C-156/08 - Vollkommer

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ORDONNANCE DE LA COUR (troisième chambre)

27 novembre 2008 (*)

«Article 104, paragraphe 3, du règlement de procédure – Sixième directive TVA – Article 33, paragraphe 1 – Notion de ‘taxes sur le chiffre d’affaires’ – Droit de mutation des biens immobiliers»

Dans l’affaire C‑156/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Niedersächsisches Finanzgericht (Allemagne), par décision du 2 avril 2008, parvenue à la Cour le 16 avril 2008, dans la procédure

Monika Vollkommer

contre

Finanzamt Hannover-Land I

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas (rapporteur), président de chambre, MM. A. Ó Caoimh, J. N. Cunha Rodrigues, U. Lõhmus et Mme P. Lindh, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: M. R. Grass,

la Cour se proposant de statuer par voie d’ordonnance motivée conformément à l’article 104, paragraphe 3, premier alinéa, de son règlement de procédure,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 401 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1), correspondant à l’article 33 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991 (JO L 376, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Vollkommer au Finanzamt Hannover-Land I au sujet du paiement de l’impôt sur les mutations foncières.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        L’article 33, paragraphe 1, de la sixième directive dispose:

«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, notamment de celles prévues par les dispositions communautaires en vigueur relatives au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, les dispositions de la présente directive ne font pas obstacle au maintien ou à l’introduction par un État membre de taxes sur les contrats d’assurance, sur les jeux et paris, d’accises, de droits d’enregistrement, et, plus généralement, de tous impôts, droits et taxes n’ayant pas le caractère de taxes sur le chiffre d’affaires, à condition, toutefois, que ces impôts, droits et taxes ne donnent pas lieu dans les échanges entre États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.»

4        Conformément à son premier considérant, la directive 2006/112 a procédé à la refonte de la sixième directive. Adoptée le 28 novembre 2006, cette directive, selon son article 413, est entrée en vigueur le 1er janvier 2007.

5        L’article 401 de la directive 2006/112 énonce:

«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les dispositions de la présente directive ne font pas obstacle au maintien ou à l’introduction par un État membre de taxes sur les contrats d’assurance et sur les jeux et paris, d’accises, de droits d’enregistrement, et, plus généralement, de tous impôts, droits et taxes n’ayant pas le caractère de taxes sur le chiffre d’affaires, à condition que la perception de ces impôts, droits et taxes ne donne pas lieu dans les échanges entre États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.»

 La réglementation nationale

6        Aux termes de l’article 1er, point 1, de la loi relative à l’impôt sur les mutations foncières (Grunderwerbsteuergesetz, ci-après le «GrEStG»):

«Pour autant qu’elles portent sur des immeubles situés sur le territoire national, les opérations juridiques suivantes sont assujetties à l’impôt sur les mutations foncières: un contrat de vente ou un autre acte juridique qui fonde un transfert de propriété.»

7        L’article 8 du GrEStG prévoit:

« (1) L’impôt est calculé sur la valeur de la contrepartie.

(2)      L’impôt est calculé sur les valeurs visées à l’article 138, paragraphes 2 ou 3, de la loi d’évaluation [(Bewertungsgesetz)]:

1.      lorsqu’il n’existe pas de contrepartie ou que celle-ci ne peut pas être déterminée;

         [...]

3.      [...]

Lorsque l’opération d’acquisition porte sur un bâtiment restant à édifier [...], par exception à l’article 138, paragraphe 1, deuxième phrase, de la loi d’évaluation, c’est la valeur de l’immeuble en fonction des conditions factuelles existant à la date d’achèvement du bâtiment qui s’applique.»

8        Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, point 1, du GrEStG:

«En cas de vente, est considéré comme contrepartie: le prix de vente, y compris les autres prestations réglées par l’acheteur et les fruits réservés au vendeur.»

9        L’article 11 du GrEStG prévoit un taux d’imposition de 3,5 %.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

10      Le 3 décembre 2004, Mme Vollkommer et son époux ont chargé une entreprise de construction d’édifier une maison unifamiliale à Ronnenberg (Allemagne) pour un prix de 196 544 euros.

11      Par acte notarié du 20 décembre 2004, ils ont acquis un terrain, restant à l’époque à construire, auprès d’une société foncière moyennant un prix de 73 870 euros. Cette dernière avait acquis ce terrain, mais également d’autres terrains à bâtir à Ronnenberg, par contrat du 22 juin 2004. Un plan de construction, dans lequel l’entreprise de construction mandatée par Mme Vollkommer et son époux était désignée, était annexé au contrat d’achat dudit terrain.

12      Ainsi que l’expose la juridiction de renvoi, étant donné que le gérant de l’entreprise de construction était en même temps associé de la société foncière, l’administration fiscale a considéré qu’il existait, du côté du vendeur, une interdépendance et une collaboration entre les deux entreprises et elle a suivi la jurisprudence du Bundesfinanzhof en vertu de laquelle, dans un tel cas, l’objet de l’opération de mutation foncière est considéré comme étant l’immeuble construit futur et elle a intégré les coûts futurs de construction dans la base d’imposition retenue au titre de l’impôt sur les mutations foncières.

13      Par avis en date du 11 février ou du 7 avril 2005, l’administration fiscale a fixé le montant de l’impôt sur les mutations foncières dû par Mme Vollkommer et son époux à un montant total de 9 464 euros, 2 585 euros représentant 3,5 % de la valeur du terrain et 6 879 euros correspondant à 3,5 % du coût de la construction.

14      À la suite d’une réclamation infructueuse, Mme Vollkommer a exercé un recours et a fait valoir, en substance, que l’impôt sur les mutations foncières doit porter non pas sur les frais de construction, mais seulement sur les frais d’achat du terrain à bâtir, donc uniquement sur la mutation foncière.

15      La juridiction de renvoi constate que, dans l’affaire au principal, les frais de construction feraient l’objet d’une double imposition puisqu’ils seraient soumis à la fois à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») et à l’impôt sur les mutations foncières. Elle se demande si ce cumul d’impôts ne serait pas contraire au principe communautaire visant à éviter les impositions multiples qui, selon elle, serait l’expression d’un principe général du droit qui dominerait le droit fiscal et le droit international.

16      Cette juridiction se réfère à l’arrêt du 8 juillet 1986, Kerrutt (73/85, Rec. p. 2219), dans lequel la Cour a dit pour droit que le droit communautaire ne s’oppose pas à ce qu’un État membre frappe une opération, soumise à la TVA, également d’autres impôts sur les mutations et les transactions, tels que la «Grunderwerbsteuer» prévue par le droit allemand, pourvu que ces derniers impôts n’aient pas le caractère de taxes sur le chiffre d’affaires. Elle estime cependant que cet arrêt ne fait pas obstacle à une nouvelle question préjudicielle relative à l’imposition allemande en cause au principal, eu égard, d’une part, à l’existence d’un contexte factuel différent, l’arrêt Kerrutt, précité, concernant une situation complexe (schéma du «maître de l’ouvrage») et la présente affaire étant relative à l’édification d’une maison unifamiliale, et, d’autre part, à l’évolution de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 33 de la sixième directive.

17      La juridiction de renvoi relève que la perception de l’impôt sur les mutations foncières sur le coût des travaux de construction est susceptible de fausser la concurrence puisque des candidats à la construction pourraient préférer recourir à une entreprise de construction qui n’a aucun lien avec le vendeur du terrain. Cette perception aurait également pour conséquence, à situations économiques comparables, une inégalité de traitement entre les acquéreurs d’un terrain en vue de la construction d’une habitation puisque, selon que le vendeur du terrain est ou non lié à l’entreprise de construction, l’imposition serait ou non due.

18      Selon la juridiction de renvoi, une partie de l’administration fiscale et divers auteurs fiscalistes considèrent que la TVA et l’impôt sur les mutations foncières, lorsqu’ils portent sur les coûts de construction d’un bâtiment, sont des impositions équivalentes et qu’il y aurait dès lors double imposition.

19      Eu égard à ces différents éléments, le Niedersächsisches Finanzgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La perception de l’impôt allemand sur les mutations foncières sur des prestations futures de travaux de construction par le biais de l’intégration de celles-ci dans la base d’imposition de l’impôt sur les mutations foncières lors de l’acquisition d’un terrain non bâti (théorie dite de l’objet uniforme de la prestation consistant à la fois dans les prestations de travaux de construction et l’acquisition du terrain lui-même) est-elle contraire à l’interdiction communautaire de taxer plusieurs fois une prestation au titre de la taxe sur le chiffre d’affaires, visée à l’article 401 de la directive [2006/112] (anciennement article 33, paragraphe 1, de la sixième directive) lorsque les prestations de travaux de construction grevées de l’impôt sur les mutations foncières sont en même temps soumises, en tant que prestations indépendantes, à la taxe allemande sur le chiffre d’affaires?»

 Sur la question préjudicielle

20      Conformément à l’article 104, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence, la Cour peut, après avoir entendu l’avocat général, à tout moment, statuer par voie d’ordonnance motivée comportant référence à la jurisprudence en cause.

21      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

22      Par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 401 de la directive 2006/112, correspondant à l’article 33 de la sixième directive, fait obstacle à la perception de l’impôt en cause sur des prestations futures de travaux de construction par le biais de l’intégration du montant de celles-ci dans la base d’imposition de cet impôt lors de l’acquisition d’un terrain non bâti, lorsque les prestations de travaux de construction grevées dudit impôt sont en même temps soumises, en tant que prestations indépendantes, à la TVA allemande.

23      À titre liminaire, il y a lieu de constater que, à la date des faits au principal, la directive 2006/112 n’avait pas encore été adoptée. Il y a lieu, dès lors, de se référer uniquement à la sixième directive.

24      Cette dernière directive permet, à son article 33, le maintien ou l’introduction, par un État membre, notamment de droits d’enregistrement et, plus généralement, d’impôts, de droits et de taxes frappant les livraisons de biens, les prestations de services ou les importations lorsque ces impôts, droits ou taxes n’ont pas le caractère de taxes sur le chiffre d’affaires.

25      Ainsi que la Cour l’a dit pour droit au point 22 de l’arrêt Kerrutt, précité, cette disposition doit être interprétée en ce sens que de tels impôts peuvent également être perçus lorsque leur perception peut conduire à un cumul avec la TVA pour une seule et même opération. La Cour a également précisé, au même point dudit arrêt, que le droit communautaire, en son état actuel, admet l’existence de régimes de taxation concurrents.

26      L’article 33 de la sixième directive n’apparaît pas susceptible d’une interprétation différente dans la présente affaire.

27      En premier lieu, si le texte de cette disposition a été modifié par la directive 91/680, sa substance est restée la même depuis l’adoption de la sixième directive.

28      En second lieu, il n’apparaît pas que la différence évoquée par la juridiction nationale entre la situation factuelle et juridique à l’origine de l’affaire au principal ayant donné lieu à l’arrêt Kerrutt, précité, et celle qui fait l’objet de la présente affaire au principal justifie une interprétation différente de l’article 33 de la sixième directive. En effet, cette différence n’est pas pertinente aux fins de vérifier si l’imposition sur les mutations foncières a le caractère d’une taxe sur le chiffre d’affaires au sens de l’article 33 de la sixième directive, dès lors que cette vérification nécessite un examen des caractéristiques essentielles de la taxe, qui ne sont pas modifiées en fonction des situations auxquelles elle s’applique.

29      En tout état de cause, la situation prise en considération dans l’arrêt Kerrutt, précité, était analogue à la celle décrite dans la présente affaire au principal, en tant qu’elle était également caractérisée par un cumul de l’impôt sur les mutations immobilières et de la TVA sur le prix de certains biens et prestations.

30      Enfin, s’agissant de la jurisprudence récente de la Cour, il n’apparaît pas que l’examen de l’impôt sur les mutations foncières au regard des différentes caractéristiques de la TVA conduise à une conclusion différente de celle à laquelle la Cour est parvenue dans l’arrêt Kerrutt, précité.

31      La Cour a précisé quelles sont les caractéristiques essentielles de la TVA. Il ressort de sa jurisprudence que celles-ci sont au nombre de quatre, à savoir l’application générale de la TVA aux transactions ayant pour objet des biens ou des services; la fixation de son montant proportionnellement au prix perçu par l’assujetti en contrepartie des biens et des services qu’il fournit; la perception de cette taxe à chaque stade du processus de production et de distribution, y compris à celui de la vente au détail, quel que soit le nombre de transactions intervenues précédemment, et la déduction de la TVA due par un assujetti des montants acquittés lors des étapes précédentes du processus de production et de distribution, de telle sorte que cette taxe ne s’applique, à un stade donné, qu’à la valeur ajoutée à ce stade et que la charge finale de ladite taxe repose en définitive sur le consommateur (arrêt du 11 octobre 2007, KÖGÁZ e.a., C‑283/06 et C‑312/06, Rec. p. I‑8463, point 37 et jurisprudence citée).

32      Statuant au sujet de droits d’enregistrement perçus conformément au droit français sur les acquisitions de terrains à bâtir, la Cour a jugé que de tels droits ne constituent pas un impôt général puisqu’ils ne concernent que des biens immobiliers, cédés à titre onéreux, dont le transfert donne lieu à un certain nombre de formalités, et qu’ils n’ont pas, par conséquent, pour objet d’appréhender l’ensemble des opérations économiques dans l’État membre concerné (arrêt du 16 décembre 1992, Beaulande, C‑208/91, Rec. p. I‑6709, point 16).

33      La même constatation pouvant être faite en ce qui concerne l’impôt allemand sur les mutations foncières, il s’ensuit que ce dernier ne présente pas la première caractéristique de la TVA telle qu’énoncée au point 30 du présent arrêt.

34      Au surplus, cet impôt n’est pas perçu dans le cadre d’un processus de production et de distribution prévoyant que, à chaque stade de celui-ci, peuvent être déduits de l’impôt les montants acquittés lors des étapes précédentes dudit processus. En effet, il s’agit d’un impôt perçu uniquement lorsqu’un bien immobilier entre dans le patrimoine d’un acquéreur, portant non pas sur la valeur ajoutée à ce bien, mais sur la totalité de la valeur de celui-ci, sans possibilité de déduction de la taxe acquittée en raison d’une éventuelle transaction antérieure. Il s’ensuit que cet impôt ne présente pas non plus les autres caractéristiques de la TVA.

35      Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 33 de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un État membre, lors de l’acquisition d’un terrain non bâti, intègre des prestations futures de travaux de construction dans la base d’imposition utilisée pour le calcul d’impôts sur les mutations et les transactions, tels que la «Grunderwerbsteuer» prévue par le droit allemand, et frappe ainsi une opération, soumise à la TVA en application de la sixième directive, également de ces autres impôts, pourvu que ces derniers n’aient pas le caractère de taxes sur le chiffre d’affaires.

 Sur les dépens

36      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

L’article 33 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un État membre, lors de l’acquisition d’un terrain non bâti, intègre des prestations futures de travaux de construction dans la base d’imposition utilisée pour le calcul d’impôts sur les mutations et les transactions, tels que la «Grunderwerbsteuer» prévue par le droit allemand, et frappe ainsi une opération, soumise à la taxe sur la valeur ajoutée en application de ladite directive, également de ces autres impôts, pourvu que ces derniers n’aient pas le caractère de taxes sur le chiffre d’affaires.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.