C-332/14 - Wolfgang und Dr. Wilfried Rey Grundstücksgemeinschaft GbR

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ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

9 juin 2016 (*)

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée – Directive 77/388/CEE – Article 17, paragraphe 5, troisième alinéa – Champ d’application – Déduction de la taxe payée en amont – Biens et services utilisés à la fois pour les opérations imposables et pour les opérations exonérées (biens et services à usage mixte) – Détermination de l’affectation des biens et des services acquis pour la construction, l’utilisation, la conservation et l’entretien d’un immeuble servant, pour partie, à réaliser des opérations ouvrant droit à déduction et, pour partie, des opérations n’ouvrant pas droit à déduction – Modification de la réglementation nationale prévoyant les modalités de calcul du prorata de déduction – Article 20 – Régularisation des déductions – Sécurité juridique – Confiance légitime »

Dans l’affaire C‑332/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), par décision du 5 juin 2014, parvenue à la Cour le 9 juillet 2014, dans la procédure

Wolfgang und Dr. Wilfried Rey Grundstücksgemeinschaft GbR

contre

Finanzamt Krefeld,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de la troisième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, MM. J. Malenovský (rapporteur), M. Safjan, Mmes A. Prechal et K. Jürimäe, juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 juillet 2015,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme J. Kraehling et M. L. Christie, en qualité d’agents, assistés de M. R. Hill, barrister,

–        pour la Commission européenne, par MM. M. Wasmeier et G. Braun ainsi que par Mme C. Soulay, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 novembre 2015,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 17, 19 et 20 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995 (JO 1995, L 102, p. 18) (ci-après la « sixième directive »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Wolfgang und Dr. Wilfried Rey Grundstücksgemeinschaft GbR (ci‑après « Rey Grundstücksgemeinschaft ») au Finanzamt Krefeld (centre des finances publiques de Krefeld), au sujet des modalités de calcul du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) due ou acquittée pour les biens et les services utilisés pour la construction, l’entretien, l’utilisation et la conservation d’un immeuble à usage mixte servant, pour partie, à réaliser des opérations ouvrant droit à déduction et, pour partie, des opérations n’ouvrant pas droit à déduction (ci-après un « immeuble à usage mixte »).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 17 de la sixième directive, intitulé « Naissance et étendue du droit à déduction », dispose :

« 1. Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

2.     Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable :

a)     la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti ;

[...]

5.     En ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction, visées aux paragraphes 2 et 3 et des opérations n’ouvrant pas droit à déduction, la déduction n’est admise que pour la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations.

Ce prorata est déterminé pour l’ensemble des opérations effectuées par l’assujetti conformément à l’article 19.

Toutefois, les États membres peuvent :

a)      autoriser l’assujetti à déterminer un prorata pour chaque secteur de son activité, si des comptabilités distinctes sont tenues pour chacun de ces secteurs ;

b)      obliger l’assujetti à déterminer un prorata pour chaque secteur de son activité et à tenir des comptabilités distinctes pour chacun de ces secteurs ;

c)      autoriser ou obliger l’assujetti à opérer la déduction suivant l’affectation de tout ou partie des biens et services ;

d)      autoriser ou obliger l’assujetti à opérer la déduction, conformément à la règle prévue au premier alinéa, pour tous les biens et services utilisés pour toutes les opérations y visées ;

e)      prévoir, lorsque la taxe sur la valeur ajoutée qui ne peut être déduite par l’assujetti est insignifiante, qu’il n’en sera pas tenu compte. 

[...] »

4        L’article 19 de ladite directive, intitulé « Calcul du prorata de déduction », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Le prorata de déduction, prévu par l’article 17 paragraphe 5 premier alinéa, résulte d’une fraction comportant :

–        au numérateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d’affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations ouvrant droit à déduction conformément à l’article 17, paragraphes 2 et 3,

–        au dénominateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d’affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations figurant au numérateur ainsi qu’aux opérations qui n’ouvrent pas droit à déduction. [...]

[...] »

5        L’article 20 de la même directive, intitulé « Régularisation des déductions », dispose :

« 1. La déduction initialement opérée est régularisée suivant les modalités fixées par les États membres, notamment :

a)     lorsque la déduction est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer ;

b)     lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration, notamment en cas d’achats annulés ou en cas de rabais obtenus ; [...]

2.     En ce qui concerne les biens d’investissement, une régularisation est opérée pendant une période de cinq années, dont celle au cours de laquelle le bien a été acquis ou fabriqué. Chaque année, cette régularisation ne porte que sur le cinquième de la taxe dont ces biens ont été grevés. Cette régularisation est effectuée en fonction des modifications du droit à déduction intervenues au cours des années suivantes, par rapport à celui de l’année au cours de laquelle le bien a été acquis ou fabriqué.

Par dérogation au premier alinéa, les États membres peuvent, lors de la régularisation, se baser sur une période de cinq années entières à compter du début de l’utilisation du bien.

En ce qui concerne les biens d’investissement immobiliers, la durée de la période servant de base au calcul des régularisations peut être portée jusqu’à vingt ans.

[...]»

 Le droit allemand

6        Les dispositions pertinentes de la réglementation allemande applicable en matière de TVA sont contenues dans l’Umsatzsteuergesetz 1999 (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires de 1999, BGBl. 1999 I, p. 1270, ci-après l’« UStG »).

7        L’article 15 de l’UStG prévoit :

« (1) L’entrepreneur peut déduire les montants de taxe en amont suivants :

1.      la taxe légalement due pour des livraisons et autres prestations qui ont été exécutées par un autre entrepreneur pour les besoins de son entreprise.

[...]

(2)      Est exclue de la déduction de l’impôt payé en amont la taxe sur les livraisons, l’importation et l’acquisition intracommunautaire de biens ainsi que sur les autres prestations que l’entrepreneur utilise aux fins des opérations suivantes :

1.      les opérations exonérées ;

[...]

(4)      Si l’entrepreneur n’utilise un produit ou une autre prestation, livrés, importés ou acquis dans la Communauté, qu’en partie pour réaliser des opérations ne donnant pas droit à déduction, la partie des montants de taxe en amont économiquement liée à ces opérations n’ouvre pas droit à déduction. L’entrepreneur peut procéder à une estimation raisonnable des montants n’ouvrant pas droit à déduction. »

8        Le Steueränderungsgesetz 2003 (loi fiscale modificative de 2003), du 15 décembre 2003 (BGBl. 2003 I, p. 2645), entrée en vigueur le 1er janvier 2004, a ajouté une troisième phrase à l’article 15, paragraphe 4, de l’UStG, qui se lit comme suit :

« Une détermination de la partie non déductible de l’impôt en fonction du pourcentage du chiffre d’affaires n’ouvrant pas droit à déduction par rapport au chiffre d’affaires ouvrant droit à déduction n’est autorisée que lorsqu’aucune autre forme d’imputation économique n’est possible. »

9        Les motifs de cet amendement, tels qu’ils sont exposés dans la demande de décision préjudicielle, sont les suivants :

« Cette disposition vise une répartition raisonnable, lors de livraisons ou autres prestations, des taxes payées en amont. Ce nouveau régime restreint l’utilisation de la clé de répartition selon le chiffre d’affaires en tant que seul critère de répartition. C’est uniquement lorsqu’aucune autre affectation économique n’est possible que cette clé de répartition est admise.

Cette modification est nécessaire parce que le Bundesfinanzhof [(Cour fédérale des finances, Allemagne)] a jugé, par son arrêt du 17 août 2001 [...], que la répartition des montants de taxe payée en amont en fonction du rapport entre les chiffres d’affaires en aval devait être reconnue comme une estimation raisonnable au sens de l’article 15, paragraphe 4, de l’[UStG].

Toutefois, l’application de la clé de répartition selon le chiffre d’affaires en tant que critère général de répartition conduirait, notamment dans le cas de la réalisation d’immeubles à usage mixte, à des répartitions inexactes ; [...]

Or, l’application de cette clé de répartition selon le chiffre d’affaires en tant que critère général de répartition n’est pas impérativement prescrite par la sixième directive. Un tel régime de “prorata” [...] n’est pas obligatoire pour les États membres, étant donné qu’ils peuvent, en vertu de l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, fixer des critères de répartition qui s’écartent de ce régime.

Pour l’acquisition d’immeubles, une répartition de la taxe payée en amont en fonction du rapport entre les valeurs productives et les valeurs vénales reste elle aussi possible [...] »

10      L’article 15a de l’UStG, intitulé « Régularisation de la taxe payée en amont », dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :

« (1) Lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions initialement opérées interviennent dans les cinq ans de la première utilisation d’un bien d’investissement, une compensation doit être opérée, au titre de chaque année civile correspondant à ces modifications, par la voie d’une régularisation de la déduction des montants de taxe en amont qui ont grevé les coûts d’acquisition ou de réalisation. S’agissant des immeubles, y compris leurs composantes essentielles, des droits auxquels les dispositions du droit civil relatives aux immeubles sont applicables, et des constructions sur le sol d’autrui, un délai de dix ans se substitue au délai de cinq ans.

(2)      Aux fins de la régularisation prévue au paragraphe 1, il y a lieu de retenir, au titre de chaque année civile correspondant aux modifications, dans les cas visés à la première phrase de ce paragraphe, une proportion d’un cinquième, et dans les cas visés à la deuxième phrase, d’un dixième, des montants de taxe payée en amont qui ont grevé le bien [...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

11      Pendant la période allant de l’année 1999 à l’année 2004, Rey Grundstücksgemeinschaft, une société civile immobilière, a effectué, sur un terrain lui appartenant, des travaux de démolition d’un ancien bâtiment et de construction d’un immeuble à usage d’habitation et de commerce. Cet immeuble a été achevé au cours de l’année 2004 et comporte six unités de logement et de commerce et dix places de stationnement souterraines. Certaines de ces unités et de ces places ont été louées dès le mois d’octobre 2002.

12      À l’occasion des exercices fiscaux de la période allant de l’année 1999 à l’année 2003, Rey Grundstücksgemeinschaft a calculé son droit à déduction au titre de la TVA acquittée pour les travaux de démolition et de construction par application d’une clé de répartition calculée sur la base du rapport entre le chiffre d’affaires généré par l’activité, soumise à la TVA, de location des unités de commerce ou des places de parking liées à celles-ci, et celui résultant des autres opérations de location, exonérées de la TVA (ci-après la « clé de répartition selon le chiffre d’affaires »). Selon cette clé, la part déductible de la TVA correspondait à un taux de 78,15 %. À la suite de deux recours introduits devant le Finanzgericht Düsseldorf (tribunal des finances de Düsseldorf, Allemagne) au sujet du montant de la TVA susceptible d’être déduit pour les exercices 2001 et 2002, le centre des finances publiques de Krefeld a accepté cette clé de répartition.

13      Au cours de l’année 2004, certaines parties de l’immeuble en cause au principal, dont il était initialement prévu qu’elles soient affectées à la réalisation d’opérations taxées, ont été finalement louées en exonération de TVA. Afin de régulariser les déductions opérées en amont, Rey Grundstücksgemeinschaft a retenu, dans sa déclaration fiscale pour l’exercice 2004, un montant de régularisation qu’elle a établi en appliquant la clé de répartition selon le chiffre d’affaires. Dans cette déclaration, Rey Grundstücksgemeinschaft a également déclaré des montants de TVA déductibles, ayant grevé des biens et des services acquis pour l’utilisation, la conservation et l’entretien de cet immeuble. Au total, le montant de la TVA devant être remboursé à Rey Grundstücksgemeinschaft s’élevait, selon les calculs de cette dernière, à environ 3 500 euros.

14      Par avis d’imposition rectificatif du 1er septembre 2006, le centre des finances publiques de Krefeld a remis en cause ce résultat au motif que, à la suite de l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2004, de l’article 15, paragraphe 4, troisième phrase, de l’UStG, la clé de répartition selon le chiffre d’affaires ne pouvait être appliquée qu’en cas d’impossibilité de recourir à une autre méthode d’affectation économique des biens et des services à usage mixte. Considérant qu’il est possible et plus précis de déterminer l’affectation économique des biens et des services utilisés pour la démolition ou la construction d’un immeuble en recourant à une clé de répartition égale au rapport entre la superficie en mètres carrés des locaux commerciaux et celle des locaux à usage d’habitation (ci-après la « clé de répartition selon la superficie »), ce centre a estimé que Rey Grundstücksgemeinschaft aurait dû appliquer cette clé. En conséquence, il a établi le pourcentage de déduction de la TVA à 38,74 %, lequel correspond à la part de la superficie totale de l’immeuble dont la location est imposable, et a fixé le montant de la TVA à rembourser à Rey Grundstücksgemeinschaft pour l’année 2004 à environ 950 euros.

15      Le Finanzgericht Düsseldorf (tribunal des finances de Düsseldorf) a partiellement annulé cet avis d’imposition rectificatif au motif que la clé de répartition selon la superficie ne pouvait être appliquée qu’en ce qui concerne la TVA due pour des coûts encourus à partir du 1er janvier 2004. En conséquence, il a fixé à un peu plus de 1 700 euros le montant de TVA à restituer à Rey Grundstücksgemeinschaft pour l’année 2004.

16      Les deux parties au principal ont formé, devant le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances), un recours en « Revision » contre cette décision.

17      Selon la juridiction de renvoi, le litige soulève, en premier lieu, des interrogations liées à l’interprétation que la Cour a donnée, dans l’arrêt du 8 novembre 2012, BLC Baumarkt (C‑511/10, EU:C:2012:689), de l’article 17, paragraphe 5, de la sixième directive.

18      D’une part, la juridiction de renvoi observe que, dans cet arrêt, la Cour a jugé qu’il n’est possible de recourir à une méthode de répartition des biens et des services à usage mixte, différente de celle prévue par ladite directive, fondée sur le chiffre d’affaires, que si cette méthode permet une détermination du droit à déduction plus précise. Or, la méthode consistant à rechercher pour quelle partie de l’immeuble la TVA a été exposée et à n’appliquer une clé de répartition que pour les montants de TVA ne se rapportant spécifiquement à aucune de ces parties ou se rapportant à des parties collectives d’un immeuble à usage mixte aboutirait à des résultats plus précis. Par conséquent, la juridiction de renvoi se demande si une telle méthode ne devrait pas être privilégiée.

19      D’autre part, la juridiction de renvoi relève, en substance, que, au point 19 de l’arrêt du 8 novembre 2012, BLC Baumarkt (C‑511/10, EU:C:2012:689), la Cour a précisé qu’un État membre ne pouvait recourir à une méthode de répartition des biens et des services à usage mixte autre que celle prévue par la même directive que pour une « opération donnée, telle que la construction d’un immeuble à usage mixte ». Or, la méthode dérogatoire retenue par l’administration fiscale allemande pour répartir les biens et les services employés à la construction ou à l’acquisition d’un immeuble à usage mixte est également appliquée aux biens et aux services acquis pour l’utilisation, la conservation ou l’entretien de tels immeubles. Par conséquent, cette juridiction s’interroge sur le point de savoir s’il est conforme à la sixième directive d’appliquer une même méthode à ces deux catégories de dépenses.

20      En deuxième lieu, la juridiction de renvoi constate que, si la Cour a déjà eu l’occasion d’admettre qu’une modification législative puisse entraîner l’obligation de régulariser certaines déductions de TVA, elle s’est, jusqu’à présent, uniquement prononcée sur des modifications législatives affectant l’existence même du droit à déduction. Dans ces conditions, un doute subsisterait quant à la question de savoir si l’article 20 de ladite directive s’oppose à la législation d’un État membre en ce que celle-ci impose une régularisation de la TVA à la suite de la modification, par cet État, de la méthode d’imputation de la TVA acquittée sur les biens et les services à usage mixte.

21      En troisième lieu, la juridiction de renvoi se demande si, dans les circonstances de l’affaire au principal, les principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique ne s’opposent pas à ce qu’il soit procédé à une régularisation de la TVA. À cet égard, elle relève, tout d’abord, que la législation allemande ne comporte pas de disposition expresse prévoyant que l’entrée en vigueur de l’article 15, paragraphe 4, troisième phrase, de l’UStG est susceptible d’entraîner des régularisations. Ensuite, ladite législation ne prévoirait pas de régime transitoire, alors qu’il découlerait du point 70 de l’arrêt du 29 avril 2004, Gemeente Leusden et Holin Groep (C‑487/01 et C‑7/02, EU:C:2004:263), que l’adoption d’un tel régime est requise lorsque les destinataires d’une règle nouvelle sont susceptibles d’être surpris par son application immédiate. Enfin, la méthode d’affectation des biens et des services à usage mixte employée par Rey Grundstücksgemeinschaft avait été admise, pour les exercices fiscaux 2001 et 2002, par les autorités fiscales, à la suite de procédures devant le Finanzgericht Düsseldorf (tribunal des finances de Düsseldorf).

22      Dans ces conditions, le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La Cour de justice de l’Union européenne a jugé que l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, de la [sixième directive] permettait aux États membres de privilégier, aux fins du calcul du prorata de déduction de la TVA due en amont pour une opération donnée, telle que la construction d’un immeuble à usage mixte, une clé de répartition autre que celle selon le chiffre d’affaires figurant à l’article 19, paragraphe 1, de cette directive, à condition que la méthode retenue garantisse une détermination plus précise dudit prorata de déduction (arrêt du 8 novembre 2012, BLC Baumarkt, C‑511/10, EU:C:2012:689).

a)      Lors de l’acquisition ou de la construction d’un immeuble à usage mixte, les prestations en amont, dont la base d’imposition relève des coûts d’acquisition ou de réalisation, doivent-elles, aux fins de la détermination plus précise des montants de taxe payée en amont déductibles, être affectées dans un premier temps aux opérations d’utilisation (imposables ou exonérées) de l’immeuble, seules les taxes payées en amont non ainsi affectées devant être réparties suivant une clé de répartition selon la superficie ou selon le chiffre d’affaires ?

b)      Les principes établis par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 8 novembre 2012, BLC Baumarkt (C‑511/10, EU:C:2012:689), et la réponse à la question qui précède s’appliquent-ils également à l’égard de montants de taxe payée en amont pour des prestations en amont visant à l’usage, à la conservation ou à l’entretien d’un immeuble à usage mixte ?

2)      L’article 20 de la [sixième directive] doit-il être interprété en ce sens que la régularisation, prévue à cette disposition, de la déduction initialement opérée trouve à s’appliquer également lorsqu’un assujetti a réparti les taxes payées en amont pour la construction d’un immeuble à usage mixte [suivant la clé de répartition selon le chiffre d’affaires] figurant à l’article 19, paragraphe 1, de cette directive et autorisée par le droit national, et qu’un État membre privilégie a posteriori, au cours de la période de régularisation, une autre clé de répartition ?

3)      En cas de réponse affirmative à la question qui précède : les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime s’opposent-ils à l’application de l’article 20 de la [sixième directive], lorsque l’État membre, pour des cas du type susmentionné, ne prescrit pas expressément une régularisation de la taxe payée en amont ni n’adopte un régime transitoire et que la répartition de la taxe payée en amont opérée par l’assujetti [suivant la clé de répartition selon le chiffre d’affaires] avait été reconnue d’une manière générale comme raisonnable par le Bundesfinanzhof [(Cour fédérale des finances)] ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

23      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 17, paragraphe 5, de la sixième directive, doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où un immeuble est utilisé, en aval, pour réaliser des opérations ouvrant droit à déduction et d’autres n’ouvrant pas droit à déduction, les États membres sont tenus de prescrire que les biens et les services utilisés, en amont, pour la construction ou l’acquisition de cet immeuble soient, dans un premier temps, affectés exclusivement à l’un ou à l’autre de ces types d’opérations, afin que, dans un second temps, seul le droit à déduction dû au titre de ceux des biens et des services non ainsi susceptibles d’être affectés soit déterminé par application d’une clé de répartition selon le chiffre d’affaires ou, à condition que cette méthode garantisse une détermination plus précise du prorata de déduction, selon la superficie. La juridiction de renvoi demande, en outre, si la réponse que la Cour sera appelée à donner à cette question s’applique également aux biens et aux services auxquels il est recouru pour l’utilisation, la conservation ou l’entretien d’un immeuble à usage mixte.

24      À titre liminaire, il convient de relever que cette question se réfère aux dispositions de l’article 17, paragraphe 5, de la sixième directive sans viser spécifiquement l’une des options prévues au troisième alinéa de cette disposition. Dès lors, il convient de comprendre ladite question comme portant sur l’interprétation à donner, de façon générale, à l’article 17, paragraphe 5, de la sixième directive.

25      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’étendue du droit à déduction varie selon l’usage auquel les biens et les services en cause sont destinés. En effet, tandis que, pour les biens et les services destinés à être utilisés exclusivement pour réaliser des opérations taxées, l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive prévoit que les assujettis sont autorisés à déduire la totalité de la taxe ayant grevé leur acquisition ou leur fourniture, pour les biens et les services destinés à un usage mixte, l’article 17, paragraphe 5, premier alinéa, de cette directive énonce que le droit à déduction est limité à la partie de la TVA qui est proportionnelle au montant afférent aux opérations ouvrant droit à déduction réalisées au moyen de ces biens ou de ces services.

26      Eu égard à cette différence dans l’étendue du droit à déduction selon l’usage auquel sont destinés les biens et les services ayant été grevés par la TVA, les États membres sont, en principe, tenus de prévoir que les assujettis, pour déterminer le montant de leur droit à déduction, doivent, dans un premier temps, affecter les biens et les services acquis en amont aux différentes opérations effectuées en aval à la réalisation desquelles ceux-ci ont été destinés. Dans un second temps, il appartient aux autorités compétentes de ces États d’appliquer, pour ces biens ou ces services, le régime de déduction correspondant à leur affectation, étant entendu que, en ce qui concerne les biens et les services qui ne se rapportent pas à un type unique d’opération, il convient d’appliquer le régime prévu à l’article 17, paragraphe 5, de ladite directive.

27      S’agissant, tout d’abord, de la première phase, à savoir celle d’affectation des biens ou des services aux opérations pour lesquelles ceux-ci sont utilisés, sans préjudice de l’application de certaines dispositions particulières énoncées à l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, de la sixième directive, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si, dans l’hypothèse où ceux-ci sont utilisés pour la construction d’un immeuble à usage mixte, une telle affectation s’avère, en pratique, excessivement complexe et, partant, difficilement réalisable.

28      En effet, une réglementation nationale peut autoriser les assujettis à ne pas procéder à l’affectation de ces biens et de ces services, indépendamment de l’usage qui en sera fait, lorsque lesdits biens et services concernent l’acquisition ou la construction d’un immeuble à usage mixte et que cette affectation est, en pratique, difficilement réalisable.

29      Par ailleurs, s’agissant de l’affectation des biens et des services acquis pour l’utilisation, la conservation ou l’entretien d’un immeuble à usage mixte aux différentes opérations réalisées en aval au moyen de cet immeuble, celle-ci apparaît, d’une manière générale, comme étant aisément réalisable en pratique, ce qu’il appartient cependant à la juridiction de renvoi de vérifier s’agissant des biens et des services en cause dans l’affaire au principal.

30      Si tel est le cas, un État membre ne saurait être autorisé à prévoir que les assujettis sont dispensés d’affecter les biens et les services acquis pour l’utilisation, la conservation ou l’entretien d’un immeuble à usage mixte aux différentes opérations réalisées en aval au moyen de cet immeuble.

31      S’agissant, ensuite, de la seconde phase, à savoir celle de calcul du montant de la déduction, il convient de rappeler, en ce qui concerne les biens et les services affectés à la fois à des opérations ouvrant droit à déduction et à des opérations n’y ouvrant pas droit, que, selon l’article 17, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la sixième directive, ce montant est, en principe, calculé sur la base d’un prorata déterminé, pour l’ensemble des opérations effectuées par l’assujetti, conformément à l’article 19 de cette directive, par application d’une clé de répartition selon le chiffre d’affaires.

32      Cela étant, la Cour a admis que les États membres puissent, lorsqu’ils font usage de certaines des options prévues à l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, de ladite directive, appliquer une méthode de calcul différente de celle évoquée au point précédent du présent arrêt, à la condition, notamment, que la méthode retenue garantisse une détermination du prorata de déduction de la TVA payée en amont plus précise que celle résultant de l’application de cette première méthode (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2012, BLC Baumarkt C‑511/10, EU:C:2012:689, point 24).

33      Ladite condition n’implique toutefois pas que la méthode choisie doive nécessairement être la plus précise possible. En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 90 de ses conclusions, le dispositif de l’arrêt du 8 novembre 2012, BLC Baumarkt (C‑511/10, EU:C:2012:689), se borne à exiger que la méthode choisie garantisse un résultat plus précis que celui qui découlerait de l’application de la clé de répartition selon le chiffre d’affaires (voir également, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2014, Banco Mais, C‑183/13, EU:C:2014:2056, point 29).

34      Dès lors, dans le cas d’opérations, telles que celles en cause au principal, consistant à louer différentes parties d’un immeuble, dont certaines ouvrent droit à déduction et d’autres non, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si le recours à une méthode de calcul du droit à déduction par application d’une clé de répartition selon la superficie est susceptible d’aboutir à un résultat plus précis que celui découlant de l’application de la méthode fondée sur le chiffre d’affaires.

35      La faculté, dont dispose, le cas échéant, un État membre, de prévoir que les assujettis ne sont pas tenus de rapporter à une opération particulière, effectuée en aval, chacun des biens ou des services utilisés pour l’acquisition ou la construction d’un immeuble à usage mixte n’est pas remise en cause par le choix de cet État de recourir à une méthode de déduction différente de celle prévue par la sixième directive, dans la mesure où l’exigence de précision relevée au point 32 du présent arrêt porte sur les modalités de calcul du prorata du montant de la TVA donnant droit à déduction et non pas sur l’affectation des biens et des services utilisés.

36      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 17, paragraphe 5, de ladite directive doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où un immeuble est utilisé, en aval, pour réaliser certaines opérations ouvrant droit à déduction et d’autres n’ouvrant pas droit à déduction, les États membres ne sont pas tenus de prescrire que les biens et les services utilisés, en amont, pour la construction, l’acquisition, l’utilisation, la conservation ou l’entretien de cet immeuble soient, dans un premier temps, affectés à ces différentes opérations, lorsqu’une telle affectation est difficilement réalisable, afin que, dans un second temps, seul le droit à déduction dû au titre de ceux des biens et des services qui sont utilisés à la fois pour certaines opérations ouvrant droit à déduction et pour d’autres n’y ouvrant pas droit soit déterminé par application d’une clé de répartition selon le chiffre d’affaires ou, à condition que cette méthode garantisse une détermination plus précise du prorata de déduction, selon la superficie.

 Sur la deuxième question

37      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 20 de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’il soit procédé à la régularisation des déductions de TVA opérées au titre des biens ou des services relevant de l’article 17, paragraphe 5, de cette directive, à la suite de la modification, intervenue au cours de la période de régularisation considérée, de la clé de répartition de la TVA utilisée pour le calcul de ces déductions.

38      À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 20, paragraphe 1, sous b), de ladite directive prévoit que les déductions initialement opérées doivent être régularisées lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant de ces déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration ayant donné lieu à la déduction « notamment » en cas d’achat annulés ou en cas de rabais obtenus. Cet emploi de l’adverbe « notamment » indique que les hypothèses ainsi décrites ne constituent pas une énumération limitative.

39      Il en résulte que, si cette disposition ne prévoit pas expressément l’hypothèse d’une modification de la méthode de calcul du droit à déduction applicable aux biens et aux services à usage mixte, elle ne l’exclut pas non plus.

40      Par conséquent, pour déterminer si ladite disposition vise une telle hypothèse, il y a lieu d’examiner son contexte ainsi que les objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, en ce sens, notamment, arrêt du 27 novembre 2003, Zita Modes, C‑497/01, EU:C:2003:644, point 34).

41      En ce qui concerne le contexte dans lequel est énoncé l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la sixième directive, il ressort de l’article 17, paragraphe 5, de la sixième directive, lu conjointement avec l’article 19, paragraphe 1, de cette directive, que le montant déductible de la TVA ayant grevé, en amont, les biens livrés ou les services rendus à usage mixte est déterminé par application d’une clé de répartition qui peut être celle prévue par ces dispositions, fondée sur le chiffre d’affaires ou une autre clé de répartition choisie conformément à l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, de ladite directive, dans la mesure où celle-ci permet, pour l’activité considérée, de parvenir à des résultats du calcul du prorata de déduction plus précis (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2012, BLC Baumarkt, C‑511/10, EU:C:2012:689, point 24).

42      Ainsi, la clé de répartition et, partant, la méthode de calcul du montant de la déduction appliquée constituent des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions, au sens de l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la sixième directive.

43      En ce qui concerne l’objectif poursuivi par le mécanisme de régularisation instauré par ladite directive, celui-ci vise, notamment, à accroître la précision des déductions de TVA (voir, en ce sens, arrêts du 30 mars 2006, Uudenkaupungin kaupunki, C‑184/04, EU:C:2006:214, point 25, et du 18 octobre 2012, TETS Haskovo, C‑234/11, EU:C:2012:644, point 31).

44      Or, ainsi qu’il est rappelé aux points 32 et 33 du présent arrêt, en ce qui concerne les biens et les services à usage mixte, il ne peut être dérogé à la méthode de détermination du droit à déduction prévue par la même directive qu’aux fins d’appliquer une autre méthode garantissant un résultat plus précis.

45      Dès lors, procéder à la régularisation des déductions en appliquant une autre méthode ne peut que contribuer à accroître la précision de ces déductions et, partant, participe à la réalisation de l’objectif poursuivi par le mécanisme de régularisation.

46      Ainsi, il ressort de l’examen du contexte de l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la sixième directive et de l’objectif poursuivi par le mécanisme de régularisation des déductions instauré par celle-ci que cette disposition doit être interprétée en ce sens qu’elle vise l’hypothèse d’une modification de la méthode de calcul du droit à déduction applicable aux biens et aux services à usage mixte.

47      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 20 de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’il exige qu’il soit procédé à la régularisation des déductions de TVA opérées au titre des biens ou des services relevant de l’article 17, paragraphe 5, de ladite directive à la suite de l’adoption, intervenue au cours de la période de régularisation considérée, d’une clé de répartition de cette taxe utilisée pour le calcul de ces déductions dérogeant à la méthode de détermination du droit à déduction prévue par la même directive.

 Sur la troisième question

48      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les principes généraux du droit de l’Union de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale applicable qui ne prescrit pas expressément une régularisation, au sens de l’article 20 de la sixième directive, de la taxe payée en amont, à la suite de la modification de la clé de répartition de la TVA utilisée pour le calcul de certaines déductions, ni ne prévoit de régime transitoire alors même que la répartition de la taxe payée en amont opérée par l’assujetti suivant la clé de répartition applicable avant cette modification avait été reconnue d’une manière générale comme raisonnable par la juridiction suprême.

49      À titre liminaire, il convient de rappeler que les principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique font partie de l’ordre juridique de l’Union européenne. À ce titre, ils doivent être respectés non seulement par les institutions de l’Union, mais également par les États membres dans l’exercice des pouvoirs que leur confèrent les directives de l’Union (arrêt du 29 avril 2004, Gemeente Leusden et Holin Groep, C‑487/01 et C‑7/02, EU:C:2004:263, point 57).

50      Par ailleurs, si la juridiction de renvoi semble éprouver certains doutes au sujet de la manière selon laquelle l’article 20 de la sixième directive peut se concilier avec les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, elle n’a pas remis en cause formellement la validité de cette disposition.

51      Cela étant, un texte du droit dérivé de l’Union, tel que l’article 20 de ladite directive, doit être interprété, dans la mesure du possible, dans le sens de sa conformité aux principes généraux de droit de l’Union, et, plus particulièrement, aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2010, M e.a., C‑340/08, EU:C:2010:232, point 64).

52      En ce qui concerne l’absence de mention expresse, dans une législation nationale, telle que celle en cause au principal, de l’obligation de procéder à une régularisation en cas de modification de la méthode de calcul du droit à déduction, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été relevé au point 47 du présent arrêt, une telle obligation résulte des dispositions de l’article 20 de la sixième directive.

53      Or, il ressort d’une jurisprudence constante que les États membres sont tenus, lorsqu’ils appliquent les dispositions de leur droit interne transposant une directive, d’interpréter celles-ci, dans toute la mesure du possible, conformément à cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, C‑240/98 à C‑244/98, EU:C:2000:346, point 31).

54      Il s’ensuit que les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ne sauraient être interprétés en ce sens que, pour qu’une régularisation du droit à déduction puisse être imposée en cas de modification de la méthode de calcul de ce droit, le caractère obligatoire de cette régularisation doit avoir été expressément rappelé par la législation nationale en vertu de laquelle il a été procédé à cette modification.

55      S’agissant, ensuite, de la circonstance qu’une législation nationale, telle que celle en cause au principal, procède à la modification de la méthode de calcul du droit à déduction sans qu’il soit prévu de régime transitoire, d’emblée, il ressort du contexte de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi appréhende la notion de « régime transitoire » comme désignant des dispositions qui, ayant pour objectif d’écarter provisoirement l’application de la loi nouvelle, rendent applicable, pour une période intermédiaire, un régime particulier forgé pour la circonstance.

56      À cet égard, il importe de rappeler qu’est, en principe, compatible avec le droit de l’Union une règle de droit nouvelle s’appliquant à compter de l’entrée en vigueur de l’acte qui l’instaure (arrêt du 7 novembre 2013, Gemeinde Altrip e.a., C‑72/12, EU:C:2013:712, point 22). Par conséquent, les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ne s’opposent pas, en principe, à ce qu’un État membre puisse modifier une loi ancienne avec effet immédiat, sans prévoir de régime transitoire.

57      Cela étant, dans des situations particulières où les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime l’exigent, l’introduction d’un tel régime adapté aux circonstances peut s’imposer.

58      Ainsi, comme le rappelle la juridiction de renvoi, la Cour a considéré qu’un législateur national est susceptible de violer les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime lorsqu’il adopte, de manière soudaine et imprévisible, une loi nouvelle qui supprime un droit dont bénéficiaient jusqu’alors les assujettis, sans laisser à ces derniers le temps nécessaire pour s’adapter, et ce alors que le but à atteindre ne l’exigeait pas (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004 Gemeente Leusden et Holin Groep, C-487/01 et C‑7/02, EU:C:2004:263, point 70).

59      En particulier, les assujettis doivent disposer d’un temps d’adaptation lorsque la suppression du droit dont ils bénéficiaient jusqu’alors les oblige à procéder à des ajustements économiques conséquents (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a., C‑98/14, EU:C:2015:386, point 87).

60      Or, même à supposer qu’une modification de la législation nationale définissant la méthode de calcul du droit à déduction puisse être considérée comme soudaine et imprévisible, il n’apparaît pas que les conditions susmentionnées justifiant l’adoption d’un régime transitoire adapté, rappelées aux deux points précédents du présent arrêt, soient réunies dans des circonstances telles que celles en cause au principal.

61      En effet, il y a lieu de relever, d’une part, qu’une modification de la méthode de calcul a pour effet non pas de supprimer le droit à déduction dont disposent les assujettis, mais d’en aménager l’ampleur.

62      D’autre part, une telle modification n’implique pas en elle-même, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, que les assujettis procèdent à des ajustements économiques conséquents et, partant, un temps d’adaptation n’apparaît pas strictement nécessaire.

63      En ce qui concerne, enfin, le fait qu’il soit procédé en vertu d’une législation nationale, telle que celle en cause au principal, à la modification de la méthode de calcul du droit à déduction alors que la précédente méthode avait été qualifiée de « raisonnable » par l’une des juridictions suprêmes de l’État membre concerné, il convient de relever que les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, à la lumière desquels l’article 20 de la sixième directive doit être interprété, n’empêchent pas, en principe, un législateur national de modifier sa législation visant à mettre en œuvre le droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 14 janvier 2010, Stadt Papenburg, C‑226/08, EU:C:2010:10, point 46 et jurisprudence citée).

64      Il en résulte, en particulier, que la seule circonstance que certaines règles nationales aient été qualifiées de « raisonnables » par l’une des juridictions suprêmes de l’État membre concerné ne fait pas obstacle à ce que ce législateur procède à leur modification et à ce que des régularisations soient opérées à la suite de cette modification.

65      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les principes généraux du droit de l’Union de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale applicable qui ne prescrit pas expressément une régularisation, au sens de l’article 20 de la sixième directive, de la taxe payée en amont, à la suite de la modification de la clé de répartition de la TVA utilisée pour le calcul de certaines déductions, ni ne prévoit de régime transitoire alors même que la répartition de la taxe payée en amont opérée par l’assujetti suivant la clé de répartition applicable avant cette modification avait été reconnue d’une manière générale comme raisonnable par la juridiction suprême.

 Sur les dépens

66      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 17, paragraphe 5, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995, doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où un immeuble est utilisé, en aval, pour réaliser certaines opérations ouvrant droit à déduction et d’autres n’ouvrant pas droit à déduction, les États membres ne sont pas tenus de prescrire que les biens et les services utilisés, en amont, pour la construction, l’acquisition, l’utilisation, la conservation ou l’entretien de cet immeuble soient, dans un premier temps, affectés à ces différentes opérations, lorsqu’une telle affectation est difficilement réalisable, afin que, dans un second temps, seul le droit à déduction dû au titre de ceux des biens et des services qui sont utilisés à la fois pour certaines opérations ouvrant droit à déduction et pour d’autres n’y ouvrant pas droit soit déterminé par application d’une clé de répartition selon le chiffre d’affaires ou, à condition que cette méthode garantisse une détermination plus précise du prorata de déduction, selon la superficie.

2)      L’article 20 de la sixième directive 77/388, telle que modifiée par la directive 95/7, doit être interprété en ce sens qu’il exige qu’il soit procédé à la régularisation des déductions de la taxe sur la valeur ajoutée opérées au titre des biens ou des services relevant de l’article 17, paragraphe 5, de ladite directive, à la suite de l’adoption, intervenue au cours de la période de régularisation considérée, d’une clé de répartition de cette taxe utilisée pour le calcul de ces déductions dérogeant à la méthode de détermination du droit à déduction prévue par la même directive.

3)      Les principes généraux du droit de l’Union européenne de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale applicable qui ne prescrit pas expressément une régularisation, au sens de l’article 20 de la sixième directive, telle que modifiée par la directive 95/7, de la taxe payée en amont, à la suite de la modification de la clé de répartition de la taxe sur la valeur ajoutée utilisée pour le calcul de certaines déductions, ni ne prévoit de régime transitoire alors même que la répartition de la taxe payée en amont opérée par l’assujetti suivant la clé de répartition applicable avant cette modification avait été reconnue d’une manière générale comme raisonnable par la juridiction suprême.

Signatures


* Langue de procédure : l’allemand.