C-130/96 - Fazenda Pública / Solisnor-Estaleiros Navais

Printed via the EU tax law app / web

EUR-Lex - 61996J0130 - FR

61996J0130

Arrêt de la Cour (première chambre) du 17 septembre 1997. - Fazenda Pública contre Solisnor-Estaleiros Navais SA, en présence de Ministério Pùblico. - Demande de décision préjudicielle: Supremo Tribunal Administrativo - Portugal. - TVA - Article 33 de la sixième directive TVA - Maintien de droits d'enregistrement - Droit de timbre sur la valeur de contrats portant sur la construction d'un pétrolier. - Affaire C-130/96.

Recueil de jurisprudence 1997 page I-05053


Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Parties


Dans l'affaire C-130/96,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le Supremo Tribunal Administrativo (Portugal) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Fazenda Pública

et

Solisnor-Estaleiros Navais SA,

en présence de Ministério Público,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 33 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), ainsi que de l'article 378 de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités (JO 1985, L 302, p. 23),

LA COUR

(première chambre),

composée de MM. L. Sevón, président de chambre, P. Jann et M. Wathelet (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Léger,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:

- pour la Fazenda Pública, par Mme Maria Aldina Moreira,

- pour Solisnor-Estaleiros Navais SA, par Me Manuel Rodrigues, avocat à Almada,

- pour le gouvernement portugais, par MM. Luís Fernandes, directeur du service juridique de la direction générale des Communautés européennes du ministère des Affaires étrangères, et Rui Barreira, conseiller au centre d'études juridiques de la présidence du Conseil des ministres, en qualité d'agents,

- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. António Caeiro, conseiller juridique, et Enrico Traversa, membre du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Solisnor-Estaleiros Navais SA, représentée par Me Manuel Rodrigues, du gouvernement portugais, représenté par M. Luís Fernandes et Mme Ana César Machado, assistante à la faculté de droit de Lisbonne, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. Antonio Caeiro, à l'audience du 29 janvier 1997,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 13 mars 1997,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par arrêt du 28 février 1996, parvenu à la Cour le 24 avril suivant, le Supremo Tribunal Administrativo a posé, en application de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 33 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»), ainsi que de l'article 378 de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités (JO 1985, L 302, p. 23, ci-après l'«acte d'adhésion»).

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Solisnor-Estaleiros Navais SA (ci-après «Solisnor») à la Fazenda Pública (Trésor public) à propos de la liquidation d'une imposition instituée, sous la forme d'un droit de timbre, par l'article 91 de la Tabela Geral do Imposto do Selo (tableau général du droit de timbre, ci-après la «TGIS»).

3 Le 4 juin 1992, Solisnor a acquitté un droit de timbre, d'un montant de 43 586 400 ESC, pour un contrat d'entreprise conclu, le 28 décembre 1989, avec Sociedade Portuguesa de Navios e Tanques SA, pour la construction d'un pétrolier destiné au transport de pétrole brut.

4 Solisnor a ensuite sollicité l'annulation de cette imposition devant le Tribunal Tributário de Primeira Instância de Setúbal, qui, dans un arrêt du 21 mars 1994, a fait droit à sa demande au motif que l'impôt était contraire à l'article 33 de la sixième directive.

5 Aux termes de cette dernière disposition, «Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les dispositions de la présente directive ne font pas obstacle au maintien ou à l'introduction par un État membre de taxes sur les contrats d'assurance, sur les jeux et paris, d'accises, de droits d'enregistrement, et, plus généralement, de tous impôts, droits et taxes n'ayant pas le caractère de taxes sur le chiffre d'affaires».

6 La Fazenda Pública a interjeté appel de la décision du Tribunal Tributário de Primeira Instância de Setúbal devant le Supremo Tribunal Administrativo, en soutenant que le droit de timbre n'était pas une taxe sur le chiffre d'affaires, de sorte qu'il ne serait pas contraire à l'article 33 de la sixième directive.

7 Pour sa part, Solisnor a fait valoir que, eu égard à ses caractéristiques d'imposition générale frappant la consommation et proportionnelle au prix des services, le droit de timbre était une taxe sur le chiffre d'affaires, au sens de la disposition précitée, ce qui le rendrait incompatible avec le système commun de TVA.

8 Il ressort du dossier que, aux termes de l'article 1er du règlement sur le droit de timbre, approuvé par le décret n_ 12700 du 20 novembre 1926, cette taxe frappe, d'une manière générale, «tous les documents, livres, papiers, actes et produits spécifiés dans la TGIS». Plus spécifiquement, elle frappe, conformément à l'article 91 de la TGIS, les «contrats d'entreprise et de fourniture de matériaux ou de tous articles de consommation». Le montant du droit de timbre est calculé en fonction d'un taux, variable selon l'objet du contrat, appliqué à la valeur de l'acte.

9 L'article 91 de la TGIS a été abrogé par l'article 3 du décret-loi n_ 223/91, du 18 juin 1991, dont le préambule justifie la suppression des articles relatifs aux contrats d'entreprise - parmi lesquels l'article 91 - par leur «incompatibilité avec l'imposition générale de la consommation, affectée à la taxe sur la valeur ajoutée».

10 Dans son arrêt de renvoi, le Supremo Tribunal Administrativo relève que, le 28 décembre 1989, date du fait imposable, l'article 91 de la TGIS était encore en vigueur, alors que la République portugaise était tenue, depuis le 1er janvier 1989, conformément à l'article 395 et à l'annexe XXXVI, point II, de l'acte d'adhésion, de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à la sixième directive. Il se demande toutefois si le maintien d'une telle imposition n'était pas autorisé par l'article 378 et l'annexe XXXII de l'acte d'adhésion qui permettent à la République portugaise d'accorder une franchise de taxe et de procéder à diverses exonérations.

11 En conséquence, il a estimé utile de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le droit de timbre, ayant les caractéristiques précitées, doit-il être considéré, en vertu de l'article 33 de la sixième directive précitée, comme une taxe sur le chiffre d'affaires et est-il éventuellement couvert par l'exception au titre de l'article 378 de l'acte annexe ou d'une quelconque autre disposition du droit communautaire?»

12 Par sa question, le juge national vise, en substance, à savoir si l'article 33 de la sixième directive s'oppose au maintien d'une imposition nationale qui présente les caractéristiques d'un droit de timbre perçu sur des contrats d'entreprise et de fourniture de matériaux ou de tous articles de consommation, et ayant pour assiette la valeur du contrat. Dans l'affirmative, il demande si le maintien d'une telle imposition est autorisé par l'article 378 et l'annexe XXXII de l'acte d'adhésion ou par toute autre disposition de droit communautaire.

13 Selon une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêts du 27 novembre 1985, Rousseau Wilmot, 295/84, Rec. p. 3759, point 16; du 7 mai 1992, Bozzi, C-347/90, Rec. p. I-2947, point 9, et du 16 décembre 1992, Beaulande, C-208/91, Rec. p. I-6709, point 12), l'article 33 de la sixième directive, en laissant la liberté aux États membres de maintenir ou d'introduire certaines taxes indirectes, telles les accises, à condition qu'il ne s'agisse pas de taxes «ayant ... le caractère de taxes sur le chiffre d'affaires», a pour but d'empêcher que le fonctionnement du système commun de TVA soit compromis par les mesures fiscales d'un État membre grevant la circulation des biens et des services, et frappant les transactions commerciales d'une façon comparable à la TVA.

14 Doivent en tout cas être considérés comme de telles mesures les impôts, droits et taxes qui présentent les caractéristiques essentielles de la TVA même s'ils ne sont pas en tous points identiques à celle-ci. Ainsi que la Cour l'a déjà relevé à plusieurs reprises, ces caractéristiques sont les suivantes: la TVA s'applique de manière générale aux transactions ayant pour objet des biens ou des services; elle est proportionnelle au prix de ces biens et de ces services, quel que soit le nombre des transactions effectuées; elle est perçue à chaque stade du processus de production et de distribution; enfin, elle s'applique sur la valeur ajoutée des biens et des services, la taxe due lors d'une transaction étant calculée après déduction de celle qui a été payée lors de la transaction précédente (voir, notamment, arrêts du 3 mars 1988, Bergandi, 252/86, Rec. p. 1343, point 15; du 13 juillet 1989, Wisselink e.a., 93/88 et 94/88, Rec. p. 2671, point 18; du 19 mars 1991, Giant, C-109/90, Rec. p. I-1385, points 11 et 12; du 31 mars 1992, Dansk Denkavit et Poulsen Trading, C-200/90, Rec. p. I-2217, point 11; Bozzi, précité, point 12, et Beaulande, précité, points 12 et 14).

15 Il découle de ce qui précède que l'article 33 de la sixième directive ne fait pas obstacle au maintien ou à l'introduction de droits d'enregistrement ou d'autres types d'impôts, droits et taxes, dès lors que ceux-ci ne présentent pas les caractéristiques essentielles de la TVA.

16 Il y a donc lieu d'examiner si une taxe du type de celle visée par la juridiction de renvoi revêt de telles caractéristiques.

17 A cet égard, il suffit d'observer qu'un droit de timbre, tel que celui décrit par la juridiction de renvoi, ne constitue pas un impôt général puisqu'il n'a pas pour objet d'appréhender l'ensemble des opérations économiques dans l'État membre concerné (voir, en ce sens, arrêt Beaulande, précité, point 16). En effet, ce droit frappe uniquement, selon l'article 1er du règlement sur le droit de timbre, «les documents, livres, papiers, actes et produits spécifiés dans la TGIS» et, plus spécifiquement, selon l'article 91 de la TGIS, «les contrats d'entreprise et de fourniture de matériaux ou de tous articles de consommation», à l'exclusion d'une part importante des opérations économiques dans l'État membre concerné, tels les contrats de prestation de services ou les contrats de vente de biens meubles, visés respectivement aux anciens articles 141 et 50, paragraphe 1, sous a), de la TGIS, aujourd'hui abrogés.

18 Certes, il ressort du dossier qu'à l'origine l'article 91 de la TGIS faisait partie d'un système d'imposition destiné à frapper la généralité des transactions portant sur les biens et les services. Toutefois, diverses catégories d'opérations économiques ont successivement été exclues du champ d'application de ce dernier par suite de l'abrogation de plusieurs articles de la TGIS, tels les articles 50, paragraphe 1, sous a), ou 141, précités, au moment de l'entrée en vigueur du code sur la TVA dans l'ordre juridique portugais [voir article 2, paragraphe 2, sous d), du décret-loi n_ 394-B/84 du 26 décembre 1984, D. R., série I, n_ 297, tel que modifié par la loi n_ 3/86 du 7 février 1986, D. R., série I, n_ 32].

19 Dans ces conditions et sans qu'il y ait lieu d'examiner ses autres particularités, il convient de constater qu'une taxe du type de celle visée par la juridiction de renvoi ne revêt pas l'une des caractéristiques essentielles de la TVA.

20 En conséquence, il y a lieu de répondre à la question posée que l'article 33 de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas au maintien d'une imposition nationale qui présente les caractéristiques d'un droit de timbre perçu sur des contrats d'entreprise et de fourniture de matériaux ou de tous articles de consommation, à l'exclusion d'une part importante des opérations économiques dans l'État membre concerné.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

21 Les frais exposés par le gouvernement portugais et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

(première chambre),

statuant sur la question à elle soumise par le Supremo Tribunal Administrativo, par arrêt du 28 février 1996, dit pour droit:

L'article 33 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas au maintien d'une imposition nationale qui présente les caractéristiques d'un droit de timbre perçu sur des contrats d'entreprise et de fourniture de matériaux ou de tous articles de consommation, à l'exclusion d'une part importante des opérations économiques dans l'État membre concerné.