C-35/05 - Reemtsma Cigarettenfabriken

Printed via the EU tax law app / web

Affaire C-35/05

Reemtsma Cigarettenfabriken GmbH

contre

Ministero delle Finanze

(demande de décision préjudicielle, introduite par

la Corte suprema di cassazione)

«Huitième directive TVA — Articles 2 et 5 — Assujettis non établis à l'intérieur du pays — Taxe indûment versée — Modalités de remboursement»

Conclusions de l'avocat général Mme E. Sharpston, présentées le 8 juin 2006 

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 15 mars 2007 

Sommaire de l'arrêt

1.     Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Remboursement de la taxe aux assujettis non établis à l'intérieur du pays

(Directive du Conseil 79/1072, art. 2 et 5)

2.     Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Redevables de la taxe

(Directive du Conseil 77/388, art. 21, point 1)

3.     Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Régularisation de la taxe indûment facturée

(Directive du Conseil 77/388)

1.     Les articles 2 et 5 de la huitième directive 79/1072 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis à l'intérieur du pays, doivent être interprétés en ce sens que la taxe sur la valeur ajoutée non due et facturée par erreur au bénéficiaire des prestations, puis versée au Trésor de l'État membre du lieu de ces prestations, n'est pas susceptible de faire l'objet d'un remboursement en vertu de ces dispositions.

La huitième directive, qui n'a pas pour objectif de mettre en cause le système mis en oeuvre par la sixième directive 77/388, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, vise à établir les modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée payée dans un État membre par des assujettis établis dans un autre État membre. Son objectif est ainsi d'harmoniser le droit au remboursement tel qu'il résulte de l'article 17, paragraphe 3, de la sixième directive. En effet, les articles 2 et 5 de la huitième directive renvoient explicitement à l'article 17 de la sixième directive. Dans ces conditions, dès lors que le droit à déduction, au sens dudit article 17, ne peut être étendu à la taxe sur la valeur ajoutée indûment facturée et versée à l'autorité fiscale, il y a lieu de constater que cette même taxe sur la valeur ajoutée ne peut faire l'objet d'un remboursement au regard des dispositions de la huitième directive.

(cf. points 25-28, disp. 1)

2.     À l'exception des cas expressément prévus par les dispositions de l'article 21, point 1, de la sixième directive 77/388, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, telle que modifiée par la directive 92/111, seul le fournisseur doit être considéré comme redevable de la taxe sur la valeur ajoutée au regard des autorités fiscales de l'État membre du lieu des prestations.

(cf. point 33, disp. 2)

3.     Les principes de neutralité, d'effectivité et de non-discrimination ne s'opposent pas à une législation nationale selon laquelle le fournisseur peut seul demander le remboursement des sommes indûment versées au titre de la taxe sur la valeur ajoutée aux autorités fiscales et le preneur de services peut exercer une action de droit civil en répétition de l'indu à l'encontre de ce fournisseur. Toutefois, dans le cas où le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée deviendrait impossible ou excessivement difficile, les États membres doivent prévoir les instruments nécessaires pour permettre audit preneur de récupérer la taxe indûment facturée afin de respecter le principe d'effectivité.

Cette réponse ne saurait être affectée par la législation nationale en matière de taxation directe, le système d'imposition directe dans son ensemble étant sans rapport avec celui de la taxe sur la valeur ajoutée.

(cf. points 42, 45, disp. 3)




ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

15 mars 2007 (*)

«Huitième directive TVA – Articles 2 et 5 – Assujettis non établis à l’intérieur du pays – Taxe indûment versée – Modalités de remboursement»

Dans l’affaire C-35/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Corte suprema di cassazione (Italie), par décision du 23 juin 2004, parvenue à la Cour le 31 janvier 2005, dans la procédure

Reemtsma Cigarettenfabriken GmbH

contre

Ministero delle Finanze,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. P. Kūris, J. Klučka, J. Makarczyk et G. Arestis (rapporteur), juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 mars 2006,

considérant les observations présentées:

–       pour Reemtsma Cigarettenfabriken GmbH, par Me S. Pettinato, avvocato,

–       pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. G. De Bellis, avvocato dello Stato,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes M. Afonso et M. Velardo ainsi que par M. A. Aresu, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 juin 2006,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2 et 5 de la huitième directive 79/1072/CEE du Conseil, du 6 décembre 1979, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis à l’intérieur du pays (JO L 331, p. 11, ci-après la «huitième directive»).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la société Reemtsma Cigarettenfabriken GmbH (ci-après «Reemtsma») au Ministero delle Finanze (ministère des Finances) au sujet du refus de ce dernier de lui rembourser partiellement la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») ayant grevé des prestations de promotion publicitaire et de marketing qui lui ont été fournies en Italie.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3       L’article 2 de la huitième directive dispose:

«Chaque État membre rembourse à tout assujetti qui n’est pas établi à l’intérieur du pays mais qui est établi dans un autre État membre, dans les conditions fixées ci-après, la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé des services qui lui sont rendus ou des biens meubles qui lui sont livrés à l’intérieur du pays par d’autres assujettis, ou ayant grevé l’importation de biens dans le pays, dans la mesure où ces biens et services sont utilisés pour les besoins des opérations visées à l’article 17 paragraphe 3 sous a) et b) de la directive 77/388/CEE ou des prestations de services visées à l’article 1er sous b).»

4       L’article 5, premier alinéa, de la huitième directive prévoit:

«Aux fins de la présente directive, le droit au remboursement de la taxe est déterminé conformément à l’article 17 de la directive 77/388/CEE tel qu’il est appliqué dans l’État membre du remboursement.»

5       Aux termes de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 92/111/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992 (JO L 384, p. 47, ci-après la «sixième directive»):

«le lieu des prestations de services suivantes, rendues à […] des assujettis établis dans la Communauté mais en dehors du pays du prestataire, est l’endroit où le preneur a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable pour lequel la prestation de services a été rendue ou, à défaut, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle:

[…]

–       les prestations de publicité,

[…]»

6       L’article 17 de la sixième directive est libellé comme suit:

«1.      Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

2.      Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a)      la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;

[…]

3.      Les États membres accordent également à tout assujetti la déduction ou le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée visée au paragraphe 2 dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins:

a)      de ses opérations relevant des activités économiques visées à l’article 4 paragraphe 2, effectuées à l’étranger, qui ouvriraient droit à déduction si ces opérations étaient effectuées à l’intérieur du pays;

[…]»

7       Aux termes de l’article 21, point 1, de la sixième directive:

«La taxe sur la valeur ajoutée est due:

1)      en régime intérieur:

a)      par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable, autre que l’une des prestations de services visées au point b). Lorsque la livraison de biens ou la prestation de services imposable est effectuée par un assujetti qui n’est pas établi à l’intérieur du pays, les États membres peuvent prendre des dispositions prévoyant que la taxe est due par une autre personne. Un représentant fiscal ou le destinataire de la livraison de biens ou de la prestation de services imposable peuvent notamment être désignés à cet effet. […] Les États membres peuvent prévoir qu’une personne, autre que l’assujetti, est solidairement tenue d’acquitter la taxe;

b)      par le preneur d’un service visé à l’article 9, paragraphe 2, point e), ou par le preneur, identifié à la taxe sur la valeur ajoutée à l’intérieur du pays, d’un service visé à l’article 28 ter titres C, D et E, lorsque le service est effectué par un assujetti établi à l’étranger; toutefois, les États membres peuvent prévoir que le prestataire est solidairement tenu d’acquitter la taxe.

c)      par toute personne qui mentionne la taxe sur la valeur ajoutée sur une facture ou tout document en tenant lieu».

 La réglementation nationale

8       Le décret du président de la République nº 633, du 26 octobre 1972, instituant et régissant la taxe sur la valeur ajoutée (supplément ordinaire à la GURI nº 1, du 11 novembre 1972, p. 1, ci-après le «décret présidentiel n° 633/72»), pris en application de la huitième directive, dispose à son article 17, paragraphe 1:

«Assujettis – La taxe est due par les personnes effectuant des cessions de biens et des prestations de services imposables, lesquelles doivent la verser au Trésor, cumulativement pour toutes les opérations effectuées et net de la déduction prévue à l’article 19, selon les modalités et dans les termes prévus au titre II.»

9       L’article 19, second alinéa, du décret présidentiel n° 633/72 prévoit:

«N’est pas déductible la taxe portant sur l’acquisition ou l’importation de biens et de services afférents à des opérations exonérées ou non soumises à la taxe […]»

10     L’article 38 ter du décret présidentiel n° 633/72 est libellé comme suit:

«Les assujettis, domiciliés et résidents dans les États membres de la Communauté économique européenne, qui ne sont pas identifiés directement au sens de l’article 35 ter et n’ont pas désigné de représentant au sens du second alinéa de l’article 17, redevables de la taxe dans l’État dans lequel ils ont leur domicile ou leur résidence, qui n’ont pas effectué d’opérations en Italie, à l’exception des prestations de transport et d’autres prestations accessoires non imposables au sens de l’article 9, ainsi que des prestations indiquées à l’article 7, quatrième alinéa, sous d), peuvent obtenir, pour toute période inférieure à un an, le remboursement de la taxe si elle est déductible conformément à l’article 19, lorsqu’elle porte sur des biens meubles et des services importés ou acquis, pour autant que son montant global n’est pas inférieur à deux cents euros. […]»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

11     Les faits, tels qu’ils ressortent de l’ordonnance de renvoi, peuvent être résumés comme suit.

12     Reemtsma est une société dont le siège est situé en Allemagne et qui ne dispose pas d’établissement stable en Italie. En 1994, des prestations de publicité et de marketing lui ont été fournies par une société italienne, pour lesquelles cette dernière a facturé une somme totale de 175 022 025 ITL au titre de la TVA.

13     La TVA a été mise à la charge de Reemtsma et versée au Trésor public italien.

14     Reemtsma a alors demandé le remboursement partiel de deux montants de la TVA acquittés au titre de l’année 1994, qu’elle estimait avoir indûment versés en raison du fait que les prestations en cause avaient été effectuées à destination d’un assujetti établi dans un État membre autre que la République italienne, en l’occurrence en Allemagne, de sorte que la TVA était due dans ce dernier État membre.

15     Les autorités fiscales nationales ont refusé ce remboursement et Reemtsma a contesté ce refus devant les juridictions italiennes. Son recours a été rejeté tant en première instance qu’en appel, au motif que les factures émises étaient relatives à des prestations de promotion publicitaire et de marketing non soumises à la TVA en raison du fait que la condition territoriale n’était pas remplie, puisqu’elles avaient été fournies à un assujetti imposable dans un autre État membre.

16     Reemtsma a alors saisi la Corte suprema di cassazione qui, considérant que la solution du litige dépend de l’interprétation de règles et de principes du droit communautaire, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Pour autant qu’ils subordonnent le remboursement en faveur de l’acquéreur ou du client non-résident à la condition que les biens et services aient été utilisés pour les besoins d’opérations imposables, les articles 2 et 5 de la huitième directive […] doivent-ils être interprétés en ce sens que la TVA non due et facturée en cascade par erreur, puis versée au Trésor, peut également donner lieu à remboursement? Dans l’affirmative, une disposition du droit national qui exclut le remboursement à l’acquéreur/au client non-résident, en se fondant sur le caractère non déductible de la taxe, une fois imputée et versée, même si elle n’est pas due, est-elle contraire aux dispositions précitées de [ladite] directive?

2)      De manière générale, est-il possible d’inférer du système commun de la TVA que l’acquéreur/le client sont redevables de la taxe envers le Trésor? Est-il compatible avec ce système, et en particulier avec les principes de neutralité de la TVA, d’effectivité et de non-discrimination, de ne pas accorder, au titre du droit interne, à l’acquéreur/au client assujetti à la TVA – et réputé soumis, au titre de la législation nationale, aux obligations de facturation et de paiement – un droit au remboursement de la part de l’autorité fiscale au cas où la taxe indue a été portée au débit de l’intéressé et payée? Un système national – tel qu’inféré de l’interprétation qu’en donnent les juridictions nationales – est-il contraire aux principes d’effectivité et de non-discrimination en matière de remboursement de la TVA perçue en violation du droit communautaire, en tant qu’il permet simplement à l’acquéreur/au client d’agir à l’encontre du seul fournisseur/prestataire de services, et non de l’autorité fiscale, en dépit de l’existence, dans l’ordre juridique national, d’un cas analogue de perception, par un représentant du contribuable, des impôts directs dus par ce dernier, étant entendu que tant celui-ci que son représentant sont en droit de solliciter la restitution de l’indu auprès du Trésor[?]»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

17     Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 2 et 5 de la huitième directive doivent être interprétés en ce sens que la TVA non due et facturée par erreur au bénéficiaire des prestations, puis versée au Trésor de l’État membre du lieu de ces prestations, est susceptible de faire l’objet d’un remboursement.

18     À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le système commun de la TVA ne prévoit pas expressément le cas où une telle taxe a été facturée par erreur.

19     Il n’est pas contesté par les parties au principal que les prestations effectuées au profit de Reemtsma, qui consistaient en des services de promotion publicitaire et de marketing, n’étaient pas soumises à la TVA. En effet, selon l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la sixième directive, le lieu des prestations de services de publicité, rendues à des preneurs établis dans la Communauté, mais en dehors du pays du prestataire, est l’endroit où le preneur a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable pour lequel la prestation de services a été rendue. Dans l’affaire au principal, c’est en Allemagne que lesdites prestations sont réputées avoir été effectuées.

20     Quant à l’article 2 de la huitième directive, il prévoit que tout assujetti qui est établi dans un État membre autre que celui où se trouve le lieu des prestations a droit au remboursement de la TVA ayant grevé des services qui lui ont été rendus dans l’État membre où est situé ledit lieu pour les besoins des opérations visées notamment à l’article 17, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive. Aux termes de l’article 5, premier alinéa, de la huitième directive, le remboursement est déterminé conformément à l’article 17 de la sixième directive tel qu’il est appliqué dans l’État membre du remboursement.

21     Reemtsma considère que le fait de limiter le droit au remboursement à la seule TVA déductible ne signifie pas que la taxe qui a été indûment facturée et versée au Trésor ne peut faire l’objet d’un remboursement. En effet, l’article 21, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive, tel qu’interprété par l’arrêt de la Cour du 17 septembre 1997, Langhorst (C-141/96, Rec. p. I-5073), s’opposerait au principe selon lequel le droit à déduction ne s’applique qu’aux seules taxes dues. Elle estime que le droit à déduction de ladite taxe est l’un des principaux instruments permettant d’assurer le principe de neutralité de la TVA et, dès lors, un tel droit ne saurait être limité.

22     Le gouvernement italien et la Commission des Communautés européennes considèrent en revanche qu’il n’y a pas lieu d’invoquer les articles 2 et 5 de la huitième directive pour demander le remboursement de la TVA facturée par erreur, étant donné que le droit à la déduction de la taxe payée prévu à l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive fait défaut. En effet, l’arrêt du 13 décembre 1989, Genius Holding (C-342/87, Rec. p. 4227), s’opposerait au droit à la déduction de la TVA indûment facturée et versée à l’autorité fiscale.

23     À titre liminaire, il convient de rappeler que, au point 13 de l’arrêt Genius Holding, précité, la Cour a constaté que l’exercice du droit à déduction de la TVA est limité aux seules taxes dues, c’est-à-dire les taxes correspondant à une opération soumise à la TVA ou acquittées dans la mesure où elles étaient dues. Elle a ainsi jugé que ce droit à déduction ne s’étend pas à la TVA due, en vertu de l’article 21, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive, exclusivement parce qu’elle est mentionnée sur la facture (voir, notamment, arrêt Genius Holding, précité, point 19). À cet égard, la Cour a confirmé ultérieurement cette jurisprudence dans les arrêts du 19 septembre 2000, Schmeink & Cofreth et Strobel (C-454/98, Rec. p. I-6973, point 53), et du 6 novembre 2003, Karageorgou e.a. (C-78/02 à C-80/02, Rec. p. I‑13295, point 50).

24     Dans ces conditions, il convient d’examiner si la jurisprudence mentionnée au point précédent est applicable dans le cadre de la huitième directive.

25     Il y a lieu de rappeler à cet égard que la huitième directive n’a pas pour objectif de mettre en cause le système mis en œuvre par la sixième directive (voir, notamment, arrêt du 26 septembre 1996, Debouche, C‑302/93, Rec. p. I‑4495, point 18).

26     En outre, la huitième directive vise à établir les modalités de remboursement de la TVA payée dans un État membre par des assujettis établis dans un autre État membre. Son objectif est ainsi d’harmoniser le droit au remboursement tel qu’il résulte de l’article 17, paragraphe 3, de la sixième directive (voir, notamment, arrêt du 13 juillet 2000, Monte Dei Paschi Di Siena, C-136/99, Rec. p. I-6109, point 20). En effet, ainsi qu’il ressort du point 20 du présent arrêt, les articles 2 et 5 de la huitième directive renvoient explicitement à l’article 17 de la sixième directive.

27     Dans ces conditions, dès lors que le droit à déduction, au sens dudit article 17, ne peut être étendu à la TVA indûment facturée et versée à l’autorité fiscale, il y a lieu de constater que cette même TVA ne peut faire l’objet d’un remboursement au regard des dispositions de la huitième directive.

28     Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que les articles 2 et 5 de la huitième directive doivent être interprétés en ce sens que la TVA non due et facturée par erreur au bénéficiaire des prestations, puis versée au Trésor de l’État membre du lieu de ces prestations, n’est pas susceptible de faire l’objet d’un remboursement en vertu de ces dispositions.

 Sur la seconde question

29     Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande en substance si, dans une situation telle que celle au principal, il suffit que le preneur de services ait le droit de demander le remboursement de la TVA au fournisseur qui a facturé celle-ci à tort, et qui pourrait à son tour en demander le remboursement à l’autorité fiscale, ou si un tel preneur doit pouvoir diriger sa demande directement à l’encontre de cette autorité. Cette question se subdivise en trois parties.

30     En premier lieu, la juridiction de renvoi demande si le preneur de services peut être considéré, de manière générale, comme la personne redevable de la TVA au regard des autorités fiscales de l’État membre du lieu des prestations.

31     À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 21, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, «la taxe sur la valeur ajoutée est due […] en régime intérieur […] par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable, autre que l’une des prestations de services visées au point b)». Ledit article 21 établit donc la règle de principe selon laquelle seul le fournisseur est redevable de la TVA et a des obligations à l’égard des autorités fiscales. Toutefois, des exceptions à cette règle sont limitativement énumérées à cette même disposition, d’autres pouvant être autorisées par le Conseil de l’Union européenne sur le fondement de l’article 27 de la sixième directive. Ainsi, lorsque la livraison de biens ou la prestation de services imposable est effectuée par un assujetti qui n’est pas établi à l’intérieur du pays, les États membres peuvent prendre des dispositions prévoyant que la taxe est due par une autre personne, pouvant être le preneur des services taxables.

32     Or, même si dans une situation telle que celle au principal, dans laquelle s’applique le mécanisme de transfert de l’obligation fiscale prévu à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la sixième directive, Reemtsma aurait pu demander le remboursement de la TVA en tant que redevable de celle-ci, il convient de rappeler que, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 77 de ses conclusions, dans le cadre de ce mécanisme, c’est avec les autorités fiscales de l’État membre d’établissement, en l’espèce la République fédérale d’Allemagne, que Reemtsma entretient des relations et non avec celles de l’État membre dans lequel le fournisseur de cette dernière a indûment facturé et déclaré la TVA, à savoir la République italienne.

33     Il convient donc de répondre à la première partie de la seconde question que, à l’exception des cas expressément prévus par les dispositions de l’article 21, point 1, de la sixième directive, seul le fournisseur doit être considéré comme redevable de la TVA au regard des autorités fiscales de l’État membre du lieu des prestations.

34     En deuxième lieu, la juridiction de renvoi demande à la Cour si le système commun de la TVA ainsi que les principes de neutralité, d’effectivité et de non-discrimination s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui n’accorde pas au preneur de services un droit au remboursement de la TVA par l’autorité fiscale lorsque cette taxe n’était pas due, mais a néanmoins été payée par ce preneur à l’autorité fiscale de l’État membre du lieu de la prestation.

35     Reemtsma considère que le principe d’effectivité implique que la législation nationale ne fasse pas obstacle à l’exercice du droit au remboursement des sommes versées au titre de la TVA en violation de la réglementation applicable. En effet, ledit principe pourrait être méconnu en raison de l’insolvabilité du fournisseur ou d’éventuels jugements contradictoires entre la juridiction civile et la juridiction fiscale.

36     La Commission estime en revanche qu’est acceptable un système fiscal tel que celui mis en œuvre en Italie, dans lequel, d’une part, seul le fournisseur peut en principe demander le remboursement de la TVA aux autorités fiscales et, d’autre part, le preneur de services peut réclamer le montant indûment acquitté au fournisseur conformément au droit civil. À cet égard, les États membres seraient libres de choisir la procédure qu’ils jugent propre à assurer ce remboursement sous réserve que le principe d’effectivité soit respecté. La mise en œuvre de celui-ci pourrait ainsi exiger que le preneur de services puisse agir directement à l’encontre desdites autorités si le remboursement devait s’avérer pratiquement impossible ou excessivement difficile.

37     Il convient de relever à cet égard que, en l’absence de réglementation communautaire en matière de demandes de restitution de taxes, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de prévoir les conditions dans lesquelles ces demandes peuvent être exercées, ces conditions devant respecter les principes d’équivalence et d’effectivité, c’est-à-dire qu’elles ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des réclamations semblables fondées sur des dispositions de droit interne ni aménagées de manière à rendre pratiquement impossible l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (voir, notamment, arrêts du 17 juin 2004, Recheio – Cash & Carry, C-30/02, Rec. p. I‑6051, point 17, et du 6 octobre 2005, MyTravel, C-291/03, Rec. p. I‑8477, point 17).

38     Il y a lieu également de rappeler que la sixième directive ne prévoit aucune disposition relative à la régularisation, par l’émetteur de la facture, de la TVA indûment facturée. La sixième directive définit seulement, à son article 20, les conditions à remplir pour que la déduction des taxes en amont puisse être régularisée auprès du bénéficiaire de la livraison de biens ou de la prestation de services. Dans ces conditions, il appartient en principe aux États membres de déterminer les conditions dans lesquelles la TVA indûment facturée peut être régularisée (voir arrêt Schmeink & Cofreth et Strobel, précité, points 48 et 49).

39     Au regard de la jurisprudence rappelée aux deux points précédents, il y a lieu d’admettre que, en principe, un système tel que celui en cause au principal, dans lequel, d’une part, le fournisseur qui a versé par erreur aux autorités fiscales la TVA peut en demander le remboursement et, d’autre part, le preneur de services peut exercer une action de droit civil en répétition de l’indu à l’encontre de ce fournisseur, respecte les principes de neutralité et d’effectivité. En effet, un tel système permet audit preneur qui a supporté la charge de la taxe facturée par erreur d’obtenir le remboursement des sommes indûment versées.

40     Il convient en outre de rappeler que, selon une jurisprudence constante, en l’absence de réglementation communautaire en la matière, les modalités procédurales visant à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire relèvent de l’ordre juridique interne de chaque État membre en vertu du principe de l’autonomie procédurale des États membres (voir, notamment, arrêts du 16 mai 2000, Preston e.a., C-78/98, Rec. p. I-3201, point 31, ainsi que du 19 septembre 2006, i-21 Germany et Arcor, C-392/04 et C-422/04, non encore publié au Recueil, point 57).

41     À cet égard, ainsi que le fait valoir à bon droit la Commission, si le remboursement de la TVA devient impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d’insolvabilité du fournisseur, lesdits principes peuvent exiger que le preneur de services puisse diriger sa demande de remboursement directement contre les autorités fiscales. Ainsi, les États membres doivent prévoir les instruments et les modalités procédurales nécessaires pour permettre audit preneur de récupérer la taxe indûment facturée afin de respecter le principe d’effectivité.

42     Il convient dès lors de répondre à la deuxième partie de la seconde question que les principes de neutralité, d’effectivité et de non-discrimination ne s’opposent pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, selon laquelle le fournisseur peut seul demander le remboursement des sommes indûment versées au titre de la TVA aux autorités fiscales et le preneur de services peut exercer une action de droit civil en répétition de l’indu à l’encontre de ce fournisseur. Toutefois, dans le cas où le remboursement de la TVA deviendrait impossible ou excessivement difficile, les États membres doivent prévoir les instruments nécessaires pour permettre audit preneur de récupérer la taxe indûment facturée afin de respecter le principe d’effectivité.

43     En troisième lieu, la juridiction de renvoi demande à la Cour si les principes d’équivalence et de non-discrimination s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet au preneur de services d’agir à l’encontre du seul fournisseur et non des autorités fiscales, alors qu’il existe, dans le système national de taxation directe, un cas où, dans l’hypothèse d’une perception indue, tant la personne chargée de collecter l’impôt que le redevable de celui-ci peuvent agir à l’encontre desdites autorités.

44     À cet égard, il suffit de constater que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’interdiction de discrimination n’est qu’une expression spécifique du principe général d’égalité en droit communautaire, qui veut que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement soit objectivement justifié (voir, notamment, arrêts du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil, C-309/89, Rec. p. I-1853, point 26, et du 17 juillet 1997, National Farmers’ Union e.a., C-354/95, Rec. p. I-4559, point 61).

45     En l’espèce, le système d’imposition directe dans son ensemble est sans rapport avec celui de la TVA. Il s’ensuit que la réponse apportée à la deuxième partie de la seconde question ne saurait être affectée par la législation nationale en matière de taxation directe.

 Sur les dépens

46     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1)      Les articles 2 et 5 de la huitième directive 79/1072/CEE du Conseil, du 6 décembre 1979, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis à l’intérieur du pays, doivent être interprétés en ce sens que la taxe sur la valeur ajoutée non due et facturée par erreur au bénéficiaire des prestations, puis versée au Trésor de l’État membre du lieu de ces prestations, n’est pas susceptible de faire l’objet d’un remboursement en vertu de ces dispositions.

2)      À l’exception des cas expressément prévus par les dispositions de l’article 21, point 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 92/111/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992, seul le fournisseur doit être considéré comme redevable de la taxe sur la valeur ajoutée au regard des autorités fiscales de l’État membre du lieu des prestations.

3)      – Les principes de neutralité, d’effectivité et de non-discrimination ne s’opposent pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, selon laquelle le fournisseur peut seul demander le remboursement des sommes indûment versées au titre de la taxe sur la valeur ajouté aux autorités fiscales et le preneur de services peut exercer une action de droit civil en répétition de l’indu à l’encontre de ce fournisseur. Toutefois, dans le cas où le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée deviendrait impossible ou excessivement difficile, les États membres doivent prévoir les instruments nécessaires pour permettre audit preneur de récupérer la taxe indûment facturée afin de respecter le principe d’effectivité.

– Cette réponse ne saurait être affectée par la législation nationale en matière de taxation directe.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.