif (voir, en ce sens, arrêt du 1er décembre 2011, Commission/Hongrie, C‑253/09, EU:C:2011:795, points 80 et 81).
41 Il s’ensuit que la restriction aux mouvements de capitaux résultant d’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal est justifiée par la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal.
42 En conséquence, il convient de répondre à la question posée que l’article 63, paragraphe 1, et l’article 65 TFUE ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit, en cas de succession au bénéfice de personnes appartenant à une classe d’imposition déterminée, une réduction des droits de succession lorsque la succession comporte un patrimoine qui, au cours des dix ans ayant précédé celle-ci, a déjà fait l’objet d’une transmission successorale, à la condition que cette dernière ait donné lieu à la perception de droits de succession dans cet État membre.
Sur les dépens
43 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
L’article 63, paragraphe 1, et l’article 65 TFUE ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit, en cas de succession au bénéfice de personnes appartenant à une classe d’imposition déterminée, une réduction des droits de succession lorsque la succession comporte un patrimoine qui, au cours des dix ans ayant précédé celle-ci, a déjà fait l’objet d’une transmission successorale, à la condition que cette dernière ait donné lieu à la perception de droits de succession dans cet État membre.
Signatures
* Langue de procédure : l’allemand.