C-554/07 - Commission / Irlande

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ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

16 juillet 2009 (*)

«Manquement d’État – Taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Articles 2, 9 et 13 – Activité économique exercée par l’État, les autorités locales et autres organismes de droit public – Exonération»

Dans l’affaire C‑554/07,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 11 décembre 2007,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. R. Lyal et Mme M. Afonso, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Irlande, représentée par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de MM. E. Fitzsimons, SC, et N. J. Travers, BL, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. J. Klučka, U. Lõhmus, Mme P. Lindh et M. A. Arabadjiev (rapporteur), juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 mars 2009,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en ne transposant pas correctement dans son ordre juridique interne l’article 13 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1), y compris son annexe I, et en exonérant de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») toutes les activités économiques exercées par l’État, les autorités locales et les autres organismes de droit public, avec certaines exceptions limitées, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2, 9 et 13 de cette directive.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

2        L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2006/112 [ex‑article 2 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»)] dispose:

 «Sont soumises à la TVA les opérations suivantes: 

a)       les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel;

[…]

c)       les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel;

[…]»

3        L’article 9 de la directive 2006/112 [ex‑article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive] énonce:

 «1.   Est considéré comme ‘assujetti’ quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.


 Est considérée comme ‘activité économique’ toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence.


 […]»

4        L’article 13 de la directive 2006/112 [ex‑article 4, paragraphe 5, de la sixième directive] prévoit:

 «1.    Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, même lorsque, à l’occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions.


 Toutefois, lorsqu’ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.


 En tout état de cause, les organismes de droit public ont la qualité d’assujettis pour les activités figurant à l’annexe I et dans la mesure où celles-ci ne sont pas négligeables.


 2.     Les États membres peuvent considérer comme activités de l’autorité publique les activités des organismes de droit public, lorsqu’elles sont exonérées en vertu des articles 132, 135, 136, 371, 374 à 377, de l’article 378, paragraphe 2, de l’article 379, paragraphe 2, et des articles 380 à 390.»

5        L’annexe I de la directive 2006/112 [ex‑annexe D de la sixième directive] contient une liste de treize activités, pour lesquelles les organismes de droit public ont en tout état de cause la qualité d’assujettis.

 La réglementation nationale

6        La section 8 (2A) des lois relatives à la taxe sur la valeur ajoutée de 1972 (Value-Added Tax Act 1972), telle que modifiée par la législation ultérieure, jusqu’à et y compris la loi de finances 2004 (Finance Act 2004) (ci-après la «loi irlandaise»), dispose:

«(a)  Le ministre peut, après les consultations qu’il jugera appropriées, décider par décret que l’État et les autorités locales ont la qualité d’assujettis pour certaines catégories de livraisons de biens ou de fournitures de services qu’ils effectuent, de sorte que, pendant toute la période de validité dudit décret et uniquement pendant cette période, l’État et les autorités locales seront redevables de la taxe grevant lesdites livraisons et fournitures, comme si elles avaient été effectuées dans le cadre d’une activité économique.

Lorsque des livraisons ou fournitures visées, sous réserve de la sous‑section (3E), au paragraphe (xxiii) de l’annexe 1 ou au paragraphe (viic) de l’annexe 6 sont effectuées par l’État ou par une autorité locale, un décret au sens de la présente sous‑section est réputé avoir été pris à l’égard desdites livraisons ou fournitures.

 (b)    Le ministre peut, par décret, modifier ou annuler tout décret au sens de la présente sous‑section, y compris les décrets au sens du présent paragraphe.


 (c)    Tout décret au sens de la présente sous‑section est soumis au Dáil Éireann [Parlement irlandais] le plus tôt possible après son adoption. Si le Dáil Éireann adopte une résolution annulant le décret dans les vingt et un jours de session qui suivent le dépôt dudit décret, celui‑ci est annulé en conséquence, sans préjudice de la validité des actes antérieurement accomplis en application du décret annulé.»

7        La section 8 (3E) de la loi irlandaise énonce:

«(a)  Nonobstant [certaines dispositions],

 un agent habilité des Revenue Commissioners [administration fiscale et douanière],

(I)      qui constate que cette fourniture de services a créé ou pourrait créer une distorsion de concurrence susceptible de porter préjudice à une entreprise commerciale qui est assujettie et fournit des services analogues, ou

(II) qui constate que ladite fourniture de services est gérée ou administrée par ou pour le compte d’une autre personne ayant un intérêt effectif, direct ou indirect, dans la fourniture de ces services,

 arrête une décision visant expressément tout ou partie des services fournis et stipulant:

(A)       que l’État, la personne ou l’autorité locale en question fournit les services visés dans la décision dans le cadre d’une activité économique,

(B)       que l’État, la personne ou l’autorité locale en question a la qualité d’assujetti pour la fourniture des services visés dans la décision, et

(C)       que la fourniture des services visés dans la décision constitue une opération imposable à laquelle s’applique le taux prévu à la section 11 (1) (d).

(b)       Lorsqu’une décision est arrêtée conformément au paragraphe (a), les Revenue Commissioners la notifient dans les plus brefs délais par écrit à la partie concernée, ladite décision prenant effet à la date indiquée dans la notification.

La décision prend effet au plus tôt au début de l’exercice d’imposition qui suit celui de la notification.

(c)       Lorsqu’un agent habilité constate que les circonstances qui ont motivé l’adoption d’une décision au sens du paragraphe (a) ont changé, il annule ladite décision et notifie cette annulation par écrit à la partie concernée. L’annulation prend effet au début de l’exercice d’imposition qui suit celui de la notification.

(d) Dans la présente sous-section, on entend par ‘agent habilité’, un agent des Revenue Commissioners habilité par eux par écrit, aux fins de la présente sous-section.»

 La procédure précontentieuse

8        À la suite d’une plainte dont elle a été saisie, la Commission a adressé, le 22 décembre 2004, une lettre de mise en demeure à l’Irlande, informant cette dernière que, en n’assujettissant pas à la TVA les autorités locales exploitant un parc de stationnement tandis que les exploitants privés exerçant cette activité sont tenus d’appliquer le taux normal de 21 %, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la sixième directive.

9        Dans sa lettre de mise en demeure, la Commission a rappelé que, en vertu de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive, les organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques. Ils sont en revanche assujettis pour les activités économiques (livraison de biens ou fournitures de services) qu’ils exercent autrement qu’en qualité d’autorités publiques.

10      De plus, ils doivent aussi être considérés comme des assujettis dans les cas où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance. Enfin, ces organismes ont la qualité d’assujettis pour les activités figurant à l’annexe D de la sixième directive dans la mesure où celles-ci ne sont pas négligeables. La Commission a estimé que la loi et les pratiques irlandaises ne soumettaient pas les organismes de droit public au régime d’assujettissement prévu à l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive.

11      L’Irlande a répondu par lettre du 21 avril 2005. Dans sa réponse, elle a soutenu que sa législation était conforme à ladite disposition. Elle a fait valoir que, en vertu de la Constitution irlandaise, les autorités locales ont des compétences limitées. Ces autorités ne pourraient, par exemple, exercer des activités commerciales en concurrence avec les opérateurs privés. Leurs compétences en matière de stationnement leur seraient conférées dans l’intérêt de la gestion du trafic. Plus généralement, les autorités locales n’agiraient qu’en vertu des compétences que leur confère la loi et, de ce fait, elles agiraient nécessairement en qualité d’organismes de droit public.

12      Le respect de l’article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la sixième directive serait assuré par le pouvoir du ministre des Finances de prendre un décret sur le fondement de la section 8 (2A) de la loi irlandaise. L’exercice de ce pouvoir étant soumis à un contrôle juridictionnel, les parties intéressées pourraient obtenir l’adoption d’un décret lorsque cela est nécessaire.

13      Pour ce qui concerne plus particulièrement la mise à disposition de parcs de stationnement par les autorités locales, l’Irlande a relevé qu’il n’existait aucun indice d’une distorsion significative de la concurrence résultant du non-assujettissement de ce service.

14      Le 4 juillet 2006, la Commission a adressé à l’Irlande un avis motivé réitérant les considérations développées dans la lettre de mise en demeure.

15      Dans sa réponse, l’Irlande a soutenu que l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive avait été intégralement et correctement transposé dans la législation irlandaise. Elle a ajouté que la Commission avait, dans son avis motivé, élargi le champ d’application de l’infraction présumée.

16      La Commission, considérant que la réponse audit avis motivé n’était pas satisfaisante, a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Sur la recevabilité du recours

17      L’Irlande conclut à l’irrecevabilité partielle du recours du fait de l’extension alléguée de la portée du recours par rapport à la portée des allégations contenues dans la lettre de mise en demeure et dans l’avis motivé.

18      Premièrement, alors que l’argumentation de la Commission aurait porté initialement sur le système irlandais d’assujettissement de l’offre de parcs de stationnement automobile fermés, cette argumentation aurait été étendue, dans la requête, à la mise en cause de l’ensemble du système de TVA irlandais appliqué aux organismes de droit public.

19      Deuxièmement, l’objet du recours aurait été également étendu du fait que celui-ci n’aurait visé initialement que les autorités locales, alors que la requête vise également le non-assujettissement de l’État lui-même.

20      Troisièmement, la Commission aurait, de façon inadmissible, modifié sa demande en avançant que la législation irlandaise ne contient aucune disposition générale prévoyant l’assujettissement des organismes de droit public pour les activités économiques qu’ils exercent en tant qu’autorités publiques, dans les cas où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.

21      Il convient de rappeler, à cet égard, que, selon une jurisprudence constante, la lettre de mise en demeure adressée par la Commission à l’État membre puis l’avis motivé émis par cette dernière délimitent l’objet du litige qui ne peut plus, dès lors, être étendu. En effet, la possibilité pour l’État membre concerné de présenter ses observations constitue, même s’il estime ne pas devoir en faire usage, une garantie essentielle voulue par le traité CE et son observation est une forme substantielle de la régularité de la procédure constatant un manquement d’un État membre (voir, notamment, arrêt du 9 novembre 1999, Commission/Italie, C-365/97, Rec. p. I-7773, point 23, et du 27 avril 2006, Commission/Allemagne, C-441/02, Rec. p. I-3449, point 59).

22      Par conséquent, l’avis motivé et le recours de la Commission doivent reposer sur les mêmes griefs que ceux de la lettre de mise en demeure qui engage la procédure précontentieuse. Dans la mesure où l’avis motivé et le recours doivent être fondés sur les mêmes motifs et moyens, la Cour ne peut pas examiner un grief qui n’a pas été formulé dans l’avis motivé et ce dernier doit contenir un exposé cohérent et détaillé des raisons ayant amené la Commission à la conviction que l’État membre intéressé a manqué à l’une des obligations qui lui incombent en vertu du traité (arrêt Commission/Allemagne, précité, point 60 et jurisprudence citée).

23      Cependant, il ne saurait être exigé en toute hypothèse une coïncidence parfaite entre l’énoncé des griefs dans la lettre de mise en demeure, le dispositif de l’avis motivé et les conclusions de la requête, dès lors que l’objet du litige n’a pas été étendu ou modifié (arrêt du 22 janvier 2009, Commission/Portugal, C-150/07, non encore publié au Recueil, point 21 et jurisprudence citée).

24      En l’occurrence, il convient de constater, tout d’abord, qu’il ressort de la lettre de mise en demeure et de l’avis motivé que la Commission a visé, en général, les activités exercées par les organismes de droit public dans sa requête, sans limiter celles-ci à l’offre de parcs de stationnement automobile fermés.

25      En effet, il ressort de la lettre de mise en demeure que cette dernière activité, qui faisait l’objet de la plainte déposée devant la Commission, a été mentionnée à titre d’exemple dans le cadre de l’examen préliminaire de la législation irlandaise. Sur la base de cet examen, la Commission a considéré, de façon générale, que le traitement en matière de TVA qui est appliqué en Irlande aux livraisons de biens et aux fournitures de services par les organismes de droit public est incompatible avec les dispositions de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive.

26      Il y a lieu, ensuite, de relever que la Commission a explicitement visé, dans la lettre de mise en demeure, les organismes de droit public. En outre, aux points 51 et 52 de l’avis motivé, la Commission a attiré l’attention de l’Irlande sur le fait que la réponse de cette dernière à la lettre de mise en demeure était muette s’agissant des activités des organismes de droit public autres que les autorités locales, en particulier celles de l’État, tout en soulignant que le contenu de la lettre de mise en demeure et de l’avis motivé concerne tous les organismes de droit public irlandais, y compris l’État.

27      Enfin, il convient de relever que le point 18 de la lettre de mise en demeure se réfère, de manière explicite, à l’absence de toute disposition générale qui régirait l’assujettissement des organismes de droit public lorsqu’ils exercent leurs activités en tant qu’autorité publique, dans le cas où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.

28      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les autorités irlandaises ont disposé de toutes les informations nécessaires pour leur permettre de faire valoir utilement leur argumentation en défense.

29      L’exception d’irrecevabilité doit donc être rejetée.

 Sur le fond

30      À l’appui de son recours, la Commission invoque, en substance, trois griefs tirés respectivement:

–        de l’absence de disposition générale prévoyant l’assujettissement des activités économiques exercées par les organismes de droit public en dehors du cadre de l’autorité publique,

–        de l’absence de disposition générale prévoyant l’assujettissement des organismes de droit public agissant en leur qualité d’autorité publique lorsque leur non-assujettissement est susceptible de donner lieu à des distorsions de concurrence d’une certaine importance, et

–        de l’absence de disposition générale prévoyant l’assujettissement des organismes de droit public exerçant les activités énumérées à l’annexe I de la directive 2006/112.

31      Il convient d’examiner successivement le bien-fondé de chacun de ces griefs.

Sur le premier grief, tiré de l’absence de disposition générale prévoyant l’assujettissement des activités économiques exercées par les organismes de droit public en dehors du cadre de l’autorité publique

–        Argumentation des parties

32      La Commission relève que, en vertu de l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2006/112, les organismes de droit public doivent être considérés comme des assujettis pour les activités économiques qu’ils n’exercent pas en tant qu’autorités publiques. Or, aucune disposition de la législation irlandaise en matière de TVA ne prévoirait un tel assujettissement. Au contraire, l’État et les autorités locales ne seraient généralement pas considérés comme des assujettis, sauf en cas d’adoption d’un décret ministériel visant une catégorie spécifique de biens ou de services.

33      À cet égard, la Commission rappelle que les organismes de droit public ne sont pas automatiquement exonérés pour toutes les activités qu’ils accomplissent, mais seulement pour celles qui relèvent de leur mission spécifique d’autorité publique (arrêt du 26 mars 1987, Commission/Pays-Bas, 235/85, Rec. p. 1471, point 21).

34      Le critère déterminant serait de savoir si l’organisme de droit public agit dans le cadre d’un régime juridique propre aux organismes de droit public. Lorsqu’il exerce une activité économique dans les mêmes conditions juridiques que les opérateurs économiques privés, il deviendrait un assujetti comme les autres (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 1989, Comune di Carpaneto Piacentino e.a., 231/87 et 129/88, Rec. p. 3233, point 16).

35      La Commission ajoute qu’un organisme de droit public agit en sa qualité d’autorité publique en particulier lorsque l’exercice de cette activité comporte l’usage de prérogatives de puissance publique (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2000, Fazenda Pública, C-446/98, Rec. p. I-11435, point 24).

36      L’Irlande rétorque que le régime institué par l’article 13 de la directive 2006/112 constitue un régime en vertu duquel la notion d’activité économique ne jouerait aucun rôle explicite et certainement pas un rôle central. L’accent serait davantage mis sur les «activités ou opérations» des autorités publiques. Cet article 13 ne saurait donc constituer une simple exception à interpréter restrictivement. En tant que limitation à l’application du régime juridique particulier, l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2006/112 ne devrait pas être interprété largement, comme le présuppose la thèse de la Commission.

37      En outre, l’Irlande rappelle que, en vertu de l’article 249 CE, les États membres ont l’obligation d’atteindre un résultat lors de la transposition des directives en droit national, mais chaque État membre est libre de choisir la forme et les moyens appropriés en vue d’atteindre ce résultat. L’Irlande n’était donc pas tenue de transposer la directive 2006/112 sous une forme particulière sous réserve que le résultat approprié soit atteint.

38      À cet égard, l’Irlande fait valoir qu’il ressort clairement de l’article 28 A, paragraphe 2, de la Constitution irlandaise et, plus particulièrement, des dispositions de la loi de 2001 sur l’administration locale (Local Government Act 2001) que, dans la mesure où elles exercent des activités, les autorités locales ne le font en Irlande que conformément aux compétences qui leur sont conférées en vertu du régime juridique spécifique qui leur est applicable du fait de la loi et comporte l’usage de prérogatives de puissance publique, conformément à la jurisprudence de la Cour.

–        Appréciation de la Cour

39      Il ressort de l’économie et de la finalité de la directive 2006/112, ainsi que de la place de l’article 13 de cette directive dans le système commun de TVA établi par la sixième directive, que toute activité de nature économique est, en principe, imposable. Sont soumises à la TVA, en règle générale et conformément à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2006/112, les prestations de services effectuées à titre onéreux, y compris celles effectuées par les organismes de droit public. Les articles 9 et 13 de la directive 2006/112 assignent ainsi un champ d’application très large à la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 16 septembre 2008, Isle of Wight Council e.a., C-288/07, non encore publié au Recueil, points 25 à 28 et 38).

40      Dès lors que sont seules visées par l’article 13 de la directive 2006/112 les activités ayant un caractère économique (arrêt Isle of Wight Council e.a., précité, point 29 et jurisprudence citée), il ne peut être considéré, ainsi que le fait valoir l’Irlande, que cet article prévoit un régime en vertu duquel la notion d’activité économique ne joue ni un rôle central ni même un rôle explicite.

41      Ainsi, ce n’est que par dérogation à la règle générale rappelée au point 39 du présent arrêt que certaines activités de nature économique ne sont pas soumises à la TVA. Une telle dérogation est prévue à l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2006/112, en vertu duquel les activités accomplies par un organisme de droit public agissant en qualité d’autorité publique ne sont pas soumises à cette taxe (voir, en ce sens, arrêt Isle of Wight Council e.a., précité, point 30). Ainsi que la Cour l’a jugé à maintes reprises, deux conditions doivent être remplies cumulativement pour que cette disposition soit applicable, à savoir l’exercice d’activités par un organisme de droit public et l’exercice d’activités accomplies en tant qu’autorité publique (arrêt Isle of Wight Council e.a., précité, point 19 et jurisprudence citée).

42      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que l’argument de l’Irlande selon lequel, d’une part, l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2006/112 doit être interprété de façon extensive et, d’autre part, le deuxième alinéa de cette disposition doit l’être de façon restrictive repose sur la prémisse erronée que les organismes de droit public ne sont, en principe, pas assujettis à la TVA. En tant que dérogation au principe de l’assujettissement de toute activité de nature économique, l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2006/112 doit faire l’objet d’une interprétation stricte.

43      Ainsi qu’il découle des points 39 à 41 du présent arrêt, l’application correcte des articles 2, 9 et 13 de la directive 2006/112, destinée à assurer la mise en œuvre effective de cette dernière, requiert que les organismes de droit public soient, en principe, soumis à la TVA pour les activités économiques qu’ils n’exercent pas en tant qu’autorités publiques.

44      Il convient, à cet égard, de rappeler que la transposition en droit interne des normes communautaires n’exige pas nécessairement une reprise formelle et textuelle de leur contenu dans une disposition expresse et spécifique et qu’elle peut se satisfaire d’un contexte juridique général, à condition que celui-ci assure effectivement la pleine application de la directive d’une façon suffisamment claire et précise (arrêt du 28 février 1991, Commission/Italie, C-360/87, Rec. p. I-791, point 7 et jurisprudence citée).

45      En outre, afin de garantir la pleine application des directives, en droit et non seulement en fait, les États membres doivent prévoir un cadre légal précis dans le domaine concerné (arrêt du 27 novembre 2003, Commission/France, C-429/01, Rec. p. I-14355, point 40 et jurisprudence citée).

46      Or, force est de constater que la législation irlandaise en matière de TVA ne satisfait pas à ces exigences.

47      En effet, il est constant qu’aucune disposition de la législation irlandaise en matière de TVA ne prévoit que les organismes de droit public devraient être considérés comme des assujettis pour les activités économiques qu’ils n’exercent pas en tant qu’autorités publiques. Il en découle que les activités exercées par les autorités publiques irlandaises ne sont, en principe, pas considérées comme étant imposables.

48      Une interprétation de l’article 13 de la directive 2006/112 telle que celle proposée par l’Irlande aboutit donc, en l’absence d’une disposition expresse prévoyant l’assujettissement des organismes de droit public pour les activités économiques qu’ils n’exercent pas en tant qu’autorités publiques, à un résultat contraire à la règle générale qui découle des articles 2, 9 et 13 de ladite directive, selon laquelle les prestations de services effectuées à titre onéreux, y compris celles effectuées par les organismes de droit public, sont, en principe, soumises à la TVA.

49      Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument de l’Irlande selon lequel, dans la mesure où les autorités locales irlandaises exercent des activités économiques, elles ne le font que conformément aux compétences qui leur sont conférées en vertu du régime juridique spécifique qui leur est applicable du fait de la loi. En effet, outre la circonstance que cet argument ne concerne que les activités exercées par les autorités locales, et non celles exercées par l’État, il convient de relever que les organismes de droit public agissent en qualité d’autorités publiques lorsqu’ils accomplissent une activité qui, tout en étant de nature économique, est étroitement liée à l’usage de prérogatives de puissance publique (arrêt Isle of Wight Council e.a., précité, point 31). En outre, le simple fait qu’un organisme de droit public agisse dans le cadre d’un régime juridique propre et conformément aux compétences que lui confère la loi ne signifie pas que l’exercice de ses activités comporte nécessairement l’usage de prérogatives de puissance publique.

50      Il résulte de ce qui précède que, en ne prévoyant pas, dans la réglementation nationale, de disposition générale selon laquelle sont soumises à la TVA les activités économiques exercées par les organismes de droit public en dehors du cadre de l’autorité publique, l’Irlande ne permet pas de garantir effectivement l’application correcte des articles 2, 9 et 13 de la directive 2006/112 à l’égard desdites activités.

51      Dans ces conditions, le premier grief doit être accueilli.

Sur le deuxième grief, tiré de l’absence de disposition générale prévoyant l’assujettissement des organismes de droit public agissant en leur qualité d’autorité publique lorsque leur non-assujettissement est susceptible de donner lieu à des distorsions de concurrence d’une certaine importance

–        Argumentation des parties

52      La Commission relève que, en vertu de l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2006/112, les organismes de droit public doivent être considérés comme des assujettis pour les activités économiques qu’ils exercent en tant qu’autorités publiques, dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance. Or, aucune disposition générale de la législation irlandaise en matière de TVA ne prévoirait un tel assujettissement.

53      Selon la Commission, à l’exception de l’unique mécanisme général d’imposition existant, qui s’applique au cas de la mise à disposition d’infrastructures sportives, lorsqu’un fonctionnaire du ministère des Finances établit qu’il y a une distorsion de concurrence, l’État et les autorités locales ne seraient considérés comme des assujettis que dans le cas où un décret ministériel visant une catégorie spécifique de biens ou de services est expressément adopté dans ce sens.

54      Ainsi, la section 8 (2A) de la loi irlandaise conférerait simplement une compétence au ministre des Finances sans pour autant contenir aucune indication des critères sur la base desquels cette compétence doit être exercée. Dès lors, la loi irlandaise n’adopterait pas les critères énoncés dans la directive 2006/112, laissant ainsi toute liberté audit ministre.

55      L’Irlande rétorque que la section 8 (2A) de la loi irlandaise fixe bel et bien les critères que le ministre des Finances doit appliquer. D’une part, ce dernier pourrait prendre un décret en vertu de cette disposition à la suite des consultations qu’il estime appropriées. Cette procédure de consultation permettrait à d’autres entreprises privées, considérant qu’il existe une distorsion de concurrence sur les marchés sur lesquels elles opèrent en raison de la non-imposition de certaines activités d’autorités publiques, de faire une réclamation auprès de ce ministre et d’obtenir l’adoption d’un décret en vertu de cette disposition. D’autre part, lorsqu’il examine s’il convient d’adopter un tel décret, ledit ministre serait lié par les prescriptions de la directive 2006/112, ainsi qu’il serait soumis au contrôle juridictionnel, à la lumière, tout particulièrement, de l’arrêt du 8 juin 2006, Feuerbestattungsverein Halle (C-430/04, Rec. p. I-4999), qui reconnaîtrait l’effet direct de l’article 13 de ladite directive.

–        Appréciation de la Cour

56      Il convient de rappeler que l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2006/112, en prévoyant à l’égard des organismes de droit public une dérogation au non-assujettissement à la TVA pour les activités ou les opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, vise à restaurer la règle générale, énoncée aux articles 2, paragraphe 1, et 9 de cette directive, selon laquelle toute activité de nature économique est, en principe, soumise à la TVA (voir, en ce sens, arrêts Isle of Wight Council e.a., précité, point 38, ainsi que du 4 juin 2009, SALIX Grundstücks-Vermietungsgesellschaft, C-102/08, non encore publié au Recueil, point 67).

57      En conséquence, l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2006/112 ne saurait recevoir une interprétation étroite (voir, en ce sens, arrêts précités Isle of Wight Council e.a., point 60, ainsi que SALIX Grundstücks-Vermietungsgesellschaft, point 68).

58      Un organisme de droit public agissant en sa qualité d’autorité publique doit être considéré comme assujetti lorsque son non-assujettissement est susceptible de donner lieu à des distorsions de concurrence d’une certaine importance. Est ainsi envisagé le cas d’organismes de droit public exerçant des activités qui peuvent l’être aussi, concurremment, par des opérateurs économiques privés. L’objectif est de garantir que ces derniers ne soient pas désavantagés du fait qu’ils sont taxés alors que les organismes de droit public ne le sont pas (voir, en ce sens, arrêt Comune di Carpaneto Piacentino e.a., précité, point 22).

59      À cet égard, il convient de rappeler que les États membres sont libres de choisir, parmi les différents moyens permettant d’atteindre les résultats fixés par l’article 13, paragraphe 1, deuxième et troisième alinéas, de la directive 2006/112, de confier à une autorité administrative, telle que le ministre des Finances, le soin de préciser dans quelles situations une activité exercée par un organisme de droit public peut être considérée comme entraînant des distorsions de concurrence d’une certaine importance ou comme ayant un caractère négligeable et d’appliquer ces critères aux cas concrets, à condition que ses décisions d’application puissent être soumises au contrôle des juridictions nationales (voir, en ce sens, arrêt Fazenda Pública, précité, point 32).

60      Il est particulièrement important, afin que soit satisfaite l’exigence de sécurité juridique, que, dans le cas où cette directive viserait à créer des droits pour les particuliers, les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits et de s’en prévaloir, le cas échéant, devant les juridictions nationales (voir arrêts du 15 novembre 2001, Commission/Italie, C-49/00, Rec. p. I-8575, point 49, et SALIX Grundstücks-Vermietungsgesellschaft, précité, point 41).

61      En effet, chaque État membre est tenu de donner aux directives une exécution qui répond pleinement aux exigences de clarté et de certitude des situations juridiques imposées par le législateur communautaire, dans l’intérêt des personnes concernées établies dans les États membres. À cette fin, les dispositions d’une directive doivent être mises en œuvre avec une force contraignante incontestable, ainsi qu’avec la spécificité, la précision et la clarté requises (arrêts du 18 octobre 2001, Commission/Irlande, C-354/99, Rec. p. I‑7657, point 27 et jurisprudence citée, ainsi que SALIX Grundstücks-Vermietungsgesellschaft, précité, point 42).

62      En l’occurrence, il y a lieu de constater que la législation irlandaise en matière de TVA ne contient aucune disposition générale prévoyant l’assujettissement des organismes de droit public pour les activités économiques qu’ils exercent en tant qu’autorités publiques, dans les cas où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.

63      En outre, conformément à la section 8 (2A) de la loi irlandaise, le ministre des Finances dispose d’une grande marge d’appréciation pour déterminer, par voie de décret, les livraisons ou fournitures pour lesquelles les organismes de droit public doivent être considérés comme assujettis.

64      Il y a lieu de considérer que l’Irlande laisse au ministre des Finances le pouvoir d’appliquer de manière discrétionnaire les dispositions de la section 8 (2A) de la loi irlandaise. En effet, la législation irlandaise en matière de TVA ne précise pas, contrairement aux exigences rappelées aux points 60 et 61 du présent arrêt, dans quelles situations une activité exercée par un organisme de droit public peut être considérée comme entraînant des distorsions de concurrence d’une certaine importance ou comme ayant un caractère négligeable et ne reprend pas, dans une norme ayant un caractère contraignant, les critères permettant au ministre des Finances d’appliquer une telle norme aux cas concrets.

65      Ne saurait, dès lors, être admis l’argument de l’Irlande selon lequel le ministre des Finances ne devrait pas être soumis à une telle norme, ce dernier ayant une connaissance précise de ce qu’il convient de considérer comme une activité économique et n’exerçant, en tout état de cause, son pouvoir discrétionnaire que dans le respect du droit communautaire.

66      En effet, une telle interprétation ne permet pas d’assurer le respect du principe de sécurité juridique, en vertu duquel la législation communautaire doit être certaine et son application prévisible pour les justiciables (voir, notamment, arrêt Isle of Wight Council e.a., précité, points 47 et 48).

67      En l’absence de toute norme à caractère contraignant prévoyant les critères sur la base desquels la compétence du ministre des Finances doit être exercée, ni les organismes de droit public ni les opérateurs privés ne sont en mesure de prévoir avec la certitude requise pour conduire leurs affaires si l’exploitation par les organismes de droit public d’une activité économique sera ou non soumise à la TVA. Cette situation risquerait donc de compromettre le principe de sécurité juridique (voir, en ce sens, arrêt Isle of Wight Council e.a., précité points 51 et 52).

68      Il résulte de ce qui précède que, en ne prévoyant, dans la réglementation nationale, ni une disposition générale selon laquelle sont soumis à la TVA les organismes de droit public agissant en leur qualité d’autorité publique lorsque leur non-assujettissement est susceptible de donner lieu à des distorsions de concurrence d’une certaine importance ni aucun critère permettant d’encadrer à cet égard le pouvoir d’appréciation du ministre des Finances, l’Irlande ne permet pas de garantir effectivement l’application correcte des articles 2, 9 et 13 de la directive 2006/112 à l’égard desdits organismes.

69      Par conséquent, le deuxième grief doit être accueilli.

Sur le troisième grief, tiré de l’absence de disposition générale prévoyant l’assujettissement des organismes de droit public exerçant les activités énumérées à l’annexe I de la directive 2006/112

–        Argumentation des parties

70      La Commission souligne que l’annexe I de la directive 2006/112 énumère une série d’activités pour lesquelles les organismes de droit public ont en tout état de cause la qualité d’assujettis, alors qu’aucune disposition de la législation irlandaise en matière de TVA ne prévoirait un tel assujettissement. Seules les opérations de l’organisme d’intervention agricole irlandais seraient imposées, en vertu d’un décret pris en 2001 sur le fondement de la section 8 (2A) de la loi irlandaise.

71      L’Irlande fait valoir que la plupart des activités énumérées à l’annexe I de la directive 2006/112 seraient en général exonérées ou exonérables, en vertu d’autres dispositions de cette directive, notamment de l’annexe X de celle-ci. Il serait donc peu probable, compte tenu de la faible fréquence à laquelle les autorités locales irlandaises exercent ces activités, que l’absence d’une disposition expresse rendant ces activités imposables, sauf lorsqu’elles seraient exercées à une échelle tellement modeste qu’elles sont négligeables, ait des effets pratiques.

–        Appréciation de la Cour

72      L’article 13, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 2006/112 dispose que les organismes de droit public ont, dans tous les cas, la qualité d’assujettis pour les activités énumérées à l’annexe I de cette directive, à moins que celles-ci ne soient négligeables. Il est en effet présumé que le non-assujettissement de ces activités, dès lors qu’elles peuvent être exercées, selon les législations nationales, par des opérateurs publics ou privés, entraînerait une distorsion de concurrence (vo