CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE
MME JULIANE KOKOTT
présentées le 3 octobre 2019 ( 1 )
Affaire C‑401/18
Herst s.r.o.
contre
Odvolací finanční ředitelství
[demande de décision préjudicielle formée par le Krajský soud v Praze (cour régionale de Prague, République tchèque)]
« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Produits soumis à accise – Exonération d’une livraison de biens qui sont expédiés ou transportés à l’intérieur de l’Union européenne – Opération en chaîne – Imputation du mouvement de marchandises à une livraison au sein d’une chaîne de livraisons – Expédition de produits soumis à accise sous le régime de suspension des droits d’accise – Primauté du droit de l’Union – Limites d’une interprétation conforme au droit de l’Union – Principe in dubio mitius »
I. Introduction
1. |
La présente affaire porte en substance une nouvelle fois sur la question, éminemment importante pour la pratique, de savoir quelle opération, dans une chaîne de livraisons transfrontalières avec plusieurs opérations, doit être qualifiée de livraison intracommunautaire exonérée lorsqu’il n’y a qu’un seul mouvement de marchandises. Puisque la requérante au principal fait valoir une déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) payée en amont, elle prétend n’avoir reçu aucune livraison intracommunautaire exonérée. |
2. |
Même si la Cour a déjà examiné plusieurs fois ( 2 ) de tels cas de figure, la juridiction de renvoi est d’avis que la jurisprudence de la Cour ne permet toujours pas de dégager des critères clairs quant à la détermination du lieu de la livraison et à l’imputation de l’exonération à l’une des livraisons dans une chaîne de livraisons. Un critère applicable à cet égard est le transfert du pouvoir de disposer. Sur ce point, la juridiction de renvoi relève que le carburant livré a été transporté sous le régime de suspension des droits d’accise. La Cour a toutefois déjà déclaré, dans son arrêt AREX CZ ( 3 ), que cela n’a pas d’importance au regard de la TVA. |
3. |
La présente affaire offrira donc à la Cour encore une fois la possibilité de préciser les critères d’attribution du mouvement de marchandises à une livraison déterminée dans une chaîne de livraisons et d’assurer davantage de sécurité juridique en l’espèce. |
4. |
En outre, les questions sont soulevées en rapport avec le principe constitutionnel in dubio mitius applicable en République tchèque. Selon ce principe, une disposition de droit fiscal doit toujours être interprétée au bénéfice du contribuable lorsqu’il existe objectivement plusieurs variantes d’interprétation. Dans la mesure où la variante la plus avantageuse pour le contribuable ne correspond pas à une interprétation conforme au droit de l’Union se pose la question du rapport entre le droit constitutionnel national et le droit de l’Union. |
II. Cadre juridique
A. Le droit de l’Union
5. |
Le cadre juridique en droit de l’Union est régi par les dispositions de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (ci‑après la « directive TVA ») ( 4 ). |
6. |
L’article 2 de la directive TVA dispose : « 1. Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :
[…] » |
7. |
La « livraison de biens » est définie à l’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA comme étant le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire. |
8. |
L’article 32, premier alinéa, de la directive TVA détermine le lieu de la livraison et dispose : « Dans le cas où le bien est expédié ou transporté soit par le fournisseur, soit par l’acquéreur, soit par une tierce personne, le lieu de la livraison est réputé se situer à l’endroit où le bien se trouve au moment du départ de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur. » |
9. |
Au chapitre 4 du titre IX, intitulé « Exonérations », l’article 138, paragraphe 1, prévoit ce qui suit : « Les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés en dehors de leur territoire respectif mais dans la Communauté par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens. » |
B. Le droit tchèque
10. |
S’agissant du droit tchèque applicable, il convient notamment de renvoyer à l’article 64 de la loi tchèque sur la TVA ( 5 ) qui a transposé en droit tchèque l’article 138 de la directive TVA. Le droit à la déduction de la TVA payée en amont, prévu aux articles 167 et suivants de la directive TVA, a été transposé par les articles 72 et suivants de la loi sur la TVA. |
11. |
De plus, la juridiction de renvoi mentionne le principe constitutionnel in dubio mitius (en cas de doute, le plus clément). Ce dernier a pour objectif d’adoucir les conséquences d’une insécurité juridique sur les destinataires d’une disposition juridique ambiguë lorsque l’État – en tant que responsable du contenu et de la clarté d’une règle en vigueur – leur impose des obligations. |
12. |
Le droit tchèque prévoit donc que, lorsque plusieurs interprétations d’une norme de droit public sont possibles, il convient de s’appuyer sur celle qui ne limite pas, ou le moins possible, les droits et libertés fondamentaux. La juridiction de renvoi est d’avis que la réglementation déterminante pour trancher la présente affaire n’est pas claire. Par conséquent, la déduction de la TVA payée en amont devrait pour ce motif être accordée en vertu du droit national sur le fondement du principe in dubio mitius. |
III. Faits et procédure préjudicielle
13. |
La requérante au principal (Herst s.r.o. ; ci‑après « Herst ») sollicite de la part de la juridiction nationale la déduction de la TVA payée en amont. Herst opère, entre autres, dans le domaine du transport routier et est propriétaire de plusieurs stations-service. Au moyen de ses propres véhicules, elle transporte du carburant depuis d’autres États membres (Autriche, Allemagne, Slovaquie, Slovénie) vers le lieu de destination, la République tchèque. Au cours de ce transport, les marchandises sont revendues plusieurs fois, mais ne sont transportées qu’une seule fois (par Herst) à l’acquéreur final en République tchèque. |
14. |
Dans de nombreux cas, Herst était l’acquéreur final du carburant. Elle l’achetait auprès de fournisseurs qui étaient enregistrés aux fins de la TVA en République tchèque. Ce faisant, Herst se situait à la fin de la chaîne de livraisons. Dans d’autres cas, elle revendait le carburant à ses propres clients. Dans ces situations, elle se situait au milieu de la chaîne de livraisons. Dès lors, Herst ne facturait pas de frais de transport à ses fournisseurs, mais achetait le carburant à des prix qui n’incluaient pas le transport. |
15. |
Habituellement, Herst passait commande auprès de fournisseurs tchèques qui avaient acheté, ou achetaient encore, le carburant auprès d’une raffinerie située dans un autre État membre. À cette occasion, elle indiquait le terminal de la raffinerie où la marchandise serait enlevée, la date et, le cas échéant, le moment du chargement, le nom du conducteur, le numéro d’immatriculation du véhicule et de la remorque, la quantité de carburant transportée et le lieu de déchargement. |
16. |
Après paiement de la facture anticipée, Herst pouvait prendre livraison des marchandises selon les instructions des fournisseurs tchèques. Herst enlevait le carburant directement dans les terminaux dans les autres États membres. Lors de la remise des marchandises, aucun des partenaires contractuels participant à la chaîne de livraisons n’était présent. Herst transportait ensuite le carburant en République tchèque. Après le passage de la frontière, il était procédé au dédouanement. Le carburant était mis en libre pratique au regard des droits d’accise et la requérante au principal poursuivait le transport jusqu’au lieu de déchargement, c’est‑à‑dire jusqu’à ses stations-service ou celles de ses clients. |
17. |
À la suite d’un contrôle fiscal pour les périodes de novembre 2010 à mai 2013 et de juillet et août 2013, l’administration fiscale a constaté que la requérante au principal avait fait valoir, pour les livraisons de carburant, une déduction de la TVA payée en amont comme s’il s’était agi de livraisons à l’intérieur de la République tchèque. Or, selon l’administration fiscale, la livraison des marchandises n’a pas été réalisée en République tchèque, mais dans les autres États membres où se trouvait le carburant au moment du départ de l’expédition ou du transport. Par conséquent, il s’agissait d’une livraison intracommunautaire exonérée à destination de Herst qui n’ouvrait aucun droit à déduction dans le chef de cette dernière. |
18. |
Selon l’administration fiscale, étant donné que la requérante au principal a enlevé elle‑même dans les autres États membres les marchandises achetées et qu’elle les a transportées à ses propres frais en République tchèque aux fins de ses activités économiques, cette livraison de marchandises entre les fournisseurs tchèques et la requérante au principal serait une livraison avec transport de marchandises. C’est pourquoi l’administration fiscale a annulé la déduction de la TVA payée en amont qui avait été demandée de manière infondée et a établi une nouvelle fois, au moyen d’avis d’imposition complémentaires, la TVA due par la requérante au principal pour les différentes périodes imposables examinées. Dans le même temps, elle a infligé à Herst une amende. |
19. |
La requérante au principal a introduit une réclamation contre les avis d’imposition complémentaires dans laquelle elle faisait notamment valoir que le transport du carburant entre les États membres avait été effectué sous le régime de suspension. Le transport avait été réalisé sous contrôle douanier. Ce n’est qu’à la fin du transport que les marchandises ont été placées en libre pratique dans un seul et même État membre et ce n’est qu’alors qu’elles ont fait l’objet d’une livraison soumise à la TVA. C’est pourquoi il serait exclu que la requérante au principal ait acquis des droits sur les marchandises déjà auparavant, au lieu du départ du transport (c’est‑à‑dire, à l’étranger). |
20. |
Par ses décisions attaquées, l’administration fiscale a confirmé les avis d’imposition. Herst a introduit un recours contre les décisions attaquées. Le Krajský soud v Praze (cour régionale de Prague, République tchèque) a suspendu la procédure et a saisi la Cour de plusieurs questions en application de la procédure préjudicielle prévue à l’article 267 TFUE. À la suite de l’arrêt AREX CZ ( 6 ), elle a limité ses questions préjudicielles déférées à la Cour aux trois questions suivantes :
|
21. |
Lors de la procédure devant la Cour, Herst, la République tchèque et la Commission européenne ont présenté des observations écrites. |
IV. Appréciation juridique
A. Sur la première question
22. |
La première question porte sur l’article 138 de la directive TVA, qui régit l’exonération des livraisons intracommunautaires. C’est de l’existence de cette exonération que dépend en définitive le point de savoir si c’est à bon droit que la déduction de la TVA payée en amont a été refusée à Herst. En effet, si la livraison à Herst était exonérée, cette dernière n’aurait pas droit à une déduction de la TVA payée en amont. Herst devrait plutôt se retourner contre ses fournisseurs et leur réclamer au civil le remboursement de la TVA indûment payée. |
1. Précisions sur la première question préjudicielle
23. |
Les dispositions de la directive TVA relatives à la livraison transfrontalière de biens visent à mettre en œuvre le principe du lieu de destination. Ce principe vise à garantir que la TVA, en tant qu’impôt sur la consommation, soit acquittée dans l’État membre dans lequel a lieu la consommation finale. C’est la raison pour laquelle, en cas de livraison transfrontalière, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, point b, i), et de l’article 40 de la directive TVA, l’acquisition du bien est imposée dans le pays de destination. Afin de prévenir une double-imposition, la livraison du même bien doit être préalablement exonérée dans le pays d’origine ( 7 ). La livraison intracommunautaire et l’acquisition intracommunautaire constituent par conséquent une seule et même opération économique ( 8 ). |
24. |
La situation devient toutefois compliquée lorsqu’il y a plusieurs livraisons (chaîne de livraisons) mais que la marchandise n’est transportée qu’une seule fois (depuis la première jusqu’à la dernière livraison dans la chaîne de livraisons) (opérations en chaîne). Dans ce cas de figure, plusieurs livraisons intracommunautaires entrent en effet en ligne de compte, étant entendu que l’exonération prévue à l’article 138 de la directive TVA ne peut toutefois s’appliquer qu’à une seule livraison ( 9 ). Ce faisant, la livraison intracommunautaire exonérée détermine le lieu des livraisons subséquente et précédente dans la chaîne de livraisons ( 10 ). Le lieu de ces livraisons se situe, conformément à l’article 32, paragraphe 1, de la directive TVA, dans le pays d’origine pour ce qui est de toutes les livraisons antérieures à la livraison intracommunautaire exonérée et dans le pays de destination pour ce qui est de toutes les livraisons postérieures ( 11 ). C’est pourquoi il est déterminant de savoir à laquelle des livraisons dans la chaîne de livraisons peut être imputé le transport transfrontalier. |
25. |
Par sa première question, la juridiction de renvoi demande au moyen de quels critères cette imputation peut et doit être effectuée. |
26. |
Le fait que Herst a transporté et dédouané les marchandises dans le cadre d’un régime douanier particulier (le régime de suspension de droits) est à cet égard fondamentalement dénué de pertinence. En effet, ainsi que l’a déjà déclaré la Cour dans l’arrêt AREX CZ ( 12 ), la question de l’imputation de l’exonération de la TVA à une des livraisons est une question relevant uniquement de la TVA, dont les éléments constitutifs ne sont pas modifiés par le régime de suspension de droits. Par conséquent, le point de savoir quelle livraison dans une chaîne de livraisons doit être qualifiée de livraison intracommunautaire exonérée doit être apprécié au regard des règles générales en matière de TVA. |
27. |
En outre, la juridiction de renvoi souhaiterait savoir si le vendeur (B) qui se situe au milieu de la chaîne de livraisons à deux éléments (A – B – Herst) obtient le droit de disposer des marchandises même lorsqu’il procure à son client (en l’espèce, Herst) uniquement l’accès aux marchandises – qui se trouvent encore chez A (c’est‑à‑dire, chez son fournisseur) – et que Herst effectue le transport subséquent à ses propres frais. |
28. |
Or, aux fins de la déduction de la TVA payée en amont par Herst dans ce cas de figure, il est déterminant de savoir si la livraison de B à Herst se situe en République tchèque. En effet, ce n’est que dans ce cas que la livraison y serait imposable et assujettie à la TVA. La TVA tchèque serait alors à juste titre mentionnée sur la facture délivrée à Herst et ce dernier pourrait procéder à la déduction afférente de la TVA payée en amont. |
29. |
Cela suppose toutefois que la première livraison (A – B) soit considérée comme étant la livraison intracommunautaire exonérée. Ce n’est qu’alors que le lieu de la première livraison au sens de l’article 32 de la directive TVA se situerait dans l’État membre du départ du transport, tandis que le lieu de la livraison subséquente (B – Herst) se situerait dans l’État membre de la fin du transport (en l’espèce, la République tchèque) ( 13 ). |
2. Attribution du transport transfrontalier à l’une des livraisons
30. |
Il convient donc de déterminer si le transport transfrontalier peut être imputé à la livraison précédente (A – B) même lorsque Herst a transporté les marchandises directement depuis A chez lui (ou chez ses clients). |
31. |
Sur le fondement de la jurisprudence jusqu’à ce jour de la Cour, en cas de chaîne de livraisons avec un unique mouvement physique de marchandises, seule une des livraisons peut être qualifiée de livraison intracommunautaire et donc être exonérée ( 14 ). Le point de savoir laquelle des livraisons peut être ainsi qualifiée dépend de la question de savoir à quelle livraison doit être imputée le transport transfrontalier. Par conséquent, toutes les autres livraisons dans la chaîne de livraisons qui ne présentent pas cette caractéristique supplémentaire de transport transfrontalier doivent être considérées comme des livraisons internes. |
a) Importance de la propriété et du pouvoir de disposer
32. |
Sur le fondement de la question concrète de la juridiction de renvoi relative au pouvoir de disposer dans le chef de l’opérateur intermédiaire (B) dans une chaîne de livraisons, il convient toutefois de préalablement préciser encore une fois que cet opérateur, dès lors qu’il fait partie d’une chaîne de livraisons, obtient naturellement aussi le pouvoir de disposer au sens de la TVA et qu’il transfère ce pouvoir à ses clients (en l’espèce, Herst). |
33. |
Il ressort sans aucun doute de la jurisprudence de la Cour que, dans une chaîne de livraisons avec un transport unique, il existe plusieurs livraisons dont le lieu de livraisons doit être déterminé de manière différente ( 15 ). Si une livraison au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA est définie en ce sens que le fournisseur procure au destinataire le pouvoir de disposer, l’opérateur intermédiaire doit également avoir obtenu le droit de disposer (en toute hypothèse, pour un instant logique). Dans le cas contraire, il n’y aurait pas deux livraisons, mais, en tout état de cause, une livraison et une prestation de service. Ainsi, il suffit que l’opérateur intermédiaire (B) ait « uniquement » permis à son client (Herst) l’accès aux marchandises à fournir que cet opérateur a lui‑même acquises auparavant (mais qu’il n’a pas encore enlevées) pour supposer un transfert du pouvoir de disposer de A à B et, ensuite, de B à Herst. |
34. |
Cette constatation (plusieurs livraisons ont également pour conséquence logique plusieurs transferts du pouvoir de disposer) n’est en rien modifiée non plus par le fait que le droit civil interne autorise l’acquisition directe de la propriété entre le premier élément (A) et le dernier élément (en l’espèce, Herst) d’une chaîne de livraisons. En toute hypothèse, certaines versions linguistiques de l’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA ( 16 ) ne mentionnent précisément pas le fait que quelqu’un a acquis le droit de propriété, mais parle uniquement du transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel « comme un propriétaire ». Toutefois, disposer de quelque chose « comme un propriétaire » ne signifie pas nécessairement la même chose qu’acquisition de la propriété. D’une part, dans ce dernier cas, on ne disposerait pas d’un objet « comme un » propriétaire, mais « à titre de » propriétaire. D’autre part, dans le cas contraire, la notion de livraison au sens de la TVA dépendrait de chaque acception nationale de la propriété. La notion de livraison d’un objet ne se réfère toutefois pas au transfert de propriété dans les formes prévues par le droit national applicable ( 17 ). |
35. |
Il ressort déjà des considérations qui précèdent que le point de savoir si et quand un transfert de propriété en droit civil intervient au bénéfice de l’opérateur intermédiaire (B) ou au bénéfice du dernier opérateur dans la chaîne (Herst) est en principe sans incidence. Ainsi que la Commission l’a souligné à juste titre, la propriété formelle n’est pas déterminante. L’acquisition de la propriété est tout au plus un indice dans le cadre d’une appréciation globale, car dans la très grande majorité des cas l’obtention du pouvoir de disposer est accompagnée de l’acquisition de la propriété. |
36. |
Cette compréhension fait également apparaître le sens de la déclaration de la Cour, dans l’arrêt AREX CZ, quant à une éventuelle acquisition de la propriété au regard du droit tchèque dans le chef d’AREX CZ ( 18 ). Dans cet arrêt, la Cour a jugé qu’il était déterminant de savoir si la propriété avait déjà été acquise lors du chargement du carburant par le destinataire de la fourniture qui se charge du transport (AREX). L’acquisition de la propriété dans le chef du transporteur est donc un indice très important pour une livraison, mais n’est pas déterminant à lui seul ( 19 ). |
37. |
De la même manière, la Cour a déjà constaté que n’est pas seule déterminante la circonstance de savoir qui, au cours du transport, est le propriétaire du bien au sens du droit national ou qui exerce effectivement le contrôle sur le bien ( 20 ). De même, la Cour a déclaré qu’il ne pouvait être déduit de la seule circonstance que le bien avait déjà été revendu que le transport doit être imputé à chaque fois à la livraison subséquente ( 21 ). En ce sens, la circonstance de la simple revente est également dénuée de pertinence aux fins de l’attribution du mouvement de marchandises à l’une des livraisons. |
38. |
Par conséquent, le pouvoir de disposer au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA est conçu de manière plus large que le droit de propriété en droit civil. Cependant, tout comme ce dernier, il n’est toutefois pas exclu par des limitations juridiques. Pas plus que les droits existants, par exemple, d’un locataire n’excluent le pouvoir de disposer du propriétaire, les limitations juridiques au droit de disposer n’entravent pas le droit de disposer de l’acquéreur au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA dans le cadre d’un régime de transit douanier. |
39. |
Par conséquent, à titre de conclusion intermédiaire, il peut être constaté que le moment de l’acquisition de la propriété en vertu du droit national n’est pas déterminant aux fins de l’imputation du transport à l’une des livraisons entrant en ligne de compte et, partant, aux fins de déterminer la livraison intracommunautaire exonérée. |
b) Imputation concrète du mouvement transfrontalier dans une chaîne de livraisons
40. |
D’après la jurisprudence de la Cour, l’imputation du transport transfrontalier à une livraison dans une chaîne de livraisons – en l’espèce, à l’une des deux livraisons (de A à B ou de B à Herst) – doit être effectuée dans le cadre d’une appréciation exhaustive de l’ensemble des circonstances particulières du cas d’espèce ( 22 ). |
41. |
Dans le cas des opérations en chaîne, il y a lieu notamment de prendre en compte le point de savoir qui effectue le transport et pour le compte de qui celui‑ci est effectué ( 23 ). Selon nous, ce qui importe est de savoir sur qui pèse durant le transport le risque d’une perte fortuite de la chose ( 24 ). |
42. |
En conséquence, dans une série d’affaires concernant une chaîne de deux livraisons (A – B – C), la Cour a jugé que le transport ne pouvait plus être imputé à la « première » livraison lorsque le pouvoir de disposer d’une chose comme un propriétaire a déjà été transféré avant le transport à l’acquéreur final (C), c’est‑à‑dire au destinataire de la « seconde » livraison (B – C) ( 25 ). |
43. |
Celui qui dispose déjà de la chose « comme un propriétaire » devra, en effet, en règle générale, également assumer le risque de sa perte fortuite, car le droit d’agir à sa guise sur un bien, par exemple en le détruisant ou le consommant, est une expression typique des pouvoirs d’un propriétaire ( 26 ). À cet égard, la Commission, dans ses observations, mentionne également à juste titre le pouvoir de prendre des décisions susceptibles d’affecter la situation juridique d’un bien. Toutefois, le revers de ce pouvoir juridique de décision est également le fait que son titulaire supporte le risque d’une destruction fortuite du bien (sur lequel s’exerce son pouvoir de prendre des décisions susceptibles d’affecter la situation juridique du bien). |
44. |
En ce sens, on peut considérer que celui qui doit supporter le risque d’une perte fortuite a également le pouvoir de disposer du bien comme un propriétaire, au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA ( 27 ). |
45. |
Certes – comme le fait observer la République tchèque – il n’est pas toujours simple de répondre, du point de vue juridique, à la question de savoir qui supporte le risque d’une perte fortuite. Une réponse est toutefois plus simple et entraîne davantage de sécurité juridique qu’une appréciation globale, qui ne fait pas apparaître clairement quels critères doivent être déterminants ni comment les mettre en balance. |
46. |
En revanche, la charge du risque permet, de la manière la plus simple, de déduire le rôle joué au sein d’une chaîne de livraisons par la partie concernée ( 28 ). En effet, il existe une présomption de fait selon laquelle celui qui livre à autrui un bien et sur qui pèse le risque de perte fortuite de ce bien en cours de livraison agit aussi, du point de vue juridique, en qualité de fournisseur (et non pas uniquement en qualité de transporteur pour le compte d’autrui). Or, s’il est le fournisseur de la livraison transfrontalière, sa livraison doit également être la livraison intracommunautaire exonérée. |
47. |
En ce sens, la prise en charge des frais de transport par Herst dans la présente affaire ne peut être considérée que comme un indice de ce que cette dernière a agi pour son propre compte en tant que fournisseur. Étant donné que l’acquéreur supporte toujours en règle générale les frais de transport d’un point de vue économique (soit dans le prix ou par une majoration), cet indice n’est toutefois pas péremptoire. Si le vendeur (en l’espèce B) parvient à ajouter au prix les frais de transport, et que Herst supporte toutefois le risque d’une perte fortuite en cours de transport, c’est néanmoins à Herst qu’il convient d’imputer le transport transfrontalier. |
48. |
Cela s’applique nonobstant la question de savoir qui effectue extérieurement le transport dans ces cas (dans ceux sur lesquels il a été statué, il s’agissait le plus souvent de l’opérateur intermédiaire) ( 29 ) et indépendamment de la manière dont doit être juridiquement qualifiée la situation de celui qui détient le pouvoir de disposer ( 30 ) (c’est‑à‑dire indépendamment du point de savoir s’il est déjà propriétaire ou s’il a seulement un droit au transfert de la propriété). |
49. |
Pour la procédure au principal, cela signifie que ce qui est déterminant est de savoir si, avant le transport transfrontalier du carburant, Herst avait déjà obtenu le pouvoir de disposer du carburant de manière à devoir assumer le risque d’une perte fortuite. Il n’est pas à exclure que cela ait déjà été accompagné du transfert de propriété lors du chargement au terminal de la raffinerie, puisqu’en règle générale le propriétaire d’un bien assume également le risque de la perte de ce bien. Par conséquent, dans une chaîne de livraisons à deux livraisons, la deuxième livraison (B – Herst) serait la livraison exonérée et Herst n’aurait aucun droit à déduire la TVA payée en amont. |
50. |
En revanche, si la marchandise avait été revendue avant le transport et qu’il y avait donc une chaîne de livraisons à trois livraisons (A – B – Herst – D), le résultat serait légèrement différent. En effet, ce ne serait pas le dernier opérateur dans la chaîne de livraisons, mais un opérateur intermédiaire qui assurerait le transport. Dans ce cas, ce serait sa livraison (c’est‑à‑dire, la troisième livraison Herst – D) – si Herst assume le risque d’une perte fortuite en cours de transport – qui serait la livraison transfrontalière et donc la livraison exonérée ( 31 ). Dans ce cas également, Herst ne pourrait pas faire valoir une déduction de la TVA payée en amont au titre de la livraison précédente en République tchèque, mais uniquement dans le pays du départ du transport. |
51. |
Toutefois, il est également possible d’envisager le moment du transfert de risque (avec ou sans acquisition concomitante de la propriété au regard du droit civil) d’une autre manière. Ainsi, la juridiction de renvoi fait observer que, selon les contrats couramment utilisés dans le secteur, l’acquisition de la propriété, et donc aussi sans doute le transfert du risque à l’acquéreur assurant le transport, ne se réalise qu’au moment de la mise en libre pratique des marchandises assujetties aux droits d’accise. |
52. |
Si tel était le cas, Herst, au cours du transport transfrontalier (c’est‑à‑dire, depuis la raffinerie jusqu’à la mise en libre pratique en République tchèque), opérerait uniquement en qualité de transporteur ( 32 ). Cela serait certes inhabituel, mais pas exclu. L’article 32, paragraphe 1, de la directive TVA l’autorise également, car il prévoit que le transport du bien peut être réalisé par le fournisseur (en l’espèce, A et B), par l’acquéreur (en l’espèce, B et Herst) ou par un tiers (c’est‑à‑dire, un transporteur ; en l’espèce, Herst pour le compte de A ou de B). Dans un tel cas, le transport au sens de l’article 32, paragraphe 1, de cette directive devrait être imputé soit à la livraison de A à B, soit à la livraison de B à Herst. |
53. |
Ensuite, le point de savoir si la livraison de B à Herst a été réalisée en République tchèque dépend du point de savoir si le transport est imputable à la première livraison (de A à B), ce qui suppose que le premier opérateur (A) a supporté le risque de perte lors de la livraison transfrontalière. Cela serait inhabituel, étant donné que A a effectivement autorisé B à faire enlever la marchandise aussi par un tiers, que A ne connaît pas. La raison pour laquelle, dans un tel cas de figure, A devrait supporter le risque d’une perte fortuite également au-delà du moment de l’enlèvement n’est pas claire de prime abord. |
54. |
La Cour ne peut toutefois pas procéder à la détermination de la personne qui a supporté le risque de perte au cours du transport transfrontalier. Cela incombe plutôt à la juridiction de renvoi ( 33 ). |
3. Conclusion
55. |
En résumé, il convient de considérer que l’attribution de l’unique mouvement transfrontalier de marchandises à une livraison déterminée dans une chaîne de livraisons dépend de manière décisive du point de savoir qui supporte le risque de perte fortuite de la marchandise au cours du transport transfrontalier. Cette livraison est la livraison intracommunautaire exonérée, dont le lieu se situe à l’endroit du départ du transport. En revanche, est dénué de pertinence le point de savoir qui, au cours du transport, est le propriétaire, au regard du droit civil, de la marchandise ou le point de savoir si le transport est réalisé sous un régime douanier particulier. |
B. Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles
1. Sur la recevabilité et le sens des deux questions
56. |
Les deuxième et troisième questions portent en définitive sur le rapport entre une directive et le droit national. Certes, le principe constitutionnel in dubio mitius du droit fiscal exige toujours de retenir l’interprétation d’une loi nationale la plus avantageuse pour le contribuable. Toutefois, ce principe est subordonné à la condition que la norme se prête objectivement à plusieurs interprétations. |
57. |
La décision de renvoi ne fait toutefois pas apparaître clairement si tel est effectivement le cas en l’espèce. Il est remarquable que la pertinence de ce principe n’est pas mentionnée dans la demande préjudicielle à l’origine de l’arrêt AREX CZ ( 34 ), bien que les faits sous-jacents et la majorité des questions soient pratiquement identiques. Cela contredit la description de la juridiction de renvoi selon laquelle, d’un point de vue objectif, plusieurs interprétations sont possibles en droit interne. |
58. |
Néanmoins, on ne saurait suivre l’avis de la République tchèque selon lequel la demande préjudicielle serait déjà irrecevable pour ce motif. En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, les questions posées par le juge national bénéficient d’une présomption de pertinence. Ce dernier établit, sous sa propre responsabilité, le cadre juridique et factuel dans lequel il défère ses questions d’interprétation du droit de l’Union. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 35 ). |
59. |
Même si – ainsi que le souligne à juste titre la Commission – il existe des doutes quant à l’application du principe in dubio mitius en l’espèce, on ne saurait présumer l’existence d’un cas de figure hypothétique. Par conséquent, la Cour devrait répondre à la question juridique sous-jacente. |
60. |
La République tchèque a très largement transposé la directive TVA. Les notions de celle‑ci et son interprétation sont suffisamment claires. Une certaine incertitude juridique persiste toutefois quant à l’attribution de l’exonération fiscale à l’une des livraisons dans une chaîne de livraisons et quant à la détermination afférente du lieu des autres livraisons. Cela est démontré par les nombreux arrêts prononcés depuis lors par la Cour ( 36 ) ainsi que par le nouvel article 36 bis de la directive, qui doit être transposé au 1er janvier 2020 ( 37 ). |
61. |
Dans l’hypothèse où, envisagée de manière objective, la réglementation nationale autorise une attribution de l’exonération fiscale à une autre livraison par voie d’interprétation et que cela a pour conséquence que, d’un point de vue objectif, le lieu de livraison soit en l’espèce la République tchèque, se pose la question du rapport entre le principe constitutionnel in dubio mitius et la directive TVA. Il conviendra alors de déterminer si une interprétation du droit national plus avantageuse prévue par le droit constitutionnel national peut s’opposer à une interprétation du droit national désavantageuse pour le contribuable, mais conforme au droit de l’Union. |
2. La question de la primauté du droit de l’Union ne se pose pas
62. |
Un examen superficiel pourrait pousser les gens à donner une réponse négative à cette question en se référant à la primauté du droit de l’Union ( 38 ). Cela méconnaîtrait toutefois le fait que la question soulevée par la juridiction de renvoi – dans la mesure où elle se pose effectivement – ne concerne pas la primauté du droit de l’Union. En effet, la primauté du droit de l’Union suppose une règle de conflit de lois ( 39 ) qui concerne le rapport entre deux dispositions en soi applicables. Une telle règle fait toutefois défaut en l’espèce. |
63. |
La directive TVA n’est pas un règlement, mais une directive dont les destinataires, en vertu de l’article 288 TFUE, sont uniquement les États membres. En principe, elle n’est donc pas directement applicable. Selon la jurisprudence de la Cour ( 40 ), une directive de l’Union n’est directement applicable que si son contenu est inconditionnel et suffisamment précis. |
64. |
Or, la Cour a expressément déclaré qu’une telle directive ne peut pas par elle‑même créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peut donc pas être invoquée en tant que telle à l’encontre d’une telle personne devant une juridiction nationale ( 41 ). Ainsi, les obligations découlant d’une directive doivent être transposées dans le droit national pour pouvoir être directement invoquées à l’encontre d’un particulier. |
65. |
Ce faisant, la Cour a créé un instrument efficace de transposition du droit de l’Union au bénéfice des particuliers. En conséquence, un État membre ne peut pas opposer à un particulier la non‑transposition ou la transposition erronée du droit de l’Union. Cela permet d’éviter que l’État ne puisse tirer avantage de sa méconnaissance du droit de l’Union ( 42 ). Si l’interprétation, conforme au droit de l’Union, du droit interne est l’interprétation la plus avantageuse pour le contribuable, tant le principe national in dubio mitius qu’une éventuelle application directe de la directive parviennent au même résultat. |
66. |
Par conséquent, le principe in dubio mitius ne peut avoir un effet autonome en matière de TVA que si l’interprétation possible au niveau national aboutit à un résultat plus avantageux pour le contribuable que celui prévu par la directive. Dans ce cas, une applicabilité directe de la directive est toutefois exclue. Ce faisant, il n’y a pas de conflit entre deux dispositions applicables, de sorte que la question de la primauté d’une des dispositions ne se pose pas. |
3. Divergence entre la directive et le droit national
67. |
On est plutôt en présence du cas classique d’une divergence entre une directive et le droit interne. Cette divergence doit être résolue en principe par voie d’une interprétation conforme au droit de l’Union ( 43 ). Celle-ci permet à la juridiction nationale de garantir, dans le cadre de ses compétences, la pleine effectivité du droit de l’Union lorsqu’elle statue sur un litige dont elle est saisie. |
68. |
Le principe d’interprétation conforme requiert que les juridictions nationales fassent tout ce qui relève de leur compétence, en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui‑ci, aux fins de garantir la pleine effectivité de la directive en cause et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle‑ci ( 44 ). |
4. Limites d’une interprétation conforme
69. |
Toutefois, ce principe d’interprétation conforme connaît certaines limites. L’obligation pour le juge national de se référer au contenu d’une directive lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du droit, et notamment dans ceux de sécurité juridique et de non‑rétroactivité, et elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national ( 45 ). |
70. |
Selon la juridiction de renvoi, le principe général in dubio mitius poursuit en République tchèque un objectif de sécurité juridique, étant donné qu’il règle les effets d’une insécurité juridique due à une loi ambiguë, de manière claire et au détriment de celui qui a contribué à l’insécurité juridique. En tant que principe juridique du droit tchèque, il constitue donc une limite à l’interprétation conforme de la même manière que le libellé d’une disposition. |
71. |
Le fait que toute disposition de droit interne ne se prête pas à une interprétation conforme ressort déjà de la jurisprudence précitée. Par ailleurs, le droit de l’Union oblige les États membres, dans certaines circonstances, à réparer le dommage causé lorsque l’objectif poursuivi par une directive ne peut pas être atteint par voie d’interprétation ( 46 ). |
72. |
Par conséquent, lorsqu’une interprétation conforme du droit national n’est pas possible, on est certes en présence d’un droit national contraire au droit de l’Union, mais d’un droit national applicable au bénéfice du contribuable. Ce cas de figure peut ne pas résulter uniquement du libellé clairement contraire du droit interne, mais également du fait que des principes juridiques – en l’espèce, le principe constitutionnel in dubio mitius – réduisent les possibilités d’interprétation à une seule interprétation possible. Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi d’établir si tel est le cas. |
73. |
De telles conséquences regrettables du point de vue du droit de l’Union et découlant de l’absence d’applicabilité directe d’une directive se présentent également dans d’autres domaines du droit ( 47 ). Il appartient donc à l’État membre de satisfaire à son obligation de transposition et de concevoir son droit interne de manière (clairement) conforme au droit de l’Union s’il veut éviter que la Commission introduise un recours en manquement. |
5. Conclusion
74. |
Le principe de neutralité de la TVA ou un autre principe du droit de l’Union ne s’oppose pas à l’application du droit national ayant une teneur différente pour autant qu’un particulier n’invoque pas lui‑même, ou ne puisse pas invoquer, directement la directive TVA et qu’une interprétation conforme du droit interne n’est pas non plus possible (en l’espèce, en raison du principe in dubio mitius). |
C. Sur la troisième question
75. |
Par sa troisième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si – dans la mesure où le principe in dubio mitius est « applicable » – la notion juridique de livraison de biens et la notion juridique de transport de biens, qui ont (ou n’ont pas) le même contenu tant au sens de la directive TVA qu’au sens de la directive sur les droits d’accise, doivent être considérées comme objectivement incertaines et se prêtant à deux interprétations. |
76. |
Comme nous l’avons déjà fait observer ci‑dessus, aux fins de la détermination du lieu de livraison au sens de l’article 32 de la directive TVA, seules les notions juridiques en matière de TVA sont déterminantes et celles‑ci ne doivent pas être considérées comme objectivement incertaines. « Seule » est entachée d’une certaine insécurité juridique l’attribution de l’exonération à l’une des livraisons dans la chaîne de livraisons ainsi que la détermination afférente du lieu des autres livraisons. |
77. |
Cela n’exclut toutefois pas que les formulations du droit national doivent être interprétées différemment dans leur propre contexte (économie, historique, sens et finalité) en dépit d’un libellé identique. Le principe in dubio mitius concerne uniquement le droit national, de sorte que, dans ce contexte, seul est déterminant le point de savoir si les dispositions du droit national se prêtent objectivement à plusieurs interprétations. |
78. |
Cette constatation demeure une question de droit national à laquelle seule la juridiction nationale peut répondre. |
V. Conclusion
79. |
Par conséquent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles du Krajský soud v Praze (cour régionale de Prague, République tchèque) :
|
( 1 ) Langue originale : l’allemand.
( 2 ) La Cour a déjà examiné à plusieurs reprises la question de l’imputation du mouvement de marchandises à une livraison dans le cadre de ce que l’on appelle une chaîne de livraisons intracommunautaires. Voir, par exemple, arrêts du 6 avril 2006, EMAG Handel Eder (C‑245/04, EU:C:2006:232) ; du 16 décembre 2010, Euro Tyre Holding (C‑430/09, EU:C:2010:786) ; du 26 juillet 2017, Toridas (C‑386/16, EU:C:2017:599) ; du 27 septembre 2012, VSTR (C‑587/10, EU:C:2012:592) ; du 21 février 2018, Kreuzmayr (C‑628/16, EU:C:2018:84), et du 19 décembre 2018, AREX CZ (C‑414/17, EU:C:2018:1027).
( 3 ) Arrêt du 19 décembre 2018 (C‑414/17, EU:C:2018:1027).
( 4 ) JO 2006, L 347, p. 1.
( 5 ) Zákon č. 235/2004 Sb., o dani z přidané hodnoty (loi no 235/2004 sur la TVA ; ci‑après la « loi sur la TVA »).
( 6 ) Arrêt du 19 décembre 2018 (C‑414/17, EU:C:2018:1027).
( 7 ) Voir, à ce sujet, nos conclusions dans l’affaire EMAG Handel Eder (C‑245/04, EU:C:2005:675, points 23 à 25) et dans l’affaire AREX CZ (C‑414/17, EU:C:2018:624, point 28).
( 8 ) Arrêts du 27 septembre 2007, Teleos e.a. (C‑409/04, EU:C:2007:548, points 23 et 24) ; du 18 novembre 2010, X (C‑84/09, EU:C:2010:693, point 28), et du 26 juillet 2017, Toridas (C‑386/16, EU:C:2017:599, point 31).
( 9 ) Arrêts du 6 avril 2006, EMAG Handel Eder (C‑245/04, EU:C:2006:232, point 45), et du 26 juillet 2017, Toridas (C‑386/16, EU:C:2017:599, point 34), ainsi que nos conclusions dans l’affaire EMAG Handel Eder (C‑245/04, EU:C:2005:675, point 35) et dans l’affaire AREX CZ (C‑414/17, EU:C:2018:624, point 55).
( 10 ) Arrêt du 6 avril 2006, EMAG Handel Eder (C‑245/04, EU:C:2006:232, point 50).
( 11 ) Arrêt du 6 avril 2006, EMAG Handel Eder (C‑245/04, EU:C:2006:232, point 50).
( 12 ) Arrêt du 19 décembre 2018, AREX CZ (C‑414/17, EU:C:2018:1027, points 66 et suivants, ainsi que points 73 et 74) ; voir également nos conclusions dans l’affaire AREX CZ (C‑414/17, EU:C:2018:624, points 69 et suivants).
( 13 ) Arrêt du 6 avril 2006, EMAG Handel Eder (C‑245/04, EU:C:2006:232, points 40, 42 et 50).
( 14 ) Arrêts du 6 avril 2006, EMAG Handel Eder (C‑245/04, EU:C:2006:232, point 45), et du 26 juillet 2017, Toridas (C‑386/16, EU:C:2017:599, point 34), ainsi que nos conclusions dans l’affaire EMAG Handel Eder (C‑245/04, EU:C:2005:675, point 35) et dans l’affaire AREX CZ (C‑414/17, EU:C:2018:624, point 55).
( 15 ) Voir arrêts du 6 avril 2006, EMAG Handel Eder (C‑245/04, EU:C:2006:232, point 50) ; du 26 juillet 2017, Toridas (C‑386/16, EU:C:2017:599, points 34 à 36), et du 19 décembre 2018, AREX CZ (C‑414/17, EU:C:2018:1027, point 70).
( 16 ) Tel est le cas de la version allemande (« wie ein Eigentümer ») et de la version française (« comme un propriétaire ») ; cela est toutefois différent dans la version anglaise (« as owner ») et la version estonienne (« “Kaubatarne” on materiaalse vara omanikuna käsutamise õiguse üleminek »).
( 17 ) Arrêts du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe (C‑320/88, EU:C:1990:61, points 7 et 8) ; du 6 février 2003, Auto Lease Holland (C‑185/01, EU:C:2003:73, point 32) ; du 16 février 2012, Eon Aset Menidjmunt (C‑118/11, EU:C:2012:97, point 39), et du 2 juillet 2015, NLB Leasing (C‑209/14, EU:C:2015:440, point 29).
( 18 ) Arrêt du 19 décembre 2018 (C‑414/17, EU:C:2018:1027, point 78).
( 19 ) Voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 2010, Euro Tyre Holding (C‑430/09, EU:C:2010:786, point 40), et du 27 septembre 2012, VSTR (C‑587/10, EU:C:2012:592, points 32 et suivants), selon lequel l’acquisition de la propriété ne peut jouer absolument aucun rôle et qui se fondait davantage sur la communication de l’intention de revente.
( 20 ) Il est incontestable que, par exemple, un transporteur exerce certes effectivement le contrôle sur le bien, mais qu’il n’agit toutefois pas en tant que fournisseur partie prenante, mais en tant que transporteur pour un fournisseur. Voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2010, Euro Tyre Holding (C‑430/09, EU:C:2010:786, point 40).
( 21 ) Arrêt du 27 septembre 2012, VSTR (C‑587/10, EU:C:2012:592, points 36 et 37).
( 22 ) Arrêts du 16 décembre 2010, Euro Tyre Holding (C‑430/09, EU:C:2010:786, point 27) ; du 27 septembre 2012, VSTR (C‑587/10, EU:C:2012:592, point 32) ; du 26 juillet 2017, Toridas (C‑386/16, EU:C:2017:599, point 35), et du 21 février 2018, Kreuzmayr (C‑628/16, EU:C:2018:84, point 32), ainsi que nos conclusions dans l’affaire EMAG Handel Eder (C‑245/04, EU:C:2005:675, point 56) et dans l’affaire AREX CZ (C‑414/17, EU:C:2018:624, points 58 et suivants).
( 23 ) Voir également arrêt du 16 décembre 2010, Euro Tyre Holding (C‑430/09, EU:C:2010:786, point 40, à la fin).
( 24 ) Voir déjà nos conclusions dans l’affaire AREX CZ (C‑414/17, EU:C:2018:624, point 60).
( 25 ) Voir arrêts du 26 juillet 2017, Toridas (C‑386/16, EU:C:2017:599, point 36) ; du 27 septembre 2012, VSTR (C‑587/10, EU:C:2012:592, point 34) ; du 16 décembre 2010, Euro Tyre Holding (C‑430/09, EU:C:2010:786, point 33).
( 26 ) Voir déjà nos conclusions dans l’affaire AREX CZ (C‑414/17, EU:C:2018:624, point 62) et nos conclusions dans l’affaire EMAG Handel Eder (C‑245/04, EU:C:2005:675, point 58).
( 27 ) À cet égard, voir également nos conclusions dans l’affaire AREX CZ (C‑414/17, EU:C:2018:624, point 62).
( 28 ) À cet égard, voir également nos conclusions dans l’affaire AREX CZ (C‑414/17, EU:C:2018:624, point 73).
( 29 ) Le transporteur ou commissaire de transport ne détient pas le pouvoir de disposer de la chose comme un propriétaire ; voir arrêts du 3 juin 2010, De Fruytier (C‑237/09, EU:C:2010:316, point 25), et du 20 juin 2018, Enteco Baltic (C‑108/17, EU:C:2018:473, point 88).
( 30 ) En ce sens, voir arrêts du 3 juin 2010, De Fruytier (C‑237/09, EU:C:2010:316, point 24), et du 20 juin 2018, Enteco Baltic (C‑108/17, EU:C:2018:473, point 86).
( 31 ) Dans le nouvel article 36 bis de la directive TVA, qui doit être transposé pour le 1er janvier 2020 (JO 2018, L 311, p. 3), le législateur de l’Union cherche à régler ce cas de figure (transport par l’opérateur intermédiaire) d’une nouvelle manière offrant davantage de sécurité juridique, au moyen d’une fiction.
( 32 ) Également arrêt du 20 juin 2018, Enteco Baltic (C‑108/17, EU:C:2018:473, point 89).
( 33 ) Voir, en ce sens, également arrêts du 16 décembre 2010, Euro Tyre Holding (C‑430/09, EU:C:2010:786, point 45), et du 27 septembre 2012, VSTR (C‑587/10, EU:C:2012:592, point 37).
( 34 ) Arrêt du 19 décembre 2018, AREX CZ (C‑414/17, EU:C:2018:1027).
( 35 ) Arrêts du 17 septembre 2014, Cruz & Companhia (C‑341/13, EU:C:2014:2230, point 32) ; du 30 avril 2014, Pfleger e.a. (C‑390/12, EU:C:2014:281, point 26) ; du 22 juin 2010, Melki et Abdeli (C‑188/10 et C‑189/10, EU:C:2010:363, point 27) ; et du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital (C‑390/99, EU:C:2002:34, point 19).
( 36 ) Arrêts du 6 avril 2006, EMAG Handel Eder (C‑245/04, EU:C:2006:232) ; du 16 décembre 2010, Euro Tyre Holding (C‑430/09, EU:C:2010:786) ; du 27 septembre 2012, VSTR (C‑587/10, EU:C:2012:592) ; du 26 juillet 2017, Toridas (C‑386/16, EU:C:2017:599) ; du 21 février 2018, Kreuzmayr (C‑628/16, EU:C:2018:84), et du 19 décembre 2018, AREX CZ (C‑414/17, EU:C:2018:1027).
( 37 ) Directive (UE) 2018/1910 du Conseil, du 4 décembre 2018, modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne l’harmonisation et la simplification de certaines règles dans le système de taxe sur la valeur ajoutée pour la taxation des échanges entre les États membres (JO 2018, L 311, p. 3).
( 38 ) Arrêts du 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft (11/70, EU:C:1970:114, p. 1270), et du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, EU:C:1978:49, points 17 et 18).
( 39 ) La primauté d’application a donc été qualifiée à juste titre règle de conflit de lois par Marc Desens, Auslegungskonkurrenzen im europäischen Mehrebenensystem, EuGRZ 2011, p. 211 (212), Harald Schaumburg dans Schaumburg/Englisch, Europäisches Steuerrecht, Cologne 2015, points 4.19 et suivants, Claus Dieter Classen/Martin Nettesheim dans Oppermann/Classen/Nettesheim, Europarecht, Munich, 8e édition 2018, § 10, point 33.
( 40 ) Arrêts du 19 janvier 1982, Becker (8/81, EU:C:1982:7, point 25) ; du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, point 33) ; du 12 décembre 2013, Portgás (C‑425/12, EU:C:2013:829, point 18) ; du 16 juillet 2015, Larentia + Minerva et Marenave Schiffahrt (C‑108/14 et C‑109/14, EU:C:2015:496, points 48 et 49), et du 22 novembre 2017, Cussens e.a. (C‑251/16, EU:C:2017:881, point 26).
( 41 ) Arrêts du 26 février 1986, Marshall (152/84, EU:C:1986:84, point 48) ; du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C‑91/92, EU:C:1994:292, point 20) ; du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, points 37 et 38) ; du 12 décembre 2013, Portgás (C‑425/12, EU:C:2013:829, point 22), et du 22 novembre 2017, Cussens e.a. (C‑251/16, EU:C:2017:881, point 26).
( 42 ) Voir explicitement en ce sens arrêts du 26 février 1986, Marshall (152/84, EU:C:1986:84, point 49) ; du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C‑91/92, EU:C:1994:292, points 22 et 23), et du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, point 38).
( 43 ) Arrêts du 13 novembre 1990, Marleasing (C‑106/89, EU:C:1990:395, point 8) ; du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C‑91/92, EU:C:1994:292, point 26) ; du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 114) ; du 16 juin 2005, Pupino (C‑105/03, EU:C:2005:386, points 44 et 47), et du 4 juillet 2006, Adeneler e.a. (C‑212/04, EU:C:2006:443, points 109 et 110).
( 44 ) Arrêts du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, points 115, 116, 118 et 119) ; du 4 juillet 2006, Adeneler e.a. (C‑212/04, EU:C:2006:443, point 111), et du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, point 24).
( 45 ) Arrêts du 16 juin 2005, Pupino (C‑105/03, EU:C:2005:386, points 44 et 47) ; du 4 juillet 2006, Adeneler e.a. (C‑212/04, EU:C:2006:443, point 110), et du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, point 25).
( 46 ) Voir, en ce sens, du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C‑91/92, EU:C:1994:292, point 27) ; du 4 juillet 2006, Adeneler e.a. (C‑212/04, EU:C:2006:443, point 112), et du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, points 42 et 43).
( 47 ) Voir, par exemple, arrêts du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C‑91/92, EU:C:1994:292, point 30) ; du 12 décembre 2013, Portgás (C‑425/12, EU:C:2013:829, point 31, dans la mesure où l’organisation n’était pas suffisamment proche de l’État), et du 16 juillet 2015, Larentia + Minerva et Marenave Schiffahrt (C‑108/14 et C‑109/14, EU:C:2015:496, point 52).