C-414/07 - Magoora

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Affaire C-414/07

Magoora sp. zo. o.

contre

Dyrektor Izby Skarbowej w Krakowie

(demande de décision préjudicielle, introduite par

le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Krakowie)

«Sixième directive TVA — Article 17, paragraphes 2 et 6 — Réglementation nationale — Déduction de la TVA afférente à l'achat de carburant pour certains véhicules indépendamment de la finalité de l'utilisation de ceux-ci — Restriction effective du droit à déduction — Exclusions prévues par la législation nationale au moment de l'entrée en vigueur de la directive»

Sommaire de l'arrêt

Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Déduction de la taxe payée en amont — Exclusions du droit à déduction

(Directive du Conseil 77/388, art. 17, § 6, al. 2)

L'article 17, paragraphe 6, second alinéa, de la sixième directive 77/388, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, s'oppose à ce qu'un État membre abroge dans leur totalité, à l'occasion de la transposition de cette directive en droit interne, les dispositions nationales concernant les limitations du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée payée en amont et ayant grevé les achats de carburant destiné à des véhicules utilisés aux fins d'une activité taxée, en remplaçant, à la date de l'entrée en vigueur de ladite directive sur son territoire, ces dispositions par des dispositions fixant de nouveaux critères en la matière, si - ce qu'il appartient à la juridiction nationale d'apprécier - ces dernières dispositions ont eu pour effet d'étendre le champ d'application desdites limitations. À cet égard, la notion de «législation nationale», au sens de l'article 17, paragraphe 6, second alinéa, de la sixième directive, se réfère au régime de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée existant et effectivement appliqué au moment de l'entrée en vigueur de la directive. La clause de «standstill» prévue à l'article 17, paragraphe 6, second alinéa, de la sixième directive n'a pas pour but de permettre à un nouvel État membre de modifier sa législation interne à l'occasion de son adhésion à l'Union dans un sens qui éloignerait cette législation des objectifs de cette directive. Cet article s'oppose, en tout état de cause, à ce qu'un État membre modifie ultérieurement sa législation entrée en vigueur à ladite date dans un sens qui étende le champ d'application de ces limitations par rapport à la situation existant avant cette date.

(cf. points 38-39, 45 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

22 décembre 2008 (*)

«Sixième directive TVA – Article 17, paragraphes 2 et 6 – Réglementation nationale – Déduction de la TVA afférente à l’achat de carburant pour certains véhicules indépendamment de la finalité de l’utilisation de ceux-ci – Restriction effective du droit à déduction – Exclusions prévues par la législation nationale au moment de l’entrée en vigueur de la directive»

Dans l’affaire C‑414/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Krakowie (Pologne), par décision du 17 mai 2007, parvenue à la Cour le 10 septembre 2007, dans la procédure

Magoora sp. zo. o.

contre

Dyrektor Izby Skarbowej w Krakowie,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász, G. Arestis (rapporteur) et J. Malenovský, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: M. M.-A. Gaudissart, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 septembre 2008,

considérant les observations présentées:

–        pour Magoora sp. zo. o., par MM. Z. Liptak et J. Martini, pełnomocnicy

–        pour le gouvernement polonais, par M. M. Dowgielewicz et Mme H. Majszczyk, en qualité d’agents,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. D. Triantafyllou et Mme K. Herrmann, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 17, paragraphes 2 et 6, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci‑après la «sixième directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Magoora sp. zo. o. (ci-après «Magoora») au Dyrektor Izby Skarbowej w Krakowie (directeur de la chambre fiscale de Cracovie) au sujet de l’interprétation du champ et des modalités d’application du droit fiscal national concernant le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») afférente à l’achat de carburant pour un véhicule utilisé par Magoora en vertu d’un contrat de leasing.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        L’article 17, paragraphes 2, sous a), et 6, de la sixième directive, telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995 (JO L 102, p. 18), disposait au moment des faits du litige au principal:

«2.      Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a)      la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée à l'intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;

[…]

6.      Au plus tard avant l’expiration d’une période de quatre ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente directive, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, déterminera les dépenses n’ouvrant pas droit à déduction de la [TVA]. En tout état de cause, seront exclues du droit à déduction les dépenses n’ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation.

Jusqu’à l’entrée en vigueur des règles visées ci-dessus, les États membres peuvent maintenir toutes les exclusions prévues par leur législation nationale au moment de l’entrée en vigueur de la présente directive.»

 La réglementation nationale

4        L’article 25, paragraphe 1, point 3a), de la loi du 8 janvier 1993, relative à la taxe sur les biens et les services et aux droits d’accise (Dz. U n° 11, position 50), dans sa version en vigueur à la date du 30 avril 2004 (ci-après la «loi du 8 janvier 1993»), prévoyait:

«Ne donnent pas lieu à réduction du montant ou à remboursement de la différence de taxe en aval les achats, par l’assujetti, de produits tels que l’essence, le gazole ou le gaz utilisés pour la propulsion des voitures particulières ou d’autres véhicules d’une charge admissible inférieure ou égale à 500 kg.»

5        En Pologne, les dispositions de la sixième directive ont été transposées par la loi du 11 mars 2004, relative à la taxe sur les biens et les services (Dz. U n° 54, position 535, ci-après la «loi sur la TVA»).

6        Conformément à l’article 175 de la loi sur la TVA, la loi du 8 janvier 1993 a été abrogée à compter du 1er mai 2004.

7        L’article 86, paragraphes 3 et 5, de la loi sur la TVA disposait dans sa version initiale:

«3.      En cas d’acquisition de voitures particulières ou d’autres véhicules d’une charge admissible inférieure à celle définie selon la formule suivante:

CA = 357 kg + n x 68 kg

où:

CA signifie charge admissible,

n signifie nombre de places (sièges), y compris le siège du conducteur,

le montant de la taxe en amont correspond à 50 % du montant de la taxe ressortissant de la facture ou du montant de la taxe due au titre de l’achat intracommunautaire de produits ou du montant de la taxe due sur la livraison de biens dont l’assujetti est l’acquéreur, sans toutefois dépasser le montant de 5 000 PLN.

[…]

5.      La charge admissible des véhicules et le nombre de places (sièges) visés au paragraphe 3 sont définis sur la base de l’extrait du certificat d’homologation ou de la copie de la décision de dispense d’obtention du certificat d’homologation, émis conformément aux dispositions du code de la route. Les véhicules qui, au vu de l’extrait du certificat d’homologation ou de la copie de la décision visée dans la première phrase, n’ont pas la charge admissible […] ou le nombre de places [définis] sont également considérés comme des voitures particulières visées au paragraphe 3.»

8        L’article 88, paragraphe 1, point 3, de la loi sur la TVA énonçait dans sa version initiale:

«Ne donnent pas lieu à une réduction du montant ou à un remboursement de la différence de taxe en aval les achats par l’assujetti de produits tels que […] l’essence, le gazole ou le gaz utilisés pour la propulsion des voitures particulières et d’autres véhicules automobiles visés à l’article 86, paragraphes 3 et 5.»

9        Conformément à l’article 176, point 3, de la loi sur la TVA, les articles 86 et 88 de celle-ci étaient d’application à compter du 1er mai 2004, car cette première disposition établissait:

«La loi entre en vigueur à l’expiration d’un délai de 14 jours à compter du jour de sa publication [soit le 20 avril 2004], sauf:

3)      les articles 1 [à] 14, l’article 15, paragraphes 1 [à] 6, les articles 16 [à] 22 [..], les articles 42 [à] 95 [..] qui s’appliquent à compter du 1er mai 2004.»

10      La loi du 21 avril 2005 (Dz. U n° 90, position 756), entrée en vigueur le 22 août 2005, a modifié la loi sur la TVA et, notamment, les articles 86 et 88 de celle-ci.

11      L’article 86, paragraphes 3 et 4, de la loi sur la TVA, dans sa version en vigueur depuis le 22 août 2005, prévoit:

«3.      En cas d’acquisition de voitures particulières ou d’autres véhicules automobiles d’une masse admissible totale ne dépassant pas 3,5 tonnes, le montant de la taxe en amont correspond à 60 % du montant de la taxe ressortant de la facture ou du montant de la taxe due au titre de l’acquisition intracommunautaire de produits ou du montant de la taxe due sur la livraison de produits dont l’assujetti est l’acquéreur, sans toutefois dépasser le montant de 6 000 PLN.

4.      La disposition du paragraphe 3 ne concerne pas:

1.      les véhicules ayant une rangée de sièges séparée de la partie du véhicule destinée au transport de marchandises par une cloison ou une séparation fixe, qui sont classés selon les dispositions du code de la route dans la catégorie des véhicules polyvalents ou des vans;

2.      les véhicules ayant plus d’une rangée de sièges séparés de la partie du véhicule destinée au transport de marchandises par une cloison ou une séparation fixe et dont la longueur de la partie destinée au transport de marchandises, mesurée depuis le point le plus avancé de son plancher, où il est possible d’élever une cloison verticale ou une séparation entre le plancher et le plafond, jusqu’à la limite arrière du plancher, dépasse 50 % de la longueur du véhicule; aux fins du calcul de la proportion visée dans la phrase précédente, la longueur du véhicule résulte de la distance entre le bord inférieur de son pare‑brise et la partie arrière du plancher de la partie du véhicule destinée au transport de marchandises, mesurée le long d’une ligne horizontale entre la partie inférieure du pare‑brise et à la verticale de la limite arrière du plancher de la partie du véhicule destinée au transport de marchandises;

3.      les véhicules dont la partie destinée au transport de marchandises est ouverte;

4.      les véhicules dans lesquels la cabine du conducteur et la partie destinée au transport de marchandises sont, de par leur construction, des parties séparées du véhicule;

5.      les véhicules constituant des véhicules spéciaux au sens des dispositions du code de la route dont les définitions figurent à l’annexe 9 à la présente loi;

6.      les véhicules destinés de par leur construction au transport d’au moins 10 personnes incluant le conducteur – si cette destination ressort des documents émis conformément aux dispositions du code de la route;

7.      les cas dans lesquels l’activité de l’assujetti consiste à:

a)      revendre de telles automobiles (véhicules) ou

b)      donner en location à titre onéreux de tels véhicules (à moteur) au titre d’un contrat de location, d’un bail d’exploitation, d’un leasing ou d’autres contrats d’un caractère similaire, et que ces véhicules (à moteur) sont destinés par l’assujetti exclusivement à l’utilisation dans ce but pendant une durée d’au minimum 6 mois.»

12      L’article 88, paragraphe 1, point 3, de la loi sur la TVA, dans sa version en vigueur depuis le 22 août 2005, dispose:

«Ne donnent pas lieu à une réduction du montant ou à un remboursement de la différence de taxe en aval les achats par l’assujetti de produits tels que [...] l’essence, le gazole ainsi que le gaz utilisés pour la propulsion des voitures particulières et d’autres véhicules visés à l’article 86, paragraphe 3.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13      Le litige dont est saisi le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Krakowie (tribunal administratif de voïvodie de Cracovie) porte sur la possibilité pour Magoora de déduire la TVA payée en amont au titre de l’achat de carburant pour un véhicule utilisé dans le cadre de l’activité de cette société en vertu d’un contrat de leasing.

14      Le 25 mars 2005, Magoora a conclu un contrat de leasing opérationnel d’une voiture, enregistré à l’Urząd Skarbowy (office des impôts) le 13 juin 2005. La juridiction de renvoi ne donne aucune information concernant la marque et les caractéristiques techniques de cette voiture.

15      Il ressort de la décision de renvoi que les restrictions à la déduction de la TVA payée en amont et ayant grevé les achats de carburant selon une formule mathématique figurant dans la loi sur la TVA, dans sa version en vigueur au jour de la conclusion du contrat de leasing, soit le 25 mars 2005, n’ont pas été appliquées à Magoora. En revanche, à la suite de l’adoption du nouveau libellé de l’article 86, paragraphe 3, de la loi sur la TVA, dans sa version en vigueur depuis le 22 août 2005, les restrictions à la déduction de la TVA payée en amont et ayant grevé lesdits achats ont été appliquées à cette société, la masse admissible du véhicule en cause au principal ne dépassant pas 3,5 t.

16      Le 30 août 2005, Magoora a saisi le Naczelnik Urzędu Skarbowego Kraków-Prądnik (directeur de l’office des impôts de Cracovie-Prądnik) d’une demande d’interprétation des dispositions de la loi sur la TVA en ce qui concerne l’étendue et les limitations du droit à déduction de la TVA payée en amont lors de l’achat de carburant pour le véhicule utilisé en vertu d’un contrat de leasing. Magoora considère, à cet égard, qu’il convient de continuer à lui accorder le droit à déduction de la TVA payée en amont au titre de l’achat de carburant pour ledit véhicule sur le fondement de l’article 17, paragraphe 6, de la sixième directive.

17      Par décision du 3 novembre 2005, le Naczelnik Urzędu Skarbowego Kraków-Prądnik a jugé illégale la position de Magoora en estimant que l’article 17, paragraphe 6, de la sixième directive ne pouvait constituer une source de droit national en Pologne.

18      Le 15 février 2006, le Dyrektor Izby Skarbowej w Krakowie a rejeté le recours de Magoora et a confirmé ladite décision, au motif que la République de Pologne était en droit de maintenir les limitations à la déduction de la TVA qui existaient dans cet État membre au jour de l’entrée en vigueur de la sixième directive. En outre, il a considéré que les dispositions en vigueur à compter du 22 août 2005 ne faisaient que redéfinir les catégories de véhicules pour lesquels il n’est pas permis de déduire la TVA ayant grevé les achats de carburant.

19      Magoora a formé un recours auprès du Wojewódzki Sąd Administracyjny w Krakowie contre la décision du Dyrektor Izby Skarbowej w Krakowie.

20      Le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Krakowie, ayant des doutes sur l’interprétation de l’article 17 de la sixième directive, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 17, paragraphes 2 et 6, de la sixième directive [...] s’oppose‑t‑il à ce que la République de Pologne abroge en totalité, à partir du 1er mai 2004, les dispositions nationales jusqu’alors en vigueur concernant les limitations du droit à déduction de la [TVA] en amont grevant les achats de carburant pour des véhicules utilisés aux fins d’une activité taxée et qu’elle introduise à la place également des limitations du droit à déduction de la [TVA] en amont grevant les achats de carburant pour des véhicules utilisés pour une activité assujettie à la TVA, mais définies par le droit national en recourant à d’autres critères que ceux existant avant le 1er mai 2004, et à ce qu’elle modifie à nouveau les critères précités à partir du 22 août 2005?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, l’article 17, paragraphe 6, de la sixième directive fait‑il obstacle à ce que la [République de] Pologne modifie les critères précités, de manière à limiter concrètement le champ d’application du droit à déduction de la [TVA] en amont en comparaison avec les dispositions nationales en vigueur au 30 avril 2004 ou aux dispositions nationales en vigueur avant le changement effectué le 22 août 2005? À supposer que ce comportement de la République de Pologne soit en infraction avec l’article 17, paragraphe 6, de la sixième directive, faudrait‑il admettre que l’assujetti serait en droit d’effectuer des déductions, mais dans les limites où les modifications des dispositions nationales sortiraient du champ d’application de la déduction de la [TVA] en amont, tel qu’il était prévu par les dispositions nationales en vigueur au 30 avril 2004 et abrogées à cette date?

3)      L’article 17, paragraphe 6, de la sixième directive s’oppose‑t‑il à ce que la République de Pologne, en s’appuyant sur la faculté que cette disposition ouvre aux États membres de limiter la déduction de la [TVA] en amont afférente aux dépenses n’ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation, puisse restreindre la déductibilité de la [TVA] en amont par rapport au régime en vigueur au 30 avril 2004, de manière à exclure le droit à déduction de la [TVA] en amont grevant l’achat de carburant pour les voitures particulières ou autres véhicules automobiles dont la masse maximale autorisée ne dépasse pas 3,5 t, à l’exception des véhicules visés à l’article 86, paragraphe 4, de la loi [sur la TVA], dans sa version en vigueur depuis le 22 août 2005?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

21      Selon le gouvernement polonais, la demande de décision préjudicielle est irrecevable, car les questions posées n’ont aucun rapport avec la réalité du litige au principal. Les faits ayant donné lieu à cette demande n’auraient pas été appréciés par la juridiction de renvoi. L’examen des questions préjudicielles porterait, dès lors, sur des situations hypothétiques.

22      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de la procédure instituée par l’article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 18 juillet 2007, Lucchini, C‑119/05, Rec. p. I‑6199, point 43; du 15 novembre 2007, International Mail Spain, C‑162/06, Rec. p. I‑9911, point 23, et du 4 décembre 2008, Zablocka-Weyhermüller, C‑221/07, non encore publié au Recueil, point 20).

23      Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit communautaire n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C‑379/98, Rec. p. I‑2099, point 39; du 5 décembre 2006, Cipolla e.a., C‑94/04 et C‑202/04, Rec. p. I‑11421, point 25; du 7 juin 2007, van der Weerd e.a., C‑222/05 à C‑225/05, Rec. p. I‑4233, point 22; du 8 novembre 2007, Amurta, C‑379/05, Rec. p. I‑9569, point 64, ainsi que Zablocka-Weyhermüller, précité, point 21).

24      En l’espèce, force est de constater que, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, la juridiction nationale a fourni à la Cour un exposé détaillé du cadre factuel et juridique du litige au principal ainsi que des raisons pour lesquelles elle a considéré qu’une réponse aux questions posées est nécessaire pour rendre son jugement.

25      Par conséquent, la demande de décision préjudicielle doit être déclarée recevable.

 Sur le fond

26      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 17, paragraphes 2 et 6, de la sixième directive s’oppose à ce qu’un État membre abroge dans sa totalité, à partir de la date de l’entrée en vigueur de cette directive sur son territoire, les dispositions nationales concernant les limitations du droit à déduction de la TVA payée en amont et ayant grevé les achats de carburant destiné à des véhicules utilisés aux fins d’une activité taxée, en remplaçant ces dispositions par des dispositions fixant de nouveaux critères en la matière, et à ce que cet État membre modifie à nouveau ultérieurement ces critères, dans un sens qui étende ces limitations. Dans l’affirmative, ladite juridiction demande si un assujetti est en droit de revendiquer l’application des dispositions nationales en vigueur avant ladite date.

27      Il convient de constater que, en l’occurrence, la sixième directive est entrée en vigueur en Pologne à la date de l’adhésion de la République de Pologne à l’Union européenne, à savoir le 1er mai 2004. Dés lors, cette date est pertinente aux fins de l’application de l’article 17, paragraphe 6, second alinéa, de la sixième directive en ce qui concerne cet État membre (voir, en ce sens, arrêt du 8 janvier 2002, Metropol et Stadler, C‑409/99, Rec. p. I‑81, point 41).

28      Selon le principe fondamental inhérent au système commun de TVA et résultant des articles 2 de la première directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (JO 1967, 71, p. 1301), et de la sixième directive, la TVA s’applique à chaque transaction de production ou de distribution, déduction faite de la TVA qui a grevé directement les opérations effectuées en amont. Selon une jurisprudence constante, le droit à déduction prévu aux articles 17 et suivants de la sixième directive fait partie intégrante du mécanisme de TVA et ne peut en principe être limité. Il s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont. Toute limitation du droit à déduction de la TVA a une incidence sur le niveau de la charge fiscale et doit s’appliquer de manière similaire dans tous les États membres. Par conséquent, des dérogations ne sont permises que dans les cas expressément prévus par la sixième directive (voir arrêts du 19 septembre 2000, Amprafrance et Sanofi, C‑177/99 et C‑181/99, Rec. p. I‑7013, point 34; Metropol et Stadler, précité, point 42, ainsi que du 11 décembre 2008, Danfoss et AstraZeneca, C‑371/07, non encore publié au Recueil, point 26). En outre, les dispositions prévoyant des dérogations au principe du droit à déduction de la TVA, qui garantit la neutralité de cette taxe, sont d’interprétation stricte (arrêt Metropol et Stadler, précité, point 59).

29      L’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive énonce clairement le principe de la déduction par l’assujetti des montants qui lui sont facturés au titre de la TVA pour les biens qui lui sont livrés ou les services qui lui sont rendus, dans la mesure où ces biens ou ces services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées. Le principe du droit à déduction de la TVA est néanmoins soumis à la disposition dérogatoire figurant à l’article 17, paragraphe 6, de la sixième directive et, en particulier, au second alinéa de ce paragraphe (voir arrêts précités Metropol et Stadler, points 43 et 44, ainsi que Danfoss et AstraZeneca, points 27 et 28).

30      En vertu de l’article 17, paragraphe 6, de la sixième directive, les États membres sont autorisés à maintenir leur législation existant en matière d’exclusion du droit à déduction de la TVA à la date d’entrée en vigueur de ladite directive, jusqu’à ce que le Conseil arrête les dispositions prévues à cette disposition.

31      Il appartient en effet au législateur communautaire d’établir le régime communautaire des exclusions du droit à déduction de la TVA et de réaliser ainsi l’harmonisation progressive des législations nationales en matière de TVA. Le droit communautaire ne comporte à ce jour aucune disposition énumérant les dépenses exclues du droit à déduction de la TVA (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2001, Commission/France, C‑345/99, Rec. p. I‑4493, point 20; Metropol et Stadler, précité, point 44, ainsi que du 8 décembre 2005, Jyske Finans, C‑280/04, Rec. p. I‑10683, point 23).

32      Il y a lieu de constater que l’interprétation de la législation nationale afin de déterminer son contenu au moment de l’entrée en vigueur de la sixième directive et d’établir si cette législation a eu pour effet d’étendre, postérieurement à l’entrée en vigueur de la sixième directive, le champ des exclusions existantes est, en principe, de la compétence de la juridiction de renvoi (voir arrêt Metropol et Stadler, précité, point 47).

33      Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de la procédure visée à l’article 234 CE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence de la juridiction nationale (voir, notamment, arrêt du 14 février 2008, Varec, C‑450/06, Rec. p. I‑581, point 23 et jurisprudence citée). Toutefois, afin de donner à celle‑ci une réponse utile, la Cour peut, dans un esprit de coopération avec les juridictions nationales, lui fournir toutes les indications qu’elle juge nécessaires (voir, notamment, arrêt du 1er juillet 2008, MOTOE, C‑49/07, non encore publié au Recueil, point 30).

34      En l’occurrence, il appartient à la Cour de fournir à la juridiction de renvoi les éléments d’interprétation de la notion communautaire de «législation nationale», au sens de l’article 17, paragraphe 6, second alinéa, de la sixième directive, afin de permettre à cette juridiction de procéder à la détermination du contenu de cette législation au moment de l’entrée en vigueur de cette directive (voir arrêt Metropol et Stadler, précité, point 47).

35      En effet, l’article 17, paragraphe 6, second alinéa, de la sixième directive comporte une clause de «standstill» prévoyant le maintien des exclusions nationales du droit à déduction de la TVA qui étaient applicables avant l’entrée en vigueur de la sixième directive (arrêt Ampafrance et Sanofi, précité, point 5). L’objectif de cette disposition est ainsi de permettre aux États membres, en attendant l’établissement par le Conseil du régime communautaire des exclusions du droit à déduction de la TVA, de maintenir toute règle de droit national portant exclusion de ce droit effectivement appliquée par leurs autorités publiques au moment de l’entrée en vigueur de la sixième directive (voir arrêts précités Metropol et Stadler, point 48, ainsi que Danfoss et AstraZeneca, points 30 et 31).

36      Or, dans la mesure où la réglementation d’un État membre modifie, en le réduisant, le champ des exclusions existantes, postérieurement à l’entrée en vigueur de la sixième directive, et se rapproche, par là même, de l’objectif de cette directive, il y a lieu de considérer que cette réglementation est couverte par la dérogation prévue à l’article 17, paragraphe 6, second alinéa, de ladite directive et n’enfreint pas l’article 17, paragraphe 2, de cette dernière (voir arrêts précités Commission/France , point 22; Metropol et Stadler, point 45, ainsi que Danfoss et AstraZeneca, point 32).

37      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, une réglementation nationale ne constitue pas une dérogation permise par l’article 17, paragraphe 6, second alinéa, de la sixième directive si elle a pour effet d’étendre, postérieurement à l’entrée en vigueur de cette directive, le champ des exclusions existantes en s’éloignant ainsi de l’objectif de ladite directive (voir arrêts du 14 juin 2001, Commission/France, C‑40/00, Rec. p. I‑4539, point 17; du 11 septembre 2003, Cookies World, C‑155/01, Rec. p. I‑8785, point 66, ainsi que Danfoss et AstraZeneca, précité, point 33).

38      Il s’ensuit que, compte tenu de l’objectif de ladite disposition, la notion de «législation nationale», au sens de l’article 17, paragraphe 6, second alinéa, de la sixième directive, se réfère au régime de déduction de la TVA existant et effectivement appliqué au moment de l’entrée en vigueur de cette directive.

39      Il convient par ailleurs de rappeler que, ainsi que l’a fait valoir la Commission, la clause de «standstill» prévue à l’article 17, paragraphe 6, second alinéa, de la sixième directive n’a pas pour but de permettre à un nouvel État membre de modifier sa législation interne à l’occasion de son adhésion à l’Union dans un sens qui éloignerait cette législation des objectifs de cette directive. Une modification en ce sens serait contraire à l’esprit même de cette clause.

40      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi se demande si le fait que la République de Pologne a abrogé la loi du 8 janvier 1993 le jour de son adhésion à l’Union l’empêche d’introduire ce même jour de nouvelles dispositions prévoyant des limitations au droit de déduction de la TVA payée en amont et ayant grevé les achats de carburant destiné à des véhicules utilisés aux fins d’une activité taxée.

41      Il convient de considérer que l’abrogation, à la date de l’entrée en vigueur de la sixième directive dans l’ordre juridique national concerné, de dispositions internes et leur remplacement à cette même date par d’autres dispositions internes ne permet pas, en tant que tel, de présumer que l’État membre concerné aurait renoncé à appliquer des exclusions au droit à déduction de la TVA payée en amont. Une telle modification législative ne permet pas non plus, en tant que telle, de conclure à une méconnaissance de l’article 17, paragraphe 6, second alinéa, de ladite directive, à condition, toutefois, qu’elle n’ait pas conduit à un élargissement, à compter de ladite date, des exclusions nationales antérieures.

42      Dans l’affaire au principal, il incombe à la juridiction de renvoi, qui, ainsi qu’il a été rappelé au point 32 du présent arrêt, est seule compétente pour interpréter son droit national, d’apprécier si les modifications introduites, lors de la transposition de la sixième directive en droit polonais, par la loi sur la TVA ont eu pour effet d’étendre, par rapport aux dispositions nationales antérieures, le champ d’application des limitations du droit à déduction de la TVA payée en amont et ayant grevé l’achat de carburant destiné à des véhicules affectés à des activités taxées.

43      Il convient, en revanche, de noter que, aux termes de la demande de décision préjudicielle, la modification de la loi sur la TVA introduite par la loi du 21 avril 2005, entrée en vigueur le 22 août 2005, a eu pour effet d’étendre le champ d’application de ces limitations par rapport à la situation existant au moment de l’entrée en vigueur de la sixième directive pour la République de Pologne, ce qui, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 36 du présent arrêt, est contraire à l’article 17, paragraphe 6, second alinéa, de ladite directive.

44      Il appartient à la juridiction de renvoi d’interpréter, dans toute la mesure du possible, son droit interne à la lumière du texte et de la finalité de la sixième directive aux fins d’atteindre les résultats poursuivis par cette dernière, en privilégiant l’interprétation des règles nationales la plus conforme à cette finalité pour aboutir ainsi à une solution compatible avec les dispositions de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 2006, Adeneler e.a., C‑212/04, Rec. p. I-6057, point 124) et en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire de la loi nationale (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2005, Mangold, C‑144/04, Rec. p. I‑9981, point 77).

45      Dans ces conditions, il convient de répondre aux questions posées en ce sens que l’article 17, paragraphe 6, second alinéa, de la sixième directive s’oppose à ce qu’un État membre abroge dans leur totalité, à l’occasion de la transposition de cette directive en droit interne, les dispositions nationales concernant les limitations du droit à déduction de la TVA payée en amont et ayant grevé les achats de carburant destiné à des véhicules utilisés aux fins d’une activité taxée, en remplaçant, à la date de l’entrée en vigueur de ladite directive sur son territoire, ces dispositions par des dispositions fixant de nouveaux critères en la matière, si – ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier – ces dernières dispositions ont eu pour effet d’étendre le champ d’application desdites limitations. Il s’oppose, en tout état de cause, à ce qu’un État membre modifie ultérieurement sa législation entrée en vigueur à ladite date dans un sens qui étende le champ d’application de ces limitations par rapport à la situation existant avant cette date.

 Sur les dépens

46      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

L’article 17, paragraphe 6, second alinéa, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, s’oppose à ce qu’un État membre abroge dans leur totalité, à l’occasion de la transposition de cette directive en droit interne, les dispositions nationales concernant les limitations du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée payée en amont et ayant grevé les achats de carburant destiné à des véhicules utilisés aux fins d’une activité taxée, en remplaçant, à la date de l’entrée en vigueur de ladite directive sur son territoire, ces dispositions par des dispositions fixant de nouveaux critères en la matière, si – ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier – ces dernières dispositions ont eu pour effet d’étendre le champ d’application desdites limitations. Il s’oppose, en tout état de cause, à ce qu’un État membre modifie ultérieurement sa législation entrée en vigueur à ladite date dans un sens qui étende le champ d’application de ces limitations par rapport à la situation existant avant cette date.

Signatures


* Langue de procédure: le polonais.