C-140/12 - Brey

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ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

19 septembre 2013 (*)

«Libre circulation des personnes – Citoyenneté de l’Union – Directive 2004/38/CE – Droit de séjour de plus de trois mois – Article 7, paragraphe 1, sous b) – Personne n’ayant plus la qualité de travailleur – Titulaire d’une pension de retraite – Condition de ressources suffisantes pour ne pas devenir une charge pour le ‘système d’assistance sociale’ de l’État membre d’accueil – Demande d’une prestation spéciale en espèces à caractère non contributif – Supplément compensatoire destiné à compléter la pension de retraite – Règlement (CE) no 883/2004 – Articles 3, paragraphe 3, et 70 – Compétence de l’État membre de résidence – Conditions d’octroi – Droit de séjour légal sur le territoire national – Conformité avec le droit de l’Union»

Dans l’affaire C‑140/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Autriche), par décision du 14 février 2012, parvenue à la Cour le 19 mars 2012, dans la procédure

Pensionsversicherungsanstalt

contre

Peter Brey,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, MM. E. Jarašiūnas, A. Ó Caoimh (rapporteur), Mme C. Toader et M. C. G. Fernlund, juges,

avocat général: M. N. Wahl,

greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 mars 2013,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Brey, par Me C. Rappold, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. G. Hesse, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et J. Möller, en qualité d’agents,

–        pour l’Irlande, par Mme E. Creedon, en qualité d’agent, assistée de M. A. Collins, SC, et de Mme G. Gilmore, BL,

–        pour le gouvernement hellénique, par Mme M. Tassopoulou, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. Noort et C. Wissels, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement suédois, par Mmes A. Falk et H. Karlsson, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme C. Murrell et M. J. Coppel, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. V. Kreuschitz et Mme C. Tufvesson, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 mai 2013,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Brey à la Pensionsversicherungsanstalt au sujet du refus de cette dernière de lui attribuer, en vue de compléter sa pension de retraite allemande, le supplément compensatoire (Ausgleichzulage) prévu par la législation autrichienne.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2004/38

3        Aux termes des considérants 10, 16, 20 et 21 de la directive 2004/38:

«(10)      Il convient […] d’éviter que les personnes exerçant leur droit de séjour ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil pendant une première période de séjour. L’exercice du droit de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leur famille, pour des périodes supérieures à trois mois, devrait, dès lors, rester soumis à certaines conditions.

[…]

(16)      Les bénéficiaires du droit de séjour ne devraient pas faire l’objet de mesures d’éloignement aussi longtemps qu’ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil. En conséquence, une mesure d’éloignement ne peut pas être la conséquence automatique du recours à l’assistance sociale. L’État membre d’accueil devrait examiner si, dans ce cas, il s’agit de difficultés d’ordre temporaire et prendre en compte la durée du séjour, la situation personnelle et le montant de l’aide accordée, afin de déterminer si le bénéficiaire constitue une charge déraisonnable pour son système d’assistance sociale et de procéder, le cas échéant à son éloignement. En aucun cas, une mesure d’éloignement ne devrait être arrêtée à l’encontre de travailleurs salariés, de non-salariés ou de demandeurs d’emploi tels que définis par la Cour de justice, si ce n’est pour des raisons d’ordre public et de sécurité publique.

[…]

(20)      En vertu de l’interdiction des discriminations fondées sur la nationalité, chaque citoyen de l’Union et les membres de sa famille séjournant dans un État membre sur la base de la présente directive devraient bénéficier, dans cet État membre, de l’égalité de traitement avec ses ressortissants dans les domaines d’application du traité, sous réserve des dispositions spécifiques figurant expressément dans le traité et le droit dérivé.

(21)      Toutefois, l’État membre d’accueil devrait être libre de déterminer s’il entend accorder aux personnes autres que celles qui exercent une activité salariée ou non salariée, celles qui conservent ce statut et les membres de leur famille des prestations d’assistance sociale au cours des trois premiers mois de séjour, ou de périodes plus longues en faveur des demandeurs d’emploi, ou des bourses d’entretien pour les études, y compris la formation professionnelle, avant l’acquisition du droit de séjour permanent.»

4        L’article 7 de ladite directive, intitulé «Droit de séjour de plus de trois mois», dispose, à son paragraphe 1, sous b), ce qui suit:

«Tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois:

[…]

b)      s’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour, et d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil».

5        L’article 8 de la directive 2004/38, intitulé «Formalités administratives à charge des citoyens de l’Union», prévoit:

«1.      Sans préjudice de l’article 5, paragraphe 5, pour des séjours d’une durée supérieure à trois mois, l’État membre d’accueil peut imposer aux citoyens de l’Union de se faire enregistrer auprès des autorités compétentes.

2.      Le délai imparti pour l’enregistrement ne peut pas être inférieur à trois mois à compter de la date d’arrivée. Une attestation d’enregistrement est délivrée immédiatement, qui précise le nom et l’adresse de la personne enregistrée ainsi que la date de l’enregistrement. Le non-respect de l’obligation d’enregistrement peut être passible de sanctions non discriminatoires et proportionnées.

3.      Pour la délivrance de l’attestation d’enregistrement, les États membres peuvent seulement exiger:

[…]

–        du citoyen de l’Union auquel s’applique l’article 7, paragraphe 1, point b), qu’il présente une carte d’identité ou un passeport en cours de validité et qu’il apporte la preuve qu’il satisfait aux conditions énoncées par cette disposition;

[…]

4.      Les États membres ne peuvent pas fixer le montant des ressources qu’ils considèrent comme suffisantes, mais ils doivent tenir compte de la situation personnelle de la personne concernée. Dans tous les cas, ce montant n’est pas supérieur au niveau en dessous duquel les ressortissants de l’État d’accueil peuvent bénéficier d’une assistance sociale ni, lorsque ce critère ne peut s’appliquer, supérieur à la pension minimale de sécurité sociale versée par l’État membre d’accueil.

[…]»

6        L’article 14 de la directive 2004/38, intitulé «Maintien du droit de séjour», énonce:

«[…]

2.      Les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont un droit de séjour tel que prévu aux articles 7, 12 et 13 tant qu’ils répondent aux conditions énoncées dans ces articles.

Dans certains cas spécifiques lorsqu’il est permis de douter qu’un citoyen de l’Union ou les membres de sa famille remplissent les conditions énoncées aux articles 7, 12 et 13, les États membres peuvent vérifier si c’est effectivement le cas. Cette vérification n’est pas systématique.

3.       Le recours au système d’assistance sociale par un citoyen de l’Union ou un membre de sa famille n’entraîne pas automatiquement une mesure d’éloignement.

[…]»

7        Aux termes de l’article 24 de cette directive, intitulé «Égalité de traitement»:

«1.      Sous réserve des dispositions spécifiques expressément prévues par le traité et le droit dérivé, tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil en vertu de la présente directive bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État membre dans le domaine d’application du traité. Le bénéfice de ce droit s’étend aux membres de la famille, qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui bénéficient du droit de séjour ou du droit de séjour permanent.

2.      Par dérogation au paragraphe 1, l’État membre d’accueil n’est pas obligé d’accorder le droit à une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de séjour ou, le cas échéant, pendant la période plus longue prévue à l’article 14, paragraphe 4, point b), ni tenu, avant l’acquisition du droit de séjour permanent, d’octroyer des aides d’entretien aux études, y compris pour la formation professionnelle, sous la forme de bourses d’études ou de prêts, à des personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut, ou les membres de leur famille.

[…]»

Le règlement (CE) no 883/2004

8        Le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), a remplacé, à partir du 1er mai 2010, le règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1, ci-après le règlement no 1408/71).

9        Le règlement no 883/2004, tel que modifié par le règlement (UE) no 1244/2010 de la Commission, du 9 décembre 2010 (JO L 338, p. 35, ci-après le «règlement no 883/2004»), dispose, à son article 1er, intitulé «Définitions»:

«Aux fins du présent règlement:

[…]

j)      le terme ‘résidence’ désigne le lieu où une personne réside habituellement;

[…]»

10      L’article 3 de ce règlement, intitulé «Champ d’application matériel», énonce ce qui suit:

«1.      Le présent règlement s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent:

[…]

d)      les prestations de vieillesse;

[…]

2.      Sauf disposition contraire prévue à l’annexe XI, le présent règlement s’applique aux régimes de sécurité sociale généraux et spéciaux, soumis ou non à cotisations, ainsi qu’aux régimes relatifs aux obligations de l’employeur ou de l’armateur.

3.      Le présent règlement s’applique également aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif visées à l’article 70.

[…]

5.      Le présent règlement ne s’applique pas:

a)      à l’assistance sociale et médicale;

[…]»

11      L’article 4 dudit règlement, intitulé «Égalité de traitement», prévoit:

«À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les personnes auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout État membre, que les ressortissants de celui-ci.»

12      L’article 70 de ce même règlement dispose:

«1.      Le présent article s’applique aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif relevant d’une législation qui, de par son champ d’application personnel, ses objectifs et/ou ses conditions d’éligibilité, possède les caractéristiques à la fois de la législation en matière de sécurité sociale visée à l’article 3, paragraphe 1, et d’une assistance sociale.

2.      Aux fins du présent chapitre, on entend par ‘prestations spéciales en espèces à caractère non contributif’ les prestations:

a)      qui sont destinées:

i)      soit à couvrir à titre complémentaire, subsidiaire ou de remplacement, les risques correspondant aux branches de sécurité sociale visées à l’article 3, paragraphe 1, et à garantir aux intéressés un revenu minimal de subsistance eu égard à l’environnement économique et social dans l’État membre concerné;

ii)      soit uniquement à assurer la protection spécifique des personnes handicapées, étroitement liées à l’environnement social de ces personnes dans l’État membre concerné,

et

b)      qui sont financées exclusivement par des contributions fiscales obligatoires destinées à couvrir des dépenses publiques générales et dont les conditions d’attribution et modalités de calcul ne sont pas fonction d’une quelconque contribution pour ce qui concerne leurs bénéficiaires. Les prestations versées à titre de complément d’une prestation contributive ne sont toutefois pas considérées, pour ce seul motif, comme des prestations contributives,

et

c)      qui sont énumérées à l’annexe X.

3.      L’article 7 et les autres chapitres du présent titre ne s’appliquent pas aux prestations visées au paragraphe 2 du présent article.

4.      Les prestations visées au paragraphe 2 sont octroyées exclusivement dans l’État membre dans lequel l’intéressé réside et conformément à sa législation. Ces prestations sont servies par l’institution du lieu de résidence et à sa charge.»

13      L’annexe X du règlement no 883/2004, intitulée «Prestations spéciales en espèces à caractère non contributif», comporte, à l’égard de la République d’Autriche, la mention suivante: «Supplément compensatoire [loi fédérale du 9 septembre 1955 concernant l’assurance sociale générale (Allgemeines Sozialversicherungsgesetz, BGBl. 189/1955) (…)]»

 Le droit autrichien

14      L’article 292, paragraphe 1, de la loi générale relative à la sécurité sociale (Allgemeines Sozialversicherungsgesetz, BGBl. 189/1955), telle que modifiée, à compter du 1er janvier 2011, par la loi budgétaire de 2011 (Budgetbegleitgesetz 2011, BGBl. 111/2011, ci-après l’«ASVG») prévoit que le bénéficiaire d’une pension de retraite, lorsque cette pension, majorée des revenus nets tirés d’autres sources ainsi que de toute autre somme devant être prise en compte, n’atteint pas un certain montant de référence, a droit à un supplément compensatoire à hauteur de la différence entre le montant de référence et le revenu personnel, pour autant qu’il séjourne habituellement de manière régulière en Autriche.

15      La loi relative à l’établissement et au séjour (Niederlassungs- und Aufenthaltsgesetz), telle que modifiée par la loi budgétaire de 2011 (ci-après la «NAG»), comporte, notamment, les dispositions pertinentes suivantes:

«Article 51 (1) Conformément à la directive sur la libre circulation, les citoyens de l’[Espace Économique Européen (EEE)] ont le droit de séjourner pour une durée de plus de trois mois

[…]

2.      s’ils disposent pour eux-mêmes et les membres de leur famille de ressources suffisantes et d’une assurance maladie complète de manière à ne pas devoir demander pendant leur séjour le bénéfice de prestations d’assistance sociale ou du supplément compensatoire, ou

[…]

Attestation d’enregistrement

Article 53. (1) Les citoyens de l’EEE qui jouissent d’un droit de séjour en vertu de la législation de l’Union (articles 51 et 52) doivent, lorsqu’ils séjournent plus de trois mois sur le territoire fédéral, en faire la déclaration à l’administration dans un délai de quatre mois à compter de leur entrée sur le territoire. Lorsque les conditions sont remplies (article 51 ou 52), l’administration doit, sur demande, délivrer une attestation d’enregistrement.

(2)      Pour prouver le droit de séjour en vertu de la législation de l’Union, il y a lieu de présenter une carte d’identité ou un passeport en cours de validité ainsi que les preuves suivantes:

[…]

2.      En vertu de l’article 51, paragraphe 1, point 2: preuves de ressources suffisantes et d’une assurance maladie complète;

[…]»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

16      M. Brey et son épouse, tous deux de nationalité allemande, ont quitté l’Allemagne pour s’installer en Autriche au cours du mois de mars 2011. M. Brey perçoit en Allemagne une pension d’invalidité d’un montant brut de 862,74 euros par mois et une allocation de dépendance de 225 euros par mois. Le couple ne dispose d’aucun autre revenu ou patrimoine. L’épouse de M. Brey percevait en Allemagne une prestation de base qui ne lui est toutefois plus versée depuis le 1er avril 2011 du fait de son installation en Autriche. Le loyer afférant à l’appartement occupé par le couple en Autriche s’élève à 532,29 euros par mois.

17      Par décision du 2 mars 2011, la Pensionsversicherungsanstalt a rejeté la demande de M. Brey visant à bénéficier d’un supplément compensatoire à compter du 1er avril 2011 au motif que, en raison du montant faible de sa pension, M. Brey ne dispose pas de ressources suffisantes pour justifier d’un séjour régulier en Autriche.

18      Le 22 mars 2011, la Bezirkshauptmannschaft Deutschlandsberg (administration cantonale de Deutschlandberg) a délivré à M. Brey et à son épouse une attestation d’enregistrement en tant que citoyen de l’EEE, conformément à la NAG.

19      M. Brey a formé un recours contre la décision du 2 mars 2011. Par arrêt rendu le 6 octobre 2011, l’Oberlandesgericht Graz, confirmant l’arrêt rendu en première instance par le Landesgericht für Zivilsachen Graz, a réformé cette décision, de sorte que la Pensionsversicherungsanstalt s’est vu imposer l’obligation d’octroyer à M. Brey le supplément compensatoire pour un montant de 326,82 euros par mois, à compter du 1er avril 2011.

20      La Pensionsversicherungsanstalt a formé un recours en «Revision» contre cet arrêt devant l’Oberster Gerichtshof.

21      Dans la décision de renvoi, cette juridiction rappelle que la Cour, dans l’arrêt du 29 avril 2004, Skalka (C‑160/02, Rec. p. I‑5613), a qualifié le supplément compensatoire de «prestation spéciale à caractère non contributif» au sens de l’article 4, paragraphe 2 bis, du règlement no 1408/71 (devenu article 70 du règlement no 883/2004), dès lors qu’il complète une pension de vieillesse ou d’invalidité et qu’il a le caractère d’une assistance sociale dans la mesure où il doit garantir à son bénéficiaire un minimum vital en cas de pension insuffisante.

22      Selon la juridiction de renvoi, la question qui se pose dès lors, dans le litige pendant devant elle, consiste à déterminer si la législation de l’Union en matière de droit de séjour utilise la même notion d’«assistance sociale» que la législation de l’Union en matière de sécurité sociale.

23      Si cette notion devait se voir reconnaître un contenu identique dans les deux matières, cette juridiction estime que le supplément compensatoire ne pourrait pas être considéré comme une prestation d’assistance sociale au sens de la directive 2004/38, puisqu’il présente des aspects de sécurité sociale et relève du champ d’application règlement no 883/2004. En conséquence, le droit à un supplément compensatoire n’exercerait pas d’incidence sur le droit de séjour.

24      Ladite juridiction considère toutefois que la notion d’«assistance sociale» pourrait également se voir attribuer un contenu propre, fondé sur les objectifs poursuivis par la directive 2004/38, laquelle vise, notamment, à éviter que les personnes qui n’ont pas contribué au financement des régimes de protection sociale de l’État membre d’accueil ne pèsent excessivement sur le budget de ce dernier. Dans cette optique, cette notion devrait s’entendre, dans la législation en matière de droit de séjour, comme visant la couverture par l’État de prestations de base financées par les ressources fiscales générales dont tous les habitants peuvent bénéficier, que ces prestations soient fondées sur un droit ou sur une situation de besoin et qu’elles soient liées ou non à un risque déterminé de sécurité sociale. Dans un tel cas, le supplément compensatoire devrait être regardé comme une prestation d’assistance sociale au sens de la directive 2004/38.

25      Dans ces conditions, l’Oberster Gerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le supplément compensatoire doit-il être considéré comme une prestation d’‘assistance sociale’ au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 […]?»

 Sur la question préjudicielle

 Sur la portée de la question

26      Par sa question, la juridiction de renvoi demande si l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 doit être interprété en ce sens que la notion d’«assistance sociale» au sens de cette disposition vise une prestation telle que le supplément compensatoire prévu à l’article 292, paragraphe 1, de l’ASVG.

27      Cette question est posée dans le cadre d’un litige dans lequel les autorités autrichiennes compétentes ont refusé l’octroi de cette prestation à un ressortissant d’un autre État membre, M. Brey, au motif que celui-ci, malgré le fait qu’une attestation d’enregistrement lui a été délivrée, ne pouvait pas être considéré comme séjournant «de manière régulière» en Autriche au sens dudit article 292, paragraphe 1, de l’ASVG, dès lors que le droit de séjourner pour une période de plus de trois mois en Autriche exige, conformément à l’article 51 de la NAG, que l’intéressé dispose pour lui-même et pour les membres de sa famille, notamment, de «ressources suffisantes […] de manière à ne pas devoir demander pendant [son] séjour le bénéfice de prestations d’assistance sociale ou du supplément compensatoire».

28      Il est constant que cette dernière disposition vise à transposer en droit autrichien l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, selon lequel tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois s’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour.

29      Il en résulte que, même si le droit de séjour de M. Brey n’est pas directement en cause dans le litige au principal, celui-ci portant uniquement sur l’octroi du supplément compensatoire, le droit national établit lui-même un lien direct entre les conditions pour bénéficier de cette prestation et les conditions pour bénéficier d’un droit de séjour légal de plus trois mois en Autriche. En effet, l’octroi du supplément compensatoire est subordonné à la condition que l’intéressé remplisse les conditions pour bénéficier d’un tel droit de séjour. Il ressort à cet égard des explications fournies par la juridiction de renvoi que, selon les travaux préparatoires relatifs à la modification apportée à compter du 1er janvier 2011 à l’article 51, paragraphe 1, point 2, de la NAG, cette disposition, en se référant explicitement au supplément compensatoire, viserait désormais à empêcher qu’un ressortissant d’un autre État membre puisse jouir du droit de séjour en Autriche au titre du droit de l’Union, lorsque ce ressortissant demande, au cours de son séjour, le bénéfice du supplément compensatoire.

30      Dans ces conditions, il apparaît que l’issue du litige au principal dépend de la question de savoir si un État membre peut exclure l’octroi du supplément compensatoire aux ressortissants d’autres États membres, au motif que, comme M. Brey, ils ne remplissent pas, malgré le fait qu’une attestation d’enregistrement leur a été délivrée, les conditions pour bénéficier d’un droit de séjour légal de plus de trois mois sur le territoire national, dès lors que, pour pouvoir jouir d’un tel droit, la personne concernée doit disposer de ressources suffisantes pour ne pas demander, notamment, le supplément compensatoire. C’est dans le cadre de l’examen de cette question que la nature de cette prestation, sur laquelle s’interroge la juridiction de renvoi, doit être examinée.

31      À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (voir, notamment, arrêts du 8 mars 2007, Campina, C‑45/06, Rec. p. I‑2089, point 30, et du 14 octobre 2010, Fuß, C‑243/09, Rec. p. I‑9849, point 39).

32      Il convient dès lors de reformuler la question posée en ce sens que, par celle-ci, la juridiction de renvoi vise, en substance, à savoir si le droit de l’Union, en particulier les dispositions de la directive 2004/38, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui exclut l’octroi d’une prestation telle que le supplément compensatoire prévu à l’article 292, paragraphe 1, de l’ASVG à un ressortissant d’un autre État membre économiquement non actif, au motif que celui-ci, malgré le fait qu’une attestation d’enregistrement lui a été délivrée, ne remplit pas les conditions pour bénéficier d’un droit de séjour légal de plus de trois mois sur le territoire du premier État membre, dès lors que l’existence d’un tel droit de séjour est subordonnée à l’exigence que ce ressortissant dispose de ressources suffisantes pour ne pas demander ladite prestation.

 Sur le droit d’un citoyen de l’Union économiquement non actif à une prestation telle que celle en cause au principal dans l’État membre d’accueil

33      À titre liminaire, il convient de rappeler que, dans l’arrêt Skalka, précité, la Cour a jugé que le supplément compensatoire prévu à l’article 292, paragraphe 1, de l’ASVG relève du champ d’application du règlement no 1408/71 et, par suite, constitue une «prestation spéciale à caractère non contributif», au sens de l’article 4, paragraphe 2 bis, du même règlement, lu en combinaison avec l’annexe II bis de ce dernier. Cette prestation est, en vertu de l’article 10 bis, paragraphe 1, dudit règlement, servie exclusivement par les institutions compétentes de l’État membre de résidence et est à la charge de ces dernières, conformément à la législation de ce même État.

34      La Cour a constaté à cet égard, au point 26 de l’arrêt Skalka, précité, que le supplément compensatoire autrichien revêt le caractère d’une «prestation spéciale», dès lors que cette prestation complète une pension de vieillesse ou d’invalidité, qu’elle présente le caractère d’une assistance sociale en tant qu’elle vise à assurer un minimum vital à son bénéficiaire en cas de pension insuffisante et que son octroi repose sur des critères objectifs définis par la loi.

35      Par ailleurs, la Cour a estimé, aux points 29 et 30 de ce même arrêt, que ce supplément compensatoire devait être regardé comme ayant un caractère «non contributif», dès lors que les dépenses sont supportées provisoirement par un organisme social qui est, ensuite, intégralement remboursé par le Land concerné, lui-même percevant du budget fédéral les sommes nécessaires au financement de la prestation, et que les cotisations des assurés n’entrent à aucun moment dans ce financement.

36      Il est constant que les dispositions correspondantes du règlement no 883/2004, à savoir les articles 3, paragraphe 3, et 70 de ce règlement, ainsi que l’annexe X de celui-ci, concernant les «prestations spéciales en espèces à caractère non contributif», ne sont pas de nature à modifier ces appréciations.

37      La Commission européenne estime qu’il se déduit de ces dispositions que la condition selon laquelle, pour bénéficier du supplément compensatoire, l’intéressé doit disposer d’un droit de séjour légal de plus de trois mois dans l’État membre d’accueil n’est pas conforme au droit de l’Union. Toute personne qui, comme M. Brey, relève du champ d’application du règlement no 883/2004 en tant que personne retraitée ayant cessé toute activité salariée ou non salariée aurait en effet droit, conformément à l’article 70, paragraphe 4, de ce règlement, au versement des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif dans l’État membre de sa résidence. Or, aux termes de l’article 1er, sous j), dudit règlement, la résidence d’une personne correspondrait au lieu où celle-ci «réside habituellement», expression qui viserait l’État membre dans lequel les personnes concernées résident habituellement et dans lequel se trouve le centre habituel de leurs intérêts. Il en résulterait que la condition relative à la régularité du séjour, prévue à l’article 292, paragraphe 1, de l’ASVG, lue en combinaison avec l’article 51, paragraphe 1, de la NAG, constituerait une discrimination indirecte contraire à l’article 4 du règlement no 883/2004, dès lors qu’elle affecte uniquement les citoyens de l’Union non autrichiens.

38      Il convient dès lors d’examiner préalablement si un État membre peut subordonner l’octroi d’une prestation relevant du champ d’application du règlement no 883/2004 à un ressortissant d’un autre État membre à la condition que celui-ci remplisse les conditions pour bénéficier d’un droit de séjour légal de plus de trois mois. Ce n’est en effet que si la réponse à cette question était affirmative qu’il serait nécessaire de déterminer si un tel droit de séjour peut être subordonné à la condition que l’intéressé dispose de ressources suffisantes pour ne pas demander cette même prestation.

 Sur l’exigence consistant à remplir les conditions pour disposer d’un droit de séjour légal de plus de trois mois

39      Il convient de relever que l’article 70, paragraphe 4, du règlement no 883/2004, sur lequel s’appuie la Commission, énonce une «règle de conflit» dont l’objet consiste à déterminer, dans le cas des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, la législation applicable ainsi que l’institution chargée du versement des prestations qui y sont visées.

40      Cette disposition a ainsi pour but non seulement d’éviter l’application simultanée de plusieurs législations nationales et les complications qui peuvent en résulter, mais également d’empêcher que les personnes entrant dans le champ d’application du règlement no 883/2004 soient privées de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation qui leur serait applicable (voir, par analogie, arrêts du 11 juin 1998, Kuusijärvi, C‑275/96, Rec. p. I‑3419, point 28, et du 21 février 2013, Dumont de Chassart, C‑619/11, point 38).

41      En revanche, en tant que telle, ladite disposition n’a pas pour objet de déterminer les conditions de fond de l’existence du droit aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif. Il appartient en principe à la législation de chaque État membre de déterminer ces conditions (voir, en ce sens, arrêt Dumont de Chassart, précité, point 39 et jurisprudence citée).

42      Il ne saurait donc être inféré de l’article 70, paragraphe 4, du règlement no 883/2004, lu en combinaison avec l’article 1er, sous j), de celui-ci, que le droit de l’Union s’oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, subordonnant le droit à une prestation spéciale en espèces à caractère non contributif à l’exigence de remplir les conditions pour disposer d’un droit de séjour légal dans l’État membre concerné.

43      En effet, le règlement no 883/2004 n’organise pas un régime commun de sécurité sociale, mais laisse subsister des régimes nationaux distincts et a pour unique objet d’assurer une coordination entre ces derniers. Il laisse ainsi subsister des régimes distincts engendrant des créances distinctes à l’égard d’institutions distinctes contre lesquelles le prestataire possède des droits directs en vertu soit du seul droit interne, soit du droit interne complété si nécessaire par le droit de l’Union (arrêts du 3 avril 2008, Chuck, C‑331/06, Rec. p. I‑1957, point 27, ainsi que Dumont de Chassart, précité, point 40).

44      Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour que rien ne s’oppose, en principe, à ce que l’octroi de prestations sociales à des citoyens de l’Union économiquement non actifs soit subordonné à l’exigence que ceux-ci remplissent les conditions pour disposer d’un droit de séjour légal dans l’État membre d’accueil (voir, en ce sens, arrêts du 12 mai 1998, Martínez Sala, C‑85/96, Rec. p. I‑2691, points 61 à 63; du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C‑184/99, Rec. p. I‑6193, points 32 et 33; du 7 septembre 2004, Trojani, C‑456/02, Rec. p. I‑7573, points 42 et 43; du 15 mars 2005, Bidar, C‑209/03, Rec. p. I‑2119, point 37, ainsi que du 18 novembre 2008, Förster, C‑158/07, Rec. p. I‑8507, point 39).

45      Il importe, cependant, que les conditions auxquelles est subordonné l’octroi d’un tel droit de séjour, telles que, dans l’affaire au principal, celle consistant à disposer de ressources suffisantes afin de ne pas demander le supplément compensatoire, soient elles-mêmes conformes au droit de l’Union.

 Sur l’exigence consistant à disposer de ressources suffisantes pour ne pas demander le supplément compensatoire

46      Il y a lieu de rappeler que le droit des ressortissants d’un État membre de séjourner sur le territoire d’un autre État membre sans y exercer aucune activité salariée ou non salariée n’est pas inconditionnel. En vertu de l’article 21, paragraphe 1, TFUE, le droit de séjourner sur le territoire des États membres n’est en effet reconnu à tout citoyen de l’Union que sous réserve des limitations et des conditions prévues par le traité et par les dispositions prises pour son application (voir, en ce sens, arrêts Trojani, précité, points 31 et 32; du 19 octobre 2004, Zhu et Chen, C‑200/02, Rec. p. I‑9925, point 26, ainsi que du 11 décembre 2007, Eind, C‑291/05, Rec. p. I‑10719, point 28).

47      Parmi ces limitations et ces conditions, il ressort de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 que les États membres peuvent exiger des ressortissants d’un autre État membre qui veulent bénéficier du droit de séjour sur leur territoire pour une durée de plus de trois mois sans exercer une activité économique qu’ils disposent, pour eux-mêmes et pour les membres de leur famille, d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil et de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de cet État au cours de leur séjour (voir, en ce sens, arrêt du 23 février 2010, Teixeira, C‑480/08, Rec. p. I‑1107, point 42).

48      La Commission, à la différence de l’ensemble des gouvernements ayant déposé des observations écrites, soutient que, puisque le supplément compensatoire constitue une prestation spéciale en espèces à caractère non contributif relevant du champ d’application du règlement no 883/2004, il ne saurait être considéré comme une prestation d’«assistance sociale» au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38. Il ressortirait d’ailleurs de l’exposé des motifs de cette directive [proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, COM(2001) 257 final], que les prestations d’«assistance sociale» visées à cette disposition sont celles qui ne sont pas couvertes, au stade actuel, par le règlement no 883/2004. Cette interprétation serait confirmée par le fait que, selon cet exposé des motifs, l’assistance sociale au sens de la directive 2004/38 inclut l’assistance médicale et gratuite, laquelle est précisément exclue du champ d’application du règlement no 883/2004 par l’article 3, paragraphe 5, de celui-ci.

49      À cet égard, il convient d’emblée de souligner qu’il découle tant des exigences de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union européenne, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de cette disposition et de l’objectif poursuivi (voir, notamment, arrêts du 14 février 2012, Flachglas Torgau, C‑204/09, point 37, et du 11 avril 2013, Edwards et Pallikaropoulos, C‑260/11, point 29).

50      Ainsi qu’il ressort déjà des points 3 à 36 du présent arrêt, une prestation telle que le supplément compensatoire relève du champ d’application du règlement no 883/2004. Toutefois, une telle circonstance ne saurait, en tant que telle, être déterminante aux fins de l’interprétation des dispositions de la directive 2004/38. En effet, ainsi que l’ont soutenu l’ensemble des gouvernements ayant déposé des observations écrites, le règlement no 883/2004 poursuit des objectifs distincts de ceux visés par cette directive.

51      À cet égard, il convient de rappeler que les dispositions du règlement no 883/2004 cherchent à atteindre l’objectif défini à l’article 48 TFUE en prévenant les effets négatifs que l’exercice du droit à la libre circulation des travailleurs pourrait avoir sur la jouissance des prestations de sécurité sociale par les travailleurs et les membres de leur famille (voir, en ce sens, arrêt Chuck, précité, point 32).

52      C’est en vue d’atteindre cet objectif que ce règlement prévoit, sous réserve des exceptions qu’il édicte, le principe de l’exportabilité dans l’État membre d’accueil des prestations en espèces relevant de son champ d’application, par la levée, en vertu de son article 7, des clauses de résidence (voir, en ce sens, arrêt du 4 novembre 1997, Snares, C‑20/96, Rec. p. I‑6057, points 39 et 40).

53      En revanche, la directive 2004/38, si elle a pour but de faciliter et de renforcer l’exercice du droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres qui est conféré directement à chaque citoyen de l’Union par le traité (voir arrêts du 25 juillet 2008, Metock e.a., C‑127/08, Rec. p. I‑6241, points 82 et 59; du 7 octobre 2010, Lassal, C‑162/09, Rec. p. I‑9217, point 30, et du 5 mai 2011, McCarthy, C‑434/09, Rec. p. I‑3375, point 28), vise également à préciser, ainsi qu’il ressort de son article 1er, sous a), les conditions de l’exercice de ce droit (voir, en ce sens, arrêts McCarthy, précité, point 33, ainsi que du 21 décembre 2011, Ziolkowski et Szeja, C‑424/10 et C‑425/10, Rec. p. I‑14035, points 36 et 40), parmi lesquelles figure, s’agissant des séjours d’une durée de plus de trois mois, celle énoncée à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de cette directive, selon laquelle les citoyens de l’Union n’ayant pas ou plus la qualité de travailleur doivent disposer de ressources suffisantes.

54      Il ressort, en particulier, du considérant 10 de la directive 2004/38 que cette condition vise, notamment, à éviter que ces personnes ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil (arrêt Ziolkowski et Szeja, précité, point 40).

55      Une telle condition s’inspire de l’idée que l’exercice du droit de séjour des citoyens de l’Union peut être subordonné aux intérêts légitimes des États membres, en l’occurrence, la protection de leurs finances publiques (voir, par analogie, arrêts du 17 septembre 2002, Baumbast et R, C‑413/99, Rec. p. I‑7091, point 90; Zhu et Chen, précité, point 32, ainsi que du 23 mars 2006, Commission/Belgique, C‑408/03, Rec. p. I‑2647, points 37 et 41).

56      Dans la même optique, l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 établit une dérogation au principe d’égalité de traitement dont bénéficient les citoyens de l’Union autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut et les membres de leur famille, qui séjournent sur le territoire d’un État membre d’accueil, en permettant à l’État membre d’accueil de ne pas accorder le droit aux prestations d’assistance sociale, notamment pendant les trois premiers mois du séjour (voir arrêt du 4 juin 2009, Vatsouras et Koupatantze, C‑22/08 et C‑23/08, Rec. p. I‑4585, points 34 et 35).

57      Il en ressort que, si le règlement no 883/2004 vise à garantir aux citoyens de l’Union qui ont fait usage du droit à la libre circulation des travailleurs le maintien du droit à certaines prestations de sécurité sociale octroyées par leur État membre d’origine, la directive 2004/38 permet, pour sa part, à l’État membre d’accueil d’imposer aux citoyens de l’Union, lorsqu’ils n’ont pas ou plus la qualité de travailleur, des restrictions légitimes en ce qui concerne l’octroi de prestations sociales afin que ceux-ci ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de cet État membre.

58      Dans ces conditions, la notion de «système d’assistance sociale» figurant à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 ne saurait être réduite, contrairement à ce que soutient la Commission, aux prestations d’assistance sociale qui, en vertu de l’article 3, paragraphe 5, sous a), du règlement no 883/2004, ne relèvent pas du champ d’application de ce règlement.

59      Ainsi que l’ont souligné plusieurs gouvernements ayant déposé des observations, l’interprétation inverse aboutirait à instituer des différences de traitement injustifiées entre États membres selon les modalités d’organisation de leurs systèmes nationaux de sécurité sociale, dès lors que le caractère «spécial» d’une prestation telle celle au principal – et, partant, son inclusion dans le champ d’application du règlement no 883/2004 – dépend, notamment, du point de savoir si l’octroi de cette prestation repose, en droit national, sur des critères objectifs ou exclusivement sur la situation de besoin de l’intéressé.

60      Il en résulte que la notion de «système d’assistance sociale» au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 doit être déterminée en fonction non pas de critères formels, mais de l’objectif poursuivi par cette disposition, tel que rappelé aux points 5 à 57 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêts Vatsouras et Koupatantze, précité, points 41 et 42, ainsi que du 24 avril 2012, Kamberaj, C‑571/10, points 90 à 92).

61      Il convient dès lors d’interpréter ladite notion comme faisant référence à l’ensemble des régimes d’aides institués par des autorités publiques, que ce soit au niveau national, régional ou local, auxquels a recours un individu qui ne dispose pas de ressources suffisantes pour faire face à ses besoins élémentaires ainsi qu’à ceux de sa famille et qui risque, de ce fait, de devenir, pendant son séjour, une charge pour les finances publiques de l’État membre d’accueil susceptible d’avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide pouvant être octroyée par cet État (voir, en ce sens, arrêts précités Bidar, point 56; Eind, point 29, et Förster, point 48, ainsi que, par analogie, arrêts du 4 mars 2010, Chakroun, C‑578/08, Rec. p. I‑1839, point 46, et Kamberaj, précité, point 91).

62      S’agissant du supplément compensatoire en cause dans l’affaire au principal, il ressort des points 3 à 36 du présent arrêt qu’une telle prestation peut être regardée comme relevant du «système d’assistance sociale» de l’État membre concerné. En effet, ainsi que la Cour l’a jugé aux points 29 et 30 de l’arrêt Skalka, précité, cette prestation, qui vise à assurer un minimum vital à son bénéficiaire en cas de pension insuffisante, est intégralement financée par les pouvoirs publics sans aucune contribution des assurés.

63      Il s’ensuit que le fait qu’un ressortissant d’un autre État membre économiquement non actif puisse être éligible, au vu du faible montant de sa pension, au bénéfice d’une telle prestation pourrait constituer un indice de nature à démontrer que ce dernier ne dispose pas de ressources suffisantes pour éviter de devenir une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de cet État, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 (voir, en ce sens, arrêt Trojani, précité, points 35 et 36).

64      Toutefois, les autorités nationales compétentes ne sauraient tirer une telle conclusion sans avoir procédé à une appréciation globale de la charge que représenterait concrètement l’octroi de cette prestation sur l’ensemble du système national d’assistance sociale en fonction des circonstances individuelles caractérisant la situation de l’intéressé.

65      En effet, en premier lieu, il convient de souligner que la directive 2004/38 n’exclut nullement toute possibilité d’octroi, dans l’État membre d’accueil, de prestations sociales aux ressortissants d’autres États membres (voir, par analogie, arrêt Grzelczyk, précité, point 39).

66      Bien au contraire, plusieurs dispositions de cette directive postulent précisément que de telles prestations puissent leur être octroyées. Ainsi, comme la Commission l’a souligné à juste titre, il ressort du libellé même de l’article 24, paragraphe 2, de cette directive que ce n’est que pendant les trois premiers mois de séjour que, par dérogation au principe d’égalité de traitement énoncé au paragraphe 1 dudit article, l’État membre d’accueil n’est pas obligé d’accorder le droit à une prestation d’assistance sociale aux citoyens de l’Union n’ayant pas ou plus la qualité de travailleur. En outre, l’article 14, paragraphe 3, de ladite directive dispose que le recours au système d’assistance sociale par un citoyen de l’Union ou un membre de sa famille ne peut pas entraîner automatiquement une mesure d’éloignement.

67      En deuxième lieu, il y a lieu de relever que l’article 8, paragraphe 4, première phrase, de la directive 2004/38 prévoit explicitement que les États membres ne peuvent pas fixer le montant des ressources qu’ils considèrent comme suffisantes, mais qu’ils doivent tenir compte de la situation personnelle de la personne concernée. Par ailleurs, en vertu de la seconde phrase dudit article 8, paragraphe 4, le montant des ressources suffisantes ne peut être supérieur au niveau en dessous duquel les ressortissants de l’État membre d’accueil peuvent bénéficier d’une assistance sociale ou, lorsque ce critère ne peut s’appliquer, à la pension minimale de sécurité sociale versée par l’État membre d’accueil.

68      Il en ressort que, si les États membres peuvent indiquer une certaine somme comme montant de référence, ils ne peuvent imposer un montant de revenu minimal en dessous duquel il serait présumé qu’un intéressé ne dispose pas de ressources suffisantes, et ce indépendamment d’un examen concret de la situation de chaque intéressé (voir, par analogie, arrêt Chakroun, précité, point 48).

69      En outre, il ressort du considérant 16 de la directive 2004/38 que, pour déterminer si le bénéficiaire d’une prestation d’assistance sociale constitue une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil, ce dernier, avant d’adopter une mesure d’éloignement, doit examiner si l’intéressé rencontre des difficultés d’ordre temporaire ainsi que prendre en compte la durée du séjour et la situation personnelle de celui-ci de même que le montant de l’aide qui lui a été accordée.

70      Enfin, en troisième lieu, il convient de rappeler que le droit à la libre circulation étant, en tant que principe fondamental du droit de l’Union, la règle générale, les conditions prévues à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 doivent être interprétées de manière stricte (voir, par analogie, arrêts précités Kamberaj, point 86, et Chakroun, point 43), ainsi que dans le respect des limites imposées par le droit de l’Union et le principe de proportionnalité (voir arrêts précités Baumbast et R, point 91; Zhu et Chen, point 32, ainsi que Commission/Belgique, point 39).

71      De plus, la marge de manœuvre reconnue aux États membres ne doit pas être utilisée par ceux-ci d’une manière qui porterait atteinte à l’objectif de la directive 2004/38, qui est, notamment, de faciliter et de renforcer l’exercice du droit fondamental des citoyens de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, et à l’effet utile de celle-ci (voir, par analogie, arrêt Chakroun, précité, points 43 et 47).

72      En subordonnant le droit au séjour de plus de trois mois à la circonstance que l’intéressé ne devienne pas une charge «déraisonnable» pour le «système» d’assistance sociale de l’État membre d’accueil, l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, tel qu’interprété à la lumière du considérant 10 de celle-ci, implique dès lors que les autorités nationales compétentes disposent du pouvoir d’apprécier, compte tenu d’un ensemble de facteurs et au regard du principe de proportionnalité, si l’octroi d’une prestation sociale est susceptible de représenter une charge pour l’ensemble des régimes d’assistance sociale de cet État membre. La directive 2004/38 admet ainsi une certaine solidarité financière des ressortissants de l’État membre d’accueil avec ceux des autres États membres, notamment si les difficultés que rencontre le bénéficiaire du droit de séjour sont d’ordre temporaire (voir, par analogie, arrêts précités Grzelczyk, point 44; Bidar, point 56, ainsi que Förster, point 48).

73      Certes, ainsi qu’il ressort du point 74 des conclusions de M. l’avocat général, la version en langue allemande de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, contrairement à la plupart des autres versions linguistiques de cette disposition, n’apparaît pas se référer à un tel «système».

74      Toutefois, selon une jurisprudence constante, la formulation utilisée dans l’une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer, à cet égard, un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques. Une telle approche serait en effet incompatible avec l’exigence d’uniformité d’application du droit de l’Union. En cas de divergence entre les versions linguistiques, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (voir arrêts du 27 mars 1990, Cricket St Thomas, C‑372/88, Rec. p. I‑1345, points 18 et 19, ainsi que du 12 novembre 1998, Institute of the Motor Industry, C‑149/97, Rec. p. I‑7053, point 16).

75      Or, il ressort des points 6 à 72 du présent arrêt que le seul fait, pour un ressortissant d’un État membre de bénéficier d’une prestation d’assistance sociale ne saurait suffire à démontrer qu’il représente une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil.

76      S’agissant de la réglementation en cause au principal, il ressort des propres explications fournies par le gouvernement autrichien lors de l’audience que, si le montant du supplément compensatoire dépend de la situation patrimoniale de l’intéressé au regard du montant de référence fixé pour l’octroi de celui-ci, le seul fait, pour un ressortissant d’un autre État membre économiquement non actif, de demander le bénéfice de cette prestation suffit à l’en exclure, quels que soient la durée du séjour ainsi que le montant de ladite prestation et la période pendant laquelle celle-ci est versée, et donc la charge que cette prestation représente pour l’ensemble du système d’assistance sociale de cet État.

77      Force est de constater qu’une telle exclusion automatique par l’État membre d’accueil des ressortissants d’autres États membres économiquement non actifs du bénéfice d’une prestation sociale donnée, même pour la période postérieure aux trois mois de séjour visée à l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 ne permet pas aux autorités compétentes de l’État membre d’accueil, lorsque les ressources de l’intéressé sont inférieures au montant de référence pour l’octroi de cette prestation, de procéder, conformément aux exigences découlant, notamment, des articles 7, paragraphe 1, sous b), et 8, paragraphe 4, de cette directive, ainsi que du principe de proportionnalité, à une appréciation globale de la charge que représenterait concrètement l’octroi de cette prestation sur l’ensemble du système d’assistance sociale en fonction des circonstances individuelles caractérisant la situation de l’intéressé.

78      En particulier, dans une affaire telle que celle au principal, il importe que les autorités compétentes de l’État membre d’accueil, lorsqu’elles examinent la demande d’un citoyen de l’Union économiquement non actif se trouvant dans une situation telle que celle de M. Brey, puissent prendre en compte, notamment, l’importance et la régularité des revenus dont dispose ce dernier, le fait que ceux-ci ont conduit lesdites autorités à lui délivrer une attestation d’enregistrement, ainsi que la période pendant laquelle la prestation sollicitée est susceptible de lui être versée. Par ailleurs, afin d’apprécier plus précisément l’ampleur de la charge que représenterait un tel versement pour le système national d’assistance sociale, il peut être pertinent de déterminer, ainsi que la Commission l’a fait valoir lors de l’audience, la proportion des bénéficiaires de cette prestation qui ont la qualité de citoyens de l’Union titulaires d’une pension de retraite dans un autre État membre.

79      En l’occurrence, c’est à la juridiction de renvoi, seule compétente pour apprécier les faits, de déterminer, notamment eu égard à ces éléments, si l’octroi d’une prestation telle que le supplément compensatoire à une personne dans la situation de M. Brey est susceptible de représenter une charge déraisonnable pour le système national d’assistance sociale.

80      Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que le droit de l’Union, tel qu’il résulte, notamment, des articles 7, paragraphe 1, sous b), 8, paragraphe 4, et 24, paragraphes 1 et 2, de la directive 2004/38, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui, même pour la période postérieure aux trois premiers mois de séjour, exclut en toutes circonstances et de manière automatique l’octroi d’une prestation telle que le supplément compensatoire prévu à l’article 292, paragraphe 1, de l’ASVG à un ressortissant d’un autre État membre économiquement non actif, au motif que celui-ci, malgré le fait qu’une attestation d’enregistrement lui a été délivrée, ne remplit pas les conditions pour bénéficier d’un droit de séjour légal de plus de trois mois sur le territoire du premier État, dès lors que l’existence d’un tel droit de séjour est subordonnée à l’exigence que ce ressortissant dispose de ressources suffisantes pour ne pas demander ladite prestation.

 Sur les dépens

81      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

Le droit de l’Union, tel qu’il résulte, notamment, des articles 7, paragraphe 1, sous b), 8, paragraphe 4, et 24, paragraphes 1 et 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui, même pour la période postérieure aux trois premiers mois de séjour, exclut en toutes circonstances et de manière automatique l’octroi d’une prestation telle que le supplément compensatoire prévu à l’article 292, paragraphe 1, de la loi générale relative à la sécurité sociale (Allgemeines Sozialversicherungsgesetz), telle que modifiée, à compter du 1er janvier 2011, par la loi budgétaire de 2011 (Budgetbegleitgesetz 2011) à un ressortissant d’un autre État membre économiquement non actif, au motif que celui-ci, malgré le fait qu’une attestation d’enregistrement lui a été délivrée, ne remplit pas les conditions pour bénéficier d’un droit de séjour légal de plus de trois mois sur le territoire du premier État, dès lors que l’existence d’un tel droit de séjour est subordonnée à l’exigence que ce ressortissant dispose de ressources suffisantes pour ne pas demander ladite prestation.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.