C-387/16 - Nidera

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ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

28 février 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Déduction de la taxe payée en amont – Article 183 – Remboursement de l’excédent de TVA – Remboursement tardif – Montant des intérêts de retard dus en application du droit national – Réduction de ce montant pour des raisons non attribuables à l’assujetti – Admissibilité – Neutralité fiscale – Sécurité juridique »

Dans l’affaire C‑387/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie), par décision du 5 juillet 2016, parvenue à la Cour le 12 juillet 2016, dans la procédure

Valstybinė mokesčių inspekcija prie Lietuvos Respublikos finansų ministerijos

contre

Nidera BV,

en présence de :

Vilniaus apskrities valstybinė mokesčių inspekcija,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. C. Vajda (rapporteur), E. Juhász, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. R. Schiano, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 juin 2017,

considérant les observations présentées :

–        pour Nidera BV, par MM. I. Misiūnas et V. Vičius ainsi que par Mme I. Pašvenskaitė, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement lituanien, par M. D. Kriaučiūnas ainsi que par Mmes R. Butvydytė et R. Krasuckaitė, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mmes L. Lozano Palacios et J. Jokubauskaitė, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 octobre 2017,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 183 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Valstybinė mokesčių inspekcija prie Lietuvos Respublikos finansų ministerijos (Inspection nationale des impôts rattachée au ministère des Finances de la République de Lituanie, ci-après l’« Inspection nationale des impôts ») à Nidera BV au sujet du montant des intérêts de retard dus en vertu du remboursement tardif à celle-ci de l’excédent de taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 183, premier alinéa, de la directive TVA prévoit :

« Lorsque le montant des déductions dépasse celui de la TVA due pour une période imposable, les États membres peuvent soit faire reporter l’excédent sur la période suivante, soit procéder au remboursement selon les modalités qu’ils fixent. »

 Le droit lituanien

4        L’article 91, paragraphe 10, du Lietuvos Respublikos pridėtinės vertės mokesčio įstatymas (loi de la République de Lituanie relative à la taxe sur la valeur ajoutée), dans sa rédaction issue de la loi no IX–751, du 5 mars 2002, disposait que la TVA trop perçue était remboursée selon les modalités et dans les délais fixés par le Lietuvos Respublikos mokesčių administravimo įstatymas (loi de la République de Lituanie sur l’administration de la fiscalité).

5        L’article 8, paragraphe 3, de la loi de la République de Lituanie sur l’administration de la fiscalité, telle que modifiée par la loi no X–1249, du 3 juillet 2007 (ci-après la « loi sur l’administration de la fiscalité »), prévoit :

« Aux fins de l’administration de la fiscalité, l’administration fiscale respecte les critères du caractère raisonnable et de l’équité. »

6        Aux termes de l’article 87, paragraphes 5 à 7 et 9, de la loi sur l’administration de la fiscalité :

« 5.      Le montant des taxes et impôts trop perçus auprès du contribuable, restant après compensation avec une éventuelle dette fiscale, est remboursé sur demande du contribuable. [...]

6.      L’administration fiscale peut vérifier le bien-fondé de la demande de remboursement d’un trop-perçu du contribuable, selon les modalités et dans les délais prévus par la présente loi. [...]

7.      [...] [L]’administration fiscale doit rembourser au contribuable le trop-perçu selon les modalités suivantes :

1)      le trop-perçu est remboursé dans un délai de 30 jours à compter de la date de réception de la demande écrite de remboursement du trop-perçu. Dans les cas où l’administration fiscale demande au contribuable des documents complémentaires, le délai de 30 jours est calculé à compter de la date de réception de ces documents. [...] Les délais prévus au présent point ne sont pas d’application dans les cas visés au point 2 du présent paragraphe ;

2)      dans les cas où la demande de remboursement d’un trop-perçu donne lieu à une vérification fiscale ou où des questions liées au remboursement du trop-perçu font partie intégrante d’un contrôle fiscal du contribuable concerné effectué par l’administration fiscale, le trop-perçu doit être remboursé, au plus tard, dans un délai de 20 jours à compter de la notification au contribuable de la décision de l’administration fiscale recalculant et fixant nouvellement le montant de l’impôt ou de la taxe dû par le contribuable et (ou) des sommes accessoires (si aucune infraction n’a été constatée, de l’avis y afférent).

[...]

9.      Si l’administration fiscale n’a pas remboursé le trop-perçu dans le délai prévu au paragraphe 7 du présent article, des intérêts sont calculés au profit du contribuable jusqu’à ce que le trop-perçu ait été remboursé. Le taux des intérêts est identique à celui des pénalités de retard en cas de paiement tardif de l’impôt ou de la taxe. »

7        L’article 99 de la loi sur l’administration de la fiscalité prévoit :

« Le ministre des Finances fixe le taux des intérêts de retard et ses modalités de calcul, en tenant compte de la moyenne pondérée du taux d’intérêt annuel des bons du Trésor émis, au cours du trimestre précédent, par l’État lituanien par voie d’adjudication. Le taux des intérêts de retard est obtenu en majorant le taux moyen précité de 10 points de pourcentage. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

8        Entre les mois de février et de mai 2008, Nidera, société établie aux Pays-Bas, a acquis, en Lituanie, du blé auprès de fournisseurs de produits agricoles. Le montant total de la TVA acquittée, conformément aux factures de ces fournisseurs, s’élevait à 11 743 259 litas lituaniens (LTL) (environ 3,4 millions d’euros). Au cours de la même période, Nidera a exporté ce blé vers des pays tiers, en appliquant le taux de TVA de 0 % prévu en droit lituanien.

9        Le 12 août 2008, Nidera a été enregistrée en Lituanie en tant qu’assujettie à la TVA. Dans sa déclaration de TVA pour la période allant du 12 au 31 août 2008, elle a déclaré ledit montant de la TVA acquittée et en a demandé le remboursement.

10      Par décision du 19 mars 2009 portant confirmation de l’acte de contrôle, la Vilniaus apskrities valstybinė mokesčių inspekcija (Inspection des impôts du district de Vilnius, Lituanie) a refusé ce remboursement au motif que, à l’époque des livraisons de blé en cause, Nidera n’était pas identifiée à la TVA, de telle sorte que, conformément au droit lituanien, elle n’avait pas le droit de déduire la TVA acquittée.

11      Toutefois, à la suite de l’arrêt du 21 octobre 2010, Nidera Handelscompagnie (C‑385/09, EU:C:2010:627), la Mokestinių ginčų komisija prie Lietuvos Respublikos vyriausybės (commission des litiges fiscaux auprès du gouvernement de la République de Lituanie) a, par décision du 24 novembre 2010, reconnu que Nidera était en droit de déduire la TVA acquittée en amont et a enjoint à l’administration fiscale de lui rembourser la somme en cause. Le 22 décembre 2010, l’Inspection nationale des impôts a remboursé à Nidera l’excédent de TVA dont le montant s’élève à 11 743 259 LTL (environ 3,4 millions d’euros).

12      Nidera a ensuite demandé le paiement des intérêts dus en raison du refus initial de lui rembourser l’excédent de TVA. Le 11 août 2011, l’Inspection des impôts du district de Vilnius lui a versé la somme de 214 902,27 LTL (environ 60 000 euros) au titre des intérêts sur cet excédent afférents à la période entre le prononcé dudit arrêt et la date du remboursement dudit excédent. Cette inspection a, en revanche, refusé le paiement d’intérêts de retard pour la période précédant ledit prononcé. Par décision du 2 octobre 2013, l’Inspection nationale des impôts a refusé de faire droit à la réclamation de Nidera contre cette décision.

13      Nidera a saisi le Vilniaus apygardos administracinis teismas (tribunal administratif régional de Vilnius, Lituanie) d’un recours tendant à l’annulation de la décision de l’Inspection nationale des impôts ainsi qu’à la réformation de la décision de l’Inspection des impôts du district de Vilnius, en demandant qu’il soit ordonné de lui rembourser un montant de 3 864 706,66 LTL (environ 1,1 million d’euros) à titre d’intérêts. Elle a fait valoir que les intérêts devaient être calculés à compter de la date de début du contrôle fiscal, à savoir le 21 novembre 2008, jusqu’à la date du remboursement de l’excédent de TVA. Cette juridiction a partiellement fait droit au recours de Nidera et a ordonné à l’Inspection des impôts du district de Vilnius de verser à celle-ci des intérêts au titre de la période allant du 17 février 2009 à ladite date de remboursement. L’Inspection nationale des impôts a interjeté appel de cette décision devant la juridiction de renvoi.

14      Cette juridiction relève qu’il résulte, notamment, de l’arrêt du 12 mai 2011, Enel Maritsa Iztok 3 (C‑107/10, EU:C:2011:298), que l’article 183 de la directive TVA, lu à la lumière du principe de neutralité fiscale, s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le délai normal pour effectuer le remboursement de l’excédent de TVA, à l’échéance duquel des intérêts de retard sont dus sur la somme devant être remboursée, est prorogé en cas d’engagement d’une procédure de vérification fiscale. La juridiction de renvoi considère qu’il y a donc lieu de penser que c’est à compter de l’écoulement du délai prévu non pas à l’article 87, paragraphe 7, point 2, de la loi sur l’administration de la fiscalité, mais à l’article 87, paragraphe 7, point 1, de cette loi, à savoir 30 jours après la date de réception de la demande de remboursement de l’excédent, qu’il y a lieu de calculer les intérêts dus à Nidera.

15      Cependant, la juridiction de renvoi s’interroge sur la compétence des autorités nationales, y compris judiciaires, de réduire les intérêts dus en invoquant les circonstances particulières de l’affaire au principal. En particulier, cette juridiction se demande si elle dispose d’un pouvoir d’appréciation relatif au caractère fondé et juste du montant des intérêts dus, en tenant compte, notamment, du rapport de ce montant avec celui de l’excédent non remboursé, de la durée du défaut de remboursement et de ses raisons – en l’occurrence l’interdiction, par le droit national, de déduction de la TVA acquittée en amont par les personnes non identifiées à la TVA –, ainsi que des pertes réellement subies par l’assujetti.

16      Selon la juridiction de renvoi, l’arrêt du 24 octobre 2013, Rafinăria Steaua Română (C‑431/12, EU:C:2013:686, point 25), peut indiquer que le montant des intérêts dus ne peut être réduit au regard de circonstances non liées à des actes de l’assujetti lui-même. Toutefois, dans la mesure où ces intérêts ont pour objet de compenser les pertes subies par ce dernier en raison de l’indisponibilité des fonds concernés, cette juridiction considère qu’une longue période d’indisponibilité de fonds peut donner lieu à un montant d’intérêts disproportionné au regard des pertes réellement subies, et que les critères du caractère raisonnable et de l’équité, qui guident tant l’administration fiscale, conformément à l’article 8, paragraphe 3, de la loi sur l’administration de la fiscalité, que le juge national, peuvent aboutir à une réduction de ce montant.

17      Néanmoins, eu égard aux objectifs du remboursement de la TVA, notamment celui de n’exposer l’assujetti à aucun risque financier, la juridiction de renvoi observe que des conséquences financières négatives résultant de l’indisponibilité de fonds peuvent se manifester après le remboursement de ceux-ci. Par conséquent, le fait de lier le montant des intérêts dus aux pertes réellement subies par l’assujetti, afin de réduire le montant de ces intérêts, n’élimine pas tout risque financier et désavantage l’assujetti, dès lors qu’il lui incomberait de démontrer les pertes subies.

18      Dans ces conditions, le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Convient-il d’interpréter l’article 183 de la directive [TVA], lu à la lumière du principe de neutralité fiscale, en ce sens qu’il interdit de réduire les intérêts, normalement dus en application de la législation nationale sur un trop-perçu (excédent de TVA) non remboursé (imputé) dans les délais, réduction qui serait motivée par des circonstances qui ne sont pas le fait de l’assujetti lui-même, telles que le rapport entre les intérêts et le montant du trop-perçu non remboursé dans les délais, la durée et les causes de ce non-remboursement, les pertes réellement subies par l’assujetti ? »

 Sur la question préjudicielle

19      À titre liminaire, il convient de relever qu’il ressort des motifs de la demande de décision préjudicielle que, à la suite du prononcé de l’arrêt du 12 mai 2011, Enel Maritsa Iztok 3 (C‑107/10, EU:C:2011:298), la juridiction de renvoi a décidé qu’il y a lieu, aux fins du litige dont elle est saisie, de calculer les intérêts de retard dus à Nidera sur le montant de l’excédent de TVA remboursé à compter de l’écoulement du délai prévu à l’article 87, paragraphe 7, point 1, de la loi sur l’administration de la fiscalité, ce que Nidera et le gouvernement lituanien ont confirmé lors de l’audience. Cette juridiction interroge donc la Cour non pas sur la date à partir de laquelle les intérêts de retard sont dus, mais uniquement sur la possibilité de réduire le montant de ces intérêts.

20      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 183 de la directive TVA, lu à la lumière du principe de neutralité fiscale, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la réduction du montant des intérêts normalement dus en application du droit national sur un excédent de TVA non remboursé dans les délais, pour des raisons liées à des circonstances non attribuables à l’assujetti, telles que l’importance du montant de ces intérêts par rapport au montant de l’excédent de TVA, la durée et les causes du non-remboursement ainsi que les pertes réellement subies par l’assujetti.

21      Il y a lieu de rappeler que, si l’article 183 de la directive TVA ne prévoit ni une obligation de verser des intérêts sur l’excédent de TVA à rembourser ni la date à partir de laquelle de tels intérêts seraient dus, cette circonstance ne permet pas à elle seule de conclure que cet article doit être interprété en ce sens que les modalités fixées par les États membres aux fins du remboursement de l’excédent de TVA sont dispensées de tout contrôle au regard du droit de l’Union (arrêts du 12 mai 2011, Enel Maritsa Iztok 3, C‑107/10, EU:C:2011:298, points 27 et 28, ainsi que du 6 juillet 2017, Glencore Agriculture Hungary, C‑254/16, EU:C:2017:522, point 18).

22      En effet, d’une part, si la mise en œuvre du droit au remboursement de l’excédent de TVA prévu à l’article 183 de la directive TVA relève, en principe, de l’autonomie procédurale des États membres, il n’en reste pas moins que cette autonomie est encadrée par les principes d’équivalence et d’effectivité (voir, en ce sens, arrêts du 12 mai 2011, Enel Maritsa Iztok 3, C‑107/10, EU:C:2011:298, point 29 ; du 19 juillet 2012, Littlewoods Retail e.a., C‑591/10, EU:C:2012:478, point 27, ainsi que du 24 octobre 2013, Rafinăria Steaua Română, C‑431/12, EU:C:2013:686, point 20).

23      D’autre part, il résulte de la jurisprudence de la Cour que certaines règles spécifiques devant être respectées par les États membres lors de la mise en œuvre du droit au remboursement de l’excédent de TVA découlent de l’article 183 de la directive TVA, interprété au regard du contexte et des principes généraux régissant le domaine de la TVA (arrêts du 24 octobre 2013, Rafinăria Steaua Română, C‑431/12, EU:C:2013:686, point 21, et du 6 juillet 2017, Glencore Agriculture Hungary, C‑254/16, EU:C:2017:522, point 19).

24      Ainsi, si les États membres disposent d’une liberté certaine dans l’établissement des modalités de remboursement de l’excédent de TVA, ces modalités ne peuvent pas porter atteinte au principe de neutralité fiscale en faisant supporter à l’assujetti, en tout ou en partie, le poids de cette taxe. En particulier, de telles modalités doivent permettre à l’assujetti de récupérer, dans des conditions adéquates, la totalité de la créance résultant de cet excédent de TVA, cela impliquant que le remboursement soit effectué dans un délai raisonnable et que, en tout état de cause, le mode de remboursement adopté ne fasse courir aucun risque financier à l’assujetti (arrêts du 12 mai 2011, Enel Maritsa Iztok 3, C‑107/10, EU:C:2011:298, point 33, et du 6 juillet 2017, Glencore Agriculture Hungary, C‑254/16, EU:C:2017:522, point 20).

25      À cet égard, lorsque le remboursement à l’assujetti de l’excédent de TVA intervient au-delà d’un délai raisonnable, le principe de neutralité du système fiscal de la TVA exige que les pertes financières ainsi générées, au préjudice de l’assujetti, par l’indisponibilité des sommes d’argent en cause soient compensées par le paiement d’intérêts de retard. En l’absence de législation de l’Union en matière de TVA, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de prévoir les conditions dans lesquelles des intérêts de retard doivent être versés, notamment le taux et le mode de calcul de ces intérêts, dans le respect toutefois du principe de neutralité fiscale (voir, en ce sens, arrêts du 12 mai 2011, Enel Maritsa Iztok 3, C‑107/10, EU:C:2011:298, points 33, 53 et 54 ; du 19 juillet 2012, Littlewoods Retail e.a., C‑591/10, EU:C:2012:478, point 27, ainsi que du 24 octobre 2013, Rafinăria Steaua Română, C‑431/12, EU:C:2013:686, points 22 et 23).

26      En ce qui concerne le litige au principal, la juridiction de renvoi indique que, conformément à l’article 87, paragraphe 9, de la loi sur l’administration de la fiscalité, le taux des intérêts dus en cas de remboursement tardif de l’excédent de TVA à l’assujetti est identique à celui des intérêts de retard applicable aux assujettis en cas de paiement tardif de l’impôt ou de la taxe. En application de l’article 99 de cette loi, ce taux est obtenu en majorant de dix points de pourcentage la moyenne pondérée du taux d’intérêt annuel des bons du Trésor émis, au cours du trimestre précédent, par la République de Lituanie.

27      La juridiction de renvoi considère que, lorsque le remboursement particulièrement tardif de l’excédent de TVA résulte en une longue période d’indisponibilité de fonds, un tel calcul pourrait donner lieu à un montant d’intérêts compensatoires qui soit disproportionné par rapport aux pertes réellement subies par l’assujetti. Elle relève que, dans ces circonstances, les critères du caractère raisonnable et de l’équité permettent tant à l’administration fiscale, en vertu de l’article 8, paragraphe 3, de la loi sur l’administration de la fiscalité, qu’au juge national de convenir d’une réduction de ce montant pour les motifs mentionnés dans la question préjudicielle, qui ne sont pas liés au comportement de l’assujetti. Cela étant, il ressort de la réponse du gouvernement lituanien à une question posée par la Cour lors de l’audience que, jusqu’à présent, une telle réduction n’a jamais été opérée par les juridictions nationales.

28      S’agissant, en premier lieu, d’une réduction en raison de l’importance du montant des intérêts normalement dus, en application des règles du droit national, au regard du montant de l’excédent de TVA, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 35 de ses conclusions, ce montant d’intérêts ne constitue que la contrepartie de la privation de revenus qui résulte de la durée de la période de non-remboursement du principal. Il s’ensuit qu’une réduction dudit montant qui soit uniquement motivée par l’importance de celui-ci par rapport au montant principal à rembourser impliquerait, pour l’assujetti, le risque que le paiement d’intérêts de retard ne couvre pas toute la période au cours de laquelle le principe de neutralité fiscale exige, selon la jurisprudence citée aux points 24 et 25 du présent arrêt, que l’indisponibilité des sommes d’argent en cause soit compensée par le paiement d’intérêts de retard.

29      En deuxième lieu, en ce qui concerne la durée de la période de non-remboursement, il découle du point précédent que cette durée ne saurait en elle-même justifier une réduction des intérêts de retard, le montant de ces derniers ayant précisément vocation à compenser les pertes financières subies par l’assujetti pendant cette période. En outre, la possibilité de réduire le montant des intérêts dus en raison de la durée de la période de non-remboursement pourrait avoir pour effet que les autorités fiscales ne seraient pas incitées à procéder au remboursement de l’excédent de TVA dans les meilleurs délais, ce qui est également susceptible d’engendrer un risque financier pour l’assujetti contraire au principe de neutralité fiscale.

30      Par ailleurs, il importe de souligner que le refus de l’administration fiscale de rembourser l’excédent de TVA réclamé par Nidera avant le prononcé de l’arrêt du 21 octobre 2010, Nidera Handelscompagnie (C‑385/09, EU:C:2010:627), ne saurait non plus justifier une réduction du montant des intérêts de retard. En effet, force est de rappeler que l’interprétation que la Cour donne d’une règle du droit de l’Union, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 267 TFUE, éclaire et précise la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis la date de sa mise en vigueur (arrêts du 27 mars 1980, Denkavit italiana, 61/79, EU:C:1980:100, point 16, ainsi que du 14 avril 2015, Manea, C‑76/14, EU:C:2015:216, point 53 et jurisprudence citée).

31      Au demeurant, du point de vue de l’assujetti, il n’existe pas de différence pertinente entre un remboursement tardif intervenu en raison d’un traitement administratif de la demande excédant les délais et celui intervenu en raison d’actes administratifs refusant illégalement le remboursement et ultérieurement annulés à la suite d’une décision de la Cour (voir, par analogie, arrêt du 24 octobre 2013, Rafinăria Steaua Română, C‑431/12, EU:C:2013:686, point 25).

32      En ce qui concerne, en troisième lieu, la possibilité pour une juridiction nationale de réduire le montant des intérêts normalement dus en application des règles nationales afin de tenir compte des pertes réellement subies par un assujetti particulier en raison de la privation, pendant la période de non-remboursement, du montant de l’excédent de TVA à rembourser, une telle possibilité implique qu’il appartiendrait à l’assujetti de démontrer les pertes financières qu’il a réellement subies en raison de cette privation de fonds.

33      Néanmoins, le gouvernement lituanien soutient, d’une part, que le taux des intérêts prévu à l’article 99 de la loi sur l’administration de la fiscalité non seulement vise à compenser les pertes subies par l’assujetti, mais contient, en vertu de la majoration de dix points de pourcentage du taux annuel des bons du Trésor, un élément punitif ayant un effet de sanction. Il souligne que, conformément à l’article 87, paragraphe 9, de cette loi, le taux des intérêts à verser à l’assujetti, en cas de non-remboursement de l’excédent de TVA dans les délais prévus, correspond au taux des intérêts de retard applicable aux assujettis en cas de paiement tardif de l’impôt ou de la taxe dus.

34      D’autre part, le taux fixé audit article 99 ne serait applicable qu’à la période allant de la date de la décision de l’administration fiscale ou, le cas échéant, de justice constatant le bien-fondé de la demande de remboursement à celle du remboursement intégral de l’excédent de TVA à l’assujetti. Le gouvernement lituanien en conclut que l’application de ce taux à la période précédant cette décision résulterait en une surcompensation des pertes subies par l’assujetti en raison de l’indisposition des fonds à rembourser, ce qui ferait bénéficier ce dernier d’un avantage injustifié.

35      À cet égard, il convient d’observer que les arguments du gouvernement lituanien sont fondés sur une lecture de la législation lituanienne qui diffère de celle exposée par la juridiction de renvoi. En effet, il ne ressort pas de la décision de renvoi que les intérêts de retard en cause au principal sont de nature punitive. En outre, ainsi qu’il a été relevé au point 19 du présent arrêt, la juridiction de renvoi a décidé que la date à partir de laquelle ces intérêts courent doit être déterminée en application de l’article 87, paragraphe 7, point 1, de la loi sur l’administration de la fiscalité, qui fixe un délai de 30 jours à compter de la date de la réception de la demande de remboursement et non pas la date de la décision statuant sur cette demande. Or, il appartient à la seule juridiction de renvoi de procéder à l’interprétation de la législation nationale et il incombe à la Cour de répondre à la question préjudicielle, en se fondant sur l’interprétation de ladite législation effectuée par la juridiction de renvoi (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2011, Enel Maritsa Iztok 3, C‑107/10, EU:C:2011:298, point 38).

36      En tout état de cause, dans le cadre de la liberté d’établir des modalités de remboursement de l’excédent de TVA rappelée au point 23 du présent arrêt, les États membres sont en droit, afin d’assurer une compensation par des règles aisément gérées et contrôlées par l’administration fiscale de prévoir des intérêts de retard forfaitaires. Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 33 de ses conclusions, si, dans certains cas particuliers, le montant des intérêts compensatoires dépasse le dommage réel subi par l’assujetti, cela n’est que la conséquence d’un système d’indemnisation forfaitaire, qui par nature reflète non pas les pertes réellement subies, mais les pertes que l’assujetti est, selon l’appréciation du législateur national, susceptible de subir. L’indemnisation sous forme d’intérêts peut être, selon les cas, supérieure ou inférieure aux pertes réelles.

37      Cela étant, si une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, prévoit le paiement de tels intérêts de retard forfaitaires, elle ne saurait, en même temps, prévoir la possibilité d’exclure le paiement de tels intérêts de retard et se limiter à une compensation des pertes réelles sur la base de critères du caractère raisonnable et de l’équité, comme le soutient le gouvernement lituanien. En effet, une telle réglementation nationale impliquerait pour l’assujetti l’impossibilité de prévoir les circonstances dans lesquelles il peut s’attendre à un paiement d’intérêts de retard forfaitaires et, partant, d’aménager son activité en fonction d’un tel paiement. Il apparaît ainsi qu’une telle réglementation ne permet pas à l’assujetti de récupérer, dans des conditions adéquates, la totalité de la créance résultant de l’excédent de TVA sans courir aucun risque financier, contrairement au principe de neutralité fiscale (voir, par analogie, arrêt du 12 mai 2011, Enel Maritsa Iztok 3, C‑107/10, EU:C:2011:298, points 57 et 58).

38      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 183 de la directive TVA, lu à la lumière du principe de neutralité fiscale, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la réduction du montant des intérêts normalement dus en application du droit national sur un excédent de TVA non remboursé dans les délais, pour des raisons liées à des circonstances non attribuables à l’assujetti, telles que l’importance du montant de ces intérêts par rapport au montant de l’excédent de TVA, la durée et les causes du non-remboursement ainsi que les pertes réellement subies par l’assujetti.

 Sur les dépens

39      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

L’article 183 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, lu à la lumière du principe de neutralité fiscale, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la réduction du montant des intérêts normalement dus en application du droit national sur un excédent de taxe sur la valeur ajoutée non remboursé dans les délais, pour des raisons liées à des circonstances non attribuables à l’assujetti, telles que l’importance du montant de ces intérêts par rapport au montant de l’excédent de taxe sur la valeur ajoutée, la durée et les causes du non-remboursement ainsi que les pertes réellement subies par l’assujetti.

Signatures


*      Langue de procédure : le lituanien.