C-489/09 - Vandoorne

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Affaire C-489/09

Vandoorne NV

contre

Belgische Staat

(demande de décision préjudicielle, introduite par le hof van beroep te Gent)

«Sixième directive TVA — Articles 11, C, paragraphe 1, et 27, paragraphes 1 et 5 — Base d’imposition — Mesures de simplification — Tabacs manufacturés — Bandelettes fiscales — Perception unique de la TVA à la source — Fournisseur intermédiaire — Non-paiement total ou partiel du prix — Refus de restitution de la TVA»

Sommaire de l'arrêt

Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Base d'imposition — Mesures nationales dérogatoires

(Directive du Conseil 77/388, art. 11, C, § 1, et 27, § 1 et 5)

Les articles 11, C, paragraphe 1, et 27, paragraphes 1 et 5, de la sixième directive 77/388, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, telle que modifiée par la directive 2004/7, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, prévoyant, afin de simplifier la perception de la taxe sur la valeur ajoutée et de lutter contre la fraude ou l’évasion fiscale en ce qui concerne les tabacs manufacturés, le prélèvement de cette taxe au moyen de bandelettes fiscales en une seule fois et à la source auprès du fabricant ou de l’importateur de ces produits, exclut le droit, pour les fournisseurs intermédiaires intervenant ultérieurement dans la chaîne des livraisons successives, d’obtenir la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée en cas de non-paiement du prix desdits produits par l’acquéreur.

En effet, l’article 27, paragraphe 1, de la sixième directive ne fait obstacle qu’aux mesures susceptibles d’influer de façon non négligeable sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale. Or, même si, dans certaines circonstances, telles que la perte des produits, leur mévente ou leur vente irrégulière à un prix différent du prix de détail indiqué sur les bandelettes fiscales, le fabricant ou l’importateur pourrait, dans le cadre du régime dérogatoire précité, être tenu d’acquitter un montant de ladite taxe supérieur à celui qui aurait résulté de l’application du système harmonisé de droit commun de perception de la taxe sur la valeur ajoutée, la seule éventualité que de telles circonstances se produisent n’est toutefois pas suffisante pour considérer que ce régime pourrait influer de façon non négligeable sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale. En effet, une mesure de simplification implique, par nature, une approche plus globale que celle de la règle qu’elle remplace et ne correspond donc pas nécessairement à la situation exacte de chaque assujetti.

En outre, les fournisseurs intermédiaires n’étant pas tenus au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée sur les livraisons de tabacs manufacturés, ils ne sauraient demander la restitution de celle-ci, en vertu de l’article 11, C, paragraphe 1, de la sixième directive, en cas de non-paiement du prix de ces livraisons par l’acquéreur. À cet égard, la circonstance que le montant de taxe sur la valeur ajoutée acquitté à la source par le fabricant ou par l’importateur au moyen de bandelettes fiscales est inclus, d’un point de vue économique, dans le prix des livraisons effectuées à ces fournisseurs est dépourvue de pertinence. En effet, une telle circonstance ne remet en rien en cause le fait que lesdits fournisseurs ne sont tenus à aucune dette fiscale au regard des règles relatives à la taxe sur la valeur ajoutée.

Par ailleurs, dans le cadre d’un tel régime de perception simplifiée de la taxe sur la valeur ajoutée, le montant de la taxe acquittée par le fabricant ou l’importateur au moyen de bandelettes fiscales se rattachant non pas à la contrepartie réellement reçue par chaque fournisseur, mais au prix des produits au stade de la consommation finale, la perte par un fournisseur intermédiaire de sa créance à l’égard de son cocontractant n’entraîne aucune réduction de la base d’imposition.

Enfin, permettre à un fournisseur intermédiaire, dans le cadre d’un tel régime de simplification de la taxe sur la valeur ajoutée, d’obtenir la restitution d’un montant de cette taxe, voire de l’intégralité de celle-ci, lorsque l’acquéreur ne paie pas le prix des livraisons, risquerait autant de compliquer significativement la perception de la taxe sur la valeur ajoutée que de favoriser les abus et les fraudes, alors que la simplification de la perception de cette taxe et la prévention de tels abus et fraudes constituent précisément les objectifs poursuivis par ce régime, conformément à l’article 27, paragraphe 1, de la sixième directive. Il en résulte que l’exclusion du droit à restitution de la taxe sur la valeur ajoutée à l’égard d’un fournisseur intermédiaire en cas de non-paiement du prix par l’acquéreur de tabacs manufacturés livrés à ce dernier constitue une conséquence inhérente à un tel régime, qui a pour objet et pour effet, conformément aux critères définis à l’article 27, paragraphe 1, de la sixième directive, de simplifier la perception de la taxe sur la valeur ajoutée et de lutter contre la fraude ou l’évasion fiscale en ce qui concerne ces produits.

(cf. points 30-31, 38-40, 43, 45-46 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

27 janvier 2011 (*)

«Sixième directive TVA – Articles 11, C, paragraphe 1, et 27, paragraphes 1 et 5 – Base d’imposition – Mesures de simplification – Tabacs manufacturés – Bandelettes fiscales – Perception unique de la TVA à la source – Fournisseur intermédiaire – Non-paiement total ou partiel du prix – Refus de restitution de la TVA»

Dans l’affaire C‑489/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le hof van beroep te Gent (Belgique), par décision du 17 novembre 2009, parvenue à la Cour le 30 novembre 2009, dans la procédure

Vandoorne NV

contre

Belgische Staat,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, MM. A. Arabadjiev, U. Lõhmus, A. Ó Caoimh (rapporteur) et Mme P. Lindh, juges

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: M. A. Calot Escobar,

considérant les observations présentées:

–        pour Vandoorne NV, par Me D. Blommaert, advocaat,

–        pour le gouvernement belge, par Mme M. Jacobs et M. J.-C. Halleux, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par M. W. Roels et Mme M. Afonso, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 11, C, paragraphe 1, et 27, paragraphes 1 et 5, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 2004/7/CE du Conseil, du 20 janvier 2004 (JO L 27, p. 44, ci-après la «sixième directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Vandoorne NV (ci-après «Vandoorne») au Belgische Staat (État belge) au sujet du refus de ce dernier de restituer à cette société la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») relative à des livraisons de tabacs manufacturés ayant fait l’objet d’un non-paiement par le cocontractant de ladite société.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

3        L’article 2 de la sixième directive dispose:

«Sont soumises à la [TVA]:

1.      les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;

2.      les importations de biens.»

4        L’article 5, paragraphe 1, de cette directive prévoit:

«Est considéré comme ‘livraison d’un bien’ le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.»

5        Sous le titre VII, intitulé «Fait générateur et exigibilité de la taxe», l’article 10 de ladite directive est libellé comme suit:

«1.      Sont considérés comme:

a)      fait générateur de la taxe: le fait par lequel sont réalisées les conditions légales, nécessaires pour l’exigibilité de la taxe;

b)      exigibilité de la taxe: le droit que le Trésor peut faire valoir aux termes de la loi, à partir d’un moment donné, auprès du redevable pour le paiement de la taxe, même si le paiement peut en être reporté.

2.      Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison du bien ou la prestation de services est effectuée. [...]»

6        L’article 11, C, paragraphe 1, de la sixième directive, qui figure sous le titre VIII de celle-ci, intitulé «Base d’imposition», dispose:

«En cas d’annulation, de résiliation, de résolution, de non-paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans les conditions déterminées par les États membres.

Toutefois, en cas de non-paiement total ou partiel, les États membres peuvent déroger à cette règle.»

7        L’article 27 de cette directive, figurant sous le titre XV de celle-ci, intitulé «Mesures de simplification», est libellé comme suit:

«1.      Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d’éviter certaines fraudes ou évasions fiscales. Les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant global des recettes fiscales de l’État membre perçues au stade de la consommation finale.

[...]

5.      Les États membres qui appliquent, au 1er janvier 1977, des mesures particulières du type de celles visées au paragraphe 1 peuvent les maintenir, à la condition de les notifier à la Commission avant le 1er janvier 1978 et sous réserve qu’elles soient conformes, pour autant qu’il s’agisse de mesures destinées à simplifier la perception de la taxe, au critère défini au paragraphe 1.»

8        La directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO L 76, p. 1), qui s’applique aux tabacs manufacturés, prévoit, à son article 6, paragraphe 1, que l’accise devient exigible lors de la mise à la consommation, à savoir, notamment, lors de la fabrication de ces produits ou de leur importation hors d’un régime suspensif.

9        L’article 10 de la directive 95/59/CE du Conseil, du 27 novembre 1995, concernant les impôts autres que les taxes sur le chiffre d’affaires frappant la consommation des tabacs manufacturés (JO L 291, p. 40), est libellé comme suit:

«1.      Les modalités de perception de l’accise sont harmonisées au plus tard au stade final. Au cours des étapes précédentes, l’accise est perçue, en principe, au moyen de marques fiscales. S’ils perçoivent l’accise au moyen de marques fiscales, les États membres sont tenus de mettre ces marques à la disposition des fabricants et négociants des autres États membres. S’ils perçoivent l’accise par d’autres moyens, les États membres veillent à ce que, de ce fait, aucune entrave, ni administrative ni technique, n’affecte les échanges entre les États membres.

2.      Les importateurs et les fabricants des tabacs manufacturés sont soumis au régime visé au paragraphe 1 en ce qui concerne les modalités de perception et de paiement de l’accise.»

 La réglementation nationale

10      L’article 77, paragraphe 1, 7°, du code de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après le «code de la TVA») est libellé comme suit:

«Sans préjudice de l’application de l’article 334 de la loi-programme du 27 décembre 2004, la taxe ayant grevé la livraison de biens, une prestation de services ou l’acquisition intracommunautaire d’un bien, est restituée à due concurrence:

[...]

7°      en cas de perte totale ou partielle de la créance du prix.»

11      L’article 58, paragraphe 1, du code de la TVA, dispose:

«En ce qui concerne les tabacs manufacturés qui sont importés, acquis au sens de l’article 25 ter ou produits, en Belgique, la taxe est perçue dans tous les cas où, en vertu des dispositions légales ou réglementaires relatives au régime fiscal des tabacs, le droit d’accise belge doit être acquitté. La taxe est calculée sur la base du prix inscrit sur la bandelette fiscale ou si aucun prix n’est prévu, sur la base adoptée pour la perception du droit d’accise.

[...]

La taxe ainsi perçue tient lieu de taxe à laquelle sont soumises l’importation, les acquisitions intracommunautaires et les livraisons de tabacs manufacturés.

Le Roi détermine les modalités de perception de la taxe applicable aux tabacs manufacturés et les personnes tenues au paiement de celle-ci.»

12      L’article 58, paragraphe 1, du code de la TVA était en vigueur lors de l’adoption de la sixième directive. En application de l’article 27, paragraphe 5, de cette dernière, le Royaume de Belgique a, le 19 décembre 1977, notifié cette disposition à la Commission. Le texte de cette notification était le suivant:

«B.      Acquittement de l’impôt dans une phase préalable.

1.      Les produits de tabac manufacturés

Afin de faciliter le contrôle de la perception de la TVA dans ce secteur, la taxe qui est due à l’occasion de l’importation et de la livraison de tabacs fabriqués est perçue en même temps que les droits d’accises. Lors de l’achat des bandelettes fiscales par le fabricant ou l’importateur, la TVA est, en effet, payée sur le prix à payer par le consommateur. Aucune TVA n’est perçue aux stades ultérieurs, mais aucune déduction ne peut bien entendu être opérée. Toutes les ventes de tabacs fabriqués doivent être facturées taxe comprise.»

13      L’arrêté royal n° 13, du 29 décembre 1992, relatif au régime des tabacs manufacturés en matière de taxe sur la valeur ajoutée (Belgisch Staatsblad, 31 décembre 1992, p. 28086), dispose:

«Article 1er

La [TVA] frappant les tabacs manufacturés, y compris les succédanés du tabac, importés, acquis au sens de l’article 25 ter du [code de la TVA] ou produits, en Belgique, est exigible au même moment que le droit d’accise.

Le montant de la taxe calculée conformément à l’article 58, § 1er, du[code de la TVA] est payé par la personne redevable du droit d’accise au receveur chargé de la perception de ce droit.

[...]

Article 2

Par dérogation à l’article 5, 8° et 9°, de l’arrêté royal n° 1, relatif aux mesures tendant à assurer le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, les livraisons de tabacs manufacturés sont facturées au prix taxe comprise. En outre, la facture porte la mention: ‘Tabacs manufacturés: TVA perçue à la source et non déductible’.»

14      L’article 6 de la loi du 10 juin 1997 relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (Belgisch Staatsblad, 1er août 1997, p. 19836) prévoit que l’accise devient exigible lors de la mise à la consommation, à savoir, notamment, lors de la fabrication de ces produits ou de leur importation hors d’un régime suspensif.

15      L’article 10 bis de la loi du 3 avril 1997 relative au régime fiscal des tabacs manufacturés (Belgisch Staatsblad, 16 mai 1997, p. 12105) prévoit que le droit d’accise, le droit d’accise spécial et la TVA doivent être acquittés lors de la délivrance des signes fiscaux.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

16      Vandoorne est enregistrée en tant qu’assujettie à la TVA pour l’activité économique consistant dans le commerce en gros de tabacs manufacturés. Elle intervient à ce titre comme intermédiaire dans la chaîne de commercialisation de ces produits entre les fabricants et/ou importateurs, d’une part, et les revendeurs et/ou détaillants, d’autre part.

17      Il ressort à cet égard du dossier soumis à la Cour que les tabacs manufacturés livrés à Vandoorne aux fins de l’exercice de ses activités sont d’ores et déjà revêtus de bandelettes fiscales qui ont été apposées par ses fournisseurs en tant que fabricants ou importateurs de ces produits, en vertu de l’article 58, paragraphe 1, du code de la TVA et des dispositions de l’arrêté royal n° 13.

18      Il est constant que, conformément à l’article 2 de cet arrêté royal, les factures relatives à ces livraisons effectuées à Vandoorne comportent la mention «Tabacs manufacturés: TVA perçue à la source et non déductible» et, partant, n’indiquent aucun montant distinct de TVA. Les livraisons de ces mêmes produits effectuées par Vandoorne à ses cocontractants comportent la même mention et, dès lors, elles n’indiquent non plus aucun montant distinct de TVA.

19      Dans sa déclaration de TVA relative au premier trimestre de l’année 2006, Vandoorne a demandé à l’administration fiscale la restitution de la TVA relative à des livraisons de tabacs manufacturés à Capitol BVBA (ci-après «Capitol»), à la suite de la perte définitive de la créance afférente à ces livraisons après la faillite de cette société intervenue le 14 mars 2005.

20      Cette demande a été rejetée par l’administration fiscale au motif qu’aucune TVA n’avait été imputée sur ces livraisons, la TVA relative aux produits en cause ayant été acquittée par le fabricant avec les accises, à titre de perception unique, en vertu de l’article 58, paragraphe 1, du code de la TVA.

21      Par un jugement du 8 octobre 2008, le rechtbank van eerste aanleg te Brugge a également rejeté comme non fondée la demande de Vandoorne.

22      Saisi en appel, le hof van beroep te Gent constate, à l’instar du Belgische Staat, que, en l’occurrence, en application de l’article 58, paragraphe 1, du code de la TVA et des dispositions de l’arrêté royal n° 13, aucun montant n’avait été prélevé au titre de la TVA au cours de la phase commerciale litigieuse survenue entre Vandoorne et Capitol, dès lors que la TVA avait été perçue intégralement à la source auprès du fabricant ou de l’importateur en même temps que les accises, et que les livraisons effectuées à la première de ces sociétés étaient accompagnées d’une facture ne mentionnant pas la TVA en tant que composante distincte du prix, de sorte qu’elle n’avait pas procédé à la déduction de la TVA. De même, la facture remise par Vandoorne à Capitol ne mentionnerait pas la TVA de manière distincte, indiquerait que celle-ci a été acquittée à la source et n’est pas déductible. Or, l’article 77, paragraphe 1, du code de la TVA prévoirait seulement une possibilité de «restitution» de la TVA «ayant grevé la livraison de biens».

23      Cette juridiction se demande toutefois si l’application de la mesure de simplification prévue à l’article 27 de la sixième directive peut avoir pour conséquence de priver un tel fournisseur intermédiaire du droit à restitution de la TVA, dès lors que celle-ci est comprise dans le prix payé par celui-ci. En effet, même si le système implique que, dès lors que les bandelettes fiscales ont été apposées par le fabricant ou par l’importateur, la TVA perd son identité, il ne saurait être nié que, lors de chaque phase commerciale ultérieure, le montant de cette taxe est intégralement payé, sans que l’assujetti puisse procéder à sa déduction. Or, lorsqu’un fournisseur intermédiaire perd la créance qu’il détient sur son cocontractant, il ne pourrait percevoir le montant de TVA correspondant, alors qu’il a payé ce même montant de TVA à son propre fournisseur.

24      Dans ces conditions, le hof van beroep te Gent a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La législation belge, en particulier l’article 58, paragraphe 1, lu en combinaison avec l’article 77, paragraphe 1, 7°, du code de la TVA, est-elle ou non conforme à l’article 27 de la sixième directive [...], qui permet aux États membres d’adopter des mesures de simplification, et/ou à l’article 11, C, [paragraphe] 1, de cette même directive, qui ouvre un droit à restitution de la TVA en cas de non-paiement total ou partiel, en ce qu’elle [...] introduit une simplification de la perception de la TVA pour la livraison de produits du tabac en imposant une perception unique à la source, et [...] ne confère pas de droit à restitution de la TVA en raison de la perte totale ou partielle du prix aux assujettis qui ont supporté la TVA sur ces produits du tabac aux stades intermédiaires?»

 Sur la question préjudicielle

25      À titre liminaire, il convient de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE, de se prononcer sur la compatibilité de dispositions nationales avec le droit de l’Union. La Cour est toutefois compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation relevant de ce droit qui peuvent lui permettre d’apprécier cette compatibilité pour le jugement de l’affaire dont elle est saisie (voir, notamment, arrêts du 5 juillet 2007, Fendt Italiana, C‑145/06 et C‑146/06, Rec. p. I‑5869, point 30, ainsi que du 9 mars 2010, ERG e.a., C‑379/08 et C‑380/08, non encore publié au Recueil, point 25).

26      Dans ces conditions, il y a lieu de comprendre la question posée en ce sens que la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si les articles 11, C, paragraphe 1, et 27, paragraphes 1 et 5, de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, prévoyant le prélèvement de la TVA, au moyen de bandelettes fiscales, en une seule fois et à la source auprès du fabricant ou de l’importateur de tabacs manufacturés, exclut le droit, pour les fournisseurs intermédiaires intervenant ultérieurement dans la chaîne des livraisons successives, d’obtenir la restitution de la TVA en cas de non-paiement du prix de ces produits par l’acquéreur.

27      À cet égard, il convient de rappeler que les mesures nationales dérogatoires visées à l’article 27, paragraphes 1 et 5, de la sixième directive, permises «afin de simplifier la perception de la taxe ou d’éviter certaines fraudes ou évasions fiscales», sont d’interprétation stricte et ne peuvent déroger au respect de la base d’imposition de la TVA visée à l’article 11 de ladite directive que dans des limites strictement nécessaires pour atteindre cet objectif (voir arrêts du 10 avril 1984, Commission/Belgique, 324/82, Rec. p. 1861, point 29, et du 29 mai 1997, Skripalle, C-63/96, Rec. p. I-2847, point 24). Elles doivent en outre être nécessaires et appropriées à la réalisation de l’objectif spécifique qu’elles poursuivent et affecter le moins possible les objectifs et principes de la sixième directive (arrêts du 19 septembre 2000, Ampafrance et Sanofi, C-177/99 et C-181/99, Rec. p. I-7013, point 60, ainsi que du 29 avril 2004, Sudholz, C‑17/01, Rec. p. I‑4243, point 46).

28      En l’occurrence, il apparaît que, à l’instar du régime néerlandais en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 juin 2006, Heintz van Landewijck (C‑494/04, Rec. p. I‑5381, points 24, 44, 54 et 62), le régime dérogatoire, figurant dans la réglementation nationale en cause au principal et permettant de percevoir la TVA au moyen de bandelettes fiscales, a pour objet et pour effet tant de prévenir les fraudes et abus que de simplifier la perception de la taxe, qui s’effectue, grâce à ce régime dérogatoire, à une seule étape de la chaîne de commercialisation des produits, en prévoyant que la TVA est perçue en même temps que les droits d’accises, avant qu’intervienne le fait générateur de la taxe au titre de l’article 10 de la sixième directive. Ce régime porte ainsi sur le moment de l’exigibilité de cette dernière, de façon à ce qu’il coïncide avec celui de la perception des droits d’accises (voir arrêt du 14 juillet 2005, British American Tobacco et Newman Shipping, C‑435/03, Rec. p. I‑7077, points 45 et 46).

29      Par ailleurs, il est constant que, à l’instar également du régime néerlandais en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Heintz van Landewijck, précité (point 55), ce régime, ainsi qu’il ressort tant de l’article 58, paragraphe 1, du code de la TVA que du contenu de la notification effectuée par le Royaume de Belgique en vertu de l’article 27, paragraphe 5, de la sixième directive, reproduite au point 12 du présent arrêt, rattache le montant de la TVA due au prix des produits au stade de leur consommation finale, ledit montant étant déterminé par rapport au prix de détail à payer par le consommateur.

30      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 27, paragraphe 1, de la sixième directive ne fait obstacle qu’aux mesures susceptibles d’influer de façon non négligeable sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale (voir arrêts du 12 juillet 1988, Direct Cosmetics et Laughtons Photographs, 138/86 et 139/86, Rec. p. 3937, point 52, ainsi que Heintz van Landewijck, précité, point 57).

31      Or, même si, dans certaines circonstances, telles que la perte des produits, leur mévente ou leur vente irrégulière à un prix différent du prix de détail indiqué sur les bandelettes fiscales, le fabricant ou l’importateur pourrait, dans le cadre d’un régime tel que celui en cause au principal, être tenu d’acquitter un montant de TVA supérieur à celui qui aurait résulté de l’application du système harmonisé de droit commun de perception de la TVA, la seule éventualité que de telles circonstances se produisent n’est toutefois pas suffisante pour considérer que ce régime pourrait influer de façon non négligeable sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale (voir, en ce sens, arrêt Heintz van Landewijck, précité, points 56 à 58). En effet, une mesure de simplification implique, par nature, une approche plus globale que celle de la règle qu’elle remplace et ne correspond donc pas nécessairement à la situation exacte de chaque assujetti (arrêt Sudholz, précité, point 62).

32      Il en résulte qu’un régime tel que celui en cause au principal ne méconnaît pas les critères définis à l’article 27, paragraphe 1, de la sixième directive et, pour les mêmes raisons, n’excède pas ce qui est nécessaire en vue de simplifier la perception de la TVA et de lutter contre la fraude ou l’évasion fiscale (voir, en ce sens, arrêt Heintz van Landewijck, précité, points 58 et 59).

33      Dans ses observations écrites déposées dans la présente affaire, Vandoorne fait cependant valoir que ce régime est contraire aux articles 11, C, paragraphe 1, et 27, paragraphes 1 et 5, de la sixième directive, en ce qu’il exclut le droit à restitution de la TVA en cas de non-paiement du prix. En effet, en permettant aux États membres d’instituer un régime de perception unique de la TVA à la source, par dérogation à la règle générale prévoyant la perception de la TVA à chaque stade de la chaîne économique, l’article 27 de la sixième directive autoriserait uniquement des mesures nationales de simplification de la perception de la TVA destinées à éviter la fraude ou l’évasion fiscale. Toute exception étant d’interprétation stricte, une telle dérogation ne pourrait, en revanche, avoir aucun effet sur d’autres règles relatives à la TVA, telles que celles régissant la restitution de cette taxe. Par ailleurs, la perte de créance qu’elle aurait subie en l’occurrence lui causerait exactement le même préjudice que celui subi par un assujetti normal auquel s’applique le régime de la TVA fractionnée, puisque, dans le cadre du régime dérogatoire en cause, chaque maillon intermédiaire supporte la TVA comprise dans le prix payé à son fournisseur de tabacs manufacturés.

34      Cette argumentation ne saurait être retenue.

35      En effet, ainsi qu’il ressort du point 28 du présent arrêt, il est constant que, dans le cadre d’un régime tel que celui en cause dans l’affaire au principal, la TVA relative aux tabacs manufacturés est perçue, au moyen de bandelettes fiscales, en une seule fois et, de manière anticipée, à la source auprès du seul fabricant ou importateur de ces produits, en même temps que la perception des droits d’accises, avant que n’intervienne le fait générateur de la taxe au titre de l’article 10 de la sixième directive.

36      Il s’ensuit que les fournisseurs intermédiaires, tels que Vandoorne dans l’affaire au principal, qui interviennent postérieurement au fabricant ou à l’importateur dans la chaîne des livraisons successives de ces produits, d’une part, ne doivent acquitter, lors des livraisons qui sont effectuées à leur intention par leur propre fournisseur, aucun montant de TVA en amont susceptible de donner droit à la déduction immédiate et intégrale de cette taxe au titre de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive et, d’autre part, ne sont eux-mêmes redevables d’aucun montant de TVA en aval au titre de l’article 10, paragraphe 2, de ladite directive lors des livraisons effectuées à l’acquéreur desdits produits.

37      Ainsi, dans une situation telle que celle en cause dans l’affaire au principal, il est constant que, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 18 du présent arrêt, les factures afférentes à ces différentes livraisons, conformément à l’article 2 de l’arrêté royal n° 13, reproduit au point 13 dudit arrêt, ne mentionnent aucun montant distinct de TVA, ces factures indiquant un prix qui inclut le montant de TVA acquitté par le fabricant ou l’importateur et portant la mention «Tabacs manufacturés: TVA perçue à la source et non déductible».

38      Dans ces conditions, les fournisseurs intermédiaires n’étant pas tenus au paiement de la TVA sur les livraisons de tabacs manufacturés, ils ne sauraient demander la restitution de celle-ci, en vertu de l’article 11, C, paragraphe 1, de la sixième directive, en cas de non-paiement du prix de ces livraisons par l’acquéreur.

39      À cet égard, la circonstance que le montant de TVA acquitté à la source par le fabricant ou par l’importateur au moyen de bandelettes fiscales est inclus, d’un point de vue économique, dans le prix des livraisons effectuées à ces fournisseurs est dépourvue de pertinence. En effet, une telle circonstance ne remet en rien en cause le fait que lesdits fournisseurs ne sont tenus à aucune dette fiscale au regard des règles relatives à la TVA.

40      Par ailleurs, dans le cadre d’un régime de perception simplifiée de la TVA tel que celui en cause au principal, le montant de la TVA acquittée par le fabricant ou l’importateur au moyen de bandelettes fiscales se rattachant non pas à la contrepartie réellement reçue par chaque fournisseur, mais, ainsi qu’il a été déjà constaté au point 29 du présent arrêt, au prix des produits au stade de la consommation finale, la perte par un fournisseur intermédiaire, tel que celui en cause dans l’affaire au principal, de sa créance à l’égard de son cocontractant n’entraîne aucune réduction de la base d’imposition.

41      Dans ces conditions, force est de constater que la restitution à un tel fournisseur intermédiaire d’un montant de TVA en cas de non-paiement du prix par l’acquéreur des livraisons de tabacs manufacturés influerait de manière non négligeable, contrairement à ce qu’exige l’article 27, paragraphe 1, de la sixième directive, sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale et, partant, sur les recettes fiscales de l’État membre perçues à ce stade. Tel serait d’autant plus le cas si la demande de restitution de la TVA devait porter sur l’intégralité du montant acquitté par le fabricant ou l’importateur des tabacs manufacturés, au motif que la taxe payée de manière anticipée par ceux-ci grève dans sa totalité le prix facturé par chaque fournisseur intermédiaire à son cocontractant.

42      Or, il est probable que, ainsi que la Commission l’a indiqué dans ses observations, ces produits, compte tenu de leur nature, puissent encore être vendus aux consommateurs finals, notamment, dans une affaire telle que celle au principal, par le représentant de l’acquéreur déclaré en faillite. Ainsi, il ne serait pas exclu que, contrairement au principe prévu par le système commun de TVA, lesdits produits soient consommés sans qu’une partie, voire l’intégralité, de la taxe due ait été acquittée au Trésor.

43      En outre, il y a lieu de souligner que le fait de permettre à un fournisseur intermédiaire, dans le cadre d’un tel régime, d’obtenir la restitution d’un montant de TVA, voire de l’intégralité de celle-ci, lorsque l’acquéreur, alléguant, notamment, son état d’insolvabilité, ne paie pas le prix des livraisons, risquerait autant de compliquer significativement la perception de la TVA que, ainsi que les gouvernements belge et tchèque l’ont fait valoir dans leurs observations, de favoriser les abus et les fraudes, alors que la simplification de la perception de la TVA et la prévention de tels abus et fraudes constituent précisément les objectifs poursuivis par ce régime, conformément à l’article 27, paragraphe 1, de la sixième directive (voir, par analogie, arrêts Heintz van Landewijck, précité, points 43, 62 et 65, ainsi que du 13 décembre 2007, BATIG, C‑374/06, Rec. p. I‑11271, point 39).

44      Or, le marché des cigarettes est, ainsi que la Cour l’a déjà relevé, particulièrement propice au développement d’un commerce illégal [voir arrêts du 10 décembre 2002, British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco, C‑491/01, Rec. p. I‑11453, point 87; du 29 avril 2004, British American Tobacco, C‑222/01, Rec. p. I‑4683, point 72, ainsi que BATIG, précité, point 34].

45      Il en résulte que l’exclusion du droit à restitution de la TVA à l’égard d’un fournisseur intermédiaire, telle que Vandoorne, en cas de non-paiement du prix par l’acquéreur de tabacs manufacturés livrés à ce dernier constitue une conséquence inhérente à un régime tel que celui en cause au principal, qui a pour objet et pour effet, conformément aux critères définis à l’article 27, paragraphe 1, de la sixième directive, de simplifier la perception de la TVA et de lutter contre la fraude ou l’évasion fiscale en ce qui concerne ces produits.

46      En conséquence, il convient de répondre à la question posée que les articles 11, C, paragraphe 1, et 27, paragraphes 1 et 5, de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, prévoyant, afin de simplifier la perception de la TVA et de lutter contre la fraude ou l’évasion fiscale en ce qui concerne les tabacs manufacturés, le prélèvement de cette taxe au moyen de bandelettes fiscales en une seule fois et à la source auprès du fabricant ou de l’importateur de ces produits, exclut le droit, pour les fournisseurs intermédiaires intervenant ultérieurement dans la chaîne des livraisons successives, d’obtenir la restitution de la TVA en cas de non-paiement du prix desdits produits par l’acquéreur.

 Sur les dépens

47      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

Les articles 11, C, paragraphe 1, et 27, paragraphes 1 et 5, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 2004/7/CE du Conseil, du 20 janvier 2004, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, prévoyant, afin de simplifier la perception de la taxe sur la valeur ajoutée et de lutter contre la fraude ou l’évasion fiscale en ce qui concerne les tabacs manufacturés, le prélèvement de cette taxe au moyen de bandelettes fiscales en une seule fois et à la source auprès du fabricant ou de l’importateur de ces produits, exclut le droit, pour les fournisseurs intermédiaires intervenant ultérieurement dans la chaîne des livraisons successives, d’obtenir la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée en cas de non-paiement du prix desdits produits par l’acquéreur.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.