C-511/10 - BLC Baumarkt

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ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

8 novembre 2012 (*)

«Sixième directive TVA – Article 17, paragraphe 5, troisième alinéa – Droit à déduction de la taxe payée en amont – Biens et services utilisés à la fois pour des opérations imposables et pour des opérations exonérées – Location d’un immeuble à des fins commerciales et d’habitation – Critère de calcul du prorata de déduction de la TVA»

Dans l’affaire C-511/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesfinanzhof (Allemagne), par décision du 22 juillet 2010, parvenue à la Cour le 27 octobre 2010, dans la procédure

Finanzamt Hildesheim

contre

BLC Baumarkt GmbH & Co. KG,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. A. Borg Barthet, M. Ilešič, J.-J. Kasel (rapporteur) et Mme M. Berger, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. A. Calot Escobar,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et J. Möller, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hellénique, par Mmes F. Dedousi et G. Kotta, ainsi que par M. K. Boskovits, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme C. Murrell, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mme C. Soulay et M. B.-R. Killmann, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 avril 2012,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Finanzamt Hildesheim (ci-après le «Finanzamt») à BLC Baumarkt GmbH & Co. KG (ci-après «BLC»), société de droit allemand, au sujet du calcul du prorata de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») payée en amont pour un bien immobilier utilisé tant pour des opérations soumises à la TVA que pour des opérations exonérées de TVA.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

3        Le douzième considérant de la sixième directive se lit comme suit:

«considérant que le régime des déductions doit être harmonisé dans la mesure où il a une incidence sur le niveau réel de perception et que le calcul du prorata de déduction doit s’effectuer de manière similaire dans tous les États membres».

4        L’article 17, paragraphe 5, de la sixième directive prévoit:

«En ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction visées aux paragraphes 2 et 3 et des opérations n’ouvrant pas droit à déduction, la déduction n’est admise que pour la partie de la [TVA] qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations.

Ce prorata est déterminé pour l’ensemble des opérations effectuées par l’assujetti conformément à l’article 19.

Toutefois, les États membres peuvent:

a)      autoriser l’assujetti à déterminer un prorata pour chaque secteur de son activité, si des comptabilités distinctes sont tenues pour chacun de ces secteurs;

b)      obliger l’assujetti à déterminer un prorata pour chaque secteur de son activité et à tenir des comptabilités distinctes pour chacun de ces secteurs;

c)      autoriser ou obliger l’assujetti à opérer la déduction suivant l’affectation de tout ou partie des biens et services;

d)      autoriser ou obliger l’assujetti à opérer la déduction, conformément à la règle prévue au premier alinéa, pour tous les biens et services utilisés pour toutes les opérations y visées;

e)      prévoir, lorsque la [TVA] qui ne peut être déduite par l’assujetti est insignifiante, qu’il n’en sera pas tenu compte.»

5        L’article 19, paragraphe 1, de la sixième directive dispose:

«Le prorata de déduction, prévu par l’article 17, paragraphe 5, premier alinéa, résulte d’une fraction comportant:

–        au numérateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d’affaires, [TVA] exclue, afférent aux opérations ouvrant droit à déduction conformément à l’article 17 paragraphes 2 et 3,

–        au dénominateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d’affaires, [TVA] exclue, afférent aux opérations figurant au numérateur ainsi qu’aux opérations qui n’ouvrent pas droit à déduction. Les États membres ont la faculté d’inclure également dans le dénominateur le montant des subventions autres que celles visées à l’article 11 sous A paragraphe 1 sous a).

Le prorata est déterminé sur une base annuelle, fixé en pourcentage et arrondi à un chiffre qui ne dépasse pas l’unité supérieure.»

 Le droit allemand

6        L’article 15, paragraphe 4, de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (Umsatzsteuergesetz 1999, BGBl. 1999 I, p. 1270), dans sa version résultant de la loi fiscale modificative de 2003 (Steueränderungsgesetz 2003, BGBl. 2003 I, p. 2645, ci-après l’«UStG»), prévoit:

«Si l’entrepreneur n’utilise un produit ou une autre prestation livrés, importés ou acquis dans la Communauté qu’en partie pour réaliser des opérations ne donnant pas droit à déduction, la partie de la taxe d’amont économiquement liée à ces opérations n’ouvre pas droit à déduction. L’entrepreneur peut procéder à une estimation raisonnable des montants n’ouvrant pas droit à déduction. Une détermination de la partie non déductible de l’impôt en fonction du pourcentage du chiffre d’affaires n’ouvrant pas droit à la déduction par rapport au chiffre d’affaires ouvrant droit à déduction est uniquement autorisée lorsque aucune autre affectation économique n’est possible.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

7        Au cours des années 2003 et 2004, BLC a fait construire un immeuble qui comprend tant des habitations que des locaux commerciaux. Après l’achèvement de cet immeuble, BLC a donné ce dernier en location, cette location étant en partie exemptée de TVA et en partie soumise à cette taxe. Dans sa déclaration de TVA afférente à l’année 2004, BLC a procédé à une déduction partielle de la taxe d’amont afférente à cet immeuble. À cette fin, BLC a calculé le montant de la TVA déductible en appliquant un prorata déterminé en fonction du rapport existant entre le chiffre d’affaires relatif à la location commerciale et celui résultant des autres opérations de location (ci-après la «méthode fondée sur le chiffre d’affaires»).

8        À la suite d’un contrôle fiscal, le Finanzamt a considéré que, conformément à l’article 15, paragraphe 4, de l’UStG, le montant de la TVA déductible en amont devait être déterminé en fonction du rapport existant entre la superficie des locaux commerciaux et celle des locaux à usage d’habitation. En l’espèce, la répartition effectuée selon cette dernière méthode a entraîné une révision à la baisse du montant de la TVA déductible. Le Finanzamt a, par conséquent, adressé un avis de redressement à BLC.

9        BLC a introduit un recours à l’encontre de cet avis de redressement devant le Finanzgericht. Cette juridiction a fait droit audit recours au motif que l’article 15, paragraphe 4, troisième phrase, de l’UStG serait contraire au droit de l’Union. En effet, l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, sous c), de la sixième directive s’opposerait à ce qu’un État membre prévoie, à titre principal, un critère de répartition autre que la méthode fondée sur le chiffre d’affaires.

10      Le Finanzamt a saisi le Bundesfinanzhof d’un recours en «Revision» dirigé contre la décision du Finanzgericht. Le Bundesfinanzhof considère qu’il convient de trancher la question de savoir si l’une des possibilités énoncées à l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, de la sixième directive, plus particulièrement celle figurant à l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, sous c), de cette directive, autorise les États membres à restreindre la répartition résultant de l’application de la méthode fondée sur le chiffre d’affaires en ce sens que cette méthode ne peut être utilisée que lorsque aucun autre rattachement économique n’est possible.

11      Dans ces conditions, le Bundesfinanzhof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, de la sixième directive [...] doit-il être interprété en ce sens que cette disposition autorise les États membres à privilégier, pour la répartition de la TVA due en amont pour la construction d’un immeuble d’utilisation mixte, une formule de répartition différente de la répartition [résultant de la méthode fondée sur le] chiffre d’affaires?»

 Sur la question préjudicielle

12      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’il permet aux États membres de privilégier comme clé de répartition aux fins du calcul du prorata de déduction de la TVA due en amont pour la construction d’un immeuble à usage mixte une clé de répartition autre que celle fondée sur le chiffre d’affaires, figurant à l’article 19, paragraphe 1, de cette directive.

13      En vue de répondre à cette question, il convient de rappeler que l’article 17, paragraphe 5, de la sixième directive établit le régime applicable au droit à déduction de la TVA, lorsque celle-ci se rapporte à des biens ou à des services qui sont utilisés par l’assujetti «pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction visées aux paragraphes 2 et 3 et des opérations n’ouvrant pas droit à déduction». Dans un tel cas, conformément à l’article 17, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive, la déduction n’est admise que pour la partie de la TVA qui est proportionnelle au montant des premières opérations taxées (arrêt du 18 décembre 2008, Royal Bank of Scotland, C-488/07, Rec. p. I-10409, point 17).

14      Le droit à déduction est, en vertu de l’article 17, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la sixième directive, calculé selon un prorata déterminé conformément à l’article 19 de cette même directive (arrêt Royal Bank of Scotland, précité, point 18).

15      Cependant, ainsi qu’il ressort du point 19 de l’arrêt Royal Bank of Scotland, précité, l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, de la sixième directive, qui débute par le terme «toutefois», autorise une dérogation à la règle énoncée aux premier et deuxième alinéas dudit article 17, paragraphe 5, puisqu’il permet aux États membres de prévoir l’une des autres méthodes de détermination du droit à déduction énumérées au troisième alinéa de cette disposition, à savoir l’établissement d’un prorata distinct pour chaque secteur d’activité ou la déduction suivant l’affectation de tout ou partie des biens et services à une activité précise, voire l’exclusion du droit à déduction sous réserve du respect de certaines conditions.

16      Dans la mesure où l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, de la sixième directive doit donc être considéré comme constituant une disposition dérogatoire aux premier et deuxième alinéas dudit article 17, paragraphe 5, les États membres doivent, dans l’exercice des pouvoirs qui leur sont conférés par cette disposition, respecter l’effet utile de l’article 17, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive ainsi que les principes qui sous-tendent le système commun de TVA, notamment ceux de neutralité fiscale et de proportionnalité.

17      Dès lors, le fait de permettre à un État membre d’adopter une législation, telle que celle décrite par la juridiction de renvoi, qui dérogerait de manière générale aux règles instaurées par les articles 17, paragraphe 5, premier et deuxième alinéas, ainsi que 19, paragraphe 1, de la sixième directive serait contraire à cette dernière. En effet, une telle législation remettrait en cause l’objectif de la sixième directive, énoncé au douzième considérant de celle-ci, selon lequel le calcul du prorata de déduction doit s’effectuer de manière similaire dans tous les États membres.

18      Cette interprétation est d’ailleurs conforme à la finalité de l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, de la sixième directive dont les dispositions ont vocation à s’appliquer à des cas de figure déterminés puisqu’elles ont pour objectif, notamment, en tenant compte des caractéristiques spécifiques propres à chaque activité d’un assujetti, de permettre aux États membres de parvenir à des résultats du calcul du prorata de déduction plus précis (voir, en ce sens, arrêt Royal Bank of Scotland, précité, point 24).

19      Il s’ensuit que l’article 17, paragraphe 5, de la sixième directive ne s’oppose pas à ce qu’un État membre, dans le respect des principes qui sous-tendent le système commun de TVA, privilégie, pour une opération donnée, telle que la construction d’un immeuble à usage mixte, l’une des méthodes de calcul du prorata de déduction prévues au troisième alinéa de cette disposition.

20      S’agissant des règles de calcul du prorata de déduction à appliquer dans ce type de situation, il convient de préciser que, à l’exception de celles qui doivent être utilisées en cas d’application de l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, sous d), de la sixième directive, lequel renvoie expressément à la règle de calcul visée à l’article 17, paragraphe 5, premier alinéa, de cette directive, les règles prévues à l’article 19, paragraphe 1, de cette dernière ne trouvent pas à s’appliquer dans la mesure où un cas de figure donné est soumis à l’un des autres régimes spéciaux prévus à l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt Royal Bank of Scotland, précité, point 21).

21      En effet, il ressort du libellé des articles 17, paragraphe 5, et 19, paragraphe 1, de la sixième directive que cette dernière disposition ne renvoie qu’au prorata de déduction, prévu à l’article 17, paragraphe 5, premier alinéa, de cette directive, et ne fixe, dès lors, une règle détaillée de calcul que pour le prorata visé à la première de ces deux dispositions (arrêt Royal Bank of Scotland, précité, point 22) ainsi que, par extension, pour la déduction à opérer en application de l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, sous d), de ladite directive.

22      Or, en l’absence d’indications dans la sixième directive, il appartient aux États membres d’établir, dans les limites du respect du droit de l’Union ainsi que des principes sur lesquels repose le système commun de TVA, des méthodes et des règles régissant le calcul du prorata de déduction de la TVA payée en amont. Dans l’exercice de ce pouvoir, lesdits États sont obligés de tenir compte de la finalité et de l’économie de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2008, Securenta, C-437/06, Rec. p. I-1597, points 34 et 35).

23      En l’espèce, force est de constater que, eu égard, premièrement, à la finalité de l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, de la sixième directive, qui, ainsi qu’il a été rappelé au point 18 du présent arrêt, vise à permettre aux États membres de parvenir à des résultats du calcul du prorata de déduction plus précis, deuxièmement, à l’économie de l’article 17, paragraphe 5, de cette directive et, troisièmement, au principe de neutralité fiscale, sur lequel repose le système commun de TVA et dont l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, peut être considéré comme constituant une mise en œuvre, les États membres doivent veiller, lors de l’exercice des prérogatives reconnues par cette dernière disposition, à ce que le calcul du prorata de déduction de la TVA payée en amont soit le plus précis possible (voir, par analogie, en ce qui concerne la détermination du prorata entre activités économiques et activités non économiques, arrêt Securenta, précité, point 37).

24      La sixième directive ne s’oppose pas, dès lors, à ce que, dans l’exercice dudit pouvoir, les États membres appliquent, pour une opération donnée, une méthode ou une clé de répartition autre que la méthode fondée sur le chiffre d’affaires, telle que, notamment, celle fondée sur la superficie en cause au principal, à condition que la méthode retenue garantisse une détermination du prorata de déduction de la TVA payée en amont plus précise que celle résultant de l’application de la méthode fondée sur le chiffre d’affaires.

25      Dans l’affaire au principal, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier le respect de ces conditions.

26      Par conséquent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’il permet aux États membres de privilégier comme clé de répartition aux fins du calcul du prorata de déduction de la TVA due en amont pour une opération donnée, telle que la construction d’un immeuble à usage mixte, une clé de répartition autre que celle fondée sur le chiffre d’affaires figurant à l’article 19, paragraphe 1, de cette directive, à condition que la méthode retenue garantisse une détermination plus précise dudit prorata de déduction.

 Sur les dépens

27      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

L’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens qu’il permet aux États membres de privilégier comme clé de répartition aux fins du calcul du prorata de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée due en amont pour une opération donnée, telle que la construction d’un immeuble à usage mixte, une clé de répartition autre que celle fondée sur le chiffre d’affaires figurant à l’article 19, paragraphe 1, de cette directive, à condition que la méthode retenue garantisse une détermination plus précise dudit prorata de déduction.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.