C-131/13 - Schoenimport "Italmoda" Mariano Previti

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ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

18 décembre 2014 (*)

«Renvois préjudiciels – TVA – Sixième directive – Régime transitoire des échanges entre les États membres – Biens expédiés ou transportés à l’intérieur de la Communauté – Fraude commise dans l’État membre d’arrivée – Prise en compte de la fraude dans l’État membre d’expédition – Refus du bénéfice des droits à déduction, à exonération ou à remboursement – Absence de dispositions du droit national»

Dans les affaires jointes C‑131/13, C‑163/13 et C‑164/13,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), par décisions des 22 février et 8 mars 2013, parvenues à la Cour les 18 mars et 2 avril 2013, dans les procédures

Staatssecretaris van Financiën,

contre

Schoenimport «Italmoda» Mariano Previti vof (C‑131/13),

et

Turbu.com BV (C‑163/13),

Turbu.com Mobile Phone’s BV (C‑164/13),

contre

Staatssecretaris van Financiën,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. S. Rodin (rapporteur), A. Borg Barthet, E. Levits, et F. Biltgen, juges,

avocat général: M. M. Szpunar,

greffier: M. V. Tourrès, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 juin 2014,

considérant les observations présentées:

–        pour Schoenimport «Italmoda» Mariano Previti vof, par M. A. de Ruiter,

–        pour Turbu.com BV et Turbu.com Mobile Phone’s BV, par M. J. Vetter, advocaat,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. Bulterman, C. Schillemans et B. Koopman, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. F. Urbani Neri, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. L. Christie et Mme S. Brighouse, en qualité d’agents, assistés de MM. P. Moser, QC, et G. Peretz, barrister,

–        pour la Commission européenne, par MM. W. Roels et A. Cordewener, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 septembre 2014,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 17, paragraphes 2 et 3, ainsi que 28 ter, A, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaire – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995 (JO L 102, p. 18, ci-après la «sixième directive»).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, respectivement, le Staatssecretaris van Financiën (ci-après le «Staatssecretaris») à Schoenimport «Italmoda» Mariano Previti vof (ci-après «Italmoda») et Turbu.com BV (ci-après «Turbu.com») ainsi que Turbu.com Mobile Phone’s BV (ci-après «TMP») au Staatssecretaris au sujet d’un refus d’exonération, de déduction ou de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») opposé à ces sociétés en raison d’une participation à une fraude à la TVA.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 17, paragraphes 2, sous a) et d), et 3, sous b), de la sixième directive, dans sa version résultant de l’article 28 septies, point 1, de cette directive, dispose:

«2.      Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a)      la [TVA] due ou acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;

[...]

d)      la [TVA] due conformément à l’article 28 bis paragraphe 1 point a).

3.      Les États membres accordent également à tout assujetti la déduction ou le remboursement de la [TVA] visée au paragraphe 2 dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins:

[...]

b)      de ses opérations exonérées conformément [...] à l’article 28 quater titres A [...]»

4        L’article 28 bis de la sixième directive dispose:

«1.      Sont également soumises à la [TVA]:

a)      les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, ou par une personne morale non assujettie, lorsque le vendeur est un assujetti agissant en tant que tel, qui ne bénéficie pas de la franchise de taxe prévue à l’article 24 et qui ne relève pas des dispositions prévues à l’article 8 paragraphe 1 point a) deuxième phrase ou à l’article 28 ter titre B paragraphe 1.

[...]

3.      Est considérée comme ‘acquisition intracommunautaire’ d’un bien, l’obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d’un bien meuble corporel expédié ou transporté à destination de l’acquéreur, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, vers un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport du bien.

[...]»

5        L’article 28 ter, A, de cette directive, intitulé «Lieu des acquisitions intracommunautaires de biens», précise:

«1.      Le lieu d’une acquisition intracommunautaire de biens est réputé se situer à l’endroit où les biens se trouvent au moment de l’arrivée de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur.

2.      Sans préjudice du paragraphe 1, le lieu d’une acquisition intracommunautaire de biens visée à l’article 28 bis paragraphe 1 point a) est, toutefois, réputé se situer sur le territoire de l’État membre qui a attribué le numéro d’identification à la [TVA] sous lequel l’acquéreur a effectué cette acquisition, dans la mesure où l’acquéreur n’établit pas que cette acquisition a été soumise à la taxe conformément au paragraphe 1.

Si, néanmoins l’acquisition est soumise à la taxe, en application du paragraphe 1, dans l’État membre d’arrivée de l’expédition ou du transport des biens après avoir été soumise à la taxe en application du premier alinéa, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans l’État membre qui a attribué le numéro d’identification à la [TVA] sous lequel l’acquéreur a effectué cette acquisition.

Aux fins du premier alinéa, l’acquisition intracommunautaire de biens est réputée avoir été soumise à la taxe conformément au paragraphe 1, lorsque les conditions suivantes sont réunies:

–        l’acquéreur établit avoir effectué cette acquisition intracommunautaire pour les besoins d’une livraison subséquente, effectuée à l’intérieur de l’État membre visé au paragraphe 1, pour laquelle le destinataire a été désigné comme le redevable de la taxe conformément à l’article 28 quater titre E paragraphe 3,

–        l’acquéreur a rempli les obligations de déclaration prévues à l’article 22 paragraphe 6 point b) dernier alinéa.»

6        L’article 28 quater, A, de ladite directive prévoit:

«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-après et de prévenir toute fraude, évasion ou abus éventuels, les États membres exonèrent:

a)      les livraisons de biens, au sens de l’article 5, expédiés ou transportés, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, en dehors du territoire visé à l’article 3 mais à l’intérieur de la Communauté, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens.

[...]»

 Le droit néerlandais

7        Les dispositions susmentionnées de la sixième directive ont été transposées dans le droit néerlandais par la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (wet op de omzetbelasting), du 28 juin 1968 (Staatsblad 1968, no 329), notamment par les articles 9, 15, 17 ter et 30 de ladite loi, dans sa version applicable aux litiges au principal.

8        Selon la juridiction de renvoi, la législation néerlandaise ne prévoit pas que la déduction, l’exonération ou le remboursement de la TVA soient refusés dans l’hypothèse où il est établi que l’assujetti participait à une fraude fiscale dont il avait ou aurait dû avoir connaissance.

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 L’affaire C‑131/13

9        Italmoda, société de droit néerlandais, exerce son activité dans le secteur du commerce des chaussures. À l’époque des faits à l’origine du litige au principal, c’est-à-dire au cours des années 1999 et 2000, elle a également réalisé des transactions portant sur du matériel informatique. Ce matériel, acquis par Italmoda aux Pays-Bas et en Allemagne, a été vendu et livré à des clients assujettis à la TVA en Italie. Les biens en provenance d’Allemagne ont été achetés par Italmoda sous le numéro d’identification à la TVA néerlandais de cette société, s’agissant d’acquisitions soumises à la TVA de l’État membre ayant attribué le numéro d’identification à la TVA, au sens de l’article 28 ter, A, paragraphe 2, de la sixième directive, mais ces biens ont été transportés directement d’Allemagne en Italie.

10      En ce qui concerne les biens acquis aux Pays-Bas, Italmoda a effectué toutes les déclarations nécessaires et a porté en déduction la taxe acquittée en amont sur ses déclarations de TVA. En revanche, en ce qui concerne les biens en provenance d’Allemagne, Italmoda n’a déclaré ni leur livraison intracommunautaire dans cet État membre ni leur acquisition intracommunautaire aux Pays-Bas, bien que cette opération ait été exonérée en Allemagne. En Italie, aucune de ces acquisitions intracommunautaires n’a été déclarée par les acquéreurs concernés et la TVA n’a pas été payée. Les autorités fiscales italiennes ont refusé auxdits acquéreurs le droit à déduction et ont procédé au recouvrement de la taxe due.

11      Les autorités fiscales néerlandaises, estimant qu’Italmoda avait participé consciemment à une fraude destinée à éluder la TVA en Italie, ont refusé à cette société le droit à l’exonération au titre des livraisons intracommunautaires effectuées dans cet État membre, le droit à la déduction de la taxe acquittée en amont ainsi que le droit au remboursement de la taxe payée au titre des marchandises en provenance d’Allemagne et ont, par conséquent, notifié trois avis de redressement à Italmoda.

12      Le recours introduit par Italmoda contre ces avis de redressement a été accueilli en première instance par le Rechtbank te Haarlem (tribunal de Haarlem), qui a demandé aux autorités fiscales de statuer à nouveau sur le litige.

13      Par suite d’un appel interjeté contre ce jugement devant le Gerechtshof te Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam), cette juridiction, dans un arrêt du 12 mai 2011, a annulé le jugement du Rechtbank te Haarlem ainsi que les avis de redressement litigieux, en jugeant que, en l’espèce, il n’était pas justifié de s’écarter du régime normal de perception de la TVA et de refuser d’appliquer l’exonération ou le droit à déduction de la TVA. À cet égard, le Gerechtshof te Amsterdam a, en particulier, tenu compte du fait que la fraude avait eu lieu non pas aux Pays-Bas, mais en Italie, et qu’Italmoda avait, dans le premier de ces États membres, respecté toutes les conditions légales formelles relatives à l’application de l’exonération.

14      Le Staatssecretaris van Financiën a saisi le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême) d’un pourvoi en cassation contre ledit arrêt. Cette juridiction fait observer, en particulier, que, pendant la période pertinente en l’espèce, l’application de l’exonération ou du droit à déduction n’était pas subordonnée, dans le droit néerlandais, à la condition que l’assujetti n’ait pas collaboré délibérément à une fraude à la TVA ou à une opération d’évasion fiscale. Se poserait ainsi la question de savoir si la collaboration délibérée à une telle fraude s’oppose au droit au remboursement de la TVA, en dépit de l’absence de toute disposition en ce sens dans le droit national.

15      Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      En vertu du droit de l’Union, les autorités et les instances juridictionnelles nationales doivent-elles refuser l’exonération de la TVA en cas de livraison intracommunautaire ou le droit à déduction de la TVA en cas d’acquisition de biens expédiés, après cette acquisition, à destination d’un autre État membre ou, enfin, le remboursement de la TVA découlant de l’article 28 ter, A, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la sixième directive, lorsque, sur la base de données objectives, une fraude à la TVA a été établie relativement à ces biens, et que l’assujetti savait ou aurait dû savoir qu’il y participait, dans l’hypothèse où le droit national n’a pas prévu, dans de telles circonstances, la possibilité de refuser l’exonération, la déduction ou le remboursement?

2)      Dans le cas où la première question appelle une réponse positive, l’exonération, la déduction ou le remboursement mentionnés ci-dessus doivent-ils également être refusés lorsque la fraude à la TVA a eu lieu dans un autre État membre (que l’État membre d’expédition des biens) et que l’assujetti avait connaissance de la fraude ou aurait dû en avoir connaissance, alors que, dans l’État membre d’expédition, cet assujetti a respecté toutes les conditions (formelles) imposées par les dispositions légales nationales pour pouvoir invoquer l’exonération, la déduction ou le remboursement et qu’il a toujours fourni, dans cet État membre, toutes les données nécessaires concernant les biens, l’expédition et les acheteurs établis dans l’État membre de destination?

3)      Dans le cas où la première question appelle une réponse négative, que faut-il entendre, à l’article 28 ter, A, paragraphe 2, premier alinéa, de la sixième directive, par le terme ‘soumise’ [à la taxe]: le fait de déclarer, avec pièces justificatives à l’appui, dans la déclaration TVA légalement prescrite, la TVA due en matière d’acquisition intracommunautaire dans l’État membre de destination ou, en l’absence d’une telle déclaration, le fait, pour les autorités fiscales de l’État membre de destination, de prendre les mesures utiles pour régulariser cette absence de déclaration? Pour répondre à cette question, le fait que la transaction en cause fait partie d’une chaîne de transactions visant à mettre en place une fraude à la TVA dans le pays de destination et que l’assujetti en avait connaissance ou aurait dû en avoir connaissance est-il pertinent?»

 L’affaire C‑163/13

16      Turbu.com, société de droit néerlandais, exploite un commerce de gros de matériel informatique et de télécommunication ainsi que de logiciels.

17      Durant la période comprise entre les mois d’août et de décembre 2001, Turbu.com a effectué un certain nombre de livraisons intracommunautaires de téléphones portables, en appliquant l’exonération prévue à cet égard et en déduisant la TVA acquittée en amont.

18      À la suite d’une enquête des services de renseignement fiscal, les autorités fiscales néerlandaises ont considéré que Turbu.com avait estimé à tort que lesdites livraisons bénéficiaient de l’exonération de TVA et ces autorités lui ont adressé un avis de redressement. Par ailleurs, des procédures pénales ont été engagées contre, notamment, le directeur de Turbu.com, pour fraude à la TVA, celles-ci ayant abouti à la condamnation, au cours de l’année 2005, de ce dernier pour faux en écriture et dépôt d’une déclaration fiscale incomplète et inexacte.

19      S’agissant de l’avis de redressement adressé à Turbu.com, celui-ci a été, à la suite des recours introduits par cette société, confirmé en première instance par le Rechtbank te Breda (tribunal de Breda), puis en appel par le Gerechtshof te ’s‑Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc), par un arrêt du 25 février 2011. Dans cet arrêt, cette dernière juridiction a considéré qu’il était plausible que les livraisons concernées ne soient pas, en réalité, des livraisons intracommunautaires et que Turbu.com ait volontairement et sciemment participé à une fraude à la TVA.

20      Turbu.com a saisi le Hoge Raad der Nederlanden d’un pourvoi en cassation contre ledit arrêt. Cette juridiction indique, notamment, que, dans l’hypothèse où il serait établi, après renvoi à la juridiction d’appel, que les livraisons concernées faisaient partie d’une série d’opérations visant à contourner les règles de la TVA et que Turbu.com le savait ou aurait dû le savoir, des questions d’interprétation du droit de l’Union se poseraient. À cet égard, elle se demande, en particulier, si le bénéfice de l’exonération de TVA doit être refusé en cas de fraude à la TVA, alors même que le droit national ne prévoit pas de base juridique à cet effet.

21      Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le droit de l’Union européenne impose-t-il aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice de l’exonération de TVA en faveur d’une livraison intracommunautaire lorsque des éléments objectifs permettent d’établir qu’une fraude à la TVA a été commise à l’occasion d’une fourniture de biens et que l’assujetti savait ou aurait dû savoir qu’il participait à cette opération, dans le cas où la loi nationale ne prévoit pas de le priver du bénéfice de l’exonération en pareilles circonstances?»

 L’affaire C‑164/13

22      TMP, société de droit néerlandais, exerce son activité dans le secteur du commerce des téléphones portables.

23      Au cours du mois de juillet 2003, elle a effectué des livraisons intracommunautaires de téléphones portables, en appliquant l’exonération prévue à cet égard et en demandant le remboursement de la TVA payée en amont, au titre de l’acquisition de ces téléphones auprès d’entreprises établies sur le territoire néerlandais.

24      Les autorités fiscales néerlandaises, ayant constaté plusieurs irrégularités dans les déclarations effectuées par TMP, aussi bien au sujet des opérations réalisées en amont que desdites livraisons intracommunautaires, ont refusé le remboursement demandé. La décision opposant ce refus de remboursement à TMP a été annulée par le Rechtbank te Breda, par un jugement qui a été lui-même annulé par le Gerechtshof te ’s‑Hertogenbosch par un arrêt du 25 février 2011. Dans cet arrêt, cette dernière juridiction a considéré que TMP ne pouvait déduire la TVA payée en amont, essentiellement au motif que cette société savait ou aurait dû savoir qu’elle se trouvait en présence d’une opération de fraude à la TVA.

25      TMP a saisi le Hoge Raad der Nederlanden d’un pourvoi en cassation contre ledit arrêt. Cette juridiction indique, notamment, que, dans l’hypothèse où il serait établi, après renvoi à la juridiction d’appel, que les livraisons concernées faisaient partie d’une série d’opérations visant à contourner les règles relatives à la TVA et que TMP le savait ou aurait dû le savoir, des questions d’interprétation du droit de l’Union se poseraient. À cet égard, elle fait observer, en particulier, que, durant l’exercice concerné, la législation néerlandaise ne subordonnait pas le droit à déduction de la TVA à la condition que l’assujetti n’ait pas été sciemment impliqué dans une opération d’évasion fiscale ou de fraude à la TVA.

26      C’est dans ces conditions que le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le droit de l’Union européenne impose-t-il aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice du droit à déduction lorsque des éléments objectifs démontrent qu’une fraude à la TVA a été commise à l’occasion d’une fourniture de biens et que l’assujetti savait ou aurait dû savoir qu’il y avait participé, dans le cas où la loi nationale ne prévoit pas la déchéance de ce droit en pareilles circonstances?»

 Sur la recevabilité des demandes de décision préjudicielle

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑131/13

27      En premier lieu, Italmoda fait valoir que la première question posée dans l’affaire C‑131/13 est irrecevable dans la mesure où cette question porte sur l’interprétation du droit national.

28      À cet égard, force est de constater qu’il est manifeste que ladite question porte non pas sur l’interprétation du droit national, mais sur celle du droit de l’Union et, en particulier, des dispositions de la sixième directive.

29      Il convient, dès lors, de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par Italmoda en ce qui concerne ladite question préjudicielle.

30      En second lieu, la Commission remet en cause la recevabilité de la deuxième question préjudicielle posée dans cette affaire. L’hypothèse visée par celle-ci ne serait pas en cause en l’occurrence, étant donné que, ainsi qu’il ressortirait de la décision de renvoi, Italmoda n’aurait pas correctement informé les autorités fiscales néerlandaises des opérations concernées.

31      Il convient, à cet égard, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts Budějovický Budvar, C‑478/07, EU:C:2009:521, point 63; Zanotti, C‑56/09, EU:C:2010:288, point 15, ainsi que Melki et Abdeli, C‑188/10 et C‑189/10, EU:C:2010:363, point 27).

32      Or, en l’occurrence, si la Commission fait valoir que, en l’espèce, il ne peut en aucun cas être fait référence à la situation visée par la deuxième question posée en l’espèce, étant donné qu’Italmoda n’aurait pas correctement rempli, à l’égard des autorités fiscales de l’État membre d’expédition des biens concernés, toutes les obligations qui lui incombaient en matière d’information, il y a lieu de relever, en premier lieu, qu’il ne ressort pas de la décision de renvoi que ces obligations d’information des autorités fiscales n’auraient, en définitive, pas été correctement remplies. La juridiction de renvoi entend plutôt accueillir le moyen s’opposant, sur la seule base d’un défaut de motivation, à la constatation, par la juridiction d’appel, de ce qu’une information correcte des autorités fiscales a eu lieu, en estimant que cette constatation ne pouvait être opérée au seul motif que les déclarations d’Italmoda n’avaient pas été contredites.

33      En second lieu, et dans ce contexte, il y a lieu de souligner que c’est la pertinence même de la question de savoir si les obligations en matière d’information ont été remplies, en vue d’apprécier les droits à déduction, à exonération ou à remboursement de la TVA, qui fait, parmi d’autres points, l’objet de cette question préjudicielle. Dès lors, il n’apparaît pas de manière manifeste que cette question serait d’une nature hypothétique ou sans rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal.

34      Il s’ensuit que la deuxième question posée dans l’affaire C‑131/13 doit également être considérée comme recevable.

 Sur la recevabilité des demandes de décision préjudicielle dans les affaires C‑163/13 et C‑164/13

35      La Commission fait valoir que les questions posées dans les affaires C‑163/13 et C‑164/13 sont irrecevables en ce qu’elles doivent être considérées comme hypothétiques. En effet, des éléments factuels et juridiques essentiels n’auraient pas encore été déterminés dans les litiges au principal.

36      Ainsi qu’il a été rappelé au point 31 du présent arrêt, selon une jurisprudence constante, la Cour est, en principe, tenue de statuer sur des questions préjudicielles portant sur l’interprétation du droit de l’Union à moins qu’il soit manifeste que l’interprétation sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, que le problème soit de nature hypothétique ou que la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées.

37      Il convient de relever que tel est toutefois le cas en ce qui concerne les demandes de décisions préjudicielles faisant l’objet des affaires C‑163/13 et C‑164/13.

38      Dans ces affaires, la Cour est appelée à préciser si et, le cas échéant, dans quelles conditions les autorités et les juridictions nationales sont tenues de refuser le bénéfice des droits à exonération et à déduction de la TVA dans un cas de fraude à la TVA.

39      Or, il ressort des motifs des décisions de renvoi que le Hoge Raad der Nederlanden n’a pas établi l’existence d’une fraude à la TVA dans les transactions en cause au principal. Ainsi, étant donné que les questions préjudicielles posées par ces décisions supposent précisément l’existence d’une telle fraude, ces questions doivent être considérées comme étant hypothétiques au regard des litiges au principal.

40      Dès lors, il y a lieu de déclarer irrecevables les questions préjudicielles posées dans les affaires C‑163/13 et C‑164/13.

 Sur les questions préjudicielles posées dans l’affaire C‑131/13

 Sur la première question

41      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, s’il incombe aux autorités et aux juridictions nationales d’opposer à un assujetti qui savait ou aurait dû savoir qu’il participait, dans le cadre de livraisons intracommunautaires, à une opération impliquée dans une fraude à la TVA un refus du bénéfice du droit à déduction de la TVA payée en amont, en vertu de l’article 17, paragraphe 3, de la sixième directive, du droit à exonération, prévu à l’article 28 quater, A, sous a), de cette directive, ainsi que du droit à remboursement de la TVA, en vertu de l’article 28 ter, A, paragraphe 2, de ladite directive, dans l’hypothèse où le droit national ne contient pas de dispositions prévoyant un tel refus.

42      Afin de répondre à cette question, il convient de rappeler, à titre liminaire, que la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la sixième directive (voir, notamment, arrêts Halifax e.a., C‑255/02, EU:C:2006:121, point 71; Kittel et Recolta Recycling, C‑439/04 et C‑440/04, EU:C:2006:446, point 54, ainsi que Mahagében et Dávid, C‑80/11 et C‑142/11, EU:C:2012:373, point 41).

43      À cet égard, la Cour a itérativement souligné que les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union (voir, notamment, arrêts Kittel et Recolta Recycling, EU:C:2006:446, point 54; Fini H, C‑32/03, EU:C:2005:128, point 32, et Maks Pen, C‑18/13, EU:C:2014:69, point 26).

44      La Cour en a déduit, premièrement, dans le cadre d’une jurisprudence constante portant sur le droit à déduction de la TVA prévu par la sixième directive, qu’il appartient aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice de ce droit s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que ce dernier est invoqué frauduleusement ou abusivement (voir, notamment, arrêts Kittel et Recolta Recycling, EU:C:2006:446, point 55; Bonik, C‑285/11, EU:C:2012:774, point 37, ainsi que Maks Pen, EU:C:2014:69, point 26).

45      Deuxièmement, il ressort de la jurisprudence de la Cour que cette conséquence d’un abus ou d’une fraude s’attache, en principe, également au bénéfice du droit à l’exonération au titre d’une livraison intracommunautaire (voir, en ce sens, arrêts R., C‑285/09, EU:C:2010:742, point 55, et Mecsek-Gabona, C‑273/11, EU:C:2012:547, point 54).

46      Troisièmement, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 50 à 52 de ses conclusions, dans la mesure où un refus éventuel du bénéfice d’un droit tiré de la sixième directive reflète le principe général, mentionné au point 43 du présent arrêt, selon lequel nul ne saurait bénéficier abusivement ou frauduleusement des droits prévus par le système juridique de l’Union, un tel refus incombe, d’une manière générale, aux autorités et aux juridictions nationales, quel que soit le droit en matière de TVA affecté par la fraude, y compris, dès lors, le droit à remboursement de la TVA.

47      Contrairement à ce que la Commission soutient, cette conclusion ne saurait être remise en cause par le fait que ce dernier droit serait d’une nature particulière en ce qu’il constituerait un mécanisme de correction permettant d’assurer la neutralité de la TVA dans certains cas de livraisons intracommunautaires.

48      À cet égard, il y a lieu de relever qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 44 du présent arrêt que la fonction centrale qui revient au droit à déduction prévu à l’article 17, paragraphe 3, de la sixième directive dans le mécanisme de la TVA en vue d’assurer une parfaite neutralité de la taxe ne s’oppose pas à ce que ce droit soit refusé à un assujetti dans l’hypothèse d’une participation à une fraude (voir en ce sens, notamment, arrêts Bonik, EU:C:2012:774, points 25 à 27 et 37, ainsi que Maks Pen, EU:C:2014:69, points 24 à 26). De même, la fonction spécifique revenant au droit à remboursement de la TVA, en vue d’assurer la neutralité de la TVA, ne saurait s’opposer à ce que ce droit soit refusé à un assujetti dans une telle hypothèse.

49      Eu égard aux considérations qui précèdent, il incombe, en principe, aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice de droits prévus par la sixième directive, invoqués frauduleusement ou abusivement, qu’il s’agisse des droits à déduction, à exonération ou à remboursement de la TVA afférente à une livraison intracommunautaire, tels qu’ils sont en cause dans l’affaire au principal.

50      Force est, en outre, de relever que, selon une jurisprudence constante, tel est le cas non seulement lorsqu’une fraude fiscale est commise par l’assujetti lui-même, mais également lorsqu’un assujetti savait ou aurait dû savoir que, par l’opération concernée, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA commise par le fournisseur ou un autre opérateur intervenant en amont ou en aval dans la chaîne de livraison (voir en ce sens, notamment, arrêts Kittel et Recolta Recycling, EU:C:2006:446, points 45, 46, 56 et 60, ainsi que Bonik, EU:C:2012:774, points 38 à 40).

51      En ce qui concerne la question de savoir si un tel refus incombe aux autorités et aux juridictions nationales également en l’absence de dispositions spécifiques en ce sens dans l’ordre juridique national, il convient de relever, en premier lieu, que le gouvernement néerlandais a, lors de l’audience, insisté sur le fait qu’il n’y avait pas de lacunes dans le droit néerlandais en ce qui concerne la transposition de la sixième directive et que la prévention de la fraude s’appliquait en tant que principe général du droit lors de l’application des dispositions nationales transposant cette directive.

52      À ce titre, il convient de rappeler qu’il incombe au juge national d’interpréter le droit national dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive concernée, afin d’atteindre le résultat visé par celle-ci, ce qui requiert qu’il fasse tout ce qui relève de sa compétence en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci (voir, en ce sens, arrêts Adeneler e.a., C‑212/04, EU:C:2006:443, point 111; Kofoed, C‑321/05, EU:C:2007:408, point 45, et Maks Pen, EU:C:2014:69, point 36).

53      Il appartient, par conséquent, à la juridiction de renvoi d’établir s’il existe dans le droit néerlandais, à l’instar de ce que le gouvernement néerlandais suggère, des règles de droit, que ce soit une disposition ou un principe général, selon lesquelles l’abus de droit est prohibé ou bien d’autres dispositions relatives à la fraude ou à l’évasion fiscale qui pourraient être interprétées conformément aux exigences du droit de l’Union en matière de lutte contre la fraude fiscale, telles que rappelées aux points 49 et 50 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêts Kofoed, EU:C:2007:408, point 46, et Maks Pen, EU:C:2014:69, point 36).

54      S’il s’avérait cependant, en second lieu, que, en l’occurrence, le droit national ne comporte pas de telles règles susceptibles d’une interprétation conforme, il ne saurait néanmoins en être déduit que les autorités et les juridictions nationales seraient, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, empêchées de respecter lesdites exigences et, ainsi, de refuser l’avantage tiré d’un droit prévu par la sixième directive dans l’hypothèse d’une fraude.

55      Tout d’abord, même s’il est vrai, ainsi qu’Italmoda l’a affirmé, que, selon une jurisprudence constante, une directive ne peut, par elle-même, créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle, par l’État membre, à son encontre (voir, notamment, arrêts Pfeiffer e.a., C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 108, et Kücükdeveci, C‑555/07, EU:C:2010:21, point 46), le refus du bénéfice d’un droit en conséquence, comme en l’occurrence, d’une fraude, ne relève pas du cas de figure envisagé par cette jurisprudence.

56      Au contraire, ainsi qu’il a été relevé aux points 43 et 46 du présent arrêt, ce refus répond au principe selon lequel nul ne saurait frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union, l’application de celles-ci ne pouvant être étendue jusqu’à couvrir des pratiques abusives, voire frauduleuses (voir, en ce sens, arrêts Halifax e.a., EU:C:2006:121, points 68 et 69, ainsi que Collée, C‑146/05, EU:C:2007:549, point 38).

57      Ainsi, dans la mesure où des faits abusifs ou frauduleux ne sauraient fonder un droit prévu par l’ordre juridique de l’Union, le refus d’un avantage au titre, en l’occurrence, de la sixième directive ne revient pas à imposer une obligation au particulier concerné en vertu de cette directive, mais n’est que la simple conséquence de la constatation selon laquelle les conditions objectives requises aux fins de l’obtention de l’avantage recherché, prévues par ladite directive en ce qui concerne ce droit, ne sont, en réalité, pas satisfaites (voir, en ce sens, notamment, arrêts Kittel et Recolta Recycling, EU:C:2006:446, point 53, ainsi que FIRIN, C‑107/13, EU:C:2014:151, point 41).

58      Partant, il s’agit plutôt, dans ce cas de figure, de l’impossibilité pour l’assujetti de se prévaloir d’un droit prévu par la sixième directive, dont les critères objectifs d’octroi ne sont pas remplis en raison soit d’une fraude affectant l’opération réalisée par l’assujetti lui-même, soit du caractère frauduleux d’une chaîne de transactions prise dans son ensemble, à laquelle celui-ci participait, ainsi qu’il a été exposé au point 50 du présent arrêt.

59      Or, dans un tel cas de figure, une autorisation expresse ne saurait être requise afin que les autorités et les juridictions nationales puissent refuser un avantage au titre du système de commun de la TVA, cette conséquence devant être considérée comme inhérente audit système.

60      Ensuite, contrairement à ce qu’Italmoda a soutenu, un assujetti qui n’a créé les conditions afférentes à l’obtention d’un droit qu’en participant à des opérations frauduleuses n’est manifestement pas fondé à se prévaloir des principes de protection de la confiance légitime ou de sécurité juridique afin de s’opposer au refus d’octroi du droit concerné (voir, en ce sens, arrêts Breitsohl, C‑400/98, EU:C:2000:304, point 38, et Halifax e.a., EU:C:2006:121, point 84).

61      Enfin, dès lors que le refus du bénéfice d’un droit découlant du système commun de la TVA en cas d’implication de l’assujetti dans une fraude n’est que la simple conséquence de l’absence de réunion des conditions requises à cet égard par les dispositions pertinentes de la sixième directive, ce refus ne revêt pas, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 60 de ses conclusions, le caractère d’une peine ou d’une sanction, au sens de l’article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ou de l’article 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêts Emsland-Stärke, C‑110/99, EU:C:2000:695, point 56; Halifax e.a., EU:C:2006:121, point 93, et Döhler Neuenkirchen, C‑262/10, EU:C:2012:559, point 43).

62      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que la sixième directive doit être interprétée en ce sens qu’il incombe aux autorités et aux juridictions nationales d’opposer à un assujetti, dans le cadre d’une livraison intracommunautaire, un refus du bénéfice des droits à déduction, à exonération ou à remboursement de la TVA, même en l’absence de dispositions du droit national prévoyant un tel refus, s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que, par l’opération invoquée pour fonder le droit concerné, il participait à une fraude à la TVA commise dans le cadre d’une chaîne de livraisons.

 Sur la deuxième question

63      Par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi interroge la Cour, en substance, sur la pertinence, en ce qui concerne l’obligation éventuelle de refuser les droits à déduction, à exonération ou à remboursement de la TVA, telle qu’elle a été envisagée dans le cadre de la première question préjudicielle, de circonstances selon lesquelles, d’une part, la fraude à la TVA a été commise dans un État membre autre que celui dans lequel le bénéfice de ces différents droits a été demandé et, d’autre part, l’assujetti concerné a, dans ce dernier État membre, respecté les conditions formelles prévues par la législation nationale pour bénéficier desdits droits.

64      À cet égard, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 50 du présent arrêt, selon une jurisprudence constante, sont considérées comme un comportement frauduleux d’un assujetti susceptible de donner lieu, à l’égard de celui-ci, au refus d’un droit prévu par la sixième directive non seulement la situation dans laquelle une fraude fiscale est immédiatement commise par cet assujetti lui-même et par lui seul, mais également celle dans laquelle un assujetti savait ou aurait dû savoir que, par l’acquisition ou la livraison effectuée, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA commise par le fournisseur ou un autre opérateur intervenant en amont ou en aval dans la même chaîne de livraisons (voir, notamment, arrêts Kittel et Recolta Recycling, EU:C:2006:446, points 45, 46 et 56; Mahagében et Dávid, EU:C:2012:373, point 46, ainsi que Bonik, EU:C:2012:774, point 40).

65      Or, il n’y a aucune raison objective permettant de conclure qu’il en irait autrement en raison du seul fait que la chaîne de livraisons affectée par une fraude s’étend à deux ou à plusieurs États membres ou que l’opération par laquelle la fraude à la TVA a été commise a eu lieu dans un État membre autre que celui dans lequel l’assujetti impliqué dans la réalisation frauduleuse des transactions concernées cherche indûment à bénéficier d’un droit tiré de la sixième directive.

66      De même, serait, en tant que telle, sans pertinence, en ce qui concerne le refus du bénéfice d’un droit prévu par la sixième directive, une constatation selon laquelle, au regard du seul ordre juridique de l’État membre appelé à décider de l’octroi de ce droit, les conditions prévues à cet égard semblent réunies, étant donné que, ainsi qu’il vient d’être relevé, l’implication dans une fraude à la TVA peut consister en une participation consciente, ou qui aurait dû l’être, à une chaîne de transactions dans le cadre de laquelle un autre opérateur, par une opération ultérieure ayant eu lieu dans un autre État membre, achève la commission de cette fraude.

67      En outre, ainsi que le gouvernement néerlandais l’a relevé à juste titre, la fraude à la TVA en cause au principal, de type «carrousel», qui est mise en œuvre dans le cadre de livraisons intracommunautaires, se caractérise fréquemment par le fait que, du point de vue d’un État membre considéré de manière isolée, les conditions requises pour invoquer un droit en matière de TVA semblent satisfaites, dès lors que c’est précisément de la combinaison spécifique de transactions effectuées dans plusieurs États membres que résulte le caractère frauduleux de ces opérations prises dans leur ensemble.

68      Par ailleurs, toute autre interprétation que celle retenue ci-dessus ne serait pas en conformité avec l’objectif de lutte contre la fraude fiscale, tel qu’il est reconnu et encouragé par la sixième directive (voir, notamment, arrêt Tanoarch, C‑504/10, EU:C:2011:707, point 50).

69      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que la sixième directive doit être interprétée en ce sens qu’un assujetti qui savait ou aurait dû savoir que, par l’opération invoquée pour fonder des droits à déduction, à exonération ou à remboursement de la TVA, il participait à une fraude à la TVA commise dans le cadre d’une chaîne de livraisons peut se voir refuser le bénéfice de ces droits, nonobstant le fait que cette fraude a été commise dans un État membre autre que l’État membre dans lequel le bénéfice de ceux-ci a été demandé et que cet assujetti a, dans ce dernier État membre, respecté les conditions formelles prévues par la législation nationale pour pouvoir bénéficier desdits droits.

 Sur la troisième question

70      Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question, laquelle n’a été posée que dans l’hypothèse d’une réponse négative à cette première question.

 Sur les dépens

71      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      Les questions préjudicielles posées par le Hoge Raad der Nederlanden dans les affaires C‑163/13 et C‑164/13 sont irrecevables.

2)      La sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995, doit être interprétée en ce sens qu’il incombe aux autorités et aux juridictions nationales d’opposer à un assujetti, dans le cadre d’une livraison intracommunautaire, un refus du bénéfice des droits à déduction, à exonération ou à remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, même en l’absence de dispositions du droit national prévoyant un tel refus, s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que, par l’opération invoquée pour fonder le droit concerné, il participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée commise dans le cadre d’une chaîne de livraisons.

3)      La sixième directive 77/388, telle que modifiée par la directive 95/7, doit être interprétée en ce sens qu’un assujetti qui savait ou aurait dû savoir que, par l’opération invoquée pour fonder des droits à déduction, à exonération ou à remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, il participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée commise dans le cadre d’une chaîne de livraisons peut se voir refuser le bénéfice de ces droits, nonobstant le fait que cette fraude a été commise dans un État membre autre que celui dans lequel le bénéfice de ceux-ci a été demandé et que cet assujetti a, dans ce dernier État membre, respecté les conditions formelles prévues par la législation nationale pour pouvoir bénéficier desdits droits.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.