C-144/00 - Hoffmann

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EUR-Lex - 62000J0144 - FR

62000J0144

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 3 avril 2003. - Procédure pénale contre Matthias Hoffmann. - Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof - Allemagne. - TVA - Sixième directive - Exonération de certaines activités d'intérêt général - Organisme - Notion - Prestations effectuées par une personne physique - Prestations de services culturels fournies par un soliste. - Affaire C-144/00.

Recueil de jurisprudence 2003 page I-02921


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1. Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Exonérations prévues par la sixième directive - Exonération de certaines prestations de services culturels - «Autres organismes culturels reconnus» - Notion - Solistes se produisant à titre individuel - Inclusion

(Directive du Conseil 77/388, art. 13, A, § 1, n))

2. Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Exonérations prévues par la sixième directive - Restrictions découlant du titre de l'article 13, A - Absence

(Directive du Conseil 77/388, art. 13, A)

Sommaire


1. L'article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive 77/388, relatif à l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée de certaines prestations de services culturels effectués par des organismes de droit public ou par d'autres organismes culturels reconnus par l'État membre concerné, doit être interprété en ce sens que l'expression «autres organismes culturels reconnus» n'exclut pas les solistes se produisant à titre individuel.

Le principe de neutralité fiscale s'oppose en effet à ce que des artistes individuels, dès lors que le caractère culturel de leurs prestations est reconnu, ne puissent pas, au même titre que les groupes culturels, être considérés comme des organismes assimilés aux organismes de droit public offrant certaines prestations de services culturels visés à ladite disposition.

( voir points 27, 30, disp. 1 )

2. En lui-même, le titre de l'article 13, A, de la sixième directive 77/388, dont le libellé est «Exonérations en faveur de certaines activités d'intérêt général», n'entraîne pas de restrictions aux possibilités d'exonération prévues par cette disposition. Les éventuelles restrictions au bénéfice des exonérations ne peuvent intervenir que dans le cadre de l'application du paragraphe 2 de ladite disposition, relatif, respectivement, à la faculté pour les États membres de subordonner le bénéfice de l'exonération à certaines conditions et à leur obligation d'exclure certaines prestations de ce bénéfice.

( voir points 37, 39-40, disp. 2 )

Parties


Dans l'affaire C-144/00,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Bundesgerichtshof (Allemagne) et tendant à obtenir, dans la procédure pénale poursuivie devant cette juridiction contre

Matthias Hoffmann,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1),

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. J.-P. Puissochet (rapporteur), président de chambre, MM. R. Schintgen et V. Skouris, Mme F. Macken et M. J. N. Cunha Rodrigues, juges,

avocat général: M. L. A. Geelhoed,

greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

- pour M. Hoffmann, par MM. A. J. Rädler, Steuerberater et M. Lausterer, Rechtsanwalt,

- pour le gouvernement allemand, par MM. W.-D. Plessing et T. Jürgensen, en qualité d'agents,

- pour le gouvernement néerlandais, par M. M. A. Fierstra, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. J. E. Collins, en qualité d'agent, assisté de M. A. Robertson, barrister,

- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. G. Wilms et K. Gross, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de M. Hoffmann, représenté par MM. A. J. Rädler et M. Lausterer, du gouvernement allemand, représenté par M. M. Lumma, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par MM. G. Wilms et K. Gross, à l'audience du 3 octobre 2002,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 14 novembre 2002 ,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 5 avril 2000, parvenue à la Cour le 17 avril suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

2 Les questions ont été soulevées dans le cadre d'un pourvoi en «Revision» formé devant le Bundesgerichtshof par M. Hoffmann, organisateur de concerts, à la suite de sa condamnation pénale pour, notamment, ne pas avoir versé la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») afférente à des cachets payés à trois chanteurs solistes s'étant produits en concert en Allemagne.

Le droit communautaire

3 L'article 13 de la sixième directive régit certaines exonérations de TVA. Il prévoit notamment:

«A. Exonérations en faveur de certaines activités d'intérêt général

1. Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:

[...]

n) certaines prestations de services culturels, ainsi que les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectuées par des organismes de droit public ou par d'autres organismes culturels reconnus par l'État membre concerné;

[¼ ]

2. a) Les États membres peuvent subordonner, cas par cas, l'octroi, à des organismes autres que ceux de droit public, [¼ ] des exonérations prévues au paragraphe 1 sous [¼ ] n) au respect de l'une ou plusieurs des conditions suivantes:

les organismes en question ne doivent pas avoir pour but la recherche systématique du profit, les bénéfices éventuels ne devant jamais être distribués mais devant être affectés au maintien ou à l'amélioration des prestations fournies,

ils doivent être gérés et administrés à titre essentiellement bénévole par des personnes n'ayant, par elles-mêmes ou par personnes interposées, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l'exploitation,

ils doivent pratiquer des prix homologués par les autorités publiques ou n'excédant pas de tels prix homologués ou, pour les opérations non susceptibles d'homologation des prix, des prix inférieurs à ceux exigés pour des opérations analogues par des entreprises commerciales soumises à la taxe sur la valeur ajoutée,

les exonérations ne doivent pas être susceptibles de provoquer des distorsions de concurrence au détriment des entreprises commerciales assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée.

b) Les prestations de services et les livraisons de biens sont exclues du bénéfice de l'exonération prévue au paragraphe 1 sous [¼ ] n) si:

elles ne sont pas indispensables à l'accomplissement des opérations exonérées,

elles sont essentiellement destinées à procurer à l'organisme des recettes supplémentaires par la réalisation d'opérations effectuées en concurrence directe avec celles d'entreprises commerciales soumises à la taxe sur la valeur ajoutée.

[¼ ]»

Le droit national

4 L'Umsatzsteuergesetz (loi sur la taxe sur le chiffre daffaires, ci-après l'«UStG»), comporte un article 4, intitulé «Exonération des livraisons et des prestations de services», qui dispose notamment:

«[¼ ] sont exonérées:

[¼ ]

20. a) Les opérations des organismes suivants de l'État fédéral, des Länder, des communes et des associations de communes: théâtres, orchestres, ensembles de musique de chambre, chorales, musées, jardins botaniques, jardins zoologiques, parcs animaliers, archives, bibliothèques, monuments et parcs classés. Les mêmes dispositions sont applicables aux opérations d'organismes de même nature appartenant à d'autres assujettis lorsque l'autorité compétente du Land atteste qu'ils remplissent les mêmes missions culturelles que les organismes visés à la première phrase. [¼ ]

b) L'organisation de représentations théâtrales et de concerts par d'autres assujettis, lorsque les spectacles sont exécutés par les théâtres, orchestres, ensembles de musique de chambre ou chorales visés au point a).»

5 Larticle 18 de lUStG, intitulé «Procédure de taxation», dispose, à son paragraphe 8, point 1:

«Pour garantir le recouvrement de la taxe, le ministère fédéral des Finances peut, avec l'accord du Bundesrat, prescrire par arrêté que la taxe sur les opérations suivantes doit être payée par retenue effectuée par le preneur:

1. opérations effectuées par un assujetti établi à l'étranger».

6 Une telle procédure a effectivement été mise en place en République fédérale dAllemagne.

7 Les Umsatzsteuer-Richtlinien (lignes directrices interprétatives de l'administration en matière de taxe sur le chiffre d'affaires) précisent, à l'égard des personnes exonérées visées à l'article 4, point 20, de l'UStG:

«1) Font partie d'orchestres, d'ensembles de musique de chambre et de chorales tous les groupes de musiciens et ensembles vocaux composés de deux participants ou plus. Le type de musique n'entre pas en ligne de compte. Par conséquent, les groupes de musique légère peuvent eux aussi relever de la présente disposition.

2) L'exonération fiscale des concerts n'est pas exclue lorsque des solistes y participent, pourvu que l'ensemble garde son caractère de concert. Cette condition peut être considérée comme remplie, par exemple, concernant les concerts d'oratorios. Il en va de même pour l'organisation de concerts [article 4, point 20, sous b), de l'UStG].»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8 M. Hoffmann a organisé la tournée mondiale de trois grands chanteurs solistes établis hors d'Allemagne qui se sont produits ensemble dans une série de concerts. Pour les deux concerts organisés en Allemagne, il a obtenu des autorités culturelles compétentes des attestations aux termes desquelles ses «activités d'organisation» étaient «équivalentes» à celles visées à l'article 4, point 20, sous a), de l'UStG. Le gouvernement allemand a toutefois précisé, dans le cadre de la présente procédure, que ces attestations ne liaient pas les autorités fiscales sur la question de savoir si les trois solistes constituaient chacun un «organisme» au sens de cette disposition.

9 M. Hoffmann n'a pas opéré de retenue au titre de la TVA sur les cachets payés aux trois solistes et n'a pas versé ladite taxe. Il a été poursuivi pour fraude fiscale, notamment pour ces faits, devant le Landgericht Mannheim (Allemagne). Pour sa défense, il a soutenu que, compte tenu des attestations qui lui avaient été délivrées par les autorités culturelles, il n'avait pas à verser la TVA sur les cachets des trois solistes.

10 Par arrêt du 22 décembre 1998, le Landgericht a condamné M. Hoffmann à une peine d'emprisonnement.

11 Cette juridiction a jugé que l'exonération prévue à l'article 4, point 20, sous a), de l'UStG n'était pas applicable aux prestations des trois artistes se produisant en tant que solistes, celle-ci ne sappliquant quà des «organismes», ce qui exclurait les artistes individuels. Le Landgericht a considéré que, à l'occasion des concerts en cause, les personnalités respectives de chacun des solistes, et non le spectacle dans son ensemble, étaient au premier plan et que l'arrangement musical était adapté à la prestation de chacun d'eux. Le Landgericht a aussi noté que des contrats individuels avaient été conclus avec chacun des artistes, de sorte que la prestation exécutée n'était pas celle d'un duo ou d'un trio.

12 Selon le Landgericht, son interprétation de l'article 4, point 20, sous a), de l'UStG ne serait pas contraire à l'article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive. L'article 13, A, paragraphe 2, de ladite directive laisserait en effet les États membres libres de soumettre l'exonération fiscale des prestations culturelles fournies par d'autres personnes que des organismes de droit public à certaines conditions, parmi lesquelles l'absence de recherche systématique dun bénéfice ou une gestion et une administration assurées pour l'essentiel à titre bénévole. Le législateur communautaire aurait ainsi considéré que ce sont avant tout les organismes économiquement faibles et servant particulièrement l'intérêt général qui méritent d'être exonérés de la TVA. Selon le Landgericht, les États membres seraient ainsi libres d'adopter ou non les exonérations rendues possibles par la sixième directive et, en tout état de cause, les exonérations prévues à l'article 13, A, de celle-ci ne pourraient pas concerner des personnes physiques.

13 M. Hoffmann a introduit un pourvoi en «Revision» contre larrêt du Landgericht devant le Bundesgerichtshof, en soutenant, pour l'essentiel, que le refus d'appliquer l'exonération fiscale à des solistes constituait une discrimination contraire au droit communautaire.

14 À cet égard, le Bundesgerichtshof relève que, dans son arrêt du 7 septembre 1999, Gregg (C-216/97, Rec. p. I-4947), la Cour a jugé, à propos de l'article 13, A, paragraphe 1, sous b) et g), de la sixième directive, que les termes «établissements» et «organismes» y employés sont suffisamment larges pour inclure également des personnes physiques. Ces notions suggéreraient certes l'existence d'une entité individualisée accomplissant une fonction particulière, mais cette condition pourrait être remplie non seulement par les personnes morales, mais aussi par une ou plusieurs personnes physiques exploitant une entreprise.

15 Selon le Bundesgerichtshof, tout laisse penser que la notion d'«organismes reconnus», qui figure à l'article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive, doit être interprétée de façon similaire, ce qui aurait pour conséquence que les concerts de «solistes», en tant que personnes physiques, pourraient relever de l'exonération de la TVA. En outre, le principe de neutralité fiscale inhérent au système de la TVA, évoqué par la Cour dans son arrêt du 11 juin 1998, Fischer (C-283/95, Rec. p. I-3369), s'opposerait également à ce que des agents économiques réalisant des opérations semblables soient soumis à un régime d'imposition différent.

16 C'est dans ces conditions que le Bundesgerichtshof a décidé de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L'article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, du 13 juin 1977, p. 1), doit-il être interprété en ce sens que la notion d'autres organismes culturels reconnus [¼ ] qui y est utilisée inclut également un soliste qui effectue des prestations de services culturels.

2) En cas de réponse affirmative à la première question, le choix du titre de l'article 13, A: [¼ ] certaines activités d'intérêt général entraîne-t-il certaines restrictions, par exemple lorsque les prestations du soliste visent en premier lieu des fins commerciales?»

Sur la première question

17 M. Hoffmann et la Commission exposent que dans l'arrêt Gregg, précité, la Cour a abandonné sa jurisprudence antérieure découlant de son arrêt du 11 août 1995, Bulthuis-Griffioen (C-453/93, Rec. p. I-2341), selon laquelle le bénéfice des exonérations prévues à l'article 13, A, paragraphe 1, de la sixième directive était réservé aux seules personnes morales. Ils soulignent en particulier que la Cour a considéré, au point 18 de larrêt Gregg, précité, que la notion d'organisme vise une entité individualisée accomplissant une fonction particulière, et quil sagit d'une condition susceptible d'être remplie aussi bien par les personnes morales que par une ou plusieurs personnes physiques exploitant une entreprise. De même, la Cour aurait jugé, aux points 19 et 20 du même arrêt, que cette interprétation est conforme au principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de TVA, qui soppose à ce que des opérateurs économiques effectuant les mêmes opérations dans un même contexte soient traités différemment en matière de perception de la TVA. M. Hoffmann et la Commission considèrent donc que des solistes peuvent être des organismes au sens de l'article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive.

18 Selon les gouvernements allemand, néerlandais et du Royaume-Uni, il ressort dune jurisprudence constante que les exonérations visées à l'article 13 de la sixième directive doivent être interprétées strictement, car elles constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux (arrêts du 5 juin 1997, SDC, C-2/95, Rec. p. I-3017, point 20, et Gregg, précité, point 12).

19 Or, le libellé et l'économie de l'article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive démontreraient que seules «certaines» prestations de services culturels, ainsi que les livraisons de biens qui leur sont «étroitement» liées, peuvent être exonérées de la TVA. De plus, ces prestations de services devraient être fournies par des «organismes» spécifiques, les États membres disposant à cet égard d'une marge d'appréciation quant aux organismes autres que ceux de droit public qu'ils reconnaissent.

20 Selon ces gouvernements, si, dans l'arrêt Gregg, précité, la Cour a appliqué la notion d'«organisme» à des personnes physiques, afin que le principe de neutralité fiscale soit respecté, elle na toutefois pas assimilé de façon générale les personnes physiques aux organismes reconnus. Elle aurait indiqué que les personnes physiques ne peuvent être des «organismes», au sens des dispositions en cause, que si elles font appel à un ensemble de ressources humaines et matérielles pour leur activité. Un soliste ne pourrait donc pas être considéré comme un «organisme» parce qu'un ensemble de ressources humaines et matérielles, ainsi que la structure organisationnelle que cela suppose, lui feraient manifestement défaut, contrairement à ce qui serait le cas pour une chorale, un orchestre ou un ensemble de musique de chambre.

21 Enfin, à supposer que les solistes puissent être qualifiés d'«organismes», il faudrait tenir compte du pouvoir d'appréciation dont disposent les États membres pour l'application de l'article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive. L'exonération de la TVA des organismes autres que ceux de droit public étant expressément subordonnée à leur «reconnaissance» par l'État membre, le législateur national pourrait exclure les artistes individuels de son bénéfice.

22 Le principe de neutralité fiscale ne s'y opposerait pas. Il n'existerait, en effet, de distorsion de concurrence que si des prestations culturelles de même type étaient soumises sans justification à un régime différent. Or, les prestations des solistes et des «organismes» seraient de nature différente. Les prestations d'un soliste auraient un caractère personnel très marqué, elles seraient liées à sa notoriété et ne seraient donc pas comparables à celles des chorales, orchestres ou ensembles de musique de chambre.

23 L'article 13, A, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive autoriserait les États membres à appliquer une ou plusieurs des conditions y énumérées aux organismes souhaitant bénéficier des dispositions de l'article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive. Les deux premières de ces conditions (ne pas avoir pour but la recherche systématique du profit et le bénévolat des personnes chargées de la gestion et de l'administration) montreraient clairement que le terme «organismes» vise des entités qui exercent des activités dans l'intérêt général, et non un individu exerçant seul ses activités. La non-réalisation de profits serait une condition qui ne pourrait pas s'appliquer à une personne exerçant une activité individuelle. De même, il serait impossible qu'un individu soit «géré et administré» à titre essentiellement bénévole par une personne n'ayant pas d'intérêt financier direct dans les activités de cette personne.

24 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, au point 17 de l'arrêt Gregg, précité, la Cour a jugé, s'agissant de l'article 13, A, paragraphe 1, sous b) et g), de la sixième directive, relatif à certaines prestations sociales et de soins, que le terme «organisme» est en principe suffisamment large pour inclure également des personnes physiques et que le bénéfice des exonérations visées à ladite disposition n'est pas limité aux seules opérations réalisées par des personnes morales, mais peut s'étendre aux opérations effectuées par des particuliers. La Cour a précisé, au point 18 du même arrêt, que, si la notion d'«organisme» suggère l'existence d'une entité individualisée accomplissant une fonction particulière, cette condition est également remplie par une ou plusieurs personnes physiques exploitant une entreprise.

25 Aucune raison ne justifie de s'écarter de cette analyse, s'agissant des prestations de services culturels visées à l'article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive, à l'égard d'artistes fournissant une prestation individuelle tels que les chanteurs solistes.

26 En particulier, de tels artistes peuvent, à linstar dun groupe culturel, exercer leur activité à titre professionnel, semi-professionnel ou amateur et le faire soit en en tirant profit, soit à titre bénévole, le cas échéant en couvrant simplement leurs frais. Dans ces différents cas, même si l'artiste fournit sa prestation par ses seuls moyens, et quelle que soit la forme juridique qu'il a retenue pour son activité, il apparaît comme une entité individualisée accomplissant une fonction culturelle, au même titre qu'un groupe culturel.

27 Par conséquent, le principe de neutralité fiscale s'oppose à ce que des artistes individuels, dès lors que le caractère culturel de leurs prestations est reconnu, ne puissent pas, au même titre que les groupes culturels, être considérés comme des organismes assimilés aux organismes de droit public offrant certaines prestations de services culturels visés à l'article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive.

28 C'est dans le cadre de l'application de l'article 13, A, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive que les États membres peuvent, s'ils le souhaitent, subordonner, pour les artistes individuels comme pour les groupes culturels, le bénéfice des exonérations prévues au paragraphe 1, sous n), de la même disposition pour certaines prestations de services culturels à une ou plusieurs conditions y prévues, notamment à l'absence de recherche systématique de profit et au caractère essentiellement bénévole de l'organisation des prestations culturelles en cause.

29 De même, lorsquils se conforment à l'obligation édictée à l'article 13, A, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive d'exclure du bénéfice de l'exonération les prestations de services et les livraisons de biens non indispensables à l'activité culturelle en cause ou essentiellement destinées à procurer aux intéressés des recettes supplémentaires par la réalisation d'opérations effectuées en concurrence directe avec celles d'entreprises commerciales soumises à la TVA, les États membres doivent traiter de la même façon les artistes individuels et les groupes culturels.

30 Il y a donc lieu de répondre à la première question que l'article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive doit être interprété en ce sens que l'expression «autres organismes culturels reconnus» nexclut pas les solistes se produisant à titre individuel.

Sur la seconde question

31 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande en substance si, en lui-même, le titre de l'article 13, A, de la sixième directive, qui vise «les exonérations en faveur de certaines activités d'intérêt général», entraîne des restrictions aux possibilités d'exonération prévues par cette disposition, notamment si les prestations en cause sont fournies principalement à des fins commerciales.

32 M. Hoffmann estime que les États membres ne peuvent appliquer l'article 13, A, de la sixième directive en instaurant des critères de refus d'exonération autres que ceux précisément prévus par cette disposition. De surcroît, linstauration de critères de refus devrait respecter le principe d'égalité de traitement, ainsi quil résulterait, notamment, de l'arrêt du 13 juillet 2000, Idéal tourisme (C-36/99, Rec. p. I-6049, point 36).

33 Selon le gouvernement allemand, le titre de l'article 13, A, de la sixième directive n'entraîne en lui-même aucune restriction dans le choix par les États membres des organismes pouvant bénéficier d'une reconnaissance leur ouvrant le droit à lexonération de la TVA.

34 Le gouvernement néerlandais allègue qu'il est possible d'exclure du bénéfice de l'exonération les organismes culturels poursuivant des fins commerciales, en vertu de l'article 13, A, de la sixième directive, qui concerne «certaines activités d'intérêt général», puisque, selon le paragraphe 1, sous n), de cette disposition, les bénéficiaires doivent être reconnus par les États membres et que ceux-ci pourraient refuser une telle reconnaissance. De plus, le gouvernement néerlandais rappelle que les États membres peuvent subordonner, sur le fondement de larticle 13, A, paragraphe 2, de la sixième directive, l'octroi de l'exonération aux organismes autres que ceux de droit public à la condition quils naient pas pour but la recherche systématique du profit.

35 Selon le gouvernement du Royaume-Uni, le titre de l'article 13, A, de la sixième directive indique que les exonérations prévues par cette disposition doivent être limitées aux activités d'intérêt général. Par conséquent, l'article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive devrait être interprété de manière restrictive, de façon à ce que seules soient exonérées les activités culturelles effectuées dans l'intérêt général et non celles exercées uniquement en vue d'un profit.

36 La Commission rappelle que, conformément à l'article 13, A, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, les États membres peuvent prévoir des restrictions d'exonération pour les organismes qui ont pour but la recherche systématique du profit. Par ailleurs, le point b) de la même disposition entraînerait des restrictions aux possibilités d'exonération prévues à l'article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive, notamment lorsque l'exonération est susceptible de fausser la concurrence. Dans le litige au principal, il incomberait au juge du fond de déterminer si les manifestations en cause au principal visaient à procurer à l'activité de M. Hoffmann des recettes supplémentaires, si ce dernier était en concurrence avec des entreprises commerciales soumises à la TVA et si l'octroi de l'exonération fausserait la concurrence.

37 À cet égard, il y a lieu de constater que, en lui-même, le titre de l'article 13, A, de la sixième directive, dont le libellé est «Exonérations en faveur de certaines activités d'intérêt général», n'entraîne pas de restrictions aux possibilités d'exonération prévues par cette disposition.

38 En effet, d'une part, les activités qui doivent être exonérées de la TVA, celles qui peuvent l'être par les États membres et celles qui ne peuvent pas l'être, ainsi que les conditions auxquelles les activités susceptibles d'être exonérées peuvent être soumises par les États membres, sont précisément définies par le contenu de l'article 13, A, de la sixième directive. D'autre part, ainsi que le confirme le paragraphe 2, sous a), de cet article, qui autorise, mais n'oblige pas, les États membres à réserver le bénéfice de l'exonération aux organismes autres que ceux de droit public qui n'ont pas pour but la recherche systématique du profit, le caractère commercial d'une activité n'exclut pas, dans le contexte de l'article 13, A, de la sixième directive, qu'elle présente le caractère d'une activité d'intérêt général.

39 Les éventuelles restrictions au bénéfice des exonérations prévues à l'article 13, A, de la sixième directive ne peuvent intervenir, ainsi quil est rappelé aux points 28 et 29 du présent arrêt, que dans le cadre de l'application du paragraphe 2 de cette disposition.

40 Il y a donc lieu de répondre à la seconde question préjudicielle que, en lui-même, le titre de l'article 13, A, de la sixième directive n'entraîne pas de restrictions aux possibilités d'exonération prévues par cette disposition.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

41 Les frais exposés par les gouvernements allemand, néerlandais et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire lobjet dun remboursement. La procédure revêtant, à légard des parties au principal, le caractère dun incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 5 avril 2000, dit pour droit:

1) L'article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires Système commun de taxe sur la valeur ajoutés: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que l'expression «autres organismes culturels reconnus» n'exclut pas les solistes se produisant à titre individuel.

2) En lui-même le titre de l'article 13, A, de cette directive n'entraîne pas de restrictions aux possibilités d'exonération prévues par cette disposition.