C-414/10 - VĂ©leclair

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62010CJ0414

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

29 mars 2012 ( * )

«TVA — Sixième directive — Article 17, paragraphe 2, sous b) — Taxation d’un produit importé d’un pays tiers — Réglementation nationale — Droit à déduction de la TVA à l’importation — Condition — Paiement effectif de la TVA par le redevable»

Dans l’affaire C-414/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 30 juillet 2010, parvenue à la Cour le 19 août 2010, dans la procédure

Véleclair SA

contre

Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l’État,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. M. Safjan, M. Ilešič, E. Levits et J.-J. Kasel (rapporteur), juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 octobre 2011,

considérant les observations présentées:

pour Véleclair SA, par Me É. Arcil, avocat,

pour le gouvernement français, par Mme N. Rouam et M. G. de Bergues, en qualité d’agents,

pour le gouvernement allemand, par MM. C. Blaschke et T. Henze, en qualité d’agents,

pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. Wissels, en qualité d’agent,

pour le gouvernement portugais, par Mme S. Jaulino ainsi que par MM. L. Ines Fernandes et R. Campos Laires, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes D. Recchia et C. Soulay ainsi que par M. F. Dintilhac, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 novembre 2011,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 17, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Véleclair SA au ministre du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l’État au sujet d’une réglementation nationale subordonnant l’exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») à l’importation au paiement effectif de ladite taxe par le redevable.

Le cadre juridique

La sixième directive

3

L’article 10, paragraphe 1, de la sixième directive dispose:

«Sont considérés comme:

a)

fait générateur de la taxe: le fait par lequel sont réalisées les conditions légales, nécessaires pour l’exigibilité de la taxe;

b)

exigibilité de la taxe: le droit que le Trésor peut faire valoir aux termes de la loi, à partir d’un moment donné, auprès du redevable pour le paiement de la taxe, même si le paiement peut en être reporté.»

4

L’article 10, paragraphes 2 et 3, de la sixième directive précise:

«2.   Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison du bien ou la prestation de services est effectuée.

[…]

Par dérogation aux dispositions ci-dessus, les États membres ont la faculté de prévoir que la taxe devient exigible pour certaines opérations ou certaines catégories d’assujettis:

soit au plus tard lors de la délivrance de la facture ou du document en tenant lieu,

soit au plus tard lors de l’encaissement du prix,

soit, en cas de non délivrance ou de délivrance tardive de la facture ou du document en tenant lieu, dans un délai déterminé à compter de la date du fait générateur.

3.   Le fait générateur a lieu et la taxe devient exigible au moment où l’importation du bien est effectuée. Lorsque des biens sont placés depuis leur entrée à l’intérieur de la Communauté sous l’un des régimes visés à l’article 7 paragraphe 3, le fait générateur et l’exigibilité de la taxe n’interviennent qu’au moment où les biens sortent de ces régimes.

Toutefois, lorsque les biens importés sont soumis à des droits de douane, à des prélèvements agricoles ou à des taxes d’effet équivalent établies dans le cadre d’une politique commune, le fait générateur a lieu et la taxe devient exigible au moment où interviennent le fait générateur et l’exigibilité de ces droits communautaires.

Dans les cas où les biens importés ne sont soumis à aucun de ces droits communautaires, les États membres appliquent les dispositions en vigueur pour les droits de douane pour ce qui concerne le fait générateur et l’exigibilité de la taxe.»

5

L’article 17, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive énonce:

«1.   Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

2.   Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a)

la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti redevable de la taxe à l’intérieur du pays;

b)

la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens importés à l’intérieur du pays;

[…]»

6

L’article 18, paragraphes 1, sous b), et 2, de la sixième directive prévoit:

«1.   Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit:

[…]

b)

pour la déduction visée à l’article 17, paragraphe 2, sous b), détenir un document constatant l’importation qui le désigne comme destinataire ou importateur et qui mentionne ou permet de calculer le montant de la taxe due;

[…]

2.   La déduction est opérée globalement par l’assujetti par imputation, sur le montant de la taxe due pour une période de déclaration, du montant de la taxe pour laquelle le droit à déduction a pris naissance et est exercé en vertu du paragraphe 1, au cours de la même période.

[…]»

7

L’article 21, paragraphe 2, de la sixième directive énonce:

«La taxe sur la valeur ajoutée est due:

[…]

2)

à l’importation: par la ou les personnes désignées ou reconnues par l’État membre d’importation.»

La réglementation nationale

8

L’article 271, II, paragraphe 1, du code général des impôts (ci-après le «CGI») énonce:

«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas:

[…]

b)

Celle qui est perçue à l’importation.

[….]»

9

L’article 291, I, paragraphe 2, sous a), du CGI précise:

«Est considérée comme importation d’un bien:

a)

l’entrée en France d’un bien, originaire ou en provenance d’un État ou d’un territoire n’appartenant pas à la Communauté européenne, et qui n’a pas été mis en libre pratique [...]»

10

L’article 293 A, paragraphe 1, du CGI dispose:

«À l’importation, le fait générateur se produit et la taxe devient exigible au moment où le bien est considéré comme importé, au sens du 2 du I de l’article 291.

[…]

La taxe doit être acquittée par la personne désignée comme destinataire réel des biens sur la déclaration d’importation.

[…]»

Le litige au principal et la question préjudicielle

11

Au cours des années 1992 à 1995, Véleclair a importé des bicyclettes en déclarant que celles-ci provenaient du Viêt Nam. L’administration des douanes française, en revanche, a considéré que ces bicyclettes étaient en réalité originaires de Chine et a donc dressé un procès-verbal pour fausse déclaration d’origine. En conséquence, Véleclair a été soumise à des droits de douane et à des droits antidumping pour un montant de près de 4 millions d’euros, eux-mêmes assujettis à la TVA pour un montant de 735437 euros.

12

Véleclair ne s’est pas acquittée de cette TVA et l’administration des douanes en a informé l’administration fiscale, qui détenait donc une créance à l’encontre de cette société. Par ordonnance du 12 février 1999, le juge commissaire a constaté la forclusion de cette créance au motif qu’elle n’avait pas été déclarée à titre définitif dans les douze mois de la publication du redressement judiciaire de Véleclair. Cette décision a été confirmée en dernière instance par la Cour de cassation le 8 juillet 2003.

13

Véleclair a déposé une demande de remboursement, d’un montant de 723503,37 euros, correspondant au crédit de TVA déductible dont elle s’estimait titulaire au 31 décembre 1997 au titre du rehaussement de la TVA à l’importation sur les droits éludés.

14

Cette demande a été rejetée par l’administration fiscale au motif que, selon les dispositions du CGI, la déductibilité de la TVA à l’importation est subordonnée à son paiement effectif préalable. La position défendue par l’administration fiscale a été confirmée en première instance par le tribunal administratif d’Orléans. L’appel interjeté à l’encontre de cette décision devant la cour administrative d’appel de Nantes ayant également été rejeté, Véleclair s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’État.

15

Devant cette juridiction, Véleclair a soutenu que l’exercice de son droit à déduction ne pouvait être subordonné au paiement effectif préalable de la taxe dont elle était redevable au motif que les dispositions de l’article 271, II, paragraphe 1, sous b), du CGI, prévoyant que le droit à déduction de la TVA est conditionné par sa perception effective par l’administration fiscale et non par sa seule exigibilité, sont incompatibles avec les dispositions de l’article 17, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive.

16

C’est dans ces conditions que le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le paragraphe 2, sous b), de l’article 17 de la sixième directive permet-il à un État membre de subordonner le droit à déduction de la [TVA] à l’importation, compte tenu notamment des risques de fraude, au paiement effectif de cette taxe par le redevable, lorsque le redevable de la [TVA] à l’importation et le titulaire du droit à déduction correspondant sont, comme en France, la même personne?»

Sur la question préjudicielle

17

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 17, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’il permet à un État membre de subordonner le droit à déduction de la TVA à l’importation au paiement effectif préalable de ladite taxe par le redevable lorsque ce dernier est également le titulaire du droit à déduction.

18

En vue de répondre à cette question, il convient, en premier lieu, de rappeler que, selon les termes mêmes de l’article 17, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive, l’assujetti est autorisé à déduire la TVA «due ou acquittée» pour les biens importés à l’intérieur du pays.

19

Dès lors, le libellé même de cette disposition, qui reprend l’expression utilisée à l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, aux termes duquel les assujettis sont en droit de déduire la TVA «due ou acquittée» pour les biens qui leur sont ou leur seront livrés, prévoit clairement que le droit à déduction de la taxe dont bénéficie l’assujetti porte non seulement sur la TVA qu’il a acquittée, mais aussi sur la TVA due, c’est-à-dire celle qui doit encore être payée.

20

Ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé aux points 56 à 58 de ses conclusions, le terme «due» se réfère en effet à une dette fiscale exigible et suppose donc que l’assujetti ait l’obligation de payer le montant de la TVA qu’il souhaite déduire en tant que taxe en amont.

21

Il convient d’ajouter, d’une part, que, si le législateur de l’Union avait voulu subordonner le droit à déduction de la TVA à l’importation au paiement effectif préalable de ladite TVA, il aurait pu le faire de manière explicite, par exemple en supprimant le terme «due» audit article 17.

22

D’autre part, il résulte de la lecture combinée de l’article 17, paragraphe 1, de la sixième directive et de l’article 10, paragraphe 3, de cette même directive que la naissance du droit à déduction de la TVA est indépendante du fait que le paiement de la contrepartie due pour le ou les biens importés est intervenu.

23

Il s’ensuit que, en application de l’article 17, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive, le droit à déduction de la TVA à l’importation ne saurait, en principe, être subordonné au paiement effectif préalable de cette TVA.

24

Il convient, en deuxième lieu, de constater que cette interprétation de l’article 17, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive est corroborée par d’autres dispositions de la sixième directive.

25

En effet, d’une part, l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, qui emploie également, ainsi qu’il ressort du point 19 du présent arrêt, les termes «due ou acquittée», doit être compris en ce sens que le point de savoir si la TVA due sur les opérations de vente antérieures ou ultérieures portant sur les biens concernés a ou non été versée au Trésor public est sans influence sur le droit de déduction de l’assujetti (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2006, Optigen e.a., C-354/03, C-355/03 et C-484/03, Rec. p. I-483, point 54).

26

D’autre part, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 37 de ses conclusions, l’article 18 de la sixième directive, intitulé «Modalités d’exercice du droit à déduction», se borne à prévoir, à son paragraphe 1, sous b), que, pour pouvoir exercer son droit à déduction de la TVA à l’importation, l’assujetti a pour seule obligation de détenir un document constatant l’importation, lequel le désigne comme destinataire ou importateur et «mentionne ou permet de calculer» le montant de la taxe due. Il s’ensuit que même l’exercice dudit droit à déduction n’est pas subordonné au paiement effectif préalable de la TVA à l’importation.

27

Il importe, en troisième lieu, de préciser que l’interprétation qui précède est conforme aux objectifs de la sixième directive dès lors qu’elle permet d’assurer que le droit à déduction, qui ne peut en principe être limité, reste une partie intégrante du mécanisme de la TVA et peut continuer à s’exercer immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2006, Kittel et Recolta Recycling, C-439/04 et C-440/04, Rec. p. I-6161, point 47).

28

Ladite interprétation est, de surcroît, celle qui est la plus apte à garantir le respect du principe de neutralité fiscale.

29

À cet égard, il y a lieu de rappeler que le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient elles-mêmes soumises à la TVA (voir, notamment, arrêt Kittel et Recolta Recycling, précité, point 48 et jurisprudence citée).

30

Or, pour les motifs plus amplement développés par Mme l’avocat général aux points 39 à 42 de ses conclusions, subordonner le droit à déduction de la TVA à l’importation au paiement effectif préalable de ladite TVA aurait pour conséquence de soumettre l’assujetti, pendant une certaine durée, à une charge économique qui ne lui incombe pas et que le régime des déductions a précisément pour but d’éviter.

31

Cette interprétation n’est pas remise en cause par l’argument selon lequel, à défaut du paiement effectif préalable de la TVA à l’importation, il existerait un risque de fraude ou d’abus à la TVA.

32

En effet, d’abord, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la sixième directive. Il incombe à celui qui demande la déduction de la TVA d’établir que les conditions pour en bénéficier sont remplies et l’administration fiscale, si elle constate que le droit à déduction a été exercé de manière frauduleuse, est habilitée à demander, avec effet rétroactif, le remboursement des sommes déduites. Il appartient, par ailleurs, au juge national de refuser le bénéfice du droit à déduction s’il est établi, au vu d’éléments objectifs du dossier, que ce droit est invoqué frauduleusement (voir, notamment, arrêt Kittel et Recolta Recycling, précité, points 54 et 55 ainsi que jurisprudence citée).

33

Ensuite, il ne saurait être valablement soutenu qu’une importation constitue une opération pour laquelle il existe un risque de fraude ou d’abus accru. En effet, l’importation d’un bien constitue un acte physique qui est attesté et vérifiable par l’administration compétente du fait de la présence dudit bien en douane.

34

Enfin, la circonstance que le redevable de la TVA à l’importation est également le titulaire du droit à déduction de ladite TVA n’apparaît pas davantage de nature à accroître le risque de fraude ou d’abus à la TVA. Au contraire, ainsi que la Commission européenne l’a fait valoir, la circonstance qu’une seule et même personne soit à la fois redevable de la TVA et titulaire du droit à déduction rapproche cette situation de celle qui se présente dans le cadre du régime d’autoliquidation de la TVA prévu par la sixième directive. Or, ainsi que le législateur de l’Union l’a réitéré au quarante-deuxième considérant de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1), ce régime permet, notamment, de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale constatées dans certains types d’opérations.

35

Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que l’article 17, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas à un État membre de subordonner le droit à déduction de la TVA à l’importation au paiement effectif préalable de ladite taxe par le redevable lorsque ce dernier est également le titulaire du droit à déduction.

Sur les dépens

36

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

 

L’article 17, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas à un État membre de subordonner le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée à l’importation au paiement effectif préalable de ladite taxe par le redevable lorsque ce dernier est également le titulaire du droit à déduction.

 

Signatures


( * )   Langue de procédure: le français.