C-186/07 - Club NĂ¡utico de Gran Canaria

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ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

16 avril 2008 (*)

«Demande de décision préjudicielle – Sixième directive TVA – Exonérations – Prestations ayant un lien avec la pratique du sport ou de l’éducation physique – Application aux îles Canaries – Situation purement interne – Renvoi – Irrecevabilité manifeste de la demande de décision préjudicielle»

Dans l’affaire C‑186/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Tribunal Superior de Justicia de Canarias (Espagne), par décision du 26 novembre 2006, parvenue à la Cour le 2 avril 2007, dans la procédure

Club Náutico de Gran Canaria

contre

Comunidad Autónoma de Canarias,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. M. G. Arestis, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta et M. T. von Danwitz (rapporteur), juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: M. R. Grass,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur les effets pouvant résulter, en ce qui concerne l’Impuesto general indirecto canario (l’impôt général indirect canarien, ci-après l’«IGIC»), de l’intervention de l’arrêt du 7 mai 1998, Commission/Espagne (C‑124/96, Rec. p. I‑2501), par lequel la Cour a constaté que, en disposant que l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») en faveur des prestations ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique ne s’applique qu’aux établissements privés dont les droits d’entrée ou les cotisations périodiques n’excèdent pas un certain montant, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 13, A, paragraphe 1, sous m), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Club Náutico de Gran Canaria (ci-après le «Club») à la Comunidad Autónoma de Canarias au sujet du refus de cette dernière de lui rembourser une partie des montants acquittés au titre de l’IGIC pour la période comprise entre le deuxième trimestre de l’année 1993 et le deuxième trimestre de l’année 1998.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        L’article 299, paragraphe 2, premier et deuxième alinéas, CE est libellé comme suit :

«Les dispositions du [traité CE] sont applicables aux départements français d’outre-mer, aux Açores, à Madère et aux îles Canaries.

Toutefois, compte tenu de la situation économique et sociale structurelle des départements français d’outre-mer, des Açores, de Madère et des îles Canaries, […], le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, arrête des mesures spécifiques visant, en particulier, à fixer les conditions de l’application du présent traité à ces régions, y compris les politiques communes.» 

4        L’article 4, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1911/91 du Conseil, du 26 juin 1991, relatif à l’application des dispositions du droit communautaire aux îles Canaries (JO L 171, p. 1), prévoit:

«Conformément à l’article 26 en liaison avec l’annexe I chapitre V point 2 de l’acte d’adhésion modifiant l’article 3 paragraphe 2 de la sixième directive [...], le territoire des îles Canaries demeure hors du champ d’application du système commun de la TVA.»

5        L’article 1er, point 1, de la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l’abolition des frontières fiscales, la directive 77/388 (JO L 376, p. 1), a remplacé l’article 3 de la sixième directive, le nouveau libellé de cet article étant le suivant:

«1.      Au sens de la présente directive, on entend par:

–        ‘territoire d’un État membre’: l’intérieur du pays, tel qu’il est défini, pour chaque État membre, aux paragraphes 2 et 3,

[…]

–        ‘territoire tiers’ et ‘pays tiers’: tout territoire autre que ceux définis aux paragraphes 2 et 3 comme l’intérieur d’un État membre.

2.      Aux fins de l’application de la présente directive, l’ ‘intérieur du pays’ correspond au champ d’application du traité instituant la Communauté économique européenne, tel qu’il est défini, pour chaque État membre, à l’article 227.

3.      Sont exclus de l’intérieur du pays, les territoires nationaux suivants:

[…]

Sont également exclus de l’intérieur du pays, les territoires nationaux suivants:

–        [R]oyaume d’Espagne:

Îles Canaries,

[…]»

6        L’article 13, A, paragraphe 1, de la sixième directive permet aux États membres d’accorder certaines exonérations. Cette disposition, sous m), qui concerne l’exonération en cause dans l’arrêt Commission/Espagne, précité, énonce:

«Article 13

Exonérations à l’intérieur du pays

A.      Exonérations en faveur de certaines activités d’intérêt général      

1.      Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:

[…]

m)      certaines prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique, fournies par des organismes sans but lucratif aux personnes qui pratiquent le sport ou l’éducation physique;

[…]»

 La réglementation nationale

7        L’article 3, paragraphe 2, de la loi 37/1992, relative à la taxe sur la valeur ajoutée (Ley 37/1992 del Impuesto sobre el Valor añadido), du 28 décembre 1992 (BOE n° 312, du 29 décembre 1992, p. 44247), est libellé comme suit:

«Aux fins de la présente loi, on entend par:

1°      ‘État membre’, ‘territoire d’un État membre’ ou ‘intérieur du pays’, le champ d’application du traité instituant la Communauté économique européenne qui est défini dans celui-ci, pour chaque État membre, avec les exclusions suivantes:

[…]

b)      Dans le [R]oyaume d’Espagne, les îles Canaries; […]

[…]

3°      ‘Territoires tiers’ et ‘pays tiers’, tout territoire autre que ceux définis comme étant l’ ‘intérieur du pays’ au paragraphe 1 qui précède»

8        L’article 20, paragraphe 1, point 13, de la loi 37/1992 prévoit que sont exonérés de la TVA:

«Les services fournis par des entités de droit public, des fédérations sportives ou des entités ou établissements sportifs privés à caractère social à ceux qui pratiquent le sport ou l’éducation physique, quelle que soit la personne ou l’entité à charge de laquelle la prestation est effectuée, pourvu que ces services présentent un lien direct avec ces pratiques et que les droits de ceux-ci n’excèdent pas les montants suivants:

Droits d’entrée ou d’accès: 240 000 pesetas.

Cotisations périodiques: 3 600 pesetas par mois.

L’exonération ne s’étend pas aux spectacles sportifs.»

9        La loi 20/1991, modifiant les aspects fiscaux du régime économique et fiscal des Canaries (Ley 20/1991 de modificación de los aspectos fiscales del Régimen Económico Fiscal de Canarias), du 7 juin 1991 (BOE n° 137, du 8 juin 1991, p. 18795), dispose à son article 3, paragraphe 1:

«Seront soumises à l’[IGIC] les fournitures de biens et les prestations de services réalisées aux îles Canaries ainsi que les importations de biens sur ce territoire.»

10      L’article 10, paragraphe 1, point 13, de la loi 20/1991 prévoit que sont exonérés de l’IGIC:

«Les services fournis par des entités de droit public, des fédérations sportives ou des entités ou établissements sportifs privés à caractère social à ceux qui pratiquent le sport ou l’éducation physique, quelle que soit la personne ou l’entité à charge de laquelle la prestations est effectuée, pourvu que ces services présentent un lien direct avec ces pratiques et que les droits de ceux-ci n’excèdent pas les montants suivants:

Droits d’entrée ou d’accès: 200 000 pesetas.

Cotisations périodiques: 3 000 pesetas par mois.

Ces montants pourront être modifiés chaque année par la loi relative au budget général de l’État.»

11      Ayant pour objectif, selon le point II de son exposé des motifs, l’adaptation de la réglementation relative à la TVA, la loi 50/1998, portant mesures fiscales, administratives et sociales (Ley 50/1998 de Medidas Fiscales, Administrativas y del Orden Social), du 30 décembre 1998 (BOE n° 313, du 31 décembre 1998, p. 44412), a modifié les lois 37/1992 et 20/1991. Les articles 4, paragraphe 2, et 7 de la loi 50/1998 ont ainsi donné un libellé identique respectivement à l’article 20, paragraphe 1, point 13, de la loi 37/1992 et à l’article 10, paragraphe 1, point 13, de la loi 20/1991, lesquels prévoient une exonération pour:

«[…]

Les services fournis à des personnes physiques pratiquant le sport ou l’éducation physique, quelle que soit la personne ou l’entité à charge de laquelle cette prestation est effectuée, pourvu que ces services présentent un lien direct avec ces pratiques et soient fournis par les personnes ou entités suivantes:

a)      Entités de droit public.

b)      Fédérations sportives.

c)      Comité olympique espagnol.

d)      Comité paraolympique espagnol.

e)      Entités ou établissements sportifs privés à caractère social.

L’exonération ne s’étend pas aux spectacles sportifs.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

12      Le Club, qui est le requérant au principal, fournit des services ayant un lien étroit avec le sport. Il perçoit des droits d’entrée supérieurs à ceux fixés par la loi 20/1991, dans sa version en vigueur avant le 1er janvier 1999. Il réclame le remboursement de l’IGIC versé avant cette date en se fondant sur l’arrêt Commission/Espagne, précité.

13      Le Consejero de Economía y Hacienda (Conseil de l’économie et des finances) du gouvernement des Canaries ayant rejeté ladite demande de remboursement, le Club a saisi le Tribunal Superior de Justicia de Canarias d’un recours contentieux. Cette juridiction ayant fait droit au recours du Club, le gouvernement des Canaries a introduit un recours dans l’intérêt de la loi devant le Tribunal Constitucional, lequel a annulé l’arrêt attaqué et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal Superior de Justicia de Canarias.

14      Dans son arrêt du 19 juin 2006, le Tribunal Constitucional a notamment constaté que «[…] [l]e fait que [le] contenu matériel [de la loi 20/1991] soit identique [à celui de la loi 37/1992] traduit uniquement la liberté d’élaboration dont jouit le législateur, qui, même lorsqu’il opère dans un cadre d’action différent, peut choisir d’adopter là où il dispose d’une marge de manœuvre (sur le territoire des Canaries) la même réglementation que celle adoptée là où il ne dispose pas de cette marge (sur le territoire de la Péninsule) [...]».

15      La juridiction de renvoi part du fait que le territoire des îles Canaries ne relève pas du champ d’application du système commun de la TVA. Cependant, selon cette juridiction, cette constatation ne signifie pas que les effets de l’arrêt Commission/Espagne, précité, ne concernent pas une réglementation nationale lorsque celle-ci coïncide exactement avec une disposition nationale transposant la réglementation communautaire en matière de TVA ayant fait l’objet dudit arrêt.

16      Dans ces conditions, le Tribunal Superior de Justicia de Canarias a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«[Quels sont] les effets de [l’]arrêt Commission/Espagne, précité […] à propos de l’article 10, paragraphe 1, point 13, de la loi 20/1991[?]»

 Sur la recevabilité de la question préjudicielle 

17      Aux termes de l’article 92, paragraphe 1, de son règlement de procédure, applicable au renvoi préjudiciel en vertu de l’article 103, paragraphe 1, du même règlement, lorsque la Cour est manifestement incompétente pour connaître d’une requête ou lorsque celle-ci est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

18      En l’occurrence, il est constant que les faits du litige au principal se situent en dehors du champ d’application du droit communautaire, le régime de l’IGIC, en vigueur aux îles Canaries, ne relevant du champ d’application de la sixième directive ni ratione loci ni ratione materiæ. En effet, d’une part, le territoire des îles Canaries demeure hors du champ d’application du système commun de la TVA, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 1911/91 et, d’autre part, ainsi que l’a notamment observé la Comunidad Autónoma de Canarias, l’IGIC constitue une taxe d’une nature autre que la TVA.

19      À cet égard, il importe de rappeler que le rejet d’une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît que la procédure prévue à l’article 234 CE a été détournée de son objet et tend, en réalité, à amener la Cour à statuer par le biais d’un litige construit ou s’il est manifeste que le droit communautaire ne saurait trouver à s’appliquer, ni directement ni indirectement, aux circonstances de l’espèce. En application de cette jurisprudence, la Cour s’est à maintes reprises déclarée compétente pour statuer sur les demandes préjudicielles portant sur des dispositions communautaires dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situaient en dehors du champ d’application du droit communautaire, mais dans lesquelles lesdites dispositions de ce droit avaient été rendues applicables soit par le droit national, soit en vertu de simples dispositions contractuelles (voir, notamment, arrêts du 17 juillet 1997, Leur-Bloem, C‑28/95, Rec. p. I‑4161, points 26 et 27, et Giloy, C‑130/95, Rec. p. I‑4291, points 22 et 23, ainsi que ordonnance du 26 avril 2002, VIS Farmaceutici Istituto scientifico delle Venezie, C‑454/00, point 21). En l’espèce, la Cour ne saurait être compétente que dans l’hypothèse où la loi 20/1991 opérerait un renvoi au droit communautaire, à savoir la sixième directive.

20      Dans la décision de renvoi, il n’est fait état d’aucun élément permettant de conclure à l’existence d’un tel renvoi au droit communautaire, plus précisément à l’article 13, A, paragraphe 1, sous m), de la sixième directive. De même, dans leurs observations, le Club, la Comunidad Autónoma de Canarias et le gouvernement espagnol ont souligné, en se référant à l’arrêt du Tribunal Constitucional du 19 juin 2006, le caractère autonome de la loi 20/1991.

21      En outre, il résulte de la nature de l’article 13, A, paragraphe 1, sous m), de la sixième directive, en tant que norme habilitant les États membres à prévoir des exonérations en faveur de certaines activités d’intérêt général, que l’article 10, paragraphe 1, point 13, de la loi 20/1991, en accordant une telle exonération aux prestations sportives, ne saurait être considéré comme une reproduction fidèle de ladite disposition communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 1995, Kleinwort Benson, C-346/93, Rec. p. I-615, points 16 à 19).

22      En effet, il n’apparaît pas que la réglementation nationale régissant l’affaire au principal, à savoir la loi 20/1991, opère un quelconque renvoi à la sixième directive par lequel celle-ci serait rendue applicable dans l’ordre juridique espagnol au-delà de son champ d’application territorial et matériel (voir, par analogie, ordonnance VIS Farmaceutici Istituto scientifico delle Venezie, précitée, point 22).

23      Dans ces conditions, il y a lieu de constater, en application des articles 92, paragraphe 1, et 103, paragraphe 1, du règlement de procédure, que la demande de décision préjudicielle présentée par le Tribunal Superior de Justicia de Canarias est manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

24      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit:

La demande de décision préjudicielle présentée par le Tribunal Superior de Justicia de Canarias, par décision du 26 novembre 2006, est irrecevable.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.