C-180/10 - Slaby e.a.

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Affaires jointes C-180/10 et C-181/10

Jarosław Słaby

contre

Minister Finansów
et
Emilian Kuć et Halina Jeziorska-Kuć
contre
Dyrektor Izby Skarbowej w Warszawie

(demandes de décision préjudicielle, introduites par

le Naczelny Sąd Administracyjny)

«Fiscalité — Taxe sur la valeur ajoutée — Directive 2006/112/CE — Notion d’assujetti — Vente de terrains à bâtir — Articles 9, 12 et 16 — Absence de déduction de la TVA en amont»

Sommaire de l'arrêt

Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Activités économiques au sens de l'article 12 de la directive 2006/112 — Notion

(Directive du Conseil 2006/112, art. 9, § 1, 12, § 1, et 295, § 1, point 3))

La livraison d'un terrain destiné à la construction doit être considérée comme soumise à la taxe sur la valeur ajoutée en vertu de la législation nationale d'un État membre si cet État membre a fait usage de la faculté prévue à l'article 12, paragraphe 1, de la directive 2006/112, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, indépendamment du caractère permanent de l'opération ou de la question de savoir si la personne ayant effectué la livraison exerce une activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de service, pour autant que cette opération ne constitue pas le simple exercice du droit de propriété par son titulaire.

Une personne physique ayant exercé une activité agricole sur un fonds de terre requalifié, à la suite d’une modification des plans d’aménagement du territoire intervenue pour des raisons indépendantes de la volonté de cette personne, en terrain destiné à la construction, ne doit pas être considérée comme assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée au sens des articles 9, paragraphe 1, et 12, paragraphe 1, de la directive 2006/112, lorsqu'elle entreprend de vendre ledit fond de terre, si ces ventes s'inscrivent dans le cadre de la gestion du patrimoine privé de cette personne.

Si, en revanche, cette personne entreprend, en vue de la réalisation desdites ventes, des démarches actives de commercialisation foncière en mobilisant des moyens similaires à ceux déployés par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services au sens de l'article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2006/112, cette personne doit être considérée comme exerçant une «activité économique» au sens dudit article et doit, par conséquent, être considérée comme assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée.

Le fait que cette personne est un «agriculteur forfaitaire» au sens de l’article 295, paragraphe 1, point 3, de la directive 2006/112, est sans incidence à cet égard.

(cf. point 49 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

15 septembre 2011 (*)

«Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Notion d’assujetti – Vente de terrains à bâtir – Articles 9, 12 et 16 – Absence de déduction de la TVA en amont»

Dans les affaires jointes C‑180/10 et C‑181/10,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Naczelny Sąd Administracyjny (Pologne), par décisions du 9 mars 2010, parvenues à la Cour le 9 avril 2010, dans les procédures

Jarosław Słaby

contre

Minister Finansów (C-180/10),

et

Emilian Kuć,

Halina Jeziorska-Kuć

contre

Dyrektor Izby Skarbowej w Warszawie (C-181/10),

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, MM. A. Arabadjiev (rapporteur), U. Lõhmus, A. Ó Caoimh et Mme P. Lindh, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: M. A. Calot Escobar,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Kuć et Mme Jeziorska-Kuć, par M. W. Modzelewski, radca prawny,

–        pour le gouvernement polonais, par M. M. Szpunar, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par M. D. Triantafyllou et Mme K. Herrmann, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 avril 2011,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 2006/98/CE du Conseil, du 20 novembre 2006 (JO L 363, p. 129, ci-après la «sixième directive»), ainsi que des articles 9, paragraphe 1, 16 et 295, paragraphe 1, point 3, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2006/138/CE du Conseil, du 19 décembre 2006 (JO L 384, p. 92, ci-après la «directive TVA»).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant, d’une part, M. Słaby au Minister Finansów (ministre des Finances) (affaire C-180/10) et, d’autre part, M. Kuć et Mme Jeziorska-Kuć (ci-après les «époux Kuć») au Dyrektor Izby Skarbowej w Warszawie (directeur de la chambre fiscale de Varsovie) (affaire C-181/10) au sujet de la question de savoir si les cessions de plusieurs terrains destinés à la construction doivent être soumises à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        La directive TVA a, conformément à ses articles 411 et 413, abrogé et remplacé, à compter du 1er janvier 2007, la législation de l’Union en matière de TVA, notamment la sixième directive. Selon les premier et troisième considérants de la directive TVA, la refonte de la sixième directive était nécessaire afin de présenter les dispositions en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives à la TVA de façon claire et rationnelle dans une structure et une rédaction remaniées sans toutefois apporter, en principe, des changements de fond. Les dispositions de la directive TVA sont ainsi, en substance, identiques aux dispositions correspondantes de la sixième directive.

4        Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA, qui reprend, en substance, les termes de l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive, «[s]ont soumises à la [TVA] les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel».

5        L’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA, qui est libellé en des termes en substance analogues à ceux de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive, dispose:

«Est considéré comme ‘assujetti’ quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme ‘activité économique’ toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence.»

6        L’article 12, paragraphes 1 et 3, de la directive TVA, qui reprend, en substance, les termes de l’article 4, paragraphe 3, de la sixième directive, contient les dispositions suivantes:

«1.      Les États membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités visées à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, et notamment une seule des opérations suivantes:

[…]

b)      la livraison d’un terrain à bâtir.

[…]

3.      Aux fins du paragraphe 1, point b), sont considérés comme ‘terrains à bâtir’ les terrains nus ou aménagés, définis comme tels par les États membres.»

7        L’article 16, premier alinéa, de la directive TVA, qui correspond, en substance, à l’article 5, paragraphe 6, de la sixième directive, est libellé comme suit:

«Est assimilé à une livraison de biens effectuée à titre onéreux le prélèvement, par un assujetti, d’un bien de son entreprise qu’il destine à ses besoins privés ou ceux de son personnel, qu’il transmet à titre gratuit ou, plus généralement, qu’il affecte à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien ou les éléments le composant ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA.»

8        L’article 295, paragraphe 1, points 1 et 3, de la directive TVA définit, à l’instar de l’article 25, paragraphe 2, premier et troisième tirets, de la sixième directive, un «producteur agricole», aux fins du chapitre 2 du titre XII, comme un «assujetti qui exerce son activité dans le cadre d’une exploitation agricole, sylvicole ou de pêche» et un «agriculteur forfaitaire» comme un «producteur agricole auquel s’applique le régime forfaitaire prévu [audit] chapitre».

9        L’article 296, paragraphe 1, de la directive TVA, auquel correspond l’article 25, paragraphe 1, de la sixième directive, dispose:

«Les États membres peuvent appliquer aux producteurs agricoles pour lesquels l’assujettissement au régime normal de la TVA ou, le cas échéant, au régime particulier prévu au chapitre 1 se heurterait à des difficultés, un régime forfaitaire visant à compenser la charge de la TVA payée sur les achats de biens et services des agriculteurs forfaitaires, conformément au présent chapitre.»

 La réglementation nationale

10      L’article 15, paragraphes 1, 2, 4 et 5, de la loi du 11 mars 2004 relative à la taxe sur les biens et les services (ci-après la «loi sur la TVA») prévoit:

«1.      Sont considérées comme assujetties les personnes morales, les entités organisationnelles n’ayant pas la personnalité juridique et les personnes physiques qui accomplissent, d’une façon indépendante, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

2.      Est considérée comme activité économique toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées, même lorsque l’activité n’a été exercée qu’une seule fois mais qu’il ressort des circonstances que l’intention était de l’accomplir de manière répétée. Est également considérée comme activité économique l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.

[…]

4.      Dans le cas de personnes physiques exerçant exclusivement une activité d’exploitation agricole, sylvicole ou de pêche, sont considérées comme assujetties les personnes ayant rempli une déclaration d’enregistrement telle que mentionnée à l’article 96, paragraphe 1.

5.      La disposition du paragraphe 4 s’applique mutatis mutandis aux personnes physiques exerçant exclusivement une activité agricole dans des circonstances autres que celles mentionnées audit paragraphe.»

11      L’article 43, paragraphe 1, points 3 et 9, de la loi sur la TVA dispose:

«1.      Sont exonérés de la taxe:

[…]

3)      la livraison par un agriculteur forfaitaire de produits agricoles issus de son activité agricole et la prestation de services agricoles par un agriculteur forfaitaire;

[…]

9)      la livraison de biens immeubles non bâtis autres que les terrains à bâtir et destinés à une construction».

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 L’affaire C-180/10

12      M. Słaby a acquis, en 1996, en tant que personne physique n’exerçant pas d’activité économique, un terrain classé, conformément au plan d’aménagement du territoire en vigueur à l’époque, en zone agricole. Il a utilisé ledit terrain pour les besoins d’une activité agricole entre 1996 et 1998, mettant fin à cette activité en 1999.

13      En 1997, le plan d’aménagement du territoire en cause a été modifié, le terrain en question étant dorénavant affecté à la construction de logements de vacances. À la suite de cette modification, M. Słaby a divisé le terrain en 64 parcelles, qu’il a, à partir de l’année 2000, entrepris de vendre au fur et à mesure à des personnes physiques.

14      Le 17 septembre 2007, M. Słaby a sollicité un rescrit fiscal auprès du Minister Finansów afin de savoir si, à l’aune de l’article 15, paragraphe 1, de la loi sur la TVA, la division d’un terrain en parcelles, suivie par la cession de ces parcelles à différents acquéreurs, doit être considérée comme des opérations soumises à la TVA.

15      Dans le rescrit fiscal du 13 décembre 2007, le Minister Finansów a indiqué que lesdites opérations constituaient une activité économique, étant donné que l’exploitant agricole est, au regard de la loi sur la TVA, un assujetti exerçant une activité économique, et que l’ampleur et la portée des opérations envisagées ainsi que le fait de diviser le terrain en parcelles indiquaient l’intention de M. Słaby de procéder à des ventes répétitives.

16      M. Słaby a introduit un recours à l’encontre dudit rescrit. Le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie a écarté l’interprétation du Minister Finansów en jugeant qu’il ne ressortait pas des circonstances factuelles de l’espèce que M. Słaby exerçait ou comptait exercer une activité économique dans le domaine des transactions immobilières, mais qu’il exerçait une activité agricole, laquelle n’était pas soumise, à l’époque, à la TVA. Selon cette juridiction, rien ne permet d’établir que le terrain a été acquis avec l’intention de le revendre, étant donné que celui-ci a été acquis pour les besoins d’une activité agricole et qu’il a été exploité à cette fin. La division et la vente des parcelles étaient la conséquence d’une modification du plan d’aménagement du territoire non imputable à M. Słaby. Dès lors, selon cette juridiction, le requérant au principal n’agissait pas en tant que commerçant lors de l’acquisition du terrain en cause.

17      Le Minister Finansów a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de ce jugement devant la juridiction de renvoi. Il fait valoir que le terrain en cause, ayant été acquis à des fins de production agricole, n’était pas utilisé exclusivement pour les besoins privés de M. Słaby, mais était affecté à son exploitation agricole et servait, par conséquent, à l’exercice d’une activité économique.

18      Dans ces conditions, le Naczelny Sąd Administracyjny a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Une personne physique ayant exercé une activité agricole sur un fonds de terre, avant d’y mettre fin en raison d’une modification des plans d’aménagement du territoire intervenue pour des raisons indépendantes de sa volonté, qui requalifie ce bien en bien privé, le divise en parcelles plus petites (terrains destinés à la construction de logements de vacances) et entreprend de les céder, doit-elle être considérée de ce fait comme assujettie à la TVA au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA et de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive 77/388/CEE, et redevable de cette taxe au titre de l’exercice d’une activité commerciale?»

 L’affaire C-181/10

19      Les époux Kuć sont propriétaires, depuis 1996, d’une exploitation agricole acquise en tant que terrain agricole non autorisé à la construction. Ils ont utilisé ledit terrain, jusqu’à la fin de l’année 2006, pour les besoins d’une activité agricole, à savoir l’élevage de chevaux, puis pour cultiver du fourrage pour leurs animaux.

20      Après avoir reçu, en 2004, une interprétation de l’administration fiscale, les époux Kuć se sont enregistrés en tant qu’assujettis à la TVA, bien que, selon eux, leur exploitation relève de leur patrimoine personnel.

21      À la suite d’une modification du plan d’aménagement du territoire, selon laquelle le terrain en cause était dorénavant affecté à des constructions à usage d’habitation et de services, ils ont commencé à vendre, de manière occasionnelle et non organisée, certaines parties de leur exploitation. Ces livraisons étaient soumises à la TVA.

22      Selon les époux Kuć, lesdites livraisons ne devaient pas être soumises à la TVA, celles-ci se rapportant à leur patrimoine personnel. Ils ont sollicité auprès du directeur de l’administration fiscale du ressort de Wołomin une interprétation écrite à ce sujet. Dans son rescrit fiscal du 13 juin 2008, ledit directeur a considéré que la vente des terrains constituait une livraison de biens à titre onéreux soumise à la TVA. Cette interprétation a été confirmée par le Dyrektor Izby Skarbowej w Warszawie.

23      Les époux Kuć ont introduit un recours contre cette interprétation devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie. Selon ce dernier, les livraisons des terrains à bâtir en question doivent être soumises à la TVA au motif, d’une part, que lesdits terrains faisaient partie de l’entreprise agricole des époux Kuć et, d’autre part, que ces derniers ont effectué lesdites livraisons en tant que commerçants. Ces deux circonstances justifieraient, indépendamment l’une de l’autre, la soumission desdites transactions à la TVA.

24      Le Naczelny Sąd Administracyjny, devant lequel les époux Kuć se sont pourvus en cassation, observe d’abord que ces derniers bénéficiaient, en tant qu’agriculteurs, du régime forfaitaire d’imposition de la TVA. Par conséquent, cette juridiction se demande si la vente des terrains en cause peut être considérée comme une cession de biens issus de leur patrimoine personnel, lorsque l’acquisition desdits terrains n’a pas donné lieu à une déduction de la TVA. Elle souligne, par ailleurs, que les terrains en cause ont été utilisés non seulement pour fournir des produits agricoles, mais également pour les besoins privés de l’agriculteur et les membres de sa famille.

25      Dans ces conditions, le Naczelny Sąd Administracyjny a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Convient-il d’appliquer à un agriculteur forfaitaire au sens de l’article 295, paragraphe 1, point 3, de la directive [TVA] qui vend des parcelles utilisées pour son activité agricole, destinées, selon le plan d’aménagement de la commune, à des constructions à usage d’habitation et de services mais qui ont été acquises en tant que terrains agricoles (exonérés de TVA), l’article 16 de cette directive, selon lequel l’affectation d’actifs d’une entreprise aux besoins privés de l’assujetti ou à des fins étrangères à son entreprise n’est assimilée à une livraison effectuée à titre onéreux que lorsque ces actifs ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA?

2)      [Dans l’affirmative,] un agriculteur forfaitaire au sens de l’article 295, paragraphe 1, point 3, de la directive [TVA] qui vend des parcelles utilisées antérieurement pour son activité agricole, destinées, selon le plan d’aménagement de la commune, à des constructions à usage d’habitation et de services mais qui ont été acquises en tant que terrains agricoles (exonérés de TVA) doit-il être considéré comme un assujetti redevable de la TVA au titre de cette vente conformément au régime normal?»

 Sur les questions préjudicielles

26      Par ses questions préjudicielles, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si une personne physique ayant exercé une activité agricole sur un fonds de terre, acquis en exonération de la TVA, et requalifié, à la suite d’une modification des plans d’aménagement du territoire intervenue pour des raisons indépendantes de la volonté de cette personne, en terrain destiné à la construction, doit être considérée comme assujettie à la TVA lorsqu’elle entreprend de vendre ledit fonds de terre. En outre, la juridiction de renvoi demande si, dans de telles circonstances, un «agriculteur forfaitaire», au sens de l’article 295, paragraphe 1, point 3, de la directive TVA, doit être considéré comme assujetti redevable de la TVA conformément au régime normal et si l’article 16 de cette directive lui est applicable.

27      Il y a lieu de préciser, à titre liminaire, qu’il ressort des affaires en cause au principal qu’une partie des ventes se rapporte à une période d’imposition antérieure à l’adhésion de la République de Pologne à l’Union européenne. Or, la Cour est compétente pour interpréter le droit de l’Union uniquement pour ce qui concerne l’application de celui-ci dans un nouvel État membre à partir de la date d’adhésion de ce dernier à l’Union (voir, notamment, ordonnance du 6 mars 2007, Ceramika Paradyż, C‑168/06, point 22). Les considérations qui suivent portent donc uniquement sur les opérations effectuées après la date d’adhésion de la République de Pologne à l’Union.

28      Force est également de relever que les litiges au principal portent sur une période au cours de laquelle la sixième directive et la directive TVA furent successivement applicables. Il n’y a cependant pas lieu, aux fins des réponses aux questions préjudicielles, d’opérer de distinction entre les dispositions résultant desdites directives, celles-ci devant être considérées comme revêtant une portée en substance identique pour les besoins de l’interprétation que la Cour sera amenée à donner dans le cadre de la présente affaire.

29      Quant au fond, il ressort des décisions de renvoi que le fonds de terre en cause au principal a été requalifié, à la suite d’une modification des plans d’aménagement du territoire intervenue pour des raisons indépendantes de la volonté de M. Słaby et des époux Kuć, en terrains destinés à la construction.

30      L’article 12, paragraphe 1, de la directive TVA permet aux États membres de considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités visées à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA, et notamment une seule livraison d’un terrain à bâtir.

31      Le gouvernement polonais soutient avoir fait usage de la possibilité qui lui est ouverte par cette disposition, en introduisant, dans sa réglementation nationale, l’article 15, paragraphe 2, de la loi sur la TVA, selon lequel «est considérée comme activité économique toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services […], même lorsque l’activité n’a été exercée qu’une seule fois mais qu’il ressort des circonstances que l’intention était de l’accomplir de manière répétée […]».

32      Il ne ressort cependant pas des décisions de renvoi, ni d’ailleurs du libellé dudit article 15, paragraphe 2, de la loi sur la TVA, si la République de Pologne a effectivement fait usage de l’article 12, paragraphe 1, de la directive TVA, ce qu’il incombe à la juridiction nationale de vérifier.

33      À cet égard, il convient de souligner que cette dernière disposition prévoit une faculté et non une obligation pour les États membres. Il s’ensuit que, afin de pouvoir bénéficier de la faculté prévue par cette disposition, les États membres sont tenus d’effectuer le choix de s’en prévaloir (voir, par analogie, arrêt du 4 juin 2009, SALIX Grundstücks-Vermietungsgesellschaft, C‑102/08, Rec. p. I‑4629, points 51 et 52).

34      Selon la jurisprudence constante de la Cour, la transposition en droit interne d’une directive n’exige pas nécessairement une reprise formelle et textuelle de ses dispositions dans une norme légale expresse et spécifique et peut se satisfaire d’un contexte juridique général dès lors que celui-ci assure effectivement la pleine application de la directive d’une façon suffisamment claire et précise (voir, par analogie, arrêt SALIX Grundstücks-Vermietungsgesellschaft, précité, point 40).

35      Si la juridiction nationale constate que l’État membre en cause a fait usage de l’habilitation prévue à l’article 12, paragraphe 1, de la directive TVA, la livraison d’un terrain à bâtir doit être considérée comme soumise à la TVA en vertu de la législation nationale, indépendamment du caractère permanent de l’opération ou de la question de savoir si la personne ayant effectué la livraison exerce une activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, pour autant que cette opération ne constitue pas le simple exercice du droit de propriété par son titulaire.

36      Il ressort à cet égard de la jurisprudence que le simple exercice du droit de propriété par son titulaire ne saurait, en lui-même, être considéré comme constituant une activité économique (voir arrêt du 20 juin 1996, Wellcome Trust, C-155/94, Rec. p. I-3013, point 32).

37      Il y a lieu de préciser que le nombre et l’ampleur des ventes réalisées en l’espèce ne sont pas en soi déterminants. Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, l’ampleur des ventes ne saurait constituer un critère de distinction entre les activités d’un opérateur agissant à titre privé, qui se situent en dehors du champ d’application de cette directive, et celles d’un opérateur dont les opérations constituent une activité économique. La Cour a relevé que d’importantes ventes peuvent également être effectuées par des opérateurs agissant à titre privé (voir, en ce sens, arrêt Wellcome Trust, précité, point 37).

38      De même, le fait que, préalablement à la cession, l’intéressé a procédé au lotissement du terrain afin d’en tirer un meilleur prix global n’est pas, en lui seul, déterminant, non plus que la durée sur laquelle s’étendent lesdites opérations ou l’importance des recettes qu’il en résulte. En effet, l’ensemble de ces circonstances pourrait s’inscrire dans le cadre de la gestion du patrimoine personnel de l’intéressé.

39      Tel n’est cependant pas le cas lorsque l’intéressé entreprend des démarches actives de commercialisation foncière en mobilisant des moyens similaires à ceux déployés par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services au sens de l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA.

40      De telles démarches actives peuvent consister, notamment, en la réalisation sur ces terrains des travaux de viabilisation, ainsi que la mise en œuvre des moyens de commercialisation avérés.

41      Ces initiatives ne s’inscrivant normalement pas dans le cadre de la gestion d’un patrimoine personnel, la livraison d’un terrain destiné à la construction dans une telle hypothèse ne saurait être considérée comme le simple exercice du droit de propriété par son titulaire.

42      Dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi constaterait que la République de Pologne ne s’est pas prévalue de la faculté prévue à l’article 12, paragraphe 1, de la directive TVA, il y aurait lieu d’examiner si l’opération en cause au principal est imposable aux termes de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA.

43      Selon les termes de cette disposition, la notion d’assujetti est définie en relation avec celle d’activité économique. En effet, c’est l’existence d’une telle activité qui justifie la qualification d’assujetti (voir arrêt du 3 mars 2005, Fini H, C-32/03, Rec. p. I-1599, point 19).

44      À cet égard, il convient de rappeler que la notion d’«activité économique» est définie à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA comme englobant toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services et, en particulier, les opérations comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.

45      Selon une jurisprudence constante, la simple acquisition et la simple vente d’un bien ne sauraient constituer une exploitation d’un bien visant à produire des recettes ayant un caractère de permanence au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA, l’unique rétribution de ces opérations étant constituée par un éventuel bénéfice lors de la vente dudit bien. En effet, de telles opérations ne sauraient en principe constituer, en elles-mêmes, des activités économiques au sens de cette directive (voir arrêts du 29 avril 2004, EDM, C-77/01, Rec. p. I-4295, point 58, et du 21 octobre 2004, BBL, C-8/03, Rec. p. I-10157, point 39).

46      Les critères énoncés aux points 37 à 41 du présent arrêt trouvent à s’appliquer.

47      Quant à l’article 16 de la directive TVA, il convient de préciser que celui-ci trouve à s’appliquer, ainsi qu’il ressort de son libellé, lorsque le bien en cause ou les éléments le composant ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA. Il ressort à cet égard des décisions de renvoi que les requérants au principal ont acquis les terrains en cause en exonération de la TVA. L’acquisition desdits terrains n’a donc pu donner lieu à aucune déduction de la TVA. Il s’ensuit que cet article 16 n’est pas applicable dans une situation telle que celle dans les affaires au principal.

48      Au demeurant, la circonstance que les requérants au principal dans l’affaire C-181/10 se sont fait enregistrés en tant qu’assujettis à la TVA soumis au régime forfaitaire au titre de leur activité agricole est sans pertinence au regard des considérations qui précèdent. En effet, ainsi que le font valoir à juste titre le gouvernement polonais et la Commission européenne, les opérations autres que la livraison de produits agricoles et la fourniture de prestations de services agricoles, au sens de l’article 295, paragraphe 1, de la directive TVA, accomplies par l’agriculteur forfaitaire dans le cadre de l’exploitation agricole restent soumises au régime général de cette directive (voir arrêts du 15 juillet 2004, Harbs, C-321/02, Rec. p. I-7101, points 31 et 36, ainsi que du 26 mai 2005, Stadt Sundern, C-43/04, Rec. p. I-4491, point 20).

49      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux questions posées que la livraison d’un terrain destiné à la construction doit être considérée comme soumise à la TVA en vertu de la législation nationale d’un État membre si cet État a fait usage de la faculté prévue à l’article 12, paragraphe 1, de la directive TVA, indépendamment du caractère permanent de l’opération ou de la question de savoir si la personne ayant effectué la livraison exerce une activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, pour autant que cette opération ne constitue pas le simple exercice du droit de propriété par son titulaire.

50      Une personne physique ayant exercé une activité agricole sur un fonds de terre requalifié, à la suite d’une modification des plans d’aménagement du territoire intervenue pour des raisons indépendantes de la volonté de cette personne, en terrain destiné à la construction ne doit pas être considérée comme assujettie à la TVA au sens des articles 9, paragraphe 1, et 12, paragraphe 1, de la directive TVA, lorsqu’elle entreprend de vendre ledit fonds de terre, si ces ventes s’inscrivent dans le cadre de la gestion du patrimoine privé de cette personne.

51      Si, en revanche, cette personne entreprend, en vue de la réalisation desdites ventes, des démarches actives de commercialisation foncière en mobilisant des moyens similaires à ceux déployés par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services au sens de l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA, cette personne doit être considérée comme exerçant une «activité économique» au sens dudit article et doit, par conséquent, être considérée comme assujettie à la TVA.

52      Le fait que cette personne est un «agriculteur forfaitaire» au sens de l’article 295, paragraphe 1, point 3, de la directive TVA est sans incidence à cet égard.

 Sur les dépens

53      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

La livraison d’un terrain destiné à la construction doit être considérée comme soumise à la taxe sur la valeur ajoutée en vertu de la législation nationale d’un État membre si cet État a fait usage de la faculté prévue à l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2006/138/CE du Conseil, du 19 décembre 2006, indépendamment du caractère permanent de l’opération ou de la question de savoir si la personne ayant effectué la livraison exerce une activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, pour autant que cette opération ne constitue pas le simple exercice du droit de propriété par son titulaire.

Une personne physique ayant exercé une activité agricole sur un fonds de terre requalifié, à la suite d’une modification des plans d’aménagement du territoire intervenue pour des raisons indépendantes de la volonté de cette personne, en terrain destiné à la construction ne doit pas être considérée comme assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée au sens des articles 9, paragraphe 1, et 12, paragraphe 1, de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2006/138, lorsqu’elle entreprend de vendre ledit fonds de terre, si ces ventes s’inscrivent dans le cadre de la gestion du patrimoine privé de cette personne.

Si, en revanche, cette personne entreprend, en vue de la réalisation desdites ventes, des démarches actives de commercialisation foncière en mobilisant des moyens similaires à ceux déployés par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services au sens de l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2006/138, cette personne doit être considérée comme exerçant une «activité économique» au sens dudit article et doit, par conséquent, être considérée comme assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée.

Le fait que cette personne est un «agriculteur forfaitaire» au sens de l’article 295, paragraphe 1, point 3, de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2006/138, est sans incidence à cet égard.

Signatures


* Langue de procédure: le polonais.