C-137/02 - Faxworld

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Arrêt de la Cour

Affaire C-137/02


Finanzamt Offenbach am Main-Land
contre
Faxworld Vorgründungsgesellschaft Peter Hünninghausen und Wolfgang Klein GbR



(demande de décision préjudicielle, formée par le Bundesfinanzhof)

«Demande de décision préjudicielle – Interprétation de la sixième directive TVA – Droit à déduction de la TVA payée en amont par une Vorgründungsgesellschaft (société de droit civil dont l'objet est la préparation des moyens nécessaires à l'activité d'une société anonyme à créer) – Transmission, à titre onéreux, de l'universalité desdits moyens à la société anonyme une fois créée – Transmission non soumise à la TVA à la suite de l'exercice de l'option (prévue à l'article 5, paragraphe 8, de la sixième directive TVA) par l'État membre concerné»

Conclusions de l'avocat général M. F. G. Jacobs, présentées le 23 octobre 2003
    
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 29 avril 2004
    

Sommaire de l'arrêt

Dispositions fiscales – Harmonisation des législations – Taxes sur le chiffre d'affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Déduction de la taxe payée en amont – Société de droit civil créée dans le seul but de constituer une société de capitaux – Transmission de l'universalité de ses biens à ladite société de capitaux une fois créée – État membre ne considérant pas une telle transmission comme une livraison de biens – Droit à déduction

(Directive du Conseil 77/388, art. 5, § 8, 6, § 5, et 17, § 2) Une société de personnes, créée dans le seul but de constituer une société de capitaux, est en droit de déduire la taxe en amont pour la fourniture de prestations de services et de biens, lorsque, conformément à son objet social, sa seule opération en aval a été la cession des prestations fournies par un acte à titre onéreux à ladite société de capitaux une fois créée et lorsque, en raison du fait que l’État membre concerné a fait usage des options prévues aux articles 5, paragraphe 8, et 6, paragraphe 5, de la sixième directive 77/388 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, telle que modifiée par la directive 95/7, aucune livraison de biens ou aucune prestation de services n’intervient lors de la transmission d’une universalité totale de biens.

En effet, même si cette société de personnes n’a pas l’intention d’effectuer elle-même d’opérations imposables, son unique objet social étant de préparer l’activité de la société de capitaux, il n’en demeure pas moins que la taxe qu’elle souhaite déduire se rapporte aux prestations qu’elle a acquises aux fins de la réalisation d’opérations taxables, bien que celles-ci ne soient que des opérations envisagées de la société de capitaux.

(cf. points 41, 43 et disp.)




ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
29 avril 2004(1)


«Demande de décision préjudicielle – Interprétation de la sixième directive TVA – Droit à déduction de la TVA payée en amont par une Vorgründungsgesellschaft (société de droit civil dont l'objet est la préparation des moyens nécessaires à l'activité d'une société anonyme à créer) – Transmission, à titre onéreux, de l'universalité desdits moyens à la société anonyme une fois créée – Transmission non soumise à la TVA à la suite de l'exercice de l'option (prévue à l'article 5, paragraphe 8, de la sixième directive TVA) par l'État membre concerné»

Dans l'affaire C-137/02,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Bundesfinanzhof (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Finanzamt Offenbach am Main-Land

et

Faxworld Vorgründungsgesellschaft Peter Hünninghausen und Wolfgang Klein GbR,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995 (JO L 102, p. 18),

LA COUR (cinquième chambre),



composée de M. P. Jann, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. A. Rosas et S. von Bahr (rapporteur), juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,
greffier: Mme M.-F. Contet, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

pour Faxworld Vorgründungsgesellschaft Peter Hünninghausen und Wolfgang Klein GbR, par Mes R. W. Horn et A. Kowol, Rechtsanwälte,

pour le gouvernement allemand, par MM. W.-D. Plessing et M. Lumma, en qualité d'agents,

pour la Commission des Communautés européennes, par MM. E. Traversa et K. Gross, en qualité d'agents, assistés de Me A. Böhlke, Rechtsanwalt,

ayant entendu les observations orales du Finanzamt Offenbach am Main-Land, représenté par M. J. Aue, en qualité d'agent, de Faxworld Vorgründungsgesellschaft Peter Hünninghausen und Wolfgang Klein GbR, représentée par Me R. W. Horn, du gouvernement allemand, représenté par M. M. Lumma, et de la Commission, représentée par M. K. Gross, assisté de Me A. Böhlke, à l'audience du 11 septembre 2003,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 23 octobre 2003,

rend le présent



Arrêt



1
Par décision du 23 janvier 2002, parvenue à la Cour le 12 avril suivant, le Bundesfinanzhof a posé, en application de l’article 234 CE, une question relative à l’interprétation de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995 (JO L 102, p. 18, ci‑après la «sixième directive»).

2
Cette question a été soulevée dans le cadre d’un litige opposant le Finanzamt Offenbach am Main‑Land (ci‑après le «Finanzamt») à Faxworld Vorgründungsgesellschaft Peter Hünninghausen und Wolfgang Klein GbR (ci‑après «Faxworld GbR») au sujet du refus opposé à cette dernière par le Finanzamt de lui permettre de déduire la taxe sur la valeur ajoutée (ci‑après la «TVA») afférente à des opérations dont elle était destinataire.

3
La question vise, en substance, le droit d’une Vorgründungsgesellschaft, société de droit civil dont l’objet est la préparation des moyens nécessaires à l’activité d’une société anonyme à créer, de déduire la TVA quand sa seule opération en aval, conformément à son objet social, est le transfert de l’universalité de ses biens à ladite société anonyme une fois créée. La question est fondée sur la prémisse selon laquelle l’État membre concerné a fait usage de la faculté offerte aux articles 5, paragraphe 8, et 6, paragraphe 5, de la sixième directive de considérer que, à l’occasion de la transmission d’une universalité totale ou partielle de biens, aucune livraison de biens ou aucune prestation de services n’est intervenue et que le bénéficiaire continue la personne du cédant.


Le cadre juridique

La réglementation communautaire

4
L’article 2, point 1, de la sixième directive dispose que sont soumises à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel.

5
Selon l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la même directive:

«1.     Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

2.       Les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.»

6
En ce qui concerne les livraisons de biens, l’article 5, paragraphe 8, de la sixième directive prévoit:

«Les États membres peuvent considérer que, à l’occasion de la transmission, à titre onéreux ou à titre gratuit ou sous forme d’apport à une société, d’une universalité totale ou partielle de biens, aucune livraison de biens n’est intervenue et que le bénéficiaire continue la personne du cédant. Les États membres peuvent prendre, le cas échéant, les dispositions nécessaires pour éviter des distorsions de concurrence dans le cas où le bénéficiaire n’est pas un assujetti total.»

7
L’article 6, paragraphe 5, de la même directive énonce que «[l]’article 5 paragraphe 8 s’applique dans les mêmes conditions aux prestations de services».

8
S’agissant du droit à déduction, l’article 17, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive dispose:

«1.     Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

2.       Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a)
la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;

[…]»

La réglementation nationale

9
Les dispositions pertinentes de la sixième directive ont été transposées en droit allemand par l’Umsatzsteuergesetz 1993 (loi de 1993 relative à la TVA, BGBl. 1993 I, p. 565, ci‑après l’«UStG 1993»). Dans sa version applicable à l’exercice litigieux de 1996, l’article 1er, paragraphe 1, de l’UStG 1993 énonce, en tant que règle générale, que sont soumises à la taxe sur le chiffre d’affaires les livraisons de biens et autres prestations effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un entrepreneur dans le cadre de son entreprise.

10
Toutefois, la République fédérale d’Allemagne ayant exercé les options offertes aux États membres aux articles 5, paragraphe 8, et 6, paragraphe 5, de la sixième directive, l’article 1er, paragraphe 1 bis, de l’UStG 1993 énonce:

«(1 bis)            Les opérations effectuées dans le cadre d’une cession d’entreprise à un autre entrepreneur pour son entreprise ne sont pas soumises à la [TVA]. La cession d’entreprise s’entend du transfert ou de l’apport intégral à une société, à titre onéreux ou à titre gratuit, d’une entreprise ou d’un établissement géré de manière distincte dans la structure de l’entreprise. L’entrepreneur acquéreur succède au cédant.»


Le litige au principal et la question préjudicielle

11
Faxworld GbR est une société de personnes, de droit civil, créée le 1er octobre 1996 et ayant pour unique objet social de préparer la constitution de la société Faxworld Telefonmarketing Aktiengesellschaft (ci‑après «Faxworld AG»).

12
Comme l’explique la juridiction de renvoi, la création d’une Aktiengesellschaft (société anonyme de droit allemand) peut être précédée, comme c’est le cas en l’occurrence, d’une Vorgründungsgesellschaft. Cette dernière se fonde sur un précontrat conclu entre les fondateurs de la société dans le but de coopérer à la constitution de l’Aktiengesellschaft. Dès lors, si cette dernière société, une fois créée, souhaite reprendre les biens patrimoniaux acquis par la Vorgründungsgesellschaft, de même que ses droits et obligations, ceux‑ci ne lui étant pas transmis de manière automatique, ils doivent lui être transférés par un acte juridique spécifique.

13
C’est ainsi que Faxworld GbR a, en tant que Vorgründungsgesellschaft, loué des bureaux, acquis des biens d’équipement et fait réaliser des installations dans les bureaux. Elle a, en outre, envoyé des courriers d’information et fait de la publicité pour la société à constituer. Après la constitution de Faxworld AG par acte notarié du 28 novembre 1996, Faxworld GbR a cessé ses activités et a cédé à cette société l’intégralité des biens acquis antérieurement, pour leur valeur comptable, au prix d’un peu moins de 90 000 DEM. Faxworld AG a donc pu, sans faire de démarche supplémentaire, commencer son activité dans les bureaux loués et équipés par Faxworld GbR pour ses besoins.

14
Conformément à son unique objet social, Faxworld GbR n’a donc pas effectué d’opérations en aval, à l’exception du transfert des biens acquis par elle à Faxworld AG.

15
Pour l’exercice litigieux de 1996, Faxworld GbR a considéré ce transfert comme une cession d’entreprise non imposable, conformément à l’article 1er, paragraphe 1 bis, de l’UStG 1993. Pour ce même exercice, le Finanzamt a refusé à Faxworld GbR le droit de faire valoir, comme taxe en amont, la TVA d’un montant d’un peu moins de 13 000 DEM sur ses opérations en amont. Le Finanzamt a motivé ce refus, par avis de taxation du 5 janvier 1998, en indiquant qu’il n’y avait pas lieu de considérer Faxworld GbR comme un entrepreneur, au sens de l’article 2 de l’UStG 1993, dès lors que l’unique opération qu’elle envisageait d’effectuer en aval était la cession d’entreprise à la société à constituer, laquelle cession ne devrait pas être considérée, conformément à l’article 1er, paragraphe 1 bis, de l’UStG 1993, comme une livraison imposable.

16
En revanche, le Finanzgericht a rendu un jugement faisant droit au recours de Faxworld GbR contre la décision du Finanzamt, au motif que cette société était une entreprise et que, à ce titre, elle avait le droit de déduire la taxe en amont. Le principe de neutralité de la TVA imposerait la prise en compte de la taxe en amont, quand bien même Faxworld GbR n’aurait, en tant que Vorgründungsgesellschaft, jamais eu l’intention d’utiliser les prestations réalisées en amont pour effectuer elle‑même des opérations imposables.

17
C’est contre ce jugement que le Finanzamt a introduit un recours en «Revision» devant le Bundesfinanzhof, en soutenant que Faxworld GbR n’avait aucun droit à déduction au motif que, d’une part, elle n’était pas entrepreneur puisqu’elle n’avait, à aucun moment, eu l’intention d’effectuer elle‑même des prestations imposables et que, d’autre part, on ne saurait lui imputer l’activité de Faxworld AG.

18
Le Bundesfinanzhof étant, pour sa part, enclin à reconnaître à Faxworld GbR le droit de déduire la taxe en amont considère, en premier lieu, que les prestations fournies à Faxworld GbR dans le cadre de la constitution envisagée de la société de capitaux constituent des coûts qui, par leur nature même, sont inhérents à l’ensemble de l’activité de l’entreprise (arrêt du 22 février 2001, Abbey National, C‑408/98, Rec. p. I‑1361, points 35 et 36).

19
En second lieu, le Bundesfinanzhof estime que, si le transfert par Faxworld GbR de tous ses éléments d’actif à Faxworld AG, qui a été son unique opération en aval, devait être considéré comme «la transmission d’une totalité des biens» au sens de l’article 5, paragraphe 8, de la sixième directive et non comme une opération taxée au sens de l’article 17, paragraphe 2, de cette même directive, il serait tentant de rattacher les prestations en amont de Faxworld GbR aux opérations envisagées par Faxworld AG.

20
Constatant toutefois que, selon l’arrêt Abbey National, précité, un assujetti ne peut déduire que la TVA des prestations en amont utilisées pour les besoins de ses propres opérations taxées et que, partant, il ne devrait pas être possible de prendre en compte les opérations du bénéficiaire du transfert, le Bundesfinanzhof relève que, dans l’affaire au principal, l’absence de continuité juridique entre Faxworld GbR, d’une part, et Faxworld AG, d’autre part, est dictée uniquement par les spécificités du droit civil allemand en cas de constitution d’une société de capitaux. D’ailleurs, en soulignant que le principe de la neutralité fiscale applicable au régime de la TVA interdit que des opérateurs économiques ayant effectué les mêmes opérations soient traités différemment en ce qui concerne leur taxation, il considère que les spécificités du droit civil allemand qui entourent la constitution d’une société de capitaux ne sauraient avoir pour conséquence d’exclure le droit à déduction dans la phase de préparation (arrêt du 7 septembre 1999, Gregg, C‑216/97, Rec. p. I‑4947, point 20).

21
Au vu de ces considérations, le Bundesfinanzhof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Une société (de personnes) créée dans le seul but de la constitution d’une société de capitaux est‑elle en droit de déduire la taxe en amont pour la fourniture de prestations de services et de biens, lorsque, une fois la société de capitaux constituée, elle cᄄde les prestations fournies, dans un acte à titre onéreux, à ladite société de capitaux constituée ultérieurement, que, dès le départ, aucune opération en aval n’était envisagée, et que l’État membre concerné considère que, en cas de transmission d’une universalité totale de biens, aucune livraison ou prestation de services n’intervient (articles 5, paragraphe 8, première phrase, et 6, paragraphe 5, de la sixième directive […])?»

22
Le Bundesfinanzhof précise que, dans l’hypothèse où la Cour répondrait à cette question par la négative, se pose la question subsidiaire de savoir si la société de capitaux, en l’occurrence Faxworld AG, est autorisée à déduire la taxe en amont pour les opérations fournies à la Vorgründungsgesellschaft, en l’occurrence Faxworld GbR, même si la société de capitaux n’était pas encore constituée au moment de la fourniture de ces prestations.


Sur la question préjudicielle

23
Par sa question, le Bundesfinanzhof demande, en substance, si la sixième directive autorise le droit à déduction de la TVA payée par une société de personnes, créée dans le seul but de constituer une société de capitaux, lorsque la seule opération en aval de ladite société de personnes a été le transfert de l’intégralité de ses biens à la société de capitaux une fois créée, et lorsque, en raison du fait que l’État membre concerné a fait usage des options prévues aux articles 5, paragraphe 8, et 6, paragraphe 5, de la sixième directive, il est considéré qu’aucune livraison de biens ou aucune prestation de services n’intervient lors d’un tel transfert.

24
En ce qui concerne le droit à déduction, l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive prévoit que l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable la TVA due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti «[d]ans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées». Ainsi, il ressort du libellé de cette disposition que, afin qu’un intéressé puisse accéder au droit à déduction, il faut, d’une part, qu’il soit un «assujetti» au sens de la sixième directive et, d’autre part, que les biens et les services en question aient été utilisés pour les besoins de ses opérations taxées.

Sur la qualification de Faxworld GbR en tant qu’assujetti

25
En ce qui concerne la qualification de Faxworld GbR en tant qu’assujetti, l’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive prévoit que quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités mentionnées au paragraphe 2 de ce même article est considéré comme assujetti, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. Selon ledit paragraphe 2, les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services.

26
Seul le gouvernement allemand considère que Faxworld GbR n’est pas un assujetti au sens de la sixième directive au motif que cette société n’exerçait pas d’activités économiques. À l’appui de cet argument, il fait valoir, d’une part, que toutes les activités en amont de Faxworld GbR n’étaient destinées qu’à préparer l’activité économique d’une autre entité juridique à constituer, à savoir Faxworld AG. D’autre part, la cession des biens de Faxworld GbR à Faxworld AG, seule activité en aval de Faxworld GbR, aurait été une cession d’entreprise non imposable, conformément à l’article 5, paragraphe 8, de la sixième directive.

27
Ces arguments ne sauraient être accueillis. En premier lieu, il convient de rappeler que l’article 4 de la sixième directive assigne un champ d’application très large à la TVA, englobant tous les stades de la production, de la distribution et de la prestations de services (voir arrêts du 26 mars 1987, Commission/Pays‑Bas, 235/85, Rec. p. 1471, point 7; du 15 juin 1989, Stichting Uitvoering Financiële Acties, 348/87, Rec. p. 1737, point 10, et du 4 décembre 1990, van Tiem, C‑186/89, Rec. p. I‑4363, point 17).

28
Selon une jurisprudence constante, un particulier qui acquiert des biens pour les besoins d’une activité économique au sens de l’article 4 de la sixième directive le fait en tant qu’assujetti (arrêts du 11 juillet 1991, Lennartz, C‑97/90, Rec. p. I‑3795, point 14; du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a., C‑110/98 à C‑147/98, Rec. p. I‑1577, point 47, et du 8 juin 2000, Breitsohl, C‑400/98, Rec. p. I‑4321, point 34), même si les biens ne sont pas immédiatement utilisés pour ladite activité économique (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 1985, Rompelman, 268/83, Rec. p. 655, point 22). Contrairement à ce que soutient le gouvernement allemand, la validité de ces constatations n’est nullement circonscrite par l’identité de l’entrepreneur dont relève l’activité économique en question.

29
En second lieu, l’argument du gouvernement allemand tiré de l’utilisation faite par la République fédérale d’Allemagne de l’option offerte à l’article 5, paragraphe 8, de la sixième directive, afin de soustraire ce qui était la seule opération en aval de Faxworld GbR du champ d’application de l’article 4 de cette même directive est erroné. Conformément à la finalité de la sixième directive, qui vise notamment à fonder le système commun de TVA sur une définition uniforme des «assujettis», la qualité d’assujetti doit être appréciée exclusivement sur la base des critères énoncés à l’article 4 de la sixième directive (arrêt van Tiem, précité, point 25). Il en résulte que le champ d’application de l’article 4 de la sixième directive ne peut pas être modifié par la circonstance qu’un État membre a fait ou non usage de l’option offerte à l’article 5, paragraphe 8, de cette même directive, lui permettant de considérer que, à l’occasion de la transmission d’une universalité totale ou partielle des biens, aucune livraison de biens n’est intervenue (voir, en ce qui concerne l’utilisation par un État membre de l’option prévue à l’article 5, paragraphe 3, de la sixième directive, arrêt van Tiem, précité, point 26).

30
Partant, il y a lieu de considérer qu’une société telle que Faxworld GbR est un assujetti au sens de la sixième directive.

Sur l’existence d’opérations taxées au sens de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive

31
Ainsi qu’il l’a été constaté au point 24 du présent arrêt, l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive prévoit qu’un assujetti peut déduire la TVA sur les biens et services qui sont utilisés «pour les besoins de ses opérations taxées». En ce qui concerne l’identification des opérations taxées d’un assujetti, l’article 2, point 1, de la sixième directive dispose, en tant que règle générale, que sont soumises à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel.

32
Toutefois, lorsqu’un État membre a fait usage des options prévues aux articles 5, paragraphe 8, et 6, paragraphe 5, de la sixième directive, il est considéré que, lors de la transmission d’une universalité totale ou partielle des biens, aucune livraison de biens ou aucune prestation de services n’intervient.

33
En ce qui concerne Faxworld GbR, étant donné que sa seule opération en aval a été, dans le cadre de l’utilisation faite par la République fédérale d’Allemagne des options prévues aux articles 5, paragraphe 8, et 6, paragraphe 5, de la sixième directive, la transmission de l’universalité totale de ses biens, il en ressort qu’elle n’a pas effectué elle‑même d’opérations taxées au sens de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive.

34
À cet égard, Faxworld GbR soutient qu’elle‑même et Faxworld AG doivent être considérées comme une seule entité économique. Les biens et services acquis par Faxworld GbR ayant été destinés à être utilisés pour les besoins des opérations taxées de Faxworld AG, elle serait en droit de déduire la taxe en amont. Elle observe en outre que, selon l’arrêt Breitsohl, précité, le droit de déduire la TVA acquittée sur les biens ou services acquis en vue de la réalisation d’un projet d’activité économique subsiste même lorsque l’administration fiscale sait, dès la première liquidation de la taxe, que l’activité économique envisagée, qui devrait donner lieu à des opérations taxées, ne sera pas exercée. Cette règle s’appliquerait a fortiori lorsque, comme dans l’affaire au principal, l’activité économique a été exercée.

35
Selon le gouvernement allemand, si, contrairement à ce qu’il soutient, Faxworld GbR est considérée comme assujetti au sens de la sixième directive, cette société ne serait pas en droit de déduire la TVA sur ses opérations en amont. Selon lui, il découle de l’arrêt Abbey National, précité, que, lorsque l’État membre concerné a fait usage de l’option prévue à l’article 5, paragraphe 8, de la sixième directive, la déduction de la taxe en amont en cas de cession totale de l’entreprise n’est possible que lorsque les opérations en amont relèvent des frais généraux de l’entrepreneur. Cependant, dans l’affaire au principal, la seule opération en aval de Faxworld GbR a été la cession de ses biens à Faxworld AG, ce qui impliquerait que Faxworld GbR ne peut se prévaloir du droit à déduction visé à l’article 17 de la sixième directive.

36
Bien que ne contestant pas la qualification de Faxworld GbR en tant qu’assujetti, la Commission partage l’analyse du gouvernement allemand en ce qui concerne l’accès au droit à déduction de cette société. En s’appuyant sur l’arrêt Abbey National, précité, point 28, selon lequel le droit à déduction présupposerait que les dépenses effectuées pour acquérir les prestations en amont auraient dû avoir fait partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées, elle soutient que la déduction de la TVA en amont supposerait l’existence d’opérations taxables, opérations que Faxworld GbR n’a jamais eu l’intention d’effectuer.

37
À titre liminaire, il convient d’observer que le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de TVA garantit, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (voir arrêts Rompelman, précité, point 19; du 15 janvier 1998, Ghent Coal Terminal, C‑37/95, Rec. p. I‑1, point 15; Gabalfrisa e.a., précité, point 44; du 8 juin 2000, Midland Bank, C‑98/98, Rec. p. I‑4177, point 19, et Abbey National, précité, point 24). Vu la généralité de ce droit, des dérogations n’y sont permises que dans les cas expressément prévus par la directive (voir, en ce sens, arrêt Ghent Coal Terminal, précité, point 16).

38
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Abbey National, précité, l’assujetti en question, ayant effectué une cession d’entreprise, souhaitait faire valoir le droit de déduire la TVA afférente aux services qu’il avait reçus afin de réaliser ladite cession lorsque, en raison de l’exercice par l’État membre concerné de l’option offerte à l’article 5, paragraphe 8, de la sixième directive, cette cession ne constituait pas une opération taxée.

39
En reconnaissant audit assujetti le droit, en principe, de déduire la TVA, il a été constaté que les coûts des services en question faisaient partie de ses frais généraux et que, même dans le cas d’une transmission d’une universalité de biens, lorsque l’assujetti ne réalise plus d’opérations après l’utilisation desdits services, les coûts de ces derniers devaient être considérés comme inhérents à l’ensemble de l’activité économique de son entreprise avant la transmission. Autrement, il serait procédé à une distinction arbitraire entre, d’une part, les dépenses effectuées pour les besoins d’une entreprise avant l’exploitation effective de celle-ci et celles effectuées au cours de ladite exploitation et, d’autre part, les dépenses effectuées pour mettre fin à cette exploitation (arrêt Abbey National, précité, point 35).

40
Cette interprétation aurait permis de soulager l’assujetti en cause du poids de la TVA payée dans le cadre de son entreprise économique. C’est dans ces circonstances que l’argument supplémentaire de l’assujetti selon lequel il devait être en mesure de se prévaloir des opérations taxées du cessionnaire afin de pouvoir déduire la totalité de la TVA sur lesdits services n’a pas été accepté (arrêt Abbey National, précité, points 31 et 32).

41
Toutefois, à la différence des circonstances de l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt Abbey National, précité, l’assujetti, dans l’affaire au principal, à savoir Faxworld GbR, n’avait même pas, en tant que Vorgründungsgesellschaft, l’intention d’effectuer elle‑même d’opérations imposables, son unique objet social étant de préparer l’activité de l’Aktiengesellschaft. Or, il n’en demeure pas moins que la TVA que souhaite déduire Faxworld GbR se rapporte aux prestations qu’elle avait acquises aux fins de la réalisation des opérations taxables, bien que ces dernières n’aient été que des opérations envisagées de Faxworld AG.

42
Dans ces circonstances précises, et afin de pouvoir garantir la neutralité de la charge fiscale, il convient de considérer que, lorsque l’État membre a fait usage des options prévues aux articles 5, paragraphe 8, et 6, paragraphe 5, de la sixième directive, en raison du fait que, suivant ces dispositions, «le cessionnaire continue la personne du cédant», une Vorgründungsgesellschaft, en tant que cédant du transfert, devrait être en mesure de prendre en considération les opérations taxées du cessionnaire, à savoir l’Aktiengesellschaft, afin de pouvoir déduire la TVA sur ses prestations en amont, prestations qui ont été acquises pour les besoins des opérations taxées dudit cessionnaire.

43
Partant, il convient de répondre à la question posée par le Bundesfinanzhof qu’une société de personnes, créée dans le seul but de constituer une société de capitaux, est en droit de déduire la taxe en amont pour la fourniture de prestations de services et de biens, lorsque, conformément à son objet social, sa seule opération en aval a été la cession des prestations fournies par un acte à titre onéreux à ladite société de capitaux une fois créée et lorsque, en raison du fait que l’État membre concerné a fait usage des options prévues aux articles 5, paragraphe 8, et 6, paragraphe 5, de la sixième directive, aucune livraison de biens ou aucune prestation de services n’intervient lors de la transmission d’une universalité totale de biens.


Sur les dépens

44
Les frais exposés par le gouvernement allemand et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

statuant sur la question à elle soumise par le Bundesfinanzhof, par décision du 23 janvier 2002, dit pour droit:

Une société de personnes, créée dans le seul but de constituer une société de capitaux, est en droit de déduire la taxe en amont pour la fourniture de prestations de services et de biens, lorsque, conformément à son objet social, sa seule opération en aval a été la cession des prestations fournies par un acte à titre onéreux à ladite société de capitaux une fois créée et lorsque, en raison du fait que l’État membre concerné a fait usage des options prévues aux articles 5, paragraphe 8, et 6, paragraphe 5, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995, aucune livraison de biens ou aucune prestation de services n’intervient lors de la transmission d’une universalité totale de biens.

Jann

Rosas

von Bahr

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 avril 2004.

Le greffier

Le président

R. Grass

V. Skouris


1
Langue de procédure: l'allemand.