C-656/19 - Bakati Plus

Printed via the EU tax law app / web

62019CJ0656

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

17 décembre 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Système commun de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Exonérations à l’exportation – Article 146, paragraphe 1, sous b) – Biens expédiés ou transportés en dehors de l’Union européenne par un acquéreur non établi sur le territoire de l’État membre concerné – Article 147 – “Biens à emporter dans les bagages personnels de voyageurs” non établis dans l’Union – Notion – Biens ayant effectivement quitté le territoire de l’Union – Preuve – Refus de l’exonération à l’exportation – Principes de neutralité fiscale et de proportionnalité – Fraude »

Dans l’affaire C‑656/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Szegedi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Szeged, Hongrie), par décision du 22 août 2019, parvenue à la Cour le 4 septembre 2019, dans la procédure

BAKATI PLUS Kereskedelmi és Szolgáltató Kft.

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. M. Ilešič, E. Juhász, C. Lycourgos et I. Jarukaitis (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour BAKATI PLUS Kereskedelmi és Szolgáltató Kft., par Mes A. Hajós, Á. I. Dobos et L. Horváth, ügyvédek,

pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Z. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. L. Havas ainsi que par Mmes L. Lozano Palacios et F. Clotuche-Duvieusart, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 juillet 2020,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 146 et 147 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »), ainsi que des principes de neutralité fiscale et de proportionnalité.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant BAKATI PLUS Kereskedelmi és Szolgáltató Kft. (ci-après « Bakati ») au Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága (direction des recours de l’administration nationale des impôts et des douanes, Hongrie) (ci-après la « direction des recours ») au sujet d’une décision refusant l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) prévue pour les biens à emporter dans les bagages personnels de voyageurs.

3

Depuis le 1er avril 2020, ce litige relève de la compétence de la Szegedi Törvényszék (cour de Szeged, Hongrie), comme cette juridiction en a informé la Cour, sans pour autant retirer les questions qui avaient été adressées par le Szegedi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Szeged, Hongrie).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive TVA

4

L’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA dispose :

« Est considéré comme “livraison de biens”, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire. »

5

Le titre IX de cette directive est relatif aux exonérations. Le chapitre 1 de celui-ci est composé du seul article 131 de ladite directive, qui prévoit :

« Les exonérations prévues aux chapitres 2 à 9 s’appliquent sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels. »

6

Le chapitre 6 de ce titre IX est intitulé « Exonérations à l’exportation » et contient les articles 146 et 147 de la même directive. Aux termes de l’article 146, paragraphe 1, sous b), de celle-ci :

« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

[...]

b)

les livraisons de biens expédiés ou transportés par l’acquéreur non établi sur leur territoire respectif, ou pour son compte, en dehors de la Communauté, à l’exclusion des biens transportés par l’acquéreur lui-même et destinés à l’équipement ou à l’avitaillement de bateaux de plaisance et d’avions de tourisme ou de tout autre moyen de transport à usage privé ».

7

L’article 147 de la directive TVA précise :

« 1.   Dans le cas où la livraison visée à l’article 146, paragraphe 1, point b), porte sur des biens à emporter dans les bagages personnels de voyageurs, l’exonération ne s’applique que lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a)

le voyageur n’est pas établi dans la Communauté ;

b)

les biens sont transportés en dehors de la Communauté avant la fin du troisième mois suivant celui au cours duquel la livraison est effectuée ;

c)

la valeur globale de la livraison, TVA incluse, excède la somme de 175 EUR ou sa contre-valeur en monnaie nationale, [...]

Toutefois, les États membres peuvent exonérer une livraison dont la valeur globale est inférieure au montant prévu au premier alinéa, point c).

2.   Aux fins du paragraphe 1, on entend par “voyageur qui n’est pas établi dans la Communauté” le voyageur dont le domicile ou la résidence habituelle n’est pas situé dans la Communauté. Dans ce cas on entend par “domicile ou résidence habituelle” le lieu mentionné comme tel sur le passeport, la carte d’identité ou tout autre document reconnu comme valant pièce d’identité par l’État membre sur le territoire duquel la livraison est effectuée.

La preuve de l’exportation est apportée au moyen de la facture, ou d’une pièce justificative en tenant lieu, revêtue du visa du bureau de douane de sortie de la Communauté.

[...] »

8

Le titre XI de cette directive est relatif aux « Obligations des assujettis et de certaines personnes non assujetties ». Dans le chapitre 7 de ce titre XI, intitulé « Dispositions diverses », figure l’article 273 de ladite directive, qui énonce, à son premier alinéa :

« Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière. »

Le règlement délégué (UE) 2015/2446

9

Le règlement délégué (UE) 2015/2446 de la Commission, du 28 juillet 2015, complétant le règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil au sujet des modalités de certaines dispositions du code des douanes de l’Union (JO 2015, L 343, p. 1), contient, à son article 1er, des définitions servant aux fins de l’application de ce règlement délégué.

10

Selon cet article 1er, point 5, la notion de « bagages » vise « l’ensemble des marchandises transportées par quelque moyen que ce soit dans le cadre d’un voyage effectué par une personne physique ».

Le droit hongrois

11

L’általános forgalmi adóról szóló 2007. évi CXXVII. törvény (loi CXXVII de 2007 relative à la taxe sur la valeur ajoutée, ci–après la « loi sur la TVA ») dispose, à son article 98 :

« (1)   Sont exonérées de la taxe les livraisons de biens expédiés par voie postale ou transportés au départ du pays vers un pays hors de la Communauté, à condition que l’expédition ou le transport :

[...]

b)

soit effectué par l’acquéreur lui-même ou par un tiers agissant pour son compte si les conditions supplémentaires prévues par les paragraphes 3 et 4 du présent article ou par les articles 99 et 100 de la présente loi sont réunies.

(2)   Le paragraphe 1 est applicable si les conditions suivantes sont réunies :

a)

l’autorité faisant sortir les biens du territoire de la Communauté doit avoir certifié qu’ils ont quitté ledit territoire au moment de la livraison ou, au plus tard, dans un délai de 90 jours suivant la date à laquelle celle–ci a été effectuée, [...]

[...]

(3)   Le paragraphe 1), sous b), peut s’appliquer, sous réserve des dispositions des articles 99 et 100, lorsque, dans ce contexte, l’acquéreur n’est pas établi en Hongrie ou, à défaut d’établissement, n’y a pas son domicile ou sa résidence habituelle.

[...] »

12

L’article 99 de la loi sur la TVA est libellé comme suit :

« (1)   Lorsque l’acquéreur est un voyageur étranger et que le ou les biens livrés [...] font partie des bagages personnels ou de voyage du voyageur étranger, il est nécessaire, pour l’application de l’exonération de l’article 98, paragraphe 1, que :

a)

la contrevaleur, taxe incluse, de la livraison de biens excède un montant équivalent à 175 euros,

b)

le voyageur étranger démontre son statut à l’aide de documents de voyage ou d’autres documents délivrés par les autorités, reconnus par la Hongrie et servant à identifier la personne [...],

c)

le fait que les biens ont quitté le territoire communautaire est attesté par l’autorité de sortie des produits du territoire de la Communauté au moyen de l’apposition d’un visa et d’un cachet sur un formulaire fourni à cet effet par l’administration fiscale de l’État [...], moyennant présentation simultanée des biens livrés et de l’exemplaire original de la facture attestant l’exécution de la livraison de biens.

(2)   Afin de pouvoir bénéficier de l’exonération, le vendeur des biens doit, en plus de l’émission d’une facture, remplir un formulaire de demande de remboursement de la taxe à la demande du voyageur étranger. [...] Le formulaire de demande de remboursement de la taxe est établi en trois exemplaires par le vendeur des biens qui remet les deux premiers exemplaires au voyageur et garde le troisième exemplaire dans ses propres documents comptables.

(3)   Lorsqu’elle atteste la sortie des biens visée au paragraphe 1, sous c), l’autorité douanière prélève auprès du voyageur le deuxième exemplaire du formulaire de demande de remboursement de la taxe revêtu d’un visa et d’un cachet.

(4)   L’exonération de la taxe est soumise à la condition :

a)

que le vendeur des biens soit en possession du premier exemplaire du formulaire de demande de remboursement de la taxe revêtu d’un visa et d’un cachet visé au paragraphe 1, sous c), et

b)

si la taxe a été perçue au moment de la livraison des biens, que le vendeur rembourse ladite taxe au voyageur étranger, conformément aux paragraphes 5 à 8.

[...]

(6)   Afin d’obtenir le remboursement de la taxe, le voyageur étranger ou son mandataire :

a)

remet au vendeur des biens le premier exemplaire revêtu d’un visa et d’un cachet conformément au paragraphe 1, sous c), du formulaire de demande de remboursement de la taxe, et

b)

présente au vendeur des biens l’exemplaire original de la facture attestant la livraison des biens.

[...]

(9)   Dans le cas où la taxe a été facturée en vertu du paragraphe 4, sous b), et que le vendeur des biens l’a antérieurement établie et déclarée comme taxe à payer, il a le droit [...] de réduire la taxe à payer [...] du montant de la taxe remboursée à condition que ce montant soit indiqué séparément dans ses documents comptables.

[...] »

13

L’article 259, point 10, de la loi sur la TVA définit la notion de « voyageur étranger » comme visant « la personne physique qui n’est ni ressortissant d’un État membre [...] ni titulaire d’un droit de séjour dans un État membre [...] et celle qui, bien que ressortissant d’un État membre [...], réside en dehors du territoire de la Communauté ».

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14

Jusqu’au mois d’avril 2015, Bakati avait pour activité le commerce de gros de plantes ornementales. Par la suite, elle s’est consacrée au commerce de détail hors magasin. À compter de l’année 2015, son chiffre d’affaires annuel a considérablement augmenté, passant de 50 millions de forints hongrois (HUF) (environ 140000 euros) à un milliard de HUF (environ 2784000 euros). Au cours de l’année 2016, son activité a consisté, à 95 %, en des livraisons à vingt particuliers, apparentés à trois familles, de grandes quantités de produits alimentaires, de cosmétiques et de produits d’entretien. Ces achats étaient effectués par téléphone et se sont produits plusieurs centaines de fois.

15

Les biens concernés étaient transportés pour le compte de Bakati au départ de son entrepôt situé à Szeged (Hongrie) jusqu’à un entrepôt loué par les acquéreurs à Tompa (Hongrie), à proximité de la frontière serbo-hongroise, où les factures et les formulaires de demande de remboursement de la TVA pour les voyageurs étrangers, établis par Bakati sur la base des informations fournies par ces acquéreurs, étaient remis avec les biens concernés, en contrepartie du prix d’achat. Lesdits acquéreurs transportaient alors ces biens en Serbie, par voiture individuelle, en tant que bagages personnels. Ils bénéficiaient sur ceux-ci de l’exonération de la TVA prévue pour les biens à emporter dans les bagages personnels de voyageurs étrangers, en renvoyant à Bakati l’exemplaire du formulaire de demande de remboursement de la TVA visé par l’autorité douanière de sortie, indiquant que les produits avaient quitté le territoire de l’Union européenne à Tompa. À la réception de ce formulaire, Bakati leur remboursait la TVA qu’ils avaient payée lors de l’achat.

16

Dans ses déclarations de TVA pour l’exercice de l’année 2016, et conformément à l’article 99, paragraphe 9, de la loi sur la TVA, Bakati a fait figurer comme montant à déduire de la taxe à payer la TVA remboursée aux mêmes acquéreurs, pour un montant total de 339788000 HUF (environ 946000 euros).

17

À l’occasion d’un contrôle fiscal, le Nemzeti Adó- és Vámhivatal Csongrád Megyei Adó- és Vámigazgatósága (division de l’administration nationale des contributions et des douanes du comitat de Csongrád, Hongrie) a constaté que les acquisitions en cause dépassaient les besoins individuels et familiaux des acquéreurs et qu’elles avaient été effectuées en vue de la revente des biens acquis. Selon cette autorité, cela excluait que ces biens puissent constituer des bagages personnels au sens de la législation applicable. Ladite autorité a également considéré que Bakati ne pouvait pas bénéficier de l’exonération de la TVA au titre de l’exportation, cette société n’ayant pas entamé la procédure de sortie douanière desdits biens et ne disposant pas des documents nécessaires à cette fin. Par conséquent, par une décision du 27 juin 2018, elle a exigé de Bakati le paiement d’une différence de TVA de 340598000 HUF (environ 948200 euros), augmentée d’une amende fiscale de 163261000 HUF (environ 454500 euros) et d’intérêts de retard à hauteur de 7184000 HUF (environ 20000 euros).

18

Cette décision ayant été confirmée par une décision de la direction des recours du 31 octobre 2018, Bakati a saisi le Szegedi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Szeged) d’un recours tendant à l’annulation de cette dernière décision.

19

Au soutien de celui-ci, Bakati fait notamment valoir que, à défaut de définition des notions de « bagages personnels » ou de « voyage » en droit fiscal, l’administration des douanes ne peut pas refuser d’apposer un visa sur un formulaire pour des produits qui ont quitté le territoire de la Hongrie au seul motif qu’il peut être présumé que les acquéreurs ont l’intention de les revendre. De plus, il n’y aurait aucune intention de sa part de contourner la taxe, dès lors que, en vertu de l’article 98 de la loi sur la TVA, elle aurait eu droit à l’exonération de la TVA au titre de l’exportation. En outre, le traitement fiscal des opérations en cause ne pourrait pas dépendre des règles du droit douanier et l’objectif de l’exonération des exportations serait respecté, les biens en cause ayant effectivement quitté le territoire de l’Union.

20

La direction des recours conclut au rejet de ce recours.

21

La juridiction de renvoi souligne que Bakati savait sans aucun doute possible que les acquéreurs achetaient les biens en cause non pas pour leur usage individuel ou familial, mais afin de les revendre sur les marchés en Serbie, et que les membres de trois familles participaient aux opérations en cause afin que la contrevaleur de chaque livraison ne dépasse pas un certain montant, facilitant ainsi le transit frontalier des biens entre la Hongrie et la Serbie. Elle précise qu’il est constant que les biens en cause ont à chaque fois quitté le territoire de la Hongrie.

22

S’agissant du fond du litige, cette juridiction indique, à titre liminaire, que, en vertu d’un arrêt de la Kúria (Cour suprême, Hongrie) du 8 décembre 2016, fondant la décision de la direction des recours, il convient, dans des circonstances semblables à celles en cause devant elle, de commencer par examiner si les conditions d’application de l’article 99 de la loi sur la TVA sont remplies. Selon cet arrêt, ne sont considérés comme répondant à la notion de « bagages » que les biens qu’un passager achète pour ses propres besoins ou à titre de cadeau et, par conséquent, cet article 99 ne permet pas d’exporter sous forme de bagages des marchandises dont la quantité atteint un niveau commercial. La livraison d’un bien devant cependant être taxée dans l’État où ce bien est finalement consommé, la Kúria (Cour suprême) impose alors à l’administration fiscale, s’il est démontré que les biens en cause ont quitté le territoire de l’Union, d’examiner si un autre titre d’exonération de la TVA prévu à l’article 98 de la loi sur la TVA est applicable.

23

Les articles 98 et 99 de la loi sur la TVA correspondant aux dispositions des articles 146 et 147 de la directive TVA, ladite juridiction s’interroge, en premier lieu, à la lumière dudit arrêt, sur la manière dont il convient de définir la notion de « bagages personnels ». Elle est d’avis qu’il convient de se fonder sur le sens commun de ces termes et que l’objet de l’exportation revêt une importance déterminante. Cela exclurait que puissent relever de cette notion des biens qui sont destinés à la revente. Cependant, en l’absence de jurisprudence de la Cour en la matière, il serait nécessaire de l’interroger à titre préjudiciel.

24

En second lieu, cette même juridiction estime que, en l’absence de modification par les acquéreurs concernés de leur intention de bénéficier de l’exonération de la TVA prévue pour les voyageurs étrangers et en l’absence d’exportation en dehors de la Hongrie dans le cadre du régime douanier uniforme, l’administration fiscale ne devait pas requalifier les livraisons en cause.

25

Selon la juridiction de renvoi, dès lors que Bakati savait que le comportement des acquéreurs concernés était frauduleux et que les conditions de l’exonération de la TVA prévue pour les voyageurs étrangers n’étaient pas remplies, cette société n’était pas fondée à émettre de formulaire de demande de remboursement de la TVA pour les voyageurs étrangers. La question de savoir si ces acquéreurs ont effectivement contourné la législation fiscale serbe serait dépourvue de pertinence. Seul importerait le fait que Bakati, par son comportement, a, d’après la juridiction de renvoi, sciemment facilité l’activité frauduleuse desdits acquéreurs et délibérément violé les exigences de la loi sur la TVA, réduisant ainsi indûment son assiette imposable sur le fondement du remboursement de la taxe dont les voyageurs étrangers sont exonérés.

26

Si, dans de telles circonstances, les autorités fiscales étaient tenues d’accorder l’exonération de la TVA sur un fondement juridique autre que celui relatif à l’exonération prévue pour les voyageurs étrangers, en requalifiant les opérations considérées, le comportement de mauvaise foi de Bakati resterait dépourvu de conséquence juridique. Cela procurerait à Bakati un avantage concurrentiel acquis illégalement, porterait atteinte au principe de neutralité fiscale et irait à l’encontre de l’obligation pour les États membres, prévue à l’article 273 de la directive TVA, de prendre des mesures pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Serait, à cet égard, transposable la solution retenue dans l’arrêt du 17 mai 2018, Vámos (C‑566/16, EU:C:2018:321), duquel il résulterait qu’il n’est pas permis à un assujetti d’opter pour une exonération de la TVA à l’expiration du délai imparti à cette fin.

27

De plus, en violant les conditions de forme applicables, Bakati et les acquéreurs concernés auraient sciemment dissimulé leurs activités économiques réelles aux autorités fiscales et douanières. Une telle violation empêcherait de constater que les conditions de fond de l’exonération de la TVA étaient satisfaites. L’affirmation de Bakati selon laquelle l’apposition du cachet des autorités douanières sur le formulaire de demande de remboursement de la TVA pour les voyageurs étrangers est susceptible de justifier l’application de l’exonération au titre d’une livraison à l’exportation serait erronée. En effet, l’exonération de la TVA pour les voyageurs étrangers concernerait une catégorie de personnes définie, différente de celle visée par l’exonération à l’exportation, et il serait nécessaire de déterminer à quel titre l’acquéreur concerné a droit à un remboursement.

28

C’est dans ces conditions que le Szegedi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Szeged) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Une pratique d’un État membre qui assimile la notion de “bagages personnels” définie comme l’un des éléments de la définition d’une livraison de biens exonérée à un passager étranger à la notion d’effets personnels utilisée dans la convention sur les facilités douanières en faveur du tourisme, signée à New York le 4 juin 1954 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 276, p. 230], et dans le protocole additionnel à cette convention, ainsi qu’à la notion de “bagages” de l’article 1er, point 5, du [règlement délégué 2015/2446] est-elle conforme à l’article 147 de la [directive TVA] ?

2)

S’il convient de donner une réponse négative à la première question, comment convient-il de définir la notion de “bagages personnels” de l’article 147 de la directive TVA, sachant que cette notion n’est pas définie dans cette directive ? Une pratique nationale en vertu de laquelle les autorités fiscales de l’État membre se réfèrent exclusivement au “sens général des mots” est-elle conforme aux dispositions du droit de l’Union ?

3)

Faut-il interpréter les dispositions des articles 146 et 147 de la directive TVA en ce sens que, si un assujetti n’a pas droit à une exonération de la taxe en vertu de l’article 147 de la directive TVA au titre d’une livraison de biens à un voyageur étranger, il convient au besoin d’examiner, sur la base de l’article 146 de la directive TVA, la possibilité d’une exonération de la taxe en relation avec une vente à l’exportation même en dépit de l’absence des formalités douanières prévues dans le code des douanes de l’Union ou dans l’acte juridique délégué ?

4)

Si la réponse à la question précédente est que, en l’absence d’exonération fiscale pour un voyageur étranger, l’opération est éligible à l’exonération de la TVA au titre d’une exportation, cette opération peut-elle être qualifiée de livraison exonérée de TVA au titre d’une vente à l’exportation si l’intention du client au moment de la commande allait expressément à l’encontre d’une telle vente à l’exportation ?

5)

S’il convient de donner une réponse affirmative aux troisième et quatrième questions, dans un cas d’espèce semblable à celui de la présente affaire, c’est-à-dire dans un cas d’espèce dans lequel l’émetteur de la facture savait, au moment de la livraison, que l’acquisition des biens avait pour but leur revente, que l’acheteur étranger, en dépit de cela, souhaitait emporter ces biens en tant que voyageur étranger, et que c’est donc de mauvaise foi que l’émetteur de la facture a établi le formulaire de demande de remboursement de la taxe servant à obtenir ce remboursement et a remboursé, au titre de l’exonération pour les voyageurs étrangers, la TVA facturée, la pratique d’un État membre en vertu de laquelle l’administration fiscale refuse le remboursement de la taxe déclarée et payée erronément au titre d’une livraison à un voyageur étranger, sans qualifier la livraison de biens de vente à l’exportation et sans procéder à la correction en ce sens de l’opération, en dépit du fait qu’il n’est pas contesté que les biens sont sortis de Hongrie en tant que bagages, est-elle compatible avec les articles 146 et 147 de la directive TVA ainsi qu’avec les principes de droit de l’Union de neutralité fiscale et de proportionnalité ? »

Sur les questions préjudicielles

Observations liminaires

29

Il convient d’observer, à titre liminaire, que Bakati conteste la présentation des faits effectuée par la juridiction de renvoi au motif que celle-ci est incomplète, voire erronée. Par conséquent, elle invite la Cour à répondre à deux questions supplémentaires, qu’elle formule dans ses observations écrites, ou à prendre en compte d’office, dans le cadre de l’analyse des questions posées par la juridiction de renvoi, les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, la prise en compte de ceux-ci étant, selon elle, en toute hypothèse nécessaire, au regard des faits qu’elle présente, afin de donner une réponse utile à cette juridiction.

30

Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, dans le contexte de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence du juge national. La Cour est donc uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité d’un texte du droit de l’Union à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (arrêt du 21 juillet 2016, Argos Supply Trading, C‑4/15, EU:C:2016:580, point 29 et jurisprudence citée).

31

Par conséquent, les faits complémentaires allégués par Bakati ne peuvent pas être pris en considération par la Cour. Au demeurant, aucun élément du dossier soumis à la Cour, hormis ces allégations, ne fait apparaître qu’une telle prise en compte serait nécessaire afin de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi.

32

Par ailleurs, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales, telle que prévue à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire pendante devant lui, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. La faculté de déterminer les questions à soumettre à celle-ci est donc dévolue au seul juge national et les parties au principal ne sauraient en changer la teneur (arrêt du 16 octobre 2014, Welmory, C‑605/12, EU:C:2014:2298, point 33 et jurisprudence citée).

33

En outre, apporter une réponse à des questions complémentaires mentionnées par les parties serait incompatible avec l’obligation de la Cour d’assurer la possibilité aux gouvernements des États membres et aux parties intéressées de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (voir, en ce sens, arrêt du 16 octobre 2014, Welmory, C‑605/12, EU:C:2014:2298, point 34 et jurisprudence citée).

34

Il s’ensuit que la Cour ne saurait accueillir la demande de Bakati tendant à ce qu’elle réponde à des questions supplémentaires, formulées par cette dernière.

Sur les première et deuxième questions

35

Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’exonération prévue à l’article 147, paragraphe 1, de la directive TVA en faveur des « biens à emporter dans les bagages personnels de voyageurs » doit être interprétée en ce sens que relèvent de celle-ci les biens qu’un particulier qui n’est pas établi dans l’Union emporte avec lui en dehors de l’Union à des fins commerciales, en vue de leur revente dans un État tiers.

36

L’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA prévoit que les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés par l’acquéreur non établi sur leur territoire respectif, ou pour son compte, en dehors de l’Union, à l’exclusion des biens transportés par l’acquéreur lui-même et destinés à l’équipement ou à l’avitaillement de bateaux de plaisance et d’avions de tourisme ou de tout autre moyen de transport à usage privé.

37

L’article 147, paragraphe 1, de cette directive précise que, dans le cas où la livraison visée à cet article 146, paragraphe 1, sous b), porte sur des biens à emporter dans les bagages personnels de voyageurs, l’exonération ne s’applique que lorsque le voyageur n’est pas établi dans l’Union, lorsque les biens sont transportés en dehors de l’Union avant la fin du troisième mois suivant celui au cours duquel la livraison est effectuée et lorsque la valeur globale de la livraison, TVA incluse, excède la somme de 175 euros ou sa contre-valeur en monnaie nationale, les États membres pouvant toutefois exonérer une livraison dont la valeur globale est inférieure à ce montant.

38

S’agissant du point de savoir si l’exonération prévue en faveur des « biens à emporter dans les bagages personnels de voyageurs », au sens de cet article 147, paragraphe 1, est susceptible de s’appliquer à des biens transportés dans des conditions telles que celles en cause au principal, il convient de rappeler qu’il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme (arrêts du 18 octobre 2011, Brüstle, C‑34/10, EU:C:2011:669, point 25 et jurisprudence citée, ainsi que du 23 avril 2020, Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI, C‑507/18, EU:C:2020:289, point 31 et jurisprudence citée).

39

En outre, la détermination de la signification et de la portée des termes pour lesquels le droit de l’Union ne fournit aucune définition doit être établie conformément au sens habituel de ceux-ci dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (arrêts du 18 octobre 2011, Brüstle, C‑34/10, EU:C:2011:669, point 31 et jurisprudence citée, ainsi que du 23 avril 2020, Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI, C‑507/18, EU:C:2020:289, point 32 et jurisprudence citée).

40

Il convient encore de rappeler que les exonérations prévues par la directive TVA constituent, à moins que le législateur de l’Union n’ait confié aux États membres le soin d’en définir certains termes, des notions autonomes du droit de l’Union qui doivent être replacées dans le contexte général du système commun de la TVA instauré par cette directive (voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 2007, Navicon, C‑97/06, EU:C:2007:609, point 20 et jurisprudence citée, ainsi que du 7 mars 2013, Wheels Common Investment Fund Trustees e.a., C‑424/11, EU:C:2013:144, point 16 et jurisprudence citée).

41

Ces exonérations doivent, de plus, être interprétées strictement, étant donné qu’elles constituent une dérogation au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque livraison de biens et sur chaque prestation de services effectuées à titre onéreux par un assujetti (arrêts du 18 octobre 2007, Navicon, C‑97/06, EU:C:2007:609, point 22 et jurisprudence citée, ainsi que du 29 juin 2017, L.Č., C‑288/16, EU:C:2017:502, point 22 et jurisprudence citée).

42

Eu égard à ces éléments et en l’absence de renvoi au droit des États membres et de définition pertinente dans la directive TVA, les termes « biens à emporter dans les bagages personnels de voyageurs », au sens de l’article 147, paragraphe 1, de cette directive, doivent être interprétés conformément à leur sens habituel dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie.

43

À cet égard, considérant les interrogations exprimées par la juridiction de renvoi dans sa première question et dans la seconde partie de sa deuxième question, il convient de constater d’emblée, d’une part, que les termes « bagages personnels », au sens de l’article 147, paragraphe 1, de la directive TVA, ne sauraient être définis par une application directe de la notion d’« effets personnels » utilisée dans la convention sur les facilités douanières en faveur du tourisme, signée à New York le 4 juin 1954, et dans le protocole additionnel à cette convention, à laquelle, au demeurant, ni l’Union ni même l’ensemble des États membres n’est partie, dès lors qu’une telle application ne serait pas conforme à la jurisprudence constante de la Cour rappelée aux points 38 à 40 du présent arrêt, et en particulier au fait que les exonérations prévues par la directive TVA constituent des notions autonomes du droit de l’Union. De plus, considérant cette jurisprudence constante, les termes « bagages personnels » ne sauraient pas non plus être interprétés en se référant de manière exclusive au « sens général des mots ».

44

D’autre part, une assimilation de ces termes à celui de « bagages » tel qu’il est défini à l’article 1er, point 5, du règlement délégué 2015/2446 ne peut pas davantage être effectuée. En effet, conformément à la jurisprudence rappelée au point 40 du présent arrêt, les exonérations prévues par la directive TVA doivent être replacées dans le contexte général du système commun de la TVA instauré par cette directive. En outre, ce système commun et le régime de l’Union de perception des droits de douane présentent des différences de structure, d’objet et de finalité qui excluent, en principe, que les termes d’une exonération relevant dudit système commun soient définis par un renvoi aux définitions prévues par et aux fins de la réglementation relative au régime de l’Union de perception des droits de douane (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2008, Netto Supermarkt, C‑271/06, EU:C:2008:105, point 28).

45

S’agissant de l’interprétation à retenir de la locution « biens à emporter dans les bagages personnels de voyageurs », il y a lieu de constater que, dans son sens habituel dans le langage courant, celle-ci vise les biens, généralement de petite taille ou en petite quantité, qu’une personne physique emporte avec elle au cours d’un déplacement, dont elle a besoin au cours de celui-ci et qui servent à son usage privé ou à celui de sa famille. Peuvent également faire partie de ceux-ci de tels biens qu’elle acquiert au cours de ce déplacement.

46

S’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 147, paragraphe 1, de la directive TVA, il y a lieu de relever que cette disposition subordonne l’application de l’exonération que cet article prévoit non seulement au fait que la livraison porte sur des « biens à emporter dans les bagages personnels de voyageurs », mais également au respect des conditions cumulatives énumérées au premier alinéa, sous a) à c), de cette disposition, à savoir celles que le voyageur ne soit pas établi dans l’Union, que les biens soient transportés en dehors de l’Union avant la fin du troisième mois suivant celui au cours duquel la livraison est effectuée et que la valeur globale de la livraison, TVA incluse, excède en principe la somme de 175 euros ou sa contre-valeur en monnaie nationale.

47

Cet article 147 précise, à son paragraphe 2, premier alinéa, que la notion de « voyageur qui n’est pas établi dans [l’Union] » s’entend du « voyageur dont le domicile ou la résidence habituelle n’est pas situé dans [l’Union] » et que la notion de « domicile ou [de] résidence habituelle » vise « le lieu mentionné comme tel sur le passeport, la carte d’identité ou tout autre document reconnu comme valant pièce d’identité par l’État membre sur le territoire duquel la livraison est effectuée ».

48

Ces éléments figurant audit article 147, en particulier à son paragraphe 1, premier alinéa, sous a), et à son paragraphe 2, envisagent ainsi le bénéficiaire potentiel de l’exonération prévue à cet article en tant que personne physique, n’agissant pas en qualité d’opérateur économique, ce qui tend à exclure que cette exonération soit prévue en faveur d’opérateurs économiques et, par suite, à exclure qu’elle soit applicable à des exportations de nature commerciale.

49

Ainsi, compte tenu de cette constatation ainsi que de la jurisprudence constante de la Cour, rappelée au point 41 du présent arrêt, selon laquelle les exonérations de la TVA doivent être interprétées strictement, l’exonération prévue à l’article 147, paragraphe 1, de cette directive en faveur des biens à emporter dans les bagages personnels de voyageurs ne saurait s’appliquer à des biens qui sont emportés par un particulier en dehors de l’Union à des fins commerciales, en vue de leur revente dans un État tiers.

50

Cette interprétation est corroborée par l’objectif spécifique que poursuit l’exonération prévue à l’article 147 de la directive TVA. Certes, celle-ci vise, de manière générale, et tout comme celle prévue à l’article 146, paragraphe 1, sous b), de cette directive, à respecter, dans le cadre du commerce international, le principe de l’imposition des biens concernés au lieu de destination de ceux-ci et, ainsi, à garantir que l’opération en cause soit exclusivement imposée au lieu où les produits concernés seront consommés (voir, en ce sens, arrêts du 29 juin 2017, L.Č., C‑288/16, EU:C:2017:502, point 18 et jurisprudence citée, ainsi que du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 20 et jurisprudence citée).

51

Cependant, cet article 147 poursuit, en outre, ainsi que l’a exposé, en substance, M. l’avocat général aux points 67 à 71 de ses conclusions, l’objectif spécifique de promotion du tourisme, comme l’illustre la faculté, accordée aux États membres par le second alinéa du paragraphe 1 de celui-ci, d’exonérer des livraisons de biens dont la valeur totale est inférieure au montant prévu par le premier alinéa, sous c), de ce paragraphe. Or, accorder le bénéfice de l’exonération prévue audit article 147 à des exportations réalisées à des fins commerciales, en vue de la revente des produits concernés dans un État tiers, serait sans rapport avec cet objectif de promotion du tourisme, lequel est intimement lié à une activité non économique de la part de l’acquéreur.

52

Ladite interprétation est, par ailleurs, confortée par l’évolution législative de la disposition qui figure désormais à l’article 147 de la directive TVA. Celle-ci, ainsi que l’a également exposé, en substance, M. l’avocat général aux points 43 à 59 et 63 de ses conclusions, était initialement liée aux franchises prévues pour les importations de marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs, dépourvues de tout caractère commercial, ainsi qu’aux livraisons effectuées au stade du commerce de détail. Or, le législateur de l’Union n’a pas indiqué vouloir revenir sur ce lien lors des diverses modifications qu’il a apportées à cette disposition.

53

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et deuxième questions que l’exonération prévue à l’article 147, paragraphe 1, de la directive TVA en faveur des « biens à emporter dans les bagages personnels de voyageurs » doit être interprétée en ce sens que ne relèvent pas de celle-ci les biens qu’un particulier qui n’est pas établi dans l’Union emporte avec lui en dehors de l’Union à des fins commerciales, en vue de leur revente dans un État tiers.

Sur les troisième et quatrième questions

54

Par ses troisième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 146, paragraphe 1, sous b), et l’article 147 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle, lorsque l’administration fiscale constate que les conditions de l’exonération de la TVA prévue pour les biens à emporter dans les bagages personnels de voyageurs ne sont pas remplies, mais que les biens concernés ont effectivement été transportés en dehors de l’Union par l’acquéreur, elle est tenue d’examiner si l’exonération de la TVA prévue à cet article 146, paragraphe 1, sous b), peut être appliquée à la livraison en cause, alors même que les formalités douanières applicables n’ont pas été effectuées et que, lors de l’achat, l’acquéreur n’avait pas l’intention de voir appliquée cette dernière exonération.

55

Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA, les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés par l’acquéreur non établi sur leur territoire respectif, ou pour son compte, en dehors de l’Union, à l’exclusion, en substance, des livraisons de biens transportés par l’acquéreur lui-même et destinés à l’équipement ou à l’avitaillement de moyens de transport à usage privé. Cette disposition doit être lue en combinaison avec l’article 14, paragraphe 1, de cette directive, selon lequel est considéré comme « livraison de biens » le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire (arrêts du 28 février 2018, Pieńkowski, C‑307/16, EU:C:2018:124, point 24, ainsi que du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 19 et jurisprudence citée).

56

Il découle de ces dispositions et, notamment, du terme « expédiés » employé à cet article 146, paragraphe 1, sous b), que l’exportation d’un bien est effectuée et que l’exonération de la livraison à l’exportation est applicable lorsque le droit de disposer de ce bien comme un propriétaire a été transmis à l’acquéreur, que le fournisseur établit que ce bien a été expédié ou transporté en dehors de l’Union et que, à la suite de cette expédition ou de ce transport, le bien a physiquement quitté le territoire de l’Union (arrêts du 28 février 2018, Pieńkowski, C‑307/16, EU:C:2018:124, point 25, ainsi que du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 21 et jurisprudence citée).

57

En l’occurrence, il est constant que des livraisons de biens, au sens de l’article 14 de la directive TVA, ont eu lieu, que les biens concernés par les opérations en cause au principal ont été transportés en dehors de l’Union par leurs acquéreurs et que la sortie effective de ces biens du territoire de l’Union est, pour chacune des livraisons en cause, attestée par un visa apposé par l’autorité douanière de sortie sur un formulaire qui est en la possession de l’assujetti.

58

De plus, certes, lorsque la livraison visée à l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA porte sur des biens à emporter dans les bagages personnels de voyageurs, l’exonération ne s’applique que lorsque certaines conditions supplémentaires, prévues à l’article 147 de cette directive, sont réunies (arrêt du 28 février 2018, Pieńkowski, C‑307/16, EU:C:2018:124, point 27).

59

Toutefois, ainsi que cela ressort explicitement du libellé de l’article 147, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive TVA et de la jurisprudence rappelée au point précédent, l’article 147 de cette directive ne constitue qu’un cas particulier d’application de l’exonération prévue à l’article 146, paragraphe 1, sous b), de celle-ci et les conditions imposées à cet article 147 sont des conditions additionnelles à celles prévues à cet article 146, paragraphe 1, sous b). Il en découle que le fait que ces conditions spécifiquement prévues audit article 147 ne sont pas remplies ne saurait exclure que les conditions prévues à ce seul article 146, paragraphe 1, sous b), sont satisfaites.

60

Par ailleurs, d’une part, l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA ne prévoit pas de condition selon laquelle les formalités douanières applicables à l’exportation doivent être respectées pour que l’exonération à l’exportation prévue à cette disposition soit applicable (voir, par analogie, arrêt du 28 mars 2019, Vinš, C‑275/18, EU:C:2019:265, point 26).

61

D’autre part, la Cour a itérativement jugé que la notion de « livraison de biens » a un caractère objectif et qu’elle s’applique indépendamment des buts et des résultats des opérations concernées, sans qu’il existe une obligation pour l’administration fiscale de procéder à des enquêtes en vue de déterminer l’intention de l’assujetti en cause ou encore de tenir compte de l’intention d’un opérateur autre que cet assujetti intervenant dans la même chaîne de livraison (arrêt du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 22 et jurisprudence citée).

62

Il résulte de ces éléments qu’une opération telle que celles en cause au principal constitue une livraison de biens, au sens de l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA, si elle satisfait aux critères objectifs sur lesquels est fondée cette notion, rappelés au point 56 du présent arrêt (voir, par analogie, arrêt du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 23).

63

Partant, la qualification d’une opération de « livraison à l’exportation » au sens de cette disposition ne saurait dépendre du respect des formalités douanières applicables à l’exportation (voir, par analogie, arrêt du 28 mars 2019, Vinš, C‑275/18, EU:C:2019:265, point 27 et jurisprudence citée) ni du fait que l’intention de l’acquéreur, lors de l’achat, était de voir appliquée non pas l’exonération prévue à ladite disposition, mais celle prévue à l’article 147 de la directive TVA. En effet, ces circonstances n’excluent pas que ces critères objectifs soient réunis.

64

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux troisième et quatrième questions que l’article 146, paragraphe 1, sous b), et l’article 147 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle, lorsque l’administration fiscale constate que les conditions de l’exonération de la TVA prévue pour les biens à emporter dans les bagages personnels de voyageurs ne sont pas remplies, mais que les biens concernés ont effectivement été transportés en dehors de l’Union par l’acquéreur, elle est tenue d’examiner si l’exonération de la TVA prévue à cet article 146, paragraphe 1, sous b), peut être appliquée à la livraison en cause, alors même que les formalités douanières applicables n’ont pas été effectuées et que, lors de l’achat, l’acquéreur n’avait pas l’intention de voir appliquée cette dernière exonération.

Sur la cinquième question

65

Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 146, paragraphe 1, sous b), et l’article 147 de la directive TVA ainsi que les principes de neutralité fiscale et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale en vertu de laquelle l’administration fiscale refuse automatiquement à un assujetti le bénéfice de l’exonération de la TVA prévue par l’une et l’autre de ces dispositions lorsqu’elle constate que cet assujetti a, de mauvaise foi, émis le formulaire sur la base duquel l’acquéreur s’est prévalu de l’exonération prévue à cet article 147, alors qu’il est établi que les biens concernés ont quitté le territoire de l’Union.

66

Ainsi qu’il ressort, en substance, de l’analyse des première et deuxième questions, l’exonération de la TVA prévue à l’article 147 de la directive TVA n’est pas applicable à des biens qui sont emportés par l’acquéreur en dehors de l’Union à des fins commerciales, en vue de leur revente dans un État tiers. Cependant, comme cela a déjà été relevé au point 59 du présent arrêt, l’exonération prévue à cet article 147 ne constitue qu’un cas particulier d’application de celle prévue à l’article 146, paragraphe 1, sous b), de cette directive et le fait que les conditions spécifiques prévues audit article 147 ne sont pas remplies n’exclut pas que les conditions prévues à cet article 146, paragraphe 1, sous b), le soient.

67

Par conséquent, le fait, pour une administration fiscale, de constater que l’exportation en cause est effectuée à des fins commerciales et ne peut donc bénéficier de l’exonération prévue à l’article 147 de la directive TVA ne saurait automatiquement lui permettre de conclure que l’exonération prévue à l’article 146, paragraphe 1, sous b), de cette directive doit également être refusée.

68

De plus, ainsi que cela a également déjà été rappelé, en substance, aux points 62 et 63 du présent arrêt, la qualification d’une opération de « livraison de biens », au sens de l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA, dépend du point de savoir si elle satisfait aux critères objectifs sur lesquels est fondée cette notion, rappelés au point 56 du présent arrêt, et ne saurait dépendre du respect de formalités douanières ni de l’intention de l’assujetti ou d’un autre opérateur intervenant dans la même chaîne de livraison.

69

Toutefois, ainsi qu’il résulte de l’article 131 de la directive TVA, les exonérations prévues aux chapitres 2 à 9 du titre IX de cette directive, dont les articles 146 et 147 font partie, s’appliquent dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations et de prévenir toute fraude, toute évasion et tout abus éventuels. En outre, l’article 273 de la directive TVA dispose que les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude.

70

À cet égard, la Cour a déjà jugé que, dans l’exercice des pouvoirs que leur confèrent ces articles 131 et 273, les États membres doivent respecter les principes généraux du droit qui font partie de l’ordre juridique de l’Union, au nombre desquels figure notamment le principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêts du 28 février 2018, Pieńkowski, C‑307/16, EU:C:2018:124, point 33 et jurisprudence citée, ainsi que du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 26).

71

S’agissant de ce principe, il convient de rappeler qu’une pratique nationale va au-delà de ce qui est nécessaire afin d’assurer l’exacte perception de la taxe si elle subordonne, pour l’essentiel, le droit à l’exonération de la TVA au respect d’obligations formelles, sans que soient prises en compte les conditions de fond et, notamment, sans qu’il faille s’interroger sur le point de savoir si celles-ci étaient satisfaites. En effet, les opérations doivent être taxées en prenant en considération leurs caractéristiques objectives (voir, par analogie, arrêt du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 27 et jurisprudence citée).

72

Lorsque lesdites conditions de fond sont satisfaites, le principe de neutralité fiscale exige que l’exonération de la TVA soit accordée même si certaines exigences formelles ont été omises par les assujettis (arrêt du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 28 et jurisprudence citée).

73

Selon la jurisprudence de la Cour, il n’existe que deux cas de figure dans lesquels le non-respect d’une exigence formelle peut entraîner la perte du droit à l’exonération de la TVA (arrêt du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 29 et jurisprudence citée).

74

En premier lieu, la violation d’une exigence formelle peut conduire au refus de l’exonération de la TVA si cette violation a pour effet d’empêcher d’apporter la preuve certaine que les exigences de fond ont été satisfaites (arrêt du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 30 et jurisprudence citée).

75

Considérant les interrogations formulées par la juridiction de renvoi, il convient à cet égard de rappeler que, certes, l’exonération édictée à l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA constitue une « exonération à l’exportation » et qu’il est donc nécessaire que la réalité de cette exportation soit établie à la satisfaction des autorités fiscales compétentes. Une telle exigence, qui a ainsi trait aux conditions de fond requises pour que cette exonération soit accordée, ne peut, dès lors, être tenue pour une obligation purement formelle au sens de la jurisprudence rappelée au point 71 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêts du 8 novembre 2018, Cartrans Spedition, C‑495/17, EU:C:2018:887, points 47 et 48, ainsi que du 28 mars 2019, Vinš, C‑275/18, EU:C:2019:265, point 36).

76

Toutefois, une modalité probatoire exclusive de toute autre ne saurait être imposée et tout élément de preuve permettant d’asseoir la conviction ainsi requise de l’autorité fiscale compétente doit être admis (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2018, Cartrans Spedition, C‑495/17, EU:C:2018:887, points 49 et 50).

77

En l’occurrence, ainsi que cela a déjà été relevé au point 57 du présent arrêt, il est néanmoins constant que des livraisons de biens, au sens de l’article 14 de la directive TVA, ont eu lieu, que les biens concernés par les opérations en cause au principal ont été transportés en dehors de l’Union par leurs acquéreurs et que la sortie effective de ces biens du territoire de l’Union est, pour chacune des livraisons en cause, attestée par un visa apposé par l’autorité douanière de sortie sur un formulaire qui est en la possession de l’assujetti.

78

Or, le fait que le formulaire en cause au principal soit destiné à l’application de l’exonération prévue à l’article 147 de la directive TVA n’exclut pas que le visa qui y est apposé puisse permettre de considérer que l’exigence de fond consistant en la sortie effective des biens du territoire de l’Union a été satisfaite. En effet, d’une part, l’apposition d’un tel visa sur une facture ou une pièce justificative en tenant lieu constitue une modalité de preuve de l’exportation des biens concernés en dehors de l’Union expressément admise à l’article 147, paragraphe 2, de la directive TVA. D’autre part, le placement des biens concernés sous le régime douanier de l’exportation, qu’il soit fait avant ou après l’exportation, constitue une obligation formelle qui, de surcroît, relève non pas du système commun de la TVA, mais du régime douanier. Partant, le non-respect de cette obligation n’exclut pas en tant que tel que les conditions de fond justifiant l’octroi de cette exonération soient remplies (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Vinš, C‑275/18, EU:C:2019:265, point 39).

79

Dans ces conditions, ne respecte pas le principe de proportionnalité le fait de faire obstacle à l’octroi d’une exonération de la TVA pour une livraison de biens à l’exportation au motif que l’assujetti concerné n’a pas effectué la procédure de sortie douanière de ces biens et ne dispose pas des documents nécessaires, alors même qu’il est constant que lesdits biens ont effectivement été exportés conformément aux critères rappelés au point 56 du présent arrêt, ce qui est attesté par un visa apposé par l’autorité douanière de sortie, et que cette livraison répond donc, par ses caractéristiques objectives, aux conditions de l’exonération prévue à l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA (voir, par analogie, arrêt du 28 mars 2019, Vinš, C‑275/18, EU:C:2019:265, point 30). Il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer les vérifications nécessaires à cet égard.

80

En second lieu, le principe de neutralité fiscale ne saurait être invoqué aux fins de l’exonération de la TVA par un assujetti qui a intentionnellement participé à une fraude fiscale ayant mis en péril le fonctionnement du système commun de la TVA. Selon la jurisprudence de la Cour, il n’est pas contraire au droit de l’Union d’exiger d’un opérateur qu’il agisse de bonne foi et prenne toute mesure pouvant raisonnablement être requise pour s’assurer que l’opération qu’il effectue ne le conduit pas à participer à une fraude fiscale. Dans l’hypothèse où l’assujetti concerné savait ou aurait dû savoir que l’opération qu’il a effectuée était impliquée dans une fraude commise par l’acquéreur et qu’il n’a pas pris toutes les mesures raisonnables en son pouvoir pour éviter cette fraude, le bénéfice de l’exonération devrait lui être refusé (arrêt du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 33 et jurisprudence citée).

81

En revanche, le fournisseur ne saurait être tenu responsable du paiement de la TVA indépendamment de son implication dans la fraude commise par l’acquéreur. En effet, il serait manifestement disproportionné d’imputer à un assujetti la perte de recettes fiscales causée par des agissements frauduleux de tiers sur lesquels il n’a aucune influence (arrêt du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 34 et jurisprudence citée).

82

À cet égard, la Cour a déjà jugé que, dans une situation où les conditions de l’exonération à l’exportation prévues à l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA, notamment la sortie des biens concernés du territoire douanier de l’Union, sont établies, aucune TVA n’est due au titre d’une telle livraison et, dans de telles circonstances, il n’existe plus, en principe, de risque d’une fraude fiscale ou de pertes fiscales pouvant justifier l’imposition de l’opération en cause (arrêts du 19 décembre 2013, BDV Hungary Trading, C‑563/12, EU:C:2013:854, point 40, et du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 35).

83

Il convient également de rappeler que la Cour a déjà jugé que le fait que les actes frauduleux ont été commis dans un État tiers ne peut suffire à exclure l’existence de toute fraude mettant en péril le fonctionnement du système commun de la TVA et qu’il incombe à la juridiction nationale, dans une telle circonstance, de vérifier que les opérations en cause étaient effectivement impliquées dans une telle fraude et, si elles l’étaient, d’apprécier si l’assujetti savait ou aurait dû savoir que tel était le cas (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2019, Unitel, C‑653/18, EU:C:2019:876, point 37).

84

Cependant, en l’occurrence, la juridiction de renvoi ne fournit pas de précisions sur la nature de la fraude commise par Bakati, en particulier la mesure dans laquelle le comportement de celle-ci aurait été à l’origine de pertes fiscales ou aurait mis en péril le fonctionnement de ce système commun. À cet égard, la seule éventuelle augmentation du chiffre d’affaires de cette société, au détriment de celui de ses concurrents, ne saurait, a priori, constituer une telle mise en péril.

85

Par ailleurs, il convient de relever que l’application d’une exonération à l’exportation, au sens de l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA, ne dépend pas de l’exercice d’une option par l’assujetti, le bénéfice d’une telle exonération étant, en principe, de droit lorsque les conditions de fond prévues à cet effet sont satisfaites, conformément à la jurisprudence rappelée au point 56 du présent arrêt. Partant, contrairement à ce que la juridiction de renvoi semble envisager, les enseignements de la jurisprudence issue de l’arrêt du 17 mai 2018, Vámos (C‑566/16, EU:C:2018:321), et relatifs à la possibilité, pour un État membre, d’exclure l’application rétroactive du régime particulier d’imposition à la TVA prévoyant une franchise pour les petites entreprises à un assujetti qui remplit les conditions de fond nécessaires à cet égard, mais qui n’a pas exercé la faculté d’opter pour l’application de ce régime en même temps qu’il a déclaré le commencement de ses activités économiques à l’administration fiscale, ne sauraient être transposés à des circonstances telles que celles au principal.

86

Néanmoins, il ressort du libellé même de la cinquième question préjudicielle ainsi que des motifs de la décision de renvoi que Bakati a participé à la violation de l’article 147, paragraphe 1, de la directive TVA.

87

Une telle violation ponctuelle d’une disposition de la directive TVA, qui n’entraîne pas une perte de recette fiscale pour l’Union, ne peut cependant pas être considérée comme mettant en péril le fonctionnement du système commun de la TVA.

88

Partant, sans exclure la possibilité qu’une telle violation puisse, en vertu du droit national, être soumise à des sanctions administratives proportionnées, telles que l’imposition d’amendes pécuniaires, elle ne peut pas être sanctionnée par le refus du bénéfice de l’exonération de la TVA pour les exportations effectivement réalisées.

89

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la cinquième question que l’article 146, paragraphe 1, sous b), et l’article 147 de la directive TVA ainsi que les principes de neutralité fiscale et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale en vertu de laquelle l’administration fiscale refuse automatiquement à un assujetti le bénéfice de l’exonération de la TVA prévue par l’une et l’autre de ces dispositions lorsqu’elle constate que cet assujetti a, de mauvaise foi, émis le formulaire sur la base duquel l’acquéreur s’est prévalu de l’exonération prévue à cet article 147, alors qu’il est établi que les biens concernés ont quitté le territoire de l’Union. Dans de telles circonstances, le bénéfice de l’exonération de la TVA prévue à cet article 146, paragraphe 1, sous b), doit être refusé si la violation d’une exigence formelle a pour effet d’empêcher d’apporter la preuve certaine que les exigences de fond conditionnant l’application de cette exonération ont été satisfaites ou s’il est établi que ledit assujetti savait ou aurait dû savoir que l’opération en cause était impliquée dans une fraude mettant en péril le fonctionnement du système commun de la TVA.

Sur les dépens

90

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

 

1)

L’exonération prévue à l’article 147, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, en faveur des « biens à emporter dans les bagages personnels de voyageurs » doit être interprétée en ce sens que ne relèvent pas de celle-ci les biens qu’un particulier qui n’est pas établi dans l’Union européenne emporte avec lui en dehors de l’Union européenne à des fins commerciales, en vue de leur revente dans un État tiers.

 

2)

L’article 146, paragraphe 1, sous b), et l’article 147 de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle, lorsque l’administration fiscale constate que les conditions de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) prévue pour les biens à emporter dans les bagages personnels de voyageurs ne sont pas remplies, mais que les biens concernés ont effectivement été transportés en dehors de l’Union européenne par l’acquéreur, elle est tenue d’examiner si l’exonération de la TVA prévue à cet article 146, paragraphe 1, sous b), peut être appliquée à la livraison en cause, alors même que les formalités douanières applicables n’ont pas été effectuées et que, lors de l’achat, l’acquéreur n’avait pas l’intention de voir appliquée cette dernière exonération.

 

3)

L’article 146, paragraphe 1, sous b), et l’article 147 de la directive 2006/112 ainsi que les principes de neutralité fiscale et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale en vertu de laquelle l’administration fiscale refuse automatiquement à un assujetti le bénéfice de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) prévue par l’une et l’autre de ces dispositions lorsqu’elle constate que cet assujetti a, de mauvaise foi, émis le formulaire sur la base duquel l’acquéreur s’est prévalu de l’exonération prévue à cet article 147, alors qu’il est établi que les biens concernés ont quitté le territoire de l’Union européenne. Dans de telles circonstances, le bénéfice de l’exonération de la TVA prévue à cet article 146, paragraphe 1, sous b), doit être refusé si la violation d’une exigence formelle a pour effet d’empêcher d’apporter la preuve certaine que les exigences de fond conditionnant l’application de cette exonération ont été satisfaites ou s’il est établi que ledit assujetti savait ou aurait dû savoir que l’opération en cause était impliquée dans une fraude mettant en péril le fonctionnement du système commun de la TVA.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.