C-154/08 - Commission / Espagne

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ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

12 novembre 2009 (*)

«Manquement d’État − Sixième directive TVA− Articles 2 et 4, paragraphes 1, 2 et 5 − Harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires − Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme − Assujettis − Activités ou opérations accomplies par les ‘registradores de la propiedad’ en tant que liquidateurs titulaires des bureaux de liquidation de district hypothécaire − Activités économiques − Activité exercée de façon indépendante − Organismes de droit public effectuant des activités dans le cadre de l’exercice de fonctions publiques − Violation du droit communautaire imputable à une juridiction nationale»

Dans l’affaire C‑154/08,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 15 avril 2008,

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme M. Afonso et M. F. Jimeno Fernández, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume d’Espagne, représenté par M. J. M. Rodríguez Cárcamo, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. A. Rosas, U. Lõhmus, A. Ó Caoimh (rapporteur) et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: Mme Ramona Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 juin 2009,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en considérant que les services fournis à une Communauté autonome par les «registradores de la propiedad» en qualité de liquidateurs titulaires d’un bureau de liquidation de district hypothécaire («oficina liquidadora de distrito hipotecario», ci-après le «bureau de liquidation») ne sont pas soumis à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»), le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

 La sixième directive

2        L’article 2 de la sixième directive est libellé comme suit:

«Sont soumises à la [TVA]:

1.      les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;

2.      les importations de biens.»

3        Les îles Canaries sont, en vertu de l’article 3, paragraphes 2 et 3, de la sixième directive, exclues du champ d’application de celle-ci.

4        Aux termes de l’article 4 de la sixième directive:

«1.      Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

2.      Les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.

[…]

4.      Le terme ‘d’une façon indépendante’ utilisé au paragraphe 1 exclut de la taxation les salariés et autres personnes dans la mesure où ils sont liés à leur employeur par un contrat de louage de travail ou par tout autre rapport juridique créant des liens de subordination en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération et la responsabilité de l’employeur.

[…]

5.      Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, même lorsque, à l’occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions.

Toutefois, lorsqu’ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.

[…]»

5        L’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive définit une prestation de services comme étant toute opération qui ne constitue pas une livraison d’un bien au sens de son article 5. Cette opération peut consister entre autres en l’exécution d’un service en vertu d’une réquisition faite par l’autorité publique ou en son nom ou aux termes de la loi.

 Le règlement (CEE, Euratom) n° 1553/89

6        Conformément à l’article 2, paragraphe 1, du règlement (CEE, Euratom) n° 1553/89 du Conseil, du 29 mai 1989, concernant le régime uniforme définitif de perception des ressources propres provenant de la taxe sur la valeur ajoutée (JO L 155, p. 9):

«La base des ressources TVA est déterminée à partir des opérations imposables visées à l’article 2 de la [sixième] directive […], à l’exception des opérations exonérées conformément aux articles 13 à 16 de ladite directive.»

 Le règlement (CE, Euratom) n° 1150/2000

7        L’article 9, paragraphe 1, du règlement (CE, Euratom) n° 1150/2000 du Conseil, du 22 mai 2000, portant application de la décision 94/728/CE, Euratom relative au système des ressources propres des Communautés (JO L 130, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE, Euratom) n° 2028/2004 du Conseil, du 16 novembre 2004 (JO L 352, p. 1, ci-après le «règlement n° 1150/2000»), est libellé comme suit:

«Selon les modalités définies à l’article 10, chaque État membre inscrit les ressources propres au crédit du compte ouvert à cet effet au nom de la Commission auprès de son trésor ou de l’organisme qu’il a désigné.»

[…]

8        L’article 11, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1150/2000 dispose:

«1.      Tout retard dans les inscriptions au compte visé à l’article 9, paragraphe 1, donne lieu au paiement, par l’État membre concerné, d’intérêts de retard.

2.      Pour les États membres faisant partie de l’Union économique et monétaire, le taux d’intérêt est égal au taux du premier jour du mois de l’échéance, appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations de refinancement, tel que publié au Journal officiel de l’Union européenne, série C, majoré de deux points.

Ce taux est augmenté de 0,25 point par mois de retard et est applicable à toute la période du retard.»

 Le cadre réglementaire et judiciaire national

 La Constitution espagnole

9        Les articles 156 et 157 de la Constitution espagnole de 1978 sont libellés comme suit:

«Article 156.

1.      Les Communautés autonomes jouiront de l’autonomie financière pour développer et exercer leurs compétences, conformément aux principes de coordination avec les finances de l’État et de solidarité entre tous les Espagnols.

2.      Les Communautés autonomes pourront agir comme délégués ou collaborateurs de l’État pour le recouvrement, la gestion et la liquidation de ses ressources fiscales, conformément aux lois et aux statuts.

Article 157.

1.      Les ressources des Communautés autonomes seront constituées par:

a)      Les impôts cédés totalement ou partiellement par l’État; les surtaxes sur les impôts de l’État et autres participations aux recettes de celui-ci.

b)      Leurs propres impôts, taxes et contributions spéciales.

[…]

3.      Une loi organique pourra réglementer l’exercice des compétences financières énumérées au paragraphe 1, les normes visant à résoudre les conflits qui pourraient surgir et les possibilités de collaboration financière entre les Communautés autonomes et l’État.»

 La loi organique 8/1980

10      La loi organique 8/1980, du 22 septembre 1980, relative au financement des Communautés autonomes (BOE n° 236, du 1er octobre 1980, p. 21796, ci‑après la «LOFCA»), met en application l’article 157 de la Constitution espagnole.

11      L’article 10 de la LOFCA définit les impôts cédés comme étant «les impôts établis et réglementés par l’État, dont le produit revient aux Communautés autonomes».

12      L’article 19 de la LOFCA, telle que modifiée par la loi organique 7/2001, du 27 décembre 2001 (BOE n° 313, du 31 décembre 2001, p. 50377), prévoit que chaque Communauté autonome peut prendre en charge certaines compétences normatives liées aux différents impôts. En ce qui concerne les compétences normatives en matière de gestion, de liquidation, de recouvrement, de contrôle et d’examen des impôts cédés, cette disposition prévoit que la Communauté autonome peut assumer ces compétences par délégation de l’État, sans préjudice de la collaboration qui peut s’établir entre les deux administrations, le tout en accord avec les dispositions de la loi fixant la portée et les conditions de la cession. La gestion, la liquidation, le recouvrement, le contrôle et la vérification, le cas échéant, des autres impôts de l’État recouvrés dans chaque Communauté autonome, incomberont à l’Administración Tributaria (administration fiscale) de l’État, sans préjudice de la délégation que la Communauté autonome peut recevoir de cette administration et de la collaboration susceptible de s’établir, spécialement lorsque la nature de l’impôt l’exige.

13      L’article 19, paragraphe 2, de la LOFCA, telle que modifiée, prévoit que les compétences attribuées aux Communautés autonomes en ce qui concerne les impôts cédés soient exercées par l’État lorsque cela est nécessaire pour mettre en œuvre la réglementation sur l’harmonisation fiscale de l’Union européenne.

 La loi 29/1987

14      L’article 34 de la loi 29/1987, du 18 décembre 1987, relative à l’impôt sur les successions et les donations (BOE n° 303, du 19 décembre 1987, p. 37402), telle que modifiée par la loi 4/2008, du 23 décembre 2008 (BOE n° 310, du 25 décembre 2008, p. 51998), prévoit que lorsque la Communauté autonome n’a pas réglementé les questions relatives à la gestion et à la liquidation de cet impôt, les règles établies par la loi étatique seront applicables. Cet article déclare également que la compétence permettant de prévoir le caractère obligatoire du régime d’autoliquidation de l’impôt, question essentielle de la réglementation de sa gestion, incombe en tout état de cause à l’État qui intégrera dans la loi relative à l’impôt, les Communautés autonomes dans lesquelles ce régime aura été établi.

 La loi 21/2001

15      La loi 21/2001, du 27 décembre 2001, portant réglementation des mesures fiscales et administratives du nouveau système de financement des Communautés autonomes relevant du régime ordinaire et des villes bénéficiant d’un statut d’autonomie (BOE n° 313, du 31 décembre 2001, p. 50383), est la loi ordinaire qui applique les dispositions de la LOFCA.

16      L’article 46, paragraphe 1, de la loi 21/2001, intitulé «Délégation de compétences», est libellé comme suit:

«1.      La Communauté autonome prend en charge, par délégation de l’État et dans les termes prévus à la présente section, la gestion, la liquidation, le recouvrement et le contrôle ainsi que la vérification des actes pris aux fins de la gestion des impôts suivants [notamment]:

–      impôt sur les successions et les donations;

–        impôt sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés.»

17      La manière dont ces compétences en matière de liquidation et de recouvrement sont exercées est détaillée respectivement aux articles 47 et 48 de la loi 21/2001.

18      L’article 49 de cette loi est libellé comme suit:

«1.      Les Communautés autonomes peuvent organiser librement leurs services pour le recouvrement des impôts cédés visés à l’article [48].

2.      La gestion en matière de recouvrement réalisée par les services visés au paragraphe précédent doit se conformer aux dispositions de la réglementation de l’État; les organes concernés des Communautés autonomes assument les pouvoirs attribués dans la réglementation citée de l’État.

3.      Le recouvrement des dettes fiscales correspondant aux impôts cédés mentionnés à l’article précédent peut être effectué directement par les Communautés autonomes ou moyennant un accord avec toute autre administration publique.

De la même manière, toute autre administration publique peut convenir avec la Communauté autonome compétente en raison du territoire que le recouvrement de la recette de ses impôts sur ce territoire est réalisé par les services qu’elle constituera en vertu du paragraphe 1 du présent article.»

19      En ce qui concerne la délégation de compétences en matière de contrôle, l’article 50, paragraphe 1, de la loi 21/2001 dispose:

«Pour ce qui concerne […] les impôts sur les successions et les donations, sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés […] les fonctions prévues à l’article 140 de la loi fiscale générale [Ley General Tributaria] incombent aux Communautés autonomes, qui appliquent les dispositions légales et réglementaires gouvernant les actes de contrôle de l’État en matière fiscale et qui suivent les plans d’action de contrôle qui doivent être élaborés conjointement par les deux administrations et de l’exécution desquels les Communautés autonomes rendront compte chaque année au ministre des Finances, au Congrès et au Sénat.»

20      L’article 51 de la loi 21/2001 dispose:

«1.      En ce qui concerne le réexamen des actes par la voie administrative, relatifs aux impôts […] sur les successions et les donations, sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques documentés, […] les Communautés autonomes sont compétentes pour:

a.      Juger les recours gracieux.

b.      Déclarer la nullité de plein droit, après avis préalable du Conseil d’État ou de l’organe consultatif équivalent de la Communauté autonome.

[…]

d.      Déclarer la nature préjudiciable de leurs propres actes déclaratifs de droits et pour les attaquer par la voie du contentieux administratif […].

2.      Les Communautés autonomes ont qualité pour agir afin d’exercer un recours:

a.      Devant les Tribunales Económico-Administrativos contre les actes de gestion fiscale propres.

b.      Dans le cadre d’un appel ordinaire, contre les décisions des Tribunales Económico-Administrativos régionaux.

c.      Devant les Tribunales Contencioso-Administrativos, contre les décisions des Tribunales Económico-Administrativos.

[…]»

 La loi fiscale générale 58/2003

21      Il ressort des dispositions de la loi fiscale générale 58/2003 (Ley General Tributaria 58/2003), du 17 décembre 2003 (BOE n° 302, du 18 décembre 2003, p. 44987), que les actes de l’Administración Tributaria peuvent consister en l’application des impôts, l’imposition de sanctions et la réalisation d’un réexamen par la voie administrative.

22      L’article 5 de la loi fiscale générale 58/2003 est libellé comme suit:

«1.      Au sens de la présente loi, l’administration fiscale est constituée par les organes et les entités de droit public qui exercent les fonctions réglementées aux titres III, IV et V [relatifs, respectivement, à l’application des impôts, au pouvoir de sanction et à la vérification par la voie administrative].

2.      Dans le domaine de compétences de l’État, l’application des impôts et l’exercice du pouvoir de sanction appartiennent au ministère des Finances, dès lors qu’ils n’ont pas été confiés par la loi à un autre organe ou à une autre entité de droit public.

Dans les termes prévus dans la loi qui les a créées, ces compétences appartiennent à l’Agencia Estatal de Administración Tributaria [agence étatique d’administration fiscale].

3.      Les Communautés autonomes et les entités locales exercent les compétences relatives à l’application des impôts et au pouvoir de sanction avec la portée et dans les termes prévus par la réglementation applicable selon le système d’origine correspondant.

4.      L’État et les Communautés autonomes peuvent passer des accords de collaboration pour l’application des impôts.

[…]»

23      En vertu de l’article 83, paragraphe 4, de la loi fiscale générale 58/2003, il appartient à chaque administration fiscale de déterminer sa structure administrative pour l’exercice de l’application des impôts.

 La loi hypothécaire

24      L’article 274 de la loi hypothécaire (Ley Hipotecaria), dont le texte codifié a été approuvé par le décret du 8 février 1946 (BOE n° 58, du 27 février 1946, p. 1518), ainsi que par celui du 14 février 1947 approuvant le règlement sur les hypothèques, prévoit que les «registradores de la propiedad» exercent les fonctions publiques qui leur sont confiées et qu’ils ont le statut de fonctionnaires publics à toutes fins légales.

25      Le registrador de la propiedad ne touche aucun salaire, mais, conformément à l’article 294 de la loi hypothécaire, perçoit des honoraires établis par ses tarifs, qui sont versés non par l’État, mais par la personne qui fait appel à ses services.

26      En vertu de cet article, le registrador de la propiedad couvre les frais nécessaires au fonctionnement et à la conservation des registres.

27      Conformément à l’article 558 du règlement sur les hypothèques, il est mis à la disposition du registrador de la propiedad des employés chargés d’effectuer les tâches qu’il leur confie sous sa responsabilité exclusive et toujours sous le régime de la relation de travail.

28      L’article 559 dudit règlement prévoit que la relation entre le «registrador de la propiedad» et ses employés est régie par les dispositions contenues dans la convention collective du personnel auxiliaire des «registradores» et, à défaut, par le droit du travail applicable de manière générale.

 Arrêt de l’Audiencia Nacional du 8 mars 1999

29      Dans certaines Communautés autonomes, les «registradores de la propiedad», en leur qualité de liquidateurs titulaires des bureaux de liquidation (ci-après les «registradores-liquidadores»), fournissent des services aux Communautés autonomes consistant à liquider et à recouvrer les impôts sur les successions et les transmissions patrimoniales. Dans un arrêt du 8 mars 1999, l’Audiencia Nacional a jugé que les registradores-liquidadores doivent être considérés comme des professionnels indépendants et que les services qu’ils fournissent, en cette qualité, aux Communautés autonomes sont soumis à la TVA.

 Arrêt du Tribunal Superior de Justicia de Castilla-León du 8 décembre 2001

30      Dans un arrêt du 8 novembre 2001, le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-León a relevé que les services fournis par les registradores-liquidadores, consistant à liquider et à recouvrer les impôts sur les successions et les transmissions patrimoniales, ne sont pas soumis à la TVA.

 Arrêt du Tribunal Supremo du 12 juillet 2003

31      Un pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi a été formé contre l’arrêt du Tribunal Superior de Justicia de Castilla-Léon par l’Administración General del Estado (administration générale de l’État) conformément à l’article 100 de la loi 29/1998, du 13 juillet 1998, sur la juridiction contentieuse administrative (BOE n° 167, du 14 juillet 1998, p. 23516). Il ressort du dossier que l’objet d’un tel pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi est notamment de réviser l’interprétation donnée par un organe juridictionnel inférieur relative au droit de l’État et de fixer la doctrine juridique du Tribunal Supremo. Ainsi, conformément à cette disposition de la loi 29/1998, l’Abogado del Estado (avocat de l’État) a soutenu devant cette juridiction que les services fournis par les registradores-liquidadores doivent être soumis à la TVA.

32      Le Tribunal Supremo, dans son arrêt du 12 juillet 2003 (ci-après l’«arrêt du Tribunal Supremo»), a confirmé l’interprétation du Tribunal Superior de Justicia de Castilla-Léon et a fait sien le raisonnement de ce dernier. Il a donc estimé que les registradores-liquidadores sont de simples fonctionnaires et font partie de l’administration publique. Les décisions des registradores-liquidadores peuvent faire l’objet de recours devant les tribunaux administratifs et, dans ce cas, la Communauté autonome concernée est toujours une partie au litige. En outre, la prime de recouvrement reçue par le registrador-liquidador ne constitue qu’une indemnité visant à couvrir les frais encourus par le bureau de liquidation lors de la liquidation et du recouvrement des impôts et ne constitue pas une rémunération pour des services fournis. Les bureaux de liquidation agissent en tant qu’organes propres de l’administration autonome sans que la coexistence des fonctions de liquidation et d’enregistrement en la personne du registrador de la propiedad soit suffisante pour rendre indépendante la fonction de liquidation de ce dernier.

33      Eu égard à ces considérations, le Tribunal Supremo, qui a expressément distingué les services fournis par les registradores-liquidadores de ceux fournis par les percepteurs de zone en cause dans l’arrêt du 25 juillet 1991, Ayuntamiento de Sevilla (C‑202/90, Rec. p. I‑4247), a donc considéré qu’il s’agit d’un cas de fourniture d’un service de la Communauté autonome par l’intermédiaire d’un bureau administratif lié à celle-ci et donc non soumis à la TVA.

34      Le Tribunal Supremo, qui constitue un organe juridictionnel dont les décisions en matière de TVA ne peuvent pas faire l’objet d’un recours, n’a pas posé de question préjudicielle en vertu de l’article 234 CE relative à l’interprétation de la sixième directive et son application aux activités des registradores-liquidadores.

 La procédure précontentieuse

35      Estimant que les services fournis aux Communautés autonomes par les registradores-liquidadores doivent être soumis à la TVA, la Commission a, le 18 octobre 2004, adressé au Royaume d’Espagne une lettre de mise en demeure.

36      Dans cette lettre, elle a fait référence à l’arrêt du Tribunal Supremo et a constaté que, à la suite de cet arrêt, l’administration espagnole a modifié sa pratique relative à l’assujettissement à la TVA des activités des registradores-liquidadores, un changement qui ressort clairement d’une résolution de la Dirección General de Tributos (direction générale des impôts), du 14 novembre 2003, ainsi que d’une décision de l’Audiencia Nacional, du 23 octobre 2003, modifiant sa position antérieure sur cette question à la lumière de l’arrêt du Tribunal Supremo.

37      Le Royaume d’Espagne a, le 27 décembre 2004, envoyé une réponse dans laquelle il indique son désaccord avec la position de la Commission.

38      Il a, notamment, fait valoir que les «registradores de la propiedad» présentent une double nature en tant que, d’une part, professionnels (s’agissant des services fournis dans le domaine de la gestion du registre foncier) et, d’autre part, fonctionnaires (s’agissant des fonctions qu’ils exercent dans le domaine des impôts sur les successions et les transmissions patrimoniales).

39      Selon cet État membre, lorsque le registrador-liquidador exerce des fonctions de liquidation et de recouvrement, il a l’obligation de suivre les instructions qui lui sont données par la Communauté autonome, ce qui démontre l’existence d’un lien de dépendance. En outre, les actes du registrador-liquidador pourraient être soumis à la juridiction contentieuse administrative comme ceux de tout autre organe administratif et la prime de recouvrement que le registrador‑liquidador perçoit ne serait qu’une simple compensation des frais encourus par lui et non une véritable rémunération.

40      Compte tenu de la réponse apportée par le Royaume d’Espagne, les services de la Commission lui ont, par lettre du 21 juin 2005, réclamé des informations complémentaires sur les critères appliqués afin de calculer la «compensation» des frais encourus par les registradores-liquidadores, le régime juridique appliqué par ces derniers au personnel employé dans le cadre de leurs fonctions et les dispositions promulguées par les Communautés autonomes confiant aux «registradores» la fonction de liquidateurs titulaires des bureaux de liquidation.

41      Une réponse à cette demande d’information a été envoyée par le Royaume d’Espagne le 7 février 2006. Une réunion entre les services de la Commission et les représentants de cet État membre a eu lieu le 17 février suivant. Des réponses complémentaires à la lettre de la Commission du 21 juin 2005 ont été envoyées par ledit État les 2 mai et 20 novembre 2006. Dans ces lettres, le Royaume d’Espagne a rappelé que les bureaux de liquidation sont des organes administratifs qui dépendent des Communautés autonomes.

42      Estimant qu’il ressortait des documents et des informations échangés que le Royaume d’Espagne manquait aux obligations qui lui incombaient en vertu de la législation communautaire en matière de TVA, la Commission a, le 15 décembre 2006, adressé à cet État membre un avis motivé en lui accordant un délai de deux mois pour s’y conformer. Dans cet avis, la Commission a réitéré la position déjà exprimée dans sa lettre de mise en demeure, à savoir que l’arrêt du Tribunal Supremo a donné lieu à un changement en Espagne en ce qui concerne l’assujettissement à la TVA des activités des registradores-liquidadores.

43      Dans sa réponse du 15 mars 2007, à savoir un mois après l’expiration du délai prescrit dans l’avis motivé, le Royaume d’Espagne a réitéré les arguments avancés dans ses communications précédentes. Il a également fait valoir, en ce qui concerne l’arrêt du Tribunal Supremo, que les autorités judiciaires espagnoles ont considéré qu’une demande de décision préjudicielle n’était pas nécessaire dès lors qu’elles connaissaient les critères pertinents ressortant de la jurisprudence de la Cour relatifs à la question de l’assujettissement ou non à la TVA de services tels que ceux en cause en l’espèce.

 Sur la recevabilité du recours

44      Lors de la procédure devant la Cour et, notamment, lors de l’audience, des questions ont été soulevées par le Royaume d’Espagne relatives à la recevabilité du recours de la Commission en ce qu’il manque de précision à l’égard du territoire des îles Canaries, en ce que les motifs de la requête soulèvent un grief relatif à une violation de la réglementation relative au système de ressources propres des Communautés et en ce que ledit recours pourrait être compris comme s’étendant à une violation de l’article 234 CE, le Tribunal Supremo n’ayant pas, dans le cadre d’un pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi, posé une question préjudicielle à la Cour.

45      S’agissant, d’abord, de l’exception d’irrecevabilité relative à un manque de précision en ce qui concerne la portée d’une violation alléguée de la sixième directive, le Royaume d’Espagne rappelle que la sixième directive ne s’applique pas aux îles Canaries en vertu des dispositions de l’article 3, paragraphe 3, de cette directive.

46      Le Royaume d’Espagne estime que la requête de la Commission peut créer des doutes en ce qu’elle ne fait pas des îles Canaries une exception à l’application de la sixième directive et donc à une éventuelle violation de celle-ci par le Royaume d’Espagne. Cela pourrait entraîner une condamnation du Royaume d’Espagne et, par conséquent, affecter les rétributions actuellement versées aux bureaux de liquidation situés dans les îles Canaries.

47      Selon lui, il incombe à la Commission, dans le cadre d’un recours en manquement, d’indiquer les griefs précis formulés à l’encontre des États membres. En l’espèce, ce manque de clarté devrait entraîner l’irrecevabilité de la requête.

48      Lors de l’audience, le Royaume d’Espagne a demandé qu’il soit précisé que les bureaux de liquidation situés dans les îles Canaries soient exclus de toute constatation de manquement à la sixième directive éventuellement prononcée par la Cour.

49      La Commission reconnaît que les îles Canaries sont exclues du champ d’application territorial du régime commun de la TVA. Toutefois, selon elle, il ressort clairement de la requête que le manquement allégué réside dans la violation d’obligations imposées par la sixième directive, de telle sorte que l’arrêt de la Cour n’affecte que les situations et les territoires relevant de cette réglementation. Cela n’impliquerait pas pour autant qu’il faille reformuler les conclusions de la requête de manière à exclure expressément les rémunérations versées aux bureaux de liquidation situés dans les îles Canaries.

50      Force est de constater, à cet égard, qu’il n’est pas contesté que le territoire des îles Canaries demeure hors du champ d’application du système commun de la TVA, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1911/91 du Conseil, du 26 juin 1991, relatif à l’application des dispositions du droit communautaire aux îles Canaries (JO L 171, p. 1) (voir ordonnance du 16 avril 2008, Club Náutico de Gran Canaria, C‑186/07, point 18).

51      Cependant, il ne s’ensuit pas que le recours de la Commission, qui vise de manière générale une violation par le Royaume d’Espagne de certaines dispositions de la sixième directive, doive, pour cette raison, être considéré comme étant irrecevable.

52      En effet, ainsi que la Commission l’a fait valoir, il ressort clairement de l’objet de son recours que celui-ci vise une violation par le Royaume d’Espagne des obligations résultant de la sixième directive, obligations qui incombent à cet État membre à l’égard des territoires et Communautés autonomes relevant du champ d’application ratione loci de cette directive.

53      Dans ces circonstances, la Commission n’était pas obligée de préciser dans son recours que celui-ci ne visait pas les îles Canaries ou, d’ailleurs, d’autres territoires espagnols ne relevant pas du champ d’application de la sixième directive, une telle limitation ressortant implicitement, mais clairement, de l’objet de sa requête.

54      Il convient de conclure que l’exception d’irrecevabilité, tirée d’une absence de précision à l’égard de la situation des îles Canaries, doit être rejetée.

55      En ce qui concerne, ensuite, l’exception d’irrecevabilité relative au grief tiré d’une violation de la réglementation relative au système de ressources propres des Communautés, les motifs de la requête déposée par la Commission visent non seulement une violation des articles 2 et 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive, mais également une violation de la réglementation relative au système des ressources propres des Communautés. Au point 105 de sa requête, la Commission a constaté que «le Royaume d’Espagne a également méconnu, dans la même mesure», cette réglementation.

56      À cet égard, la Commission a rappelé que, en vertu de l’article 1er du règlement n° 1553/89, les ressources propres provenant de la TVA résultent de l’application d’un taux uniforme de base déterminée, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement, à partir des opérations imposables visées à l’article 2 de la sixième directive. Dans la mesure où les montants versés par les Communautés autonomes aux «registradores de la propiedad» en contrepartie des services que ceux-ci ont fournis en qualité de registradores-liquidadores n’ont pas été considérés comme soumis à la TVA, les montants correspondants n’ont pas été pris en compte en vue de la détermination de la base des ressources propres provenant de la TVA, de sorte que, selon la Commission, le Royaume d’Espagne a également méconnu la réglementation relative au système des ressources propres des Communautés. La Commission ajoute que les intérêts de retard qu’elle réclame trouvent leur fondement dans l’article 11 du règlement n° 1150/2000.

57      Selon la Commission, cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait que l’appréciation des conséquences financières de l’application de la législation communautaire en matière de TVA ne soit effectuée qu’en exécution de l’arrêt que peut éventuellement rendre la Cour en constatant en l’espèce le manquement du Royaume d’Espagne.

58      Si, lors de la procédure écrite, le Royaume d’Espagne n’a pas fourni de réponses aux arguments de la Commission à l’égard de ce grief, lors de l’audience, il a soulevé une exception d’irrecevabilité à l’égard de celui-ci, dès lors qu’il estime que la Commission aurait dû, dans les conclusions de sa requête, formuler un grief spécifique relatif à la violation alléguée de cette réglementation.

59      Il convient de relever que si la Commission mentionne le grief tiré d’une violation de cette réglementation sur le système des ressources propres des Communautés, lors de la procédure précontentieuse ainsi que dans les motifs de la requête, elle ne l’inclut pas dans les conclusions de celle-ci.

60      En vertu de l’article 21 du statut de la Cour de justice et de l’article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, il incombe à la Commission d’indiquer, dans les conclusions de la requête déposée au titre de l’article 226 CE, les griefs précis sur lesquels la Cour est appelée à se prononcer (voir, en ce sens, arrêts du 13 décembre 1990, Commission/Grèce, C‑347/88, Rec. p. I‑4747, point 28, et du 31 mars 1992, Commission/Danemark, C‑52/90, Rec. p. I‑2187, point 17). Ces conclusions doivent être formulées de manière non équivoque, afin d’éviter que la Cour ne statue ultra petita ou bien n’omette de statuer sur un grief (voir arrêts du 14 décembre 1962, Meroni/Haute Autorité, 46/59 et 47/59, Rec. p. 783, 801; du 20 novembre 2003, Commission/France, C‑296/01, Rec. p. I‑13909, point 121, ainsi que du 15 juin 2006, Commission/France, C‑255/04, Rec. p. I‑5251, point 24).

61      Certes, en cherchant à démontrer la violation alléguée, la Commission s’est référée à deux arrêts dans lesquels la Cour a constaté l’existence de manquements tant aux articles 2 et 4 de la sixième directive qu’au règlement n° 1553/89 ainsi qu’au règlement (CEE, Euratom) n° 1552/89 du Conseil, du 29 mai 1989, portant application de la décision 88/376/CEE, Euratom relative au système des ressources propres des Communautés (JO L 155, p. 1) (arrêts du 12 septembre 2000, Commission/France, C‑276/97, Rec. p. I‑6251, et Commission/Royaume-Uni, C‑359/97, Rec. p. I‑6355).

62      Toutefois, ainsi qu’il ressort d’une lecture desdits arrêts, la Commission avait non seulement mentionné les griefs relatifs aux violations alléguées de cette réglementation dans les conclusions de ses requêtes, mais ces griefs avaient même fait l’objet de procédures précontentieuses indépendantes de celles relatives aux violations alléguées de la sixième directive.

63      Ayant limité les conclusions de la requête à la violation des articles 2 et 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive sans mentionner le grief tiré d’une violation de la réglementation relative au système de ressources propres des Communautés, ce dernier doit être considéré comme étant irrecevable.

64      Enfin, s’agissant de la recevabilité du recours en ce qu’il pourrait être compris comme visant une violation de l’article 234 CE, il convient de rappeler que, lors de la procédure précontentieuse ainsi que devant la Cour, la Commission a fait remarquer que l’arrêt du Tribunal Supremo ressort d’un pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi et que cette juridiction n’a, dans le cadre dudit pourvoi, posé aucune question à la Cour relative à l’application de la sixième directive aux activités des registradores-liquidadores.

65      Toutefois, en réponse à une question posée par la Cour lors de l’audience, la Commission a indiqué que son recours ne vise pas une violation par le Royaume d’Espagne de l’article 234 CE.

66      Eu égard à cette clarification, il n’y a pas lieu de considérer l’exception d’irrecevabilité, également soulevée par le Royaume d’Espagne pour la première fois lors de l’audience, relative au recours de la Commission en ce qu’il aurait visé, dans les circonstances de l’espèce, une telle violation.

67      Il convient donc de préciser que le recours de la Commission est uniquement recevable en ce qu’il vise une violation des articles 2 et 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive.

 Sur le fond

 Argumentation des parties

68      Selon la Commission, les services fournis aux Communautés autonomes par les registradores-liquidadores doivent être soumis à la TVA en vertu de l’article 2 de la sixième directive. Les registradores-liquidadores agiraient en tant que professionnels qui organisent les ressources humaines et matérielles de manière autonome et indépendante dans le cadre d’une prestation de service, ainsi que l’exige l’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive. Ils ne présenteraient pas les caractéristiques de subordination et de dépendance qui sont essentielles pour que les services en question puissent être considérés comme fournis par un fonctionnaire à l’administration à laquelle celui-ci appartient et, dans cette hypothèse, non soumis à la TVA en vertu de la dérogation prévue au paragraphe 5 de cet article.

69      La Commission estime que la notion d’«activité économique» visée à l’article 4 de la sixième directive doit être interprétée largement et peut englober des fonctions conférées et régies par le droit public. Il ne suffirait pas que l’exécution de l’acte relève des prérogatives de l’autorité publique. Ce serait le caractère indépendant ou non de l’activité exercée par l’opérateur en cause qui est véritablement déterminant pour que ladite activité relève du champ d’application de la sixième directive. Selon la Commission, cette interprétation est conforme à la jurisprudence de la Cour dans les arrêts du 26 mars 1987, Commission/Pays‑Bas (235/85, Rec. p. 1471), et Ayuntamiento de Sevilla, précité, relative, respectivement, aux notaires et aux huissiers de justice, ainsi qu’aux percepteurs des impôts.

70      La Commission fait valoir, en outre, que le simple fait qu’une disposition du droit national prévoie qu’une personne doive être considérée comme un «fonctionnaire» de l’administration publique n’est pas, en soi et automatiquement, une raison valable pour exclure cette personne du champ d’application de la sixième directive. Il conviendrait d’analyser la nature réelle et la substance de l’activité exercée par le registrador-liquidador, afin de pouvoir déterminer son traitement aux fins de la TVA.

71      À cet égard, la Commission maintient que, en Espagne, le système d’accès à la profession de registrador-liquidador repose sur les concours publics dont le contenu est très semblable à celui des concours d’entrée dans l’ordre des notaires. Bien que considérés comme des fonctionnaires publics en vertu de la législation qui leur est applicable, le fait que les notaires, qui eux aussi perçoivent des honoraires et non pas des salaires, soient assujettis à la TVA n’aurait jamais été contesté.

72      En ce qui concerne la règle de non-assujettissement à la TVA prévue à l’article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive, la Commission fait valoir, premièrement, que le registrador‑liquidador est un professionnel qui fournit des services à titre indépendant et organise de manière autonome les ressources humaines et matérielles nécessaires pour fournir ces services. Selon la Commission, la relation entre le registrador-liquidador et le personnel auxiliaire qu’il recrute, qui n’est aucunement subordonné à la Communauté autonome, n’est ni plus ni moins celle qui existe entre un employeur et un employé. Le fait que les employés demeurent à leur poste, même en cas de changement de titulaire du bureau de liquidation, serait sans importance, dès lors que ces employés ne relèvent en aucun cas de l’administration, mais relèvent de la personne qui, à chaque instant, assume la charge du registrador-liquidador.

73      Deuxièmement, la Commission souligne qu’il n’existe sur le plan fiscal national aucune distinction entre les revenus perçus par les «registradores de la propiedad» en tant que professionnels chargés du registre foncier (dont les autorités espagnoles reconnaissent indubitablement l’assujettissement à la TVA et le caractère d’entreprise) et les revenus qu’ils perçoivent en tant que registradores-liquidadores chargés des bureaux de liquidation. Ces deux types de revenus apparaîtraient dans la déclaration d’impôts sur le revenu en tant que «revenus d’activités économiques» et non pas en tant que «revenus du travail». Selon la Commission, si le registrador-liquidador était un fonctionnaire, il serait sans nul doute le seul fonctionnaire de l’administration en Espagne à déclarer les revenus de son travail dans la fonction publique en tant que revenus d’activités économiques et à en déduire les frais correspondants (au titre des dépenses découlant d’une activité économique).

74      Troisièmement, la Commission estime que le fait qu’une convention bilatérale de collaboration spécifique soit nécessaire entre chacune des Communautés autonomes, d’une part, et les «colegios de los registradores» (collèges des «registradores»), d’autre part, prouve que, aux fins de la sixième directive, les registradores-liquidadores ne sont pas des organes administratifs des Communautés autonomes ni des parties intrinsèques, intégrantes ou internes de celles-ci. Il s’agirait, au contraire, de parties indépendantes et distinctes avec lesquelles les Communautés autonomes concluraient des contrats de prestations de services à titre onéreux.

75      Il importerait peu, aux fins de l’application de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive, que les fonctions examinées consistent en l’exercice de fonctions conférées et réglementées par la loi, dans un but d’intérêt général, que le professionnel soit soumis à un contrôle disciplinaire sous la surveillance de l’autorité publique ou que sa rémunération soit fixée par la loi (voir arrêt Commission/Pays-Bas, précité, points 10, 14 et 19, ainsi que ordonnance du 21 mai 2008, Mihal, C‑456/07, point 20).

76      Eu égard à ces considérations, la Commission conclut qu’il n’est pas possible d’invoquer l’article 4, paragraphes 4 et 5, de la sixième directive pour justifier le non-assujettissement à la TVA des services fournis par le registrador-liquidador, dans la mesure où ce dernier agit de manière indépendante sans être intégré à l’administration publique à laquelle il fournit des services à titre onéreux.

77      Le Royaume d’Espagne soutient que l’activité exercée par le registrador-liquidador n’a pas de caractère économique et qu’il s’agit, en revanche, d’une activité publique. La rémunération que perçoit le registrador-liquidador serait destinée non pas à financer une activité économique ordinaire de marché dans laquelle on suppose qu’il existe un but lucratif, mais à faire face aux frais de fonctionnement du bureau de liquidation. Elle remplirait la même fonction économique que la prise en charge des coûts générés par les organes fiscaux de l’État. Les bureaux de liquidation exerceraient les mêmes fonctions que d’autres organes étatiques, des Communautés autonomes ou forales selon le territoire dont il s’agit. Du point de vue du registrador-liquidador, la direction du bureau serait, en principe, une obligation imposée par la loi et liée au registre où l’activité d’enregistrement est exercée. Il serait donc impossible de refuser de réaliser des opérations de liquidation demandées par les contribuables puisqu’il est impossible de renoncer à cette compétence.

78      Le Royaume d’Espagne estime, en tout état de cause, que les bureaux de liquidation sont des organismes de droit public qui effectuent des activités dans le cadre de l’exercice de fonctions publiques et donc qu’ils relèvent de la règle de non-assujettissement prévue à l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive. Les registradores-liquidadores disposeraient d’innombrables prérogatives afin d’exercer et de mettre en œuvre toutes leurs fonctions. Ces bureaux effectueraient des vérifications, procèderaient à des liquidations, imposeraient des sanctions et des majorations, demanderaient des informations aux contribuables, leur notifieraient des actes et des décisions, résoudraient les recours qu’ils forment et octroieraient des délais, entre autres fonctions. Ils auraient exactement la même qualité d’autorité publique que celle attribuée à d’autres organes étatiques ou forales ou d’une Communauté autonome qui exercent la même activité sur leurs territoires respectifs.

79      Le Royaume d’Espagne souligne, en outre, qu’il n’existe actuellement aucun territoire ni aucun opérateur privé qui réalise des fonctions de liquidation. Dans la mesure où on ne pourrait envisager, ni actuellement ni potentiellement, la possibilité que des opérateurs économiques privés exercent ces fonctions, il serait manifestement justifié de ne pas considérer les bureaux de liquidation comme des entités assujetties à la TVA, la neutralité fiscale étant, dans les circonstances décrites, respectée.

80      À supposer même que la Cour considérerait l’activité exercée par les registradores-liquidadores comme étant une activité économique au sens de la sixième directive, le Royaume d’Espagne soutient que l’indépendance requise par l’article 4, paragraphe 1, de cette directive n’existe ni à l’égard des organes des administrations avec lesquelles le bureau de liquidation est lié verticalement ou hiérarchiquement ni à l’égard des contribuables qui liquident leurs impôts. L’attribution de la compétence ne dépendrait pas du registrador‑liquidador, lorsqu’il prend possession du registre foncier auquel est lié le bureau de liquidation, et la démission de celui‑ci n’entraînerait pas la perte de la compétence pour ledit bureau.

81      Les registradores-liquidadores manqueraient également d’indépendance en ce qui concerne l’organisation des ressources humaines et matérielles. En effet, ils seraient soumis à des conditions relatives au nombre de personnes et à la qualification de ces dernières, à l’état des locaux ou à tout ce qui concerne les systèmes informatiques et de gestion. Lorsqu’ils prennent possession des bureaux de liquidation, les registradores-liquidadores se trouveraient en présence d’employés qui demeurent en poste malgré le changement du titulaire du bureau en question. Ce personnel ne dépendrait pas exclusivement du registrador-liquidador, car, si tel était le cas, il serait logique que les employés suivent le registrador-liquidador lors d’un changement de titulaire du bureau de liquidation.

82      La responsabilité du fait des actes de négligence commis par le registrador-liquidador incomberait à l’administration fiscale, dont fait partie le bureau de liquidation dont le registrador-liquidador est titulaire, dans le cadre du régime juridique de la responsabilité patrimoniale des administrations publiques. Pour le Royaume d’Espagne, ce fait illustre clairement la dépendance avec laquelle les registradores‑liquidadores exercent leur activité. Les dispositions disciplinaires applicables aux registradores-liquidadores seraient analogues à celles qui gouvernent l’action de tout fonctionnaire public. Selon cet État membre, d’autres manifestations de cette absence d’indépendance peuvent être constituées par les visites de contrôle annuelles des bureaux de liquidation, le contrôle permanent de leurs actions réalisé tant par des moyens informatiques que par des commissions spécifiques, la surveillance permanente de certaines actions d’évaluation et de liquidation, l’exigence de moyens informatiques et en personnel adéquats, la possibilité de réorganisation de ces bureaux ou les instructions de portée diverse dont le respect est obligatoire.

83      Selon le Royaume d’Espagne, la jurisprudence issue des arrêts précités Commission/Pays-Bas et Ayuntamiento de Sevilla n’est pas d’application en l’espèce. D’une part, les activités des notaires et des huissiers de justice en cause dans la première affaire auraient correspondu à des activités d’une profession libérale et, d’autre part, les actes des percepteurs de zone en cause dans la seconde affaire auraient été purement contractuels et de nature privée, de sorte qu’ils ne se seraient pas traduits par des actes administratifs. Les mêmes circonstances ne se présenteraient pas en l’espèce.

 Appréciation de la Cour

84      Il convient, à titre liminaire, de préciser qu’il n’est pas contesté que, en tant que professionnels chargés de la gestion du «registro de la propiedad», les activités des «registradores» sont soumises à la TVA.

85      Le présent recours de la Commission porte exclusivement sur l’assujettissement à la TVA des seules fonctions que les «registradores de la propiedad» exercent en tant que liquidateurs titulaires d’un bureau de liquidation. C’est en tant que registradores-liquidadores que certaines Communautés autonomes leur confient des fonctions en rapport avec la gestion, la liquidation et le recouvrement des impôts sur les successions et sur les transmissions patrimoniales. L’examen de la Cour se rapporte à cette partie de leurs activités.

86      Afin d’apprécier si la violation alléguée par la Commission des articles 2 et 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive est fondée, il convient d’examiner, en premier lieu, si les services fournis par les registradores-liquidadores aux Communautés autonomes constituent des activités économiques, au sens de l’article 2 de cette directive, en deuxième lieu, si lesdites activités sont accomplies de façon indépendante conformément à l’article 4, paragraphes 1 et 4, de ladite directive et, en troisième lieu, si, en tout état de cause, le Royaume d’Espagne peut, ainsi qu’il le prétend, faire valoir la règle de non-assujettissement de la TVA prévue à l’article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive au profit d’activités exercées par un organisme de droit public en tant qu’autorité publique.

87      Il convient, en premier lieu, de rappeler que la sixième directive assigne un champ d’application très large à la TVA en visant, à son article 2, relatif aux opérations imposables, à côté des importations de biens, les livraisons de biens et prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays et en définissant, à son article 4, paragraphe 1, comme «assujetti» quiconque accomplit, de façon indépendante, une activité économique, quels que soient les buts et les résultats de cette activité (voir, notamment, arrêts Commission/Pays-Bas, précité, points 6 et 7; du 4 décembre 1990, van Tiem, C‑186/89, Rec. p. I‑4363, point 17; du 12 septembre 2000, Commission/Grèce, C‑260/98, Rec. p. I‑6537, point 24, ainsi que du 16 septembre 2008, Isle of Wight Council e.a., C‑288/07, Rec. p. I‑7203, points 27 et 28).

88      La notion d’activités économiques est définie à l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive comme englobant toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris, notamment, celles de professions libérales ou assimilées (arrêts précités Commission/Pays-Bas, points 6 et 7, ainsi que Isle of Wight Council e.a., point 27).

89      L’analyse de ces définitions met en évidence l’étendue du champ d’application couvert par la notion d’activités économiques ainsi que le caractère objectif de cette notion, en ce sens que l’activité est considérée en elle-même, indépendamment de ses buts ou de ses résultats (voir, notamment, arrêts Commission/Pays-Bas, précité, point 8; du 12 septembre 2000, Commission/Grèce, précité, point 26, ainsi que du 21 février 2006, University of Huddersfield, C‑223/03, Rec. p. I‑1751, point 47 et jurisprudence citée). Une activité est ainsi, en général, qualifiée d’économique lorsqu’elle présente un caractère permanent et est effectuée contre une rémunération perçue par l’auteur de l’opération (arrêt du 13 décembre 2007, Götz, C‑408/06, Rec. p. I‑11295, point 18).

90      Eu égard à l’étendue du champ d’application défini par la notion d’activités économiques, il y a lieu de constater que les registradores-liquidadores, en tant qu’ils fournissent, de façon permanente et contre rémunération, à des Communautés autonomes des services relatifs à la gestion, à la liquidation et au recouvrement de certains impôts, accomplissent une activité économique, au sens de la sixième directive.

91      Compte tenu du caractère objectif que revêt la notion d’activités économiques, le fait que les activités des registradores-liquidadores consistent dans l’exercice de fonctions conférées et réglementées par la loi, dans un but d’intérêt général, est sans pertinence. En effet, la sixième directive, à son article 6, prévoit expressément l’assujettissement au régime de la TVA de certaines activités accomplies aux termes de la loi (arrêts précités Commission/Pays-Bas, point 10, et du 12 septembre 2000, Commission/Grèce, point 28).

92      Il convient de relever, par ailleurs, que, conformément à la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêt du 8 mars 1988, Apple and Pear Development Council, 102/86, Rec. p. 1443, point 12), la notion de «prestation de services effectuée à titre onéreux», au sens de l’article 2, point 1, de la sixième directive, suppose l’existence d’un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue.

93      Or, ainsi qu’il ressort du dossier, les activités de liquidation et de recouvrement exercées par les registradores-liquidadores moyennant le paiement d’un pourcentage des sommes recouvrées ainsi que de forfaits pour chaque liquidation exemptée ou négative répondent à cette définition. En effet, ainsi qu’il ressort de la réponse du Royaume d’Espagne, du 7 février 2006, à une demande d’information supplémentaire faite par la Commission à la suite de la réponse de cet État membre à la lettre de mise en demeure, s’il est vrai que le pourcentage de la prime de recouvrement peut varier d’une Communauté autonome à l’autre, et peut varier temporellement selon les termes des conventions de collaboration signées par les collèges des «registradores» et les Communautés autonomes concernées, il n’en reste pas moins que le profit que les registradores-liquidadores tirent de leur activité dépend non seulement du montant des impôts recouvrés, mais aussi des dépenses liées à l’organisation des moyens en personnel et en matériel de leur activité, de leur efficacité et des moyens employés pour arriver à ce recouvrement.

94      En ce qui concerne l’argument du Royaume d’Espagne selon lequel les sommes perçues par les bureaux de liquidation sont uniquement destinées à faire face aux dépenses de fonctionnement desdits bureaux et ne constituent pas une «rémunération perçue par l’auteur de l’opération» au sens de la jurisprudence de la Cour, il suffit de relever que, ainsi qu’il ressort de l’article 294 de la loi hypothécaire rappelé au point 25 du présent arrêt, à la différence de fonctionnaires espagnols, les registradores-liquidadores ne perçoivent pas de salaire de l’État. Ainsi que la Commission l’a fait valoir, il est difficilement imaginable que les registradores-liquidadores, s’ils sont des fonctionnaires dépendant de l’administration fiscale ainsi que le Royaume d’Espagne le prétend, acceptent d’exercer des fonctions sans la moindre contrepartie et qu’ils ne tirent aucun bénéfice économique de l’exercice de leurs fonctions en tant que titulaires des bureaux de liquidation.

95      En réponse à une question posée par la Cour lors de l’audience, le Royaume d’Espagne a lui-même admis que l’indemnité perçue par les registradores-liquidadores comprend non seulement les coûts des prestations fournies, mais également une rémunération pour les registradores-liquidadores eux-mêmes.

96      En outre, selon les informations fournies par la Commission et confirmées lors de l’audience, les registradores-liquidadores déclarent leurs revenus comme des revenus d’activités économiques et il n’existe sur le plan fiscal national aucune distinction entre les revenus perçus par les «registradores» en tant que professionnels chargés du registre et les revenus qu’ils perçoivent en tant que registradores-liquidadores. Si le traitement fiscal national des revenus de ces derniers n’est pas déterminant lors de la qualification de leurs activités en tant qu’activités économiques, au sens de la sixième directive, il constitue néanmoins un indice additionnel relatif à la nature réelle et la substance des services fournis aux Communautés autonomes par les auteurs des opérations en cause en l’espèce.

97      Dans ces conditions, les activités de liquidation et de recouvrement exercées par les registradores-liquidadores moyennant le paiement d’un pourcentage des sommes recouvrées constitue une prestation de services effectuée à titre onéreux, au sens de l’article 2, point 1, de la sixième directive, et une activité économique, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive.

98      Cette conclusion est confortée par l’approche adoptée par la Cour dans l’arrêt Ayuntamiento de Sevilla, précité, en ce qui concerne l’assujettissement à la TVA des percepteurs de zone nommés par la collectivité locale en cause dans ladite affaire dont ils recouvrent les impôts.

99      Dans ledit arrêt, la Cour a examiné la question de savoir si l’activité de recouvrement exercée par les percepteurs de zone devait être considérée ou non comme accomplie de «façon indépendante», au sens de l’article 4, paragraphe 4, de la sixième directive, ainsi que l’applicabilité de la règle de non-assujettissement prévue au paragraphe 5 de cet article. Toutefois, un tel examen présuppose la constatation préalable du «caractère économique», au sens de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, de l’activité de recouvrement des impôts exercée par lesdits percepteurs (voir, en ce sens, arrêt Götz, précité, point 15).

100    En deuxième lieu, dans le cas où la Cour considère que les registradores-liquidadores exercent une activité économique, le Royaume d’Espagne estime qu’il ne peut s’agir d’une activité exercée de façon indépendante, au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive. L’indépendance n’existerait ni à l’égard des organes des administrations avec lesquelles les bureaux de liquidation seraient liés verticalement ni à l’égard du contribuable.

101    Le Royaume d’Espagne fait valoir, à cet égard, que les registradores-liquidadores ne peuvent refuser de procéder à une opération de liquidation qui leur est demandée par un contribuable, car il est impossible de renoncer à cette compétence. En outre, les registradores-liquidadores n’organiseraient pas leurs ressources humaines et matérielles de façon autonome, l’administration fiscale pourrait être rendue responsable d’actes de négligence des registradores-liquidadores, et ces derniers seraient subordonnés à un contrôle disciplinaire par l’autorité publique ainsi qu’à des inspections de la part de l’administration fiscale.

102    Il résulte du dossier que les registradores-liquidadores ne perçoivent pas de salaire et qu’ils ne sont pas liés aux Communautés autonomes par des contrats de louage de travail. Il convient donc d’examiner s’ils accomplissent les activités qui font l’objet du présent recours de façon indépendante ou si le rapport juridique entre lesdits registradores-liquidadores et les Communautés autonomes qui recourent à leurs services crée néanmoins des liens de subordination, tels que ceux visés à l’article 4, paragraphe 4, de la sixième directive, en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération et la responsabilité de l’employeur.

103    En ce qui concerne, d’abord, les conditions de travail, il n’y a pas de «lien de subordination», au sens de l’article 4, paragraphe 4, de la sixième directive, dès lors que les registradores-liquidadores se procurent et organisent eux-mêmes, dans les limites prévues par les dispositions réglementaires et conventionnelles pertinentes, les moyens en personnel et en matériel nécessaires à l’exercice de leurs activités.

104    Certes, il ressort des réponses des autorités espagnoles aux questions posées par la Commission lors de la procédure précontentieuse que les Communautés autonomes peuvent indiquer aux registradores-liquidadores le système informatique qu’ils doivent utiliser ainsi qu’ils doivent être connectés «on-line» avec les autorités compétentes des Communautés autonomes et peuvent exiger une dotation minimale de personnel dans les bureaux de liquidation et que ledit personnel fait preuve de qualifications professionnelles concrètes.

105    Toutefois, ces circonstances sont dénuées de pertinence, dès lors qu’il ressort clairement du dossier que l’organisation des ressources humaines dépend de chaque bureau de liquidation. Le personnel employé dans lesdits bureaux ne fait pas partie des effectifs des Communautés autonomes et n’a aucun lien direct avec lesdites Communautés. Ainsi qu’il ressort de la loi hypothécaire, ce personnel est lié aux registrador-liquidador par une relation de travail, dépend du registrador-liquidador et est rémunéré par celui-ci.

106    Dans ces conditions, la dépendance fonctionnelle des registradores-liquidadores à l’égard des Communautés autonomes qui peuvent leur donner des instructions, de même que la soumission des registradores-liquidadores à un contrôle disciplinaire de la part de ces autorités, n’apparaissent pas comme déterminants pour la qualification de leur rapport juridique avec les Communautés autonomes au regard de l’article 4, paragraphe 4, de la sixième directive (voir également, en ce sens, arrêts précités Commission/Pays-Bas, point 14, et Ayuntamiento de Sevilla, point 12).

107    En ce qui concerne, ensuite, les conditions de rémunération, ainsi qu’il ressort des points 93 à 97 du présent arrêt, il n’y a pas de lien de subordination dès lors que les registradores-liquidadores supportent le risque économique de leur activité, dans la mesure où le profit qu’ils en tirent dépend du montant des impôts recouvrés, des dépenses liées à l’organisation des moyens en personnel et en matériel de leur activité (voir, en ce sens, arrêts précités Commission/Pays-Bas, point 14, et Ayuntamiento de Sevilla, point 13), de l’efficacité des registradores-liquidadores et même, dans certains cas, du pourcentage des sanctions et amendes imposées et recouvrées dans l’exercice de l’activité du registrador-liquidador. Le fait que les frais généraux et les dépenses en matériel et en personnel de chaque bureau de liquidation sont à la charge des registradores-liquidadores titulaires desdits bureaux ressort clairement des informations fournies par le Royaume d’Espagne ainsi que de certaines conventions de collaboration conclues entre certaines Communautés autonomes et les collèges des «registradores» desdites Communautés.

108    Si le Royaume d’Espagne souligne l’absence de négociation directe entre les Communautés autonomes et les registradores-liquidadores individuels en ce qui concerne les sommes perçues par ces derniers pour les services qu’ils fournissent, il n’en reste pas moins qu’une telle négociation a lieu entre les différents collèges des «registradores» et les Communautés autonomes dans lesquelles il existe une convention de collaboration et que, lors desdites négociations, les premiers agissent en tant que représentants des registradores-liquidadores.

109    En ce qui concerne, enfin, la responsabilité de l’employeur, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le fait que la Communauté autonome puisse être tenue pour responsable des comportements des registradores-liquidadores lorsqu’ils agissent en tant que délégués de l’autorité publique ne suffit pas à établir l’existence de liens de subordination (voir arrêt Ayuntamiento de Sevilla, précité, point 14).

110    En troisième lieu, le Royaume d’Espagne soutient, néanmoins, que les registradores-liquidadores, même en admettant qu’ils exercent des activités économiques, au sens de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive, devraient bénéficier de la règle de non-assujettissement, prévue au paragraphe 5, premier alinéa, de cet article, au profit des organismes de droit public, qualité qui devrait leur être reconnue.

111    À cet égard, il convient de rappeler que l’article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive ne prévoit le non-assujettissement qu’au profit des seuls organismes de droit public et encore seulement pour les activités et les opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques (arrêt Commission/Pays-Bas, précité, point 20).

112    Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, cette disposition doit être interprétée de sorte que l’atteinte la plus restreinte possible soit portée à la règle générale, énoncée aux articles 2, point 1, et 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive, selon laquelle toute activité de nature économique est, en principe, soumise à la TVA (voir arrêt Isle of Wight Council e.a., précité, points 38 et 44).

113    Deux conditions doivent être remplies cumulativement pour que la règle de non-assujettissement figurant à l’article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive joue, à savoir la qualité d’organisme public et l’exercice d’activités accomplies en tant qu’autorité publique (arrêts du 11 juillet 1985, Commission/Allemagne, 107/84, Rec. p. 2655, point 11; Commission/Pays-Bas, précité, point 21, et Ayuntamiento de Sevilla, précité, point 18).

114    S’agissant de la première condition, à savoir la qualité d’organisme public, la Cour a déjà précisé qu’une activité exercée par un particulier n’est pas exclue de la TVA du seul fait qu’elle consiste dans l’accomplissement d’actes relevant de prérogatives de l’autorité publique (arrêts précités Commission/Pays-Bas, point 21, et Ayuntamiento de Sevilla, point 19, ainsi que ordonnance Mihal, précitée, point 17).

115    Indépendamment du fait que la réglementation pertinente qualifie de fonctionnaires les registradores-liquidadores et que leurs activités consistent dans l’exercice de fonctions conférées et réglementées par la loi, dans un but d’intérêt général, il convient de relever que, aux fins de la sixième directive, les registradores-liquidadores exercent leur activité de liquidation et de recouvrement non pas sous la forme d’un organisme de droit public, n’étant pas intégrés dans l’organisation de l’administration publique, mais sous la forme d’une activité accomplie dans le cadre d’une profession assimilée à une profession libérale.

116    Il n’est pas contesté en l’espèce que les Communautés autonomes elles-mêmes constituent des organismes de droit public. Toutefois, l’activité dont l’assujettissement à la TVA est en cause en l’espèce est exercée non pas par lesdits organismes, mais, à titre onéreux, par un prestataire de services distinct de ces derniers et non intégré dans ceux-ci. Cette absence d’intégration ressort clairement des relations décrites ci-dessus entre les registradores-liquidadores et les Communautés autonomes, du fait que des conventions de collaboration sont négociées entre les collèges des «registradores» et les Communautés autonomes régissant lesdites activités et du fait que, lorsqu’ils agissent en tant que responsables pour le registre foncier, personne ne prétend que le registrador de la propiedad constitue un organisme de droit public, au sens de l’article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive, ou ne met en cause l’assujettissement à la TVA de ces activités. Or, s’il existe certes une différence entre la gestion dudit registre et l’activité de recouvrement et de liquidation des impôts en cause en l’espèce, une telle différence se manifeste non pas à l’égard de la question de savoir si le registrador constitue un organisme de droit public, au sens de cette disposition de la sixième directive, mais à l’égard de la question de savoir si l’activité qu’il exerce relève de l’exercice de prérogatives de l’autorité publique.

117    Par ailleurs, à l’égard de la double fonction du registrador, il convient également de rappeler que, en réponse à une demande d’information de la part de la Commission, le Royaume d’Espagne a indiqué, par lettre du 5 avril 2006, que l’organisation du personnel employé par le registrador et les tâches qu’il doit accomplir dépendent de chaque bureau de liquidation. Si, dans certains bureaux, il peut exister une distinction entre le personnel chargé des tâches relatives à la gestion du registre foncier et celui chargé des tâches relatives aux activités de liquidation et de recouvrement, dans d’autres bureaux le personnel est censé alterner entre ces tâches distinctes en fonction de la charge de travail et des exigences du registrador. En tout état de cause, ledit personnel est lié au registrador par une relation de travail soumise au droit privé, dépend de lui et est rémunéré par celui-ci.

118    En conséquence, ainsi que la Cour l’a déjà relevé dans des circonstances similaires, même lorsque, comme en l’espèce, l’activité de liquidation et de recouvrement des impôts relève, en principe, des prérogatives de l’autorité publique, dès lors que les Communautés autonomes confient cette activité à un tiers indépendant agissant dans les conditions décrites ci-dessus, la règle de non-assujettissement prévue par l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive n’est pas applicable (arrêts précités Commission/Pays-Bas, point 22, et Ayuntamiento de Sevilla, point 20, ainsi que ordonnance Mihal, précitée, point 22).

119    Cette conclusion est, en outre, corroborée par le fait que, ainsi qu’il ressort du point 112 du présent arrêt, en tant que dérogation au principe de l’assujettissement de toute activité de nature économique, l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Si la désignation d’un organisme par le droit administratif d’un État membre en tant qu’organisme de droit public est certes pertinente pour déterminer son traitement aux fins de la TVA, elle ne peut pas être considérée comme étant décisive lorsque la nature réelle et la substance de l’activité que cet organisme exerce révèlent que les conditions strictes pour l’application de cette règle de non-assujettissement ne sont pas remplies.

120    Lors de l’audience, le Royaume d’Espagne a souligné le fait que les registradores-liquidadores sont responsables du recouvrement et de la liquidation d’impôts étatiques, à savoir les impôts sur les successions et les transmissions patrimoniales, relevant de l’autonomie fiscale reconnue aux États membres ainsi que de l’organisation et de la gestion de la structure administrative fiscale nationale.

121    Il convient, à cet égard, de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence que, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, il n’en reste pas moins que ces derniers doivent exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire (arrêt du 12 juillet 2005, Schempp, C‑403/03, Rec. p. I‑6421, point 19).

122    Il s’ensuit que rien dans le droit communautaire ne s’oppose à ce qu’un État membre ou des régions d’un État membre décident, conformément à la réglementation qui leur est applicable, de recourir à des entités, telles que les registradores-liquidadores en cause en l’espèce, pour recouvrer et liquider des impôts, tels que les impôts sur les successions et les transmissions patrimoniales, qui relèvent incontestablement de la compétence des États membres.

123    Toutefois, il ne s’ensuit pas qu’un État membre reste libre de ne pas soumettre à la TVA les services fournis par lesdits registradores s’il s’avère que ces services sont fournis, ainsi que c’est le cas en l’espèce, sous la forme d’une activité économique indépendante.

124    Enfin, le Royaume d’Espagne a invoqué la difficulté pour lui de remédier au manquement allégué par la Commission dès lors que celui-ci trouve son origine dans l’arrêt du Tribunal Supremo.

125    Il convient, à cet égard, de relever qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour qu’un manquement d’un État membre peut être, en principe, constaté au titre de l’article 226 CE quel que soit l’organe de cet État dont l’action ou l’inaction est à l’origine du manquement, même s’il s’agit d’une institution constitutionnellement indépendante (arrêt du 9 décembre 2003, Commission/Italie, C‑129/00, Rec. p. I‑14637, point 29 et jurisprudence citée).

126    Dans ledit arrêt, la Cour a également relevé que, si des décisions de justice isolées ou fortement minoritaires dans un contexte jurisprudentiel marqué par une autre orientation, ou encore une interprétation démentie par la juridiction suprême nationale, ne sauraient être prises en compte, il n’en est pas de même d’une interprétation jurisprudentielle significative non démentie par ladite juridiction suprême voire confirmée par celle-ci (arrêt Commission/Italie, précité, point 32).

127    Au vu des considérations qui précèdent, il y a donc lieu de constater que, en considérant que les services fournis à une Communauté autonome par les «registradores de la propiedad» en qualité de liquidateurs titulaires d’un bureau de liquidation ne sont pas soumis à la TVA, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive.

 Sur les dépens

128    En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume d’Espagne et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1)      En considérant que les services fournis à une Communauté autonome par les «registradores de la propiedad» en qualité de liquidateurs titulaires d’un bureau de liquidation de district hypothécaire («oficina liquidadora de distrito hipotecario») ne sont pas soumis à la taxe sur la valeur ajoutée, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme.

2)      Le Royaume d’Espagne est condamné aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.