C-80/20 - Wilo Salmson France

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62020CJ0080

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

21 octobre 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Articles 167 à 171 et article 178, sous a) – Droit à déduction de la TVA – Remboursement de la TVA en faveur des assujettis établis dans un État membre autre que l’État membre du remboursement – Détention d’une facture – Directive 2008/9/CE – Rejet de la demande de remboursement – “Extourne” de la facture par le fournisseur – Émission d’une nouvelle facture – Nouvelle demande de remboursement – Rejet »

Dans l’affaire C‑80/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie), par décision du 19 décembre 2019, parvenue à la Cour le 12 février 2020, dans la procédure

Wilo Salmson France SAS

contre

Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Bucureşti,

Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Bucureşti –- Administraţia Fiscală pentru Contribuabili Nerezidenţi,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. C. Lycourgos et I. Jarukaitis (rapporteur), juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour Wilo Salmson France SAS, par Me C. Apostu, avocată,

pour le gouvernement roumain, par Mmes E. Gane et R. I. Haţieganu, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme A. Armenia et M. R. Lyal, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 22 avril 2021,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 167 et 178 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010 (JO 2010, L 189, p. 1) (ci-après la « directive TVA »), et de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2008/9/CE du Conseil, du 12 février 2008, définissant les modalités du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, prévu par la directive 2006/112, en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l’État membre du remboursement, mais dans un autre État membre (JO 2008, L 44, p. 23).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Wilo Salmson France SAS (ci-après « Wilo Salmson ») à l’Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Bucureşti (Agence nationale de l’administration fiscale – Direction générale régionale des finances publiques de Bucarest, Roumanie) et à l’Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Bucureşti – Administraţia Fiscală pentru Contribuabili Nerezidenţi (Agence nationale de l’administration fiscale – Direction générale régionale des finances publiques de Bucarest – Administration fiscale pour les contribuables non-résidents, Roumanie) (ci-après, ensemble, les « autorités fiscales »), au sujet d’une décision rejetant une demande de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) présentée par cette société au cours de l’année 2015, en relation avec des acquisitions de biens effectuées au cours de l’année 2012.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive TVA

3

L’article 62 de la directive TVA définit, aux fins de celle-ci, le « fait générateur de la taxe » comme étant « le fait par lequel sont réalisées les conditions légales nécessaires pour l’exigibilité de la taxe » et l’« exigibilité de la taxe » comme visant « le droit que le Trésor peut faire valoir aux termes de la loi, à partir d’un moment donné, auprès du redevable pour le paiement de la taxe, même si le paiement peut en être reporté ».

4

L’article 63 de cette directive précise que « [l]e fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée ».

5

L’article 167 de ladite directive prévoit que « [l]e droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible ».

6

L’article 168 de la même directive énonce :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)

la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...] »

7

Aux termes de l’article 169 de la directive TVA :

« Outre la déduction visée à l’article 168, l’assujetti a le droit de déduire la TVA y visée dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins des opérations suivantes :

a)

ses opérations relevant des activités visées à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, effectuées en dehors de l’État membre dans lequel cette taxe est due ou acquittée, qui ouvriraient droit à déduction si ces opérations étaient effectuées dans cet État membre ;

[...] »

8

L’article 170 de cette directive dispose :

« Tout assujetti qui [...] n’est pas établi dans l’État membre dans lequel il effectue des achats de biens et de services ou des importations de biens grevés de TVA a le droit d’obtenir le remboursement de cette taxe dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les opérations suivantes :

a)

les opérations visées à l’article 169 ;

[...] »

9

L’article 171 de ladite directive prévoit, à son paragraphe 1, que « [l]e remboursement de la TVA en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l’État membre dans lequel ils effectuent des achats de biens et de services ou des importations de biens grevés de taxe, mais qui sont établis dans un autre État membre, est effectué selon les modalités prévues par la directive [2008/9] ».

10

L’article 178, sous a), de la même directive précise :

« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :

a)

pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux dispositions du titre XI, chapitre 3, sections 3 à 6 [...] »

11

Avant sa modification par la directive 2010/45, l’article 178, sous a), de la directive 2006/112 prévoyait :

« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :

a)

pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238, 239 et 240 [...] »

12

L’article 179 de la directive TVA prévoit, à son premier alinéa :

« La déduction est opérée globalement par l’assujetti par imputation, sur le montant de la taxe due pour une période imposable, du montant de la TVA pour laquelle le droit à déduction a pris naissance et est exercé en vertu de l’article 178, au cours de la même période. »

13

Le titre X de cette directive, intitulé « Déductions », contient un chapitre 5, relatif à la régularisation des déductions. Dans ce dernier, l’article 185 de ladite directive précise, à son paragraphe 1 :

« La régularisation a lieu notamment lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA, entre autres en cas d’achats annulés ou en cas de rabais obtenus. »

14

Dans le même chapitre, l’article 186 de la même directive indique que « [l]es États membres déterminent les modalités d’application des articles 184 et 185 ».

15

L’article 218 de la directive TVA, qui figure dans le chapitre 3, intitulé « Facturation », du titre XI de la directive TVA, relatif aux obligations des assujettis et de certaines personnes non assujetties, prévoit :

« Pour les besoins de la présente directive, les États membres acceptent comme factures tous les documents ou messages sur papier ou sous format électronique qui remplissent les conditions déterminées par le présent chapitre. »

16

Aux termes de l’article 219 de cette directive :

« Est assimilé à une facture tout document ou message qui modifie la facture initiale et y fait référence de façon spécifique et non équivoque. »

La directive 2008/9

17

L’article 1er de la directive 2008/9 indique qu’elle « définit les modalités du remboursement de la [TVA], prévu à l’article 170 de la [directive TVA] en faveur des assujettis non établis dans l’État membre du remboursement et qui remplissent les conditions prévues à l’article 3 » de celle-ci.

18

L’article 2 de cette directive comporte les définitions suivantes :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

3)

“période du remboursement”, la période visée à l’article 16, couverte par la demande de remboursement ;

[...]

5)

“requérant”, l’assujetti non établi dans l’État membre du remboursement, qui introduit la demande de remboursement. »

19

L’article 3 de ladite directive précise qu’elle est applicable à tout assujetti non établi dans l’État membre du remboursement qui remplit les conditions que cet article énumère.

20

L’article 5 de la même directive énonce :

« Chaque État membre rembourse à tout assujetti non établi dans l’État membre du remboursement la TVA ayant grevé les biens qui lui ont été livrés ou les services qui lui ont été fournis dans cet État membre par d’autres assujettis, [...] dans la mesure où ces biens et services sont utilisés pour les besoins des opérations suivantes :

a)

les opérations visées à l’article 169, points a) et b), de la [directive TVA] ;

[...]

Sans préjudice de l’article 6, aux fins de la présente directive, le droit au remboursement de la TVA payée en amont est déterminé en vertu de la [directive TVA], telle qu’appliquée dans l’État membre du remboursement. »

21

L’article 8 de la directive 2008/9 précise, à son paragraphe 2 :

« Outre les informations visées au paragraphe 1, pour chaque État membre du remboursement et pour chaque facture ou document d’importation, la demande de remboursement inclut les informations suivantes :

[...]

d) la date et le numéro de la facture ou du document d’importation ;

[...] »

22

L’article 10 de cette directive dispose :

« Sans préjudice des demandes d’informations en vertu de l’article 20, l’État membre du remboursement peut demander au requérant de joindre par voie électronique à la demande de remboursement une copie de la facture ou du document d’importation, lorsque la base d’imposition figurant sur la facture ou le document d’importation est égale ou supérieure à un montant de 1000 [euros] ou à sa contre-valeur en monnaie nationale. Toutefois, lorsque la facture a trait à du carburant, ce seuil est de 250 [euros] ou la contre-valeur en monnaie nationale. »

23

Aux termes de l’article 13, premier alinéa, de ladite directive :

« Si, après l’introduction de la demande de remboursement, la proportion déductible est corrigée en vertu de l’article 175 de la [directive TVA], le requérant rectifie le montant demandé ou déjà remboursé. »

24

L’article 14 de la même directive prévoit, à son paragraphe 1, sous a) :

« La demande de remboursement concerne :

a)

l’achat de biens ou de services qui a été facturé au cours de la période du remboursement, à condition que la taxe soit devenue exigible avant ou au moment de la facturation, ou pour lesquels la taxe est devenue exigible au cours de la période du remboursement, à condition que l’achat ait été facturé avant que la taxe ne soit devenue exigible [...] »

25

L’article 15, paragraphe 1, de la directive 2008/9 dispose :

« La demande de remboursement est introduite auprès de l’État membre d’établissement au plus tard le 30 septembre de l’année civile qui suit la période du remboursement. La demande de remboursement est réputée introduite uniquement lorsque le requérant a fourni toutes les informations exigées aux articles 8, 9 et 11. »

26

L’article 20 de cette directive 2008/9 indique :

« 1.   Lorsque l’État membre du remboursement estime ne pas être en possession de toutes les informations qui lui permettraient de statuer sur la totalité ou une partie de la demande de remboursement, il peut demander [...] des informations complémentaires, notamment auprès du requérant ou des autorités compétentes de l’État membre d’établissement [...]

Si nécessaire, l’État membre du remboursement peut demander d’autres informations complémentaires.

[...]

2.   Les informations exigées conformément au paragraphe 1 doivent être fournies à l’État membre du remboursement dans un délai d’un mois à compter de la date de réception de la demande d’informations par le destinataire. »

27

Aux termes de l’article 23 de ladite directive :

« 1.   Lorsque la demande de remboursement est rejetée en totalité ou en partie, les motifs du rejet sont notifiés au requérant par l’État membre du remboursement en même temps que la décision de rejet.

2.   Des recours contre une décision de rejet d’une demande de remboursement peuvent être formés par le requérant auprès des autorités compétentes de l’État membre du remboursement, dans les formes et les délais prévus pour les réclamations relatives aux remboursements demandés par des personnes établies dans cet État membre.

[...] »

Le droit roumain

28

La Legea nr. 571/2003 privind Codul fiscal (loi no 571/2003 portant code des impôts) (Monitorul Oficial al României, partie I, no 927 du 23 décembre 2003), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code des impôts »), disposait, à son article 145, paragraphe 2 :

« (2)   Tout assujetti a le droit de déduire la taxe afférente aux achats si ces derniers sont utilisés pour les besoins des opérations suivantes :

a)

les opérations taxées ;

b)

les opérations résultant d’activités économiques pour lesquelles le lieu de livraison/prestation est réputé être à l’étranger, dans le cas où la taxe serait déductible si ces opérations étaient effectuées en Roumanie ;

[...] »

29

L’article 146 du code des impôts prévoyait, à son paragraphe 1, sous a) :

« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :

a)

pour la taxe due ou payée, relative aux biens qui ont été ou doivent lui être livrés, ou aux services qui ont été ou doivent lui être fournis par un assujetti, détenir une facture établie conformément aux dispositions de l’article 155 [...] ».

30

L’article 147 ter, paragraphe 1, sous a), de ce code précisait qu’« un assujetti établi non pas en Roumanie, mais dans un autre État membre, non identifié et qui n’est pas tenu de s’identifier à la TVA en Roumanie, peut bénéficier du remboursement de la [TVA] acquittée au titre d’importations et d’acquisitions de biens ou de services effectuées en Roumanie ».

31

L’Hotărârea Guvernului nr. 44/2004 (décision du gouvernement no 44/2004) (Monitorul Oficial al României, partie I, no 112 du 6 février 2004) porte approbation des modalités d’application du code des impôts, lesquelles figurent à l’annexe de cette décision. Dans leur version applicable au litige au principal, ces modalités (ci-après les « modalités d’application ») se rapportent, à leur point 49, à l’article 147 ter du code des impôts qui était alors en vigueur. Ce point 49 indique, à son paragraphe 1 :

« En vertu de l’article 147 ter, paragraphe 1, sous a), du code des impôts, tout assujetti établi non pas en Roumanie, mais dans un autre État membre, peut bénéficier du remboursement de la [TVA] acquittée au titre d’importations et d’acquisitions de biens ou de services effectuées en Roumanie. »

32

Ledit point 49 précise, à son paragraphe 15, sous a), que la demande de remboursement vise « les achats de biens ou de services qui ont été facturés au cours de la période du remboursement, acquittés avant la date de demande de remboursement » et que « [l]es factures qui n’ont pas été payées avant la date de demande de remboursement sont inscrites dans les demandes de remboursement correspondant aux périodes au cours desquelles celles-ci sont payées ».

33

Le point 49, paragraphe 16, des modalités d’application indique que, « [o]utre les transactions visées au paragraphe 15, la demande de remboursement peut concerner des factures ou des documents d’importation qui n’ont pas fait l’objet de demandes de remboursement antérieures pour autant qu’ils portent sur des opérations achevées au cours de l’année civile en question ».

Le litige au principal et les questions préjudicielles

34

Au cours de l’année 2012, Pompes Salmson SAS, dont le siège de l’activité économique se situe en France, a acheté auprès de ZES Zollner Electronic SRL (ci-après « Zollner »), établie et identifiée à la TVA en Roumanie, des équipements de production. Pompes Salmson ayant mis ces équipements à la disposition de Zollner afin qu’elle les utilise pour fabriquer des biens devant lui être livrés ultérieurement, ceux-ci n’ont pas quitté le territoire roumain.

35

Au cours de cette même année, Zollner a établi des factures correspondant à ces achats, incluant la TVA. Sur la base de celles-ci, Pompes Salmson a demandé le remboursement de la TVA payée en Roumanie pour la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2012, conformément à la directive 2008/9 ainsi qu’à l’article 147 ter, paragraphe 1, sous a), du code des impôts, lu conjointement avec le point 49 des modalités d’application. Cette demande a été rejetée par décision du 14 janvier 2014, « pour des motifs liés aux documents joints à la demande et à la non-conformité des factures jointes » (ci-après la « décision du 14 janvier 2014 »). Zollner a alors procédé à l’extourne des factures initialement établies en 2012. Elle a établi de nouvelles factures en 2015, pour ces mêmes achats.

36

Au cours de l’année 2014, Pompes Salmson a fusionné avec Wilo France SAS. La nouvelle entité issue de cette fusion, dénommée Wilo Salmson France, ayant repris l’ensemble des droits et des obligations de Pompes Salmson, a déposé, au cours de l’année 2015 et sur la base des nouvelles factures établies par Zollner, une nouvelle demande de remboursement de la TVA qui avait été acquittée en Roumanie lors de l’achat des équipements concernés, en visant la période comprise entre le 1er août et le 31 octobre 2015. Cette demande a été rejetée par les autorités roumaines par décision du 12 mai 2016, au motif que Wilo Salmson n’avait pas respecté le point 49, paragraphe 16, des modalités d’application et avait déjà demandé le remboursement de la TVA indiquée dans ces factures.

37

Wilo Salmson a introduit une réclamation contre cette décision devant la Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Bucureşti – Administraţia Fiscală pentru Contribuabili Nerezidenţi (direction générale régionale des finances publiques de Bucarest – administration fiscale pour les contribuables non-résidents, Roumanie). Par décision du 2 septembre 2016, cette réclamation a été rejetée au motif que la TVA dont le remboursement était demandé avait fait l’objet d’une demande de remboursement antérieure et que les opérations pour lesquelles le remboursement était demandé relevaient non pas de l’année 2015, mais de l’année 2012.

38

Cette société a alors saisi le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie), la juridiction de renvoi, d’un recours tendant à l’annulation de cette décision du 2 septembre 2016 ainsi qu’à l’annulation de la décision du 12 mai 2016 rejetant la demande de remboursement de la somme de 449538,38 lei roumains (RON) (environ 91310 euros), représentant la TVA dont le remboursement était demandé pour la période comprise entre le 1er août 2015 et le 31 octobre 2015.

39

La juridiction de renvoi indique qu’elle doit déterminer s’il est possible d’obtenir en 2015 le remboursement de la TVA payée sur des achats effectués en 2012, pour lesquels des factures fiscales valables n’ont été établies qu’en 2015. Elle estime que la situation de Wilo Salmson est atypique par rapport aux hypothèses envisagées par la directive 2008/9 ou déjà examinées par la Cour, étant donné que les factures établies par Zollner en 2012 ont été annulées par leur extourne, eu égard à leur irrégularité qui aurait été constatée par les autorités fiscales roumaines, que, pour les mêmes achats, des factures valables n’ont été établies qu’au cours de l’année 2015, que Wilo Salmson a exercé son droit au remboursement par la demande de remboursement déposée en 2015, qui contenait les factures établies en 2015, et que cette dernière société n’avait pas jusqu’alors obtenu le remboursement demandé.

40

Elle soutient que la directive TVA ne régit pas le délai pour exercer le droit à déduction et qu’il y a donc lieu de clarifier si la date à compter de laquelle ce délai court peut se déterminer exclusivement par rapport à la date de la livraison des biens en cause, en ignorant toute autre circonstance pertinente. Eu égard aux articles 167 et 178 de cette directive ainsi qu’au fait que l’établissement d’une facture échappe au contrôle du titulaire de ce droit, il serait nécessaire que la Cour précise si, au regard de l’article 14, paragraphe 1, sous a), première hypothèse, de la directive 2008/9, une demande de remboursement de la TVA peut concerner des achats de biens ou de services qui ont été facturés au cours de la période du remboursement, indépendamment du point de savoir si la TVA y afférente est devenue exigible au cours de cette période ou antérieurement.

41

S’agissant de ses deux premières questions, elle relève que les autorités fiscales roumaines n’ont pas opéré de distinction entre la date d’émission des factures en tant qu’élément procédural et la date d’exigibilité de la TVA en tant qu’élément de fond, alors que ces deux dates devraient produire des effets distincts sur le plan fiscal et que le droit à déduction ne saurait être exercé en l’absence de facture établie conformément aux exigences légales. Si, certes, il serait nécessaire que la TVA soit devenue exigible avant l’établissement de la facture, ou au moment de la facturation, c’est toutefois le moment de l’établissement de la facture qui devrait être pertinent s’agissant de l’introduction d’une demande de remboursement.

42

S’agissant de ses troisième et quatrième questions, elle indique que les autorités fiscales roumaines ont considéré que les factures établies en 2015 pour les achats effectués en 2012 ne pouvaient pas faire l’objet d’une demande de remboursement relative à l’année 2015 du fait de l’existence de factures antérieures. Celles-ci auraient pourtant, de manière unilatérale, fait l’objet d’une extourne par Zollner, ce qui aurait les effets d’une annulation, et le titulaire du droit à déduction ne disposerait d’aucun moyen légal pour obliger le fournisseur à établir une nouvelle facture.

43

De plus, au vu des articles 169 et 178 de la directive TVA, de l’article 14, paragraphe 1, sous a), première hypothèse, de la directive 2008/9 ainsi que de la nécessité de détenir une facture valable pour pouvoir exercer le droit au remboursement, une demande de remboursement de la TVA devrait être exclusivement fondée sur les factures établies pendant la « période du remboursement », la seule condition imposée étant que la TVA soit devenue exigible antérieurement ou simultanément à la facturation.

44

Par conséquent, les factures établies en 2012 ayant été supprimées par Zollner, seules les nouvelles factures établies en 2015 pouvaient prouver les achats et étayer la demande de remboursement en cause au principal. Dès lors, seules ces dernières factures devraient, selon la juridiction de renvoi, représenter le « repère procédural » permettant de présenter une demande de remboursement conformément à la directive 2008/9.

45

Dans ces conditions, le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

En ce qui concerne l’interprétation de l’article 167 de la [directive TVA], lu conjointement avec l’article 178 de cette directive : existe-t-il une distinction entre la date de naissance du droit à déduction et celle de son exercice au regard du mode de fonctionnement de la TVA ?

En ce sens, il est nécessaire de clarifier si le droit à déduction de la TVA peut être exercé en l’absence d’une facture fiscale (valable) établie pour les achats de biens effectués.

2)

En ce qui concerne l’interprétation des mêmes dispositions, lues conjointement avec l’article 14, paragraphe 1, sous a), première [hypothèse], de la directive 2008/9 : quel est le repère procédural par rapport auquel il convient d’apprécier la régularité de l’exercice du droit au remboursement de la TVA ?

En ce sens, il est nécessaire de clarifier s’il est possible d’introduire une demande de remboursement de la TVA devenue exigible avant la “période du remboursement”, mais facturée au cours de ladite période.

3)

En ce qui concerne l’interprétation des mêmes dispositions de l’article 14 paragraphe 1, sous a), première [hypothèse], de la directive 2008/9, lues conjointement avec les articles 167 et 178 de la [directive TVA] : quels sont les effets de l’annulation et de l’établissement de nouvelles factures pour des achats de biens antérieurs à la “période du remboursement” sur l’exercice du droit au remboursement de la TVA sur ces achats ?

En ce sens, il est nécessaire de clarifier si, dans le cas où les factures initialement établies pour des achats de biens sont annulées par le fournisseur et de nouvelles factures sont établies ultérieurement, le droit du bénéficiaire de demander le remboursement de la TVA sur ces achats doit être exercé en fonction de la date des nouvelles factures, lorsque tant l’annulation des factures initiales que l’établissement des nouvelles factures échappent au contrôle du bénéficiaire et restent exclusivement à l’appréciation discrétionnaire du fournisseur.

4)

Le droit national peut-il subordonner à une condition d’exigibilité le remboursement de la TVA accordé conformément à la directive [2008/9] lorsque la facture correcte a été établie au cours de la période où la demande a été faite ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

46

Le gouvernement roumain fait valoir que les questions posées sont irrecevables. D’une part, elles seraient fondées sur une présentation erronée et incomplète des faits à l’origine du litige au principal, de sorte que, si ceux-ci étaient rectifiés et pris en compte dans leur ensemble, les questions deviendraient sans utilité ni pertinence pour la solution de celui-ci. D’autre part, cette présentation se limiterait à reproduire le point de vue d’une seule des parties audit litige, de sorte que la juridiction de renvoi aurait omis de satisfaire à son obligation de clarifier les faits avant de saisir la Cour ainsi que d’indiquer les raisons pour lesquelles elle s’interroge sur l’interprétation du droit de l’Union et estime qu’une réponse de la Cour est nécessaire pour trancher le litige dont elle est saisie.

47

Il y a lieu de rappeler, en premier lieu, que l’article 267 TFUE institue une procédure de coopération directe entre la Cour et les juridictions des États membres. Dans le cadre de cette procédure, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute constatation et appréciation des faits de la cause relève de la compétence du juge national, auquel il appartient d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour, alors que la Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité d’un texte de l’Union au regard de la situation factuelle et juridique telle que décrite par la juridiction de renvoi (voir, en ce sens, arrêts du 20 décembre 2017, Schweppes, C‑291/16, EU:C:2017:990, point 21 et jurisprudence citée, ainsi que du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 28 et jurisprudence citée).

48

En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation ou sur la validité d’une règle de droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, point 24 ainsi que jurisprudence citée, et du 15 juillet 2021, The Department for Communities in Northern Ireland, C‑709/20, EU:C:2021:602, point 54 ainsi que jurisprudence citée).

49

Les questions portant sur le droit de l’Union bénéficiant ainsi d’une présomption de pertinence, le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de validité d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, en ce sens, arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, point 25 ainsi que jurisprudence citée, et du 15 juillet 2021, The Department for Communities in Northern Ireland, C‑709/20, EU:C:2021:602, point 55 ainsi que jurisprudence citée).

50

En l’occurrence, l’argumentation avancée par le gouvernement roumain pour établir le caractère inutile des questions posées pour la solution du litige au principal repose sur une critique de l’appréciation des faits opérée par la juridiction de renvoi, qui serait erronée et lacunaire. Or, il n’appartient pas à la Cour de remettre en cause cette appréciation, laquelle relève, dans le cadre de la présente procédure, de la compétence du juge national. Cette argumentation ne saurait, par conséquent, suffire à renverser la présomption de pertinence évoquée au point précédent (voir, par analogie, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, point 26 ainsi que jurisprudence citée).

51

En second lieu, en ce que le gouvernement roumain fait observer que les faits présentés par la juridiction de renvoi consistent en une reproduction des allégations de l’une des parties au principal, il convient de relever que cette seule circonstance, à la supposer avérée, n’établit pas que, en procédant de la sorte, cette juridiction a manqué à son obligation d’indiquer dans la décision de renvoi, conformément à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, les données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ni les raisons qui l’ont conduite à s’interroger sur l’interprétation des dispositions du droit de l’Union visées dans les questions posées ou pour lesquelles elle estime qu’une réponse de la Cour est nécessaire pour trancher le litige dont elle est saisie.

52

Au contraire, ainsi qu’il ressort des points 39 à 44 du présent arrêt, la décision de renvoi permet de comprendre les raisons pour lesquelles la juridiction de renvoi s’interroge sur la portée de diverses dispositions de la directive TVA et de la directive 2008/9 et comporte suffisamment d’indications pour mettre la Cour en mesure de lui fournir les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui lui sont nécessaires pour trancher le litige dont elle est saisie.

53

À cet égard, il convient également de rappeler que ni l’article 267 TFUE ni aucune autre disposition du droit de l’Union n’exigent ni n’interdisent qu’une juridiction de renvoi, après le prononcé de l’arrêt rendu à titre préjudiciel, modifie les constatations factuelles et juridiques qu’elle a faites dans le cadre de la demande de décision préjudicielle, pourvu que cette juridiction donne plein effet à l’interprétation du droit de l’Union retenue par la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 5 juillet 2016, Ognyanov, C‑614/14, EU:C:2016:514, points 28 à 30).

54

Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater que les questions posées sont recevables.

Sur le fond

Observations liminaires

55

À titre liminaire, il convient de relever que la juridiction de renvoi, qui est la seule à disposer de l’ensemble des éléments de fait et de droit national pertinents, interroge la Cour sur l’interprétation des dispositions de la directive 2006/112 dans leur version résultant des modifications introduites par la directive 2010/45, lesquelles, conformément à l’article 2, paragraphe 1, deuxième alinéa, de cette dernière, étaient applicables à partir du 1er janvier 2013.

56

Or, il ressort de la décision de renvoi que les livraisons de biens à l’origine du litige au principal ont été effectuées au cours de l’année 2012, que des documents considérés comme des factures relatives à ces livraisons ont été établis au cours de l’année 2012, puis ont été considérés comme étant « non conformes » par la décision du 14 janvier 2014 et ont par la suite fait l’objet d’une extourne au cours de l’année 2014 ou 2015 et que, enfin, de nouveaux documents considérés comme des factures relatives à ces mêmes livraisons ont été émis en 2015.

57

En outre, d’une part, conformément à l’article 63 de la directive TVA, le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée. D’autre part, le droit à déduction prévu par la directive TVA, dont le droit au remboursement constitue le pendant (arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 36 et jurisprudence citée), est, sur le plan tant matériel que temporel, directement lié à l’exigibilité de la TVA due ou acquittée pour les biens et services en amont (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2018, Varna Holideis, C‑364/17, EU:C:2018:500, point 22), l’article 167 de cette directive prévoyant que le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

58

Les articles 64 et 65 de la directive TVA prévoient, par ailleurs, des règles d’exigibilité différentes, applicables dans les circonstances que ces articles précisent, tandis que l’article 66 de cette directive permet aux États membres, par dérogation à ces articles 63 à 65, de prévoir que la taxe devient exigible pour certaines opérations ou certaines catégories d’assujettis à un des moments que cet article 66 précise.

59

Il importera donc à la juridiction de renvoi, à la lumière de l’ensemble des éléments de fait et de droit national dont elle dispose, de vérifier si les dispositions de la directive 2006/112 qui résultent des modifications introduites par la directive 2010/45 sont bien celles applicables pour résoudre chacun des différents aspects du litige dont elle est saisie.

60

Il convient néanmoins de préciser, à cet égard, que la seule modification apportée par la directive 2010/45 à une disposition de la directive 2006/112 qui est pertinente aux fins de l’analyse de la présente affaire par la Cour porte sur l’article 178, sous a), de la directive 2006/112, disposition qui, avant cette modification, renvoyait non pas à la détention d’une facture « établie conformément aux dispositions du titre XI, chapitre 3, sections 3 à 6 », de la directive TVA, mais à la détention d’une facture établie « conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238, 239 et 240 » de la directive 2006/112.

61

Si, certes, il s’agit dans ces deux cas de renvois aux dispositions de ces directives respectives prévoyant, en substance, les circonstances et conditions dans lesquelles des factures doivent être émises, le contenu de celles-ci, la possibilité d’émettre ou de transmettre des factures électroniques ainsi que la possibilité pour les États membres d’adopter, dans certaines conditions, des mesures de simplification, ces dispositions ne sont, toutefois, pas identiques. Leurs différences de contenu sont néanmoins sans incidence sur l’analyse que la Cour est appelée à effectuer dans la présente affaire, de sorte que les réponses qui seront apportées dans le présent arrêt seront applicables même si la juridiction de renvoi devait finalement considérer qu’un ou plusieurs des points litigieux qu’elle a à trancher relèvent du champ d’application temporel non pas des dispositions de la directive TVA, mais de la version de la directive 2006/112 antérieure aux modifications qui lui ont été apportées par la directive 2010/45.

Sur la première question

62

S’agissant de la première question posée, il convient d’observer d’emblée qu’est en cause au principal la situation d’un assujetti établi dans un État membre autre que celui dans lequel les achats de biens en cause ont été effectués. L’affaire au principal concerne ainsi non pas le droit à déduction de la TVA en tant que tel, visé à l’article 168 de la directive TVA, mais le droit au remboursement de cette taxe, tel qu’il est prévu à l’article 170 de cette directive, qui renvoie lui-même aux opérations visées à l’article 169 de celle-ci.

63

Il y a également lieu de rappeler que l’article 171 de ladite directive prévoit, à son paragraphe 1, que le remboursement de la TVA en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l’État membre dans lequel ils effectuent notamment des achats de biens et de services grevés de taxe, mais qui sont établis dans un autre État membre, est effectué selon les modalités prévues par la directive 2008/9. Celle-ci n’a toutefois pas pour objet de déterminer les conditions d’exercice ni l’étendue du droit au remboursement. En effet, l’article 5, second alinéa, de cette directive précise que, sans préjudice de l’article 6 de celle-ci et aux fins de celle-ci, le droit au remboursement de la TVA payée en amont est déterminé en vertu de la directive TVA telle qu’appliquée dans l’État membre du remboursement (arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 35).

64

Dans ces conditions, il convient de comprendre que, par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 167 à 171 et 178 de la directive TVA ainsi que la directive 2008/9 doivent être interprétés en ce sens que le droit au remboursement de la TVA ayant grevé une livraison de biens peut être exercé par un assujetti établi non pas dans l’État membre du remboursement, mais dans un autre État membre, si cet assujetti ne détient pas une facture, au sens de la directive TVA, relative à l’achat des biens concernés.

65

Selon son article 1er, la directive 2008/9 a pour objet de définir les modalités du remboursement de la TVA, prévu à l’article 170 de la directive TVA, en faveur des assujettis non établis dans l’État membre du remboursement et qui remplissent les conditions prévues à l’article 3 de cette première directive, les conditions d’exercice et l’étendue du droit au remboursement étant toutefois, conformément aux dispositions de cette directive et comme cela a déjà été rappelé au point 63 du présent arrêt, déterminées en vertu de la directive TVA telle qu’appliquée dans l’État membre du remboursement.

66

Ainsi, le droit, pour un assujetti établi dans un État membre, d’obtenir le remboursement de la TVA acquittée dans un autre État membre, tel que régi par la directive 2008/9, est le pendant du droit, instauré en sa faveur par la directive TVA, de déduire la TVA payée en amont dans son propre État membre (arrêts du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 36 et jurisprudence citée, ainsi que du 17 décembre 2020, Bundeszentralamt für Steuern, C‑346/19, EU:C:2020:1050, point 36 et jurisprudence citée).

67

En outre, tout comme le droit à déduction, le droit au remboursement constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation de l’Union, qui vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (arrêts du 2 mai 2019, Sea Chefs Cruise Services, C‑133/18, EU:C:2019:354, point 35 et jurisprudence citée, ainsi que du 17 décembre 2020, Bundeszentralamt für Steuern, C‑346/19, EU:C:2020:1050, point 45).

68

Le droit à déduction et, partant, au remboursement, fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité. En particulier, ce droit s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (arrêts du 2 mai 2019, Sea Chefs Cruise Services, C‑133/18, EU:C:2019:354, point 36 et jurisprudence citée, ainsi que du 17 décembre 2020, Bundeszentralamt für Steuern, C‑346/19, EU:C:2020:1050, point 46).

69

Le droit au remboursement de la TVA, comme le droit à déduction de celle-ci, est néanmoins subordonné au respect d’exigences ou de conditions tant matérielles que formelles (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 40 et jurisprudence citée).

70

S’agissant des exigences ou des conditions matérielles gouvernant l’exercice de ce droit au remboursement, il résulte de l’article 169, sous a), et de l’article 170 de cette directive que, pour pouvoir bénéficier du droit au remboursement, il faut, d’une part, que l’intéressé soit un « assujetti » au sens de cette directive, qui n’est pas établi dans l’État membre dans lequel il effectue des achats de biens ou de services ou des importations de biens grevés de TVA, et, d’autre part, que les biens ou les services invoqués pour fonder le droit au remboursement de la TVA soient utilisés en aval par cet assujetti pour ses opérations effectuées en dehors de l’État membre dans lequel cette taxe est due ou acquittée, qui ouvriraient droit à déduction si elles étaient effectuées dans cet État membre (voir, en ce sens, arrêt du 2 mai 2019, Sea Chefs Cruise Services,C‑133/18, EU:C:2019:354, point 33). Cet assujetti doit, en outre, répondre aux conditions cumulatives énoncées à l’article 3 de la directive 2008/9 (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, CHEP Equipment Pooling, C‑242/19, EU:C:2020:466, point 55 et jurisprudence citée).

71

Quant aux modalités d’exercice du droit au remboursement, qui s’assimilent à des exigences ou à des conditions de nature formelle, il convient de relever que, à propos du droit à déduction de la TVA, l’article 178, sous a), de la directive TVA prévoit que, pour la déduction visée à l’article 168, sous a), de celle-ci, l’assujetti doit détenir une facture établie conformément aux dispositions du titre XI, chapitre 3, sections 3 à 6, de cette directive (voir, par analogie, arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 42 et jurisprudence citée).

72

La Cour en a déduit que, bien que, en vertu de l’article 167 de la directive TVA, le droit à déduction de la TVA prenne naissance à la date à laquelle la taxe devient exigible, l’exercice de ce droit n’est en principe possible, conformément à l’article 178 de cette directive, qu’à partir du moment où l’assujetti est en possession d’une facture (arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 43 et jurisprudence citée). Elle a, en outre, jugé qu’il en va de même pour l’exercice du droit au remboursement (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, points 49 et 50).

73

S’agissant des modalités du remboursement de la TVA, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que, aux termes de l’article 8, paragraphe 2, sous d), de la directive 2008/9, pour chaque État membre du remboursement et pour chaque facture ou document d’importation, la demande de remboursement de la TVA inclut « la date et le numéro de la facture ou du document d’importation ». Ensuite, selon l’article 15, paragraphe 1, seconde phrase, de cette directive, la demande de remboursement est réputée introduite uniquement lorsque le requérant a fourni toutes les informations exigées notamment à cet article 8. Enfin, en vertu de l’article 10, première phrase, de ladite directive, l’État membre du remboursement peut demander au requérant, au sens de la même directive, de joindre par voie électronique à la demande de remboursement une copie de la facture ou du document d’importation, lorsque la base d’imposition figurant sur celle-ci ou celui-ci est égale ou supérieure à un montant de 1000 euros ou à sa contre-valeur en monnaie nationale.

74

Ces éléments illustrent également que, pour pouvoir exercer le droit au remboursement de la TVA, tel qu’il est prévu par les articles 170 et 171 de la directive TVA et dont les modalités sont régies par la directive 2008/9, il est nécessaire que l’assujetti établi non pas dans l’État membre du remboursement, mais dans un autre État membre, détienne la facture afférente aux achats des biens ou des services concernés.

75

À cet égard, ainsi que cela ressort déjà, en substance, des points 71 et 72 du présent arrêt, l’article 178, sous a), de la directive TVA indique que, pour opérer la déduction visée à l’article 168, sous a), de celle-ci, l’assujetti doit, en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux dispositions du titre XI, chapitre 3, sections 3 à 6, de cette directive, cette exigence valant également, en vertu de l’article 5, dernier alinéa, de la directive 2008/9, pour le droit au remboursement prévu à l’article 170 de la directive TVA. Les articles 218 et 219 de cette dernière directive précisent en outre, respectivement, que les États membres acceptent comme factures tous les documents ou messages sur papier ou sous format électronique qui remplissent les conditions déterminées par le chapitre 3 du titre XI de ladite directive et que tout document ou message qui modifie la facture initiale et y fait référence de façon spécifique et non équivoque est assimilé à une facture.

76

Il convient néanmoins de rappeler que le principe fondamental de neutralité de la TVA exige que la déduction ou le remboursement de la TVA en amont soit accordé si les exigences de fond sont satisfaites, même si certaines exigences formelles ont été omises par les assujettis [arrêts du 18 novembre 2020, Commission/Allemagne (Remboursement de TVA – Factures), C‑371/19, non publié, EU:C:2020:936, point 80 et jurisprudence citée, ainsi que du 17 décembre 2020, Bundeszentralamt für Steuern, C‑346/19, EU:C:2020:1050 , point 47].

77

Il peut, cependant, en aller autrement si la violation de telles exigences formelles a pour effet d’empêcher d’apporter la preuve certaine que les exigences de fond ont été satisfaites [arrêts du 18 novembre 2020, Commission/Allemagne (Remboursement de TVA – Factures), C‑371/19, non publié, EU:C:2020:936, point 81 et jurisprudence citée, ainsi que du 17 décembre 2020, Bundeszentralamt für Steuern, C‑346/19, EU:C:2020:1050, point 48].

78

Lorsque l’administration dispose des données nécessaires pour établir que l’assujetti est redevable de la TVA, elle ne saurait imposer des conditions supplémentaires pouvant avoir pour effet de réduire à néant l’exercice du droit à déduction ou à remboursement de celle-ci [arrêts du 18 novembre 2020, Commission/Allemagne (Remboursement de TVA – Factures), C‑371/19, non publié, EU:C:2020:936, point 82 et jurisprudence citée, ainsi que du 17 décembre 2020, Bundeszentralamt für Steuern, C‑346/19, EU:C:2020:1050, point 53].

79

À cet égard, il convient de souligner que l’article 20 de la directive 2008/9 offre à l’État membre du remboursement, lorsque celui-ci estime ne pas être en possession des informations lui permettant de statuer sur la totalité ou une partie d’une telle demande, la possibilité de solliciter, notamment auprès de l’assujetti ou des autorités compétentes de l’État membre d’établissement, des informations complémentaires, lesquelles doivent être fournies dans un délai d’un mois à compter de la date de réception de la demande d’informations par le destinataire.

80

Il y a également lieu de rappeler que la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est, certes, un objectif reconnu et encouragé par les dispositions du droit de l’Union en matière de TVA. Toutefois, les mesures adoptées par les États membres ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs. Elles ne peuvent, dès lors, être utilisées de manière telle qu’elles remettraient systématiquement en cause le droit au remboursement de la TVA et, partant, la neutralité de la TVA [voir, par analogie, arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 48 et jurisprudence citée, ainsi que arrêt du 18 novembre 2020, Commission/Allemagne (Remboursement de TVA – Factures), C‑371/19, non publié, EU:C:2020:936, point 83].

81

Par conséquent, ce n’est que si un document est entaché de vices tels qu’ils privent l’administration fiscale nationale des données nécessaires pour fonder une demande de remboursement qu’il est possible de considérer qu’un tel document ne constitue pas une « facture », au sens de la directive TVA, de sorte que le droit au remboursement ne pouvait être exercé lorsque l’assujetti est entré en possession de celui-ci.

82

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que les articles 167 à 171 et 178 de la directive TVA ainsi que la directive 2008/9 doivent être interprétés en ce sens que le droit au remboursement de la TVA ayant grevé une livraison de biens ne peut pas être exercé par un assujetti établi non pas dans l’État membre du remboursement, mais dans un autre État membre, si cet assujetti ne détient pas une facture, au sens de la directive TVA, relative à l’achat des biens concernés. Ce n’est que si un document est entaché de vices tels qu’ils privent l’administration fiscale nationale des données nécessaires pour fonder une demande de remboursement qu’il est possible de considérer qu’un tel document ne constitue pas une « facture », au sens de la directive TVA.

Sur les deuxième et quatrième questions

83

Par ses deuxième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 167 à 171 et 178 de la directive TVA ainsi que l’article 14, paragraphe 1, sous a), première hypothèse, de la directive 2008/9 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une demande de remboursement de la TVA afférente à une période du remboursement donnée soit rejetée au motif que cette TVA est devenue exigible au cours d’une période du remboursement antérieure, alors qu’elle n’a été facturée qu’au cours de cette période donnée.

84

Ainsi que cela a déjà été rappelé au point 57 du présent arrêt, il résulte de l’article 63 de la directive TVA que le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée. De plus, selon l’article 167 et l’article 179, premier alinéa, de cette directive, le droit à déduction de la TVA s’exerce, en principe, au cours de la même période que celle pendant laquelle il a pris naissance, à savoir au moment où la taxe devient exigible (arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 44).

85

Cependant, d’une part, ainsi qu’il résulte du point 82 du présent arrêt, il est nécessaire, pour que l’assujetti établi non pas dans l’État membre du remboursement, mais dans un autre État membre, puisse exercer le droit au remboursement de la TVA ayant grevé une livraison de biens ou une prestation de services, tel qu’il est prévu par les articles 170 et 171 de la directive TVA ainsi que par la directive 2008/9, que cet assujetti détienne une facture, au sens de la directive TVA, afférente à l’achat des biens ou des services concernés.

86

D’autre part, l’article 14 de la directive 2008/9 prévoit, à son paragraphe 1, sous a), que la demande de remboursement concerne l’achat de biens ou de services qui a été facturé au cours de la période du remboursement, à condition que la taxe soit devenue exigible avant ou au moment de la facturation, ou pour lesquels la taxe est devenue exigible au cours de la période du remboursement, à condition que l’achat ait été facturé avant que la taxe ne soit devenue exigible.

87

Il découle de ces éléments que, s’agissant des assujettis établis non pas dans l’État membre du remboursement, mais dans un autre État membre, et à condition que la taxe soit devenue exigible avant ou au moment de la facturation, c’est la date à laquelle l’assujetti est entré en possession d’une facture, au sens de la directive TVA, afférente à l’achat des biens ou des services en cause qui détermine les achats pouvant être concernés par une demande de remboursement. Par conséquent, une demande de remboursement de la TVA ne saurait être rejetée au seul motif que la TVA grevant une livraison de biens ou une prestation de services et dont le remboursement est demandé est devenue exigible au cours d’une période du remboursement donnée, alors que cet achat n’a été facturé qu’au cours d’une période du remboursement ultérieure.

88

Eu égard à l’ensemble des éléments qui précèdent, il convient de répondre aux deuxième et quatrième questions que les articles 167 à 171 et 178 de la directive TVA ainsi que l’article 14, paragraphe 1, sous a), première hypothèse, de la directive 2008/9 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une demande de remboursement de la TVA afférente à une période du remboursement donnée soit rejetée au seul motif que cette TVA est devenue exigible au cours d’une période du remboursement antérieure, alors qu’elle n’a été facturée qu’au cours de cette période donnée.

Sur la troisième question

89

À titre liminaire, il convient de relever, tout d’abord, que la troisième question se fonde implicitement sur la prémisse selon laquelle les documents détenus par l’assujetti en cause au principal au cours de l’année 2012 et sur la base desquels a été présentée la demande de remboursement qui a été rejetée par la décision du 14 janvier 2014 constituaient bien des factures, au sens de la directive TVA. En effet, si tel n’était pas le cas, il résulterait des réponses aux première, deuxième et quatrième questions, exposées aux points 82 et 88 du présent arrêt, que cet assujetti ne pouvait pas, avant l’année 2015, exercer son droit au remboursement, étant donné que ce ne serait qu’au cours de cette année qu’il serait entré en possession de telles factures. Or, dans une telle circonstance, cette troisième question serait dépourvue d’utilité pour la solution du litige au principal.

90

Ensuite, il ressort de la décision de renvoi que l’extourne d’une facture par un fournisseur produit, en droit national, les mêmes effets qu’une annulation de celle-ci. Néanmoins, il ne ressort pas de cette décision que cette extourne aurait été effectuée de manière consensuelle et il n’en ressort pas davantage que les opérations auxquelles les factures établies au cours de l’année 2015 se rapportent, effectuées au cours de l’année 2012, auraient elles-mêmes été annulées ni qu’un remboursement du prix versé aurait été effectué en conséquence.

91

Enfin, la décision de renvoi ne fait pas apparaître que la décision du 14 janvier 2014 aurait été contestée par l’assujetti, ce que Wilo Salmson ne prétend d’ailleurs même pas dans les observations qu’elle a déposées à la Cour. Il convient donc, sous réserve des vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, de partir également de la prémisse selon laquelle, au moment où Zollner a procédé à l’extourne en cause au principal et à l’émission de nouvelles factures, cette décision était devenue définitive, comme le soutient d’ailleurs le gouvernement roumain dans les observations qu’il a déposées devant la Cour.

92

Dans ces conditions, il convient de comprendre que, par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 167 à 171 et 178 de la directive TVA ainsi que la directive 2008/9 doivent être interprétés en ce sens que l’annulation unilatérale d’une facture par un fournisseur, postérieurement à l’adoption par l’État membre du remboursement d’une décision rejetant la demande de remboursement qui était fondée sur celle-ci, et alors que cette décision est déjà devenue définitive, suivie de l’émission par ce fournisseur, au cours d’une période du remboursement ultérieure, d’une nouvelle facture afférente aux mêmes livraisons, sans que celles-ci ne soient remises en cause, a une incidence sur l’existence du droit au remboursement de la TVA qui a déjà été exercé et sur la période au titre de laquelle celui-ci doit l’être.

93

Il convient de relever que l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2008/9 prévoit que la demande de remboursement est introduite auprès de l’État membre d’établissement « au plus tard le 30 septembre de l’année civile qui suit la période du remboursement ». Ce délai est un délai de forclusion, dont le non-respect entraîne la déchéance du droit au remboursement de la TVA (voir, en ce sens, arrêts du 21 juin 2012, Elsacom, C‑294/11, EU:C:2012:382, points 26 et 33, ainsi que du 2 mai 2019, Sea Chefs Cruise Services, C‑133/18, EU:C:2019:354, point 39). En effet, la possibilité d’introduire une demande de remboursement de la TVA sans aucune limitation dans le temps irait à l’encontre du principe de sécurité juridique, qui exige que la situation fiscale de l’assujetti, eu égard à ses droits et obligations à l’égard de l’administration fiscale, ne soit pas indéfiniment susceptible d’être remise en cause (voir, par analogie, arrêt du 21 juin 2012, Elsacom, C‑294/11, EU:C:2012:382, point 29 et jurisprudence citée).

94

De plus, conformément au paragraphe 1 de l’article 23 de la directive 2008/9, lorsque la demande de remboursement est rejetée en totalité ou en partie, les motifs du rejet sont notifiés au requérant, au sens de cette directive, par l’État membre du remboursement en même temps que la décision de rejet et, conformément au paragraphe 2 de cet article, des recours contre une décision de rejet d’une demande de remboursement peuvent être formés par le requérant auprès des autorités compétentes de l’État membre du remboursement, dans les formes et les délais prévus pour les réclamations relatives aux remboursements demandés par des personnes établies dans cet État membre.

95

À cet égard, la Cour a reconnu la compatibilité avec le droit de l’Union de la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion dans l’intérêt de la sécurité juridique, qui protège à la fois le contribuable et l’administration concernés. En effet, de tels délais ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, même si, par définition, l’écoulement de ces délais entraîne le rejet, total ou partiel, de l’action intentée (arrêts du 14 juin 2017, Compass Contract Services, C‑38/16, EU:C:2017:454, point 42 et jurisprudence citée, ainsi que du 2 juillet 2020, Terracult, C‑835/18, EU:C:2020:520, point 32 et jurisprudence citée).

96

Or, ainsi que Mme l’avocate générale l’a également relevé, en substance, aux points 100 et 101 de ses conclusions, admettre que, dans des circonstances telles que celles décrites au point 92 du présent arrêt, l’annulation unilatérale d’une facture par un fournisseur, après qu’une décision de rejet d’une première demande de remboursement fondée sur celle-ci est devenue définitive, suivie de son remplacement par l’émission d’une nouvelle facture relative aux mêmes achats, permet à l’assujetti, sur la base de cette dernière, de présenter à nouveau une demande de remboursement de la TVA afférente aux mêmes achats en relation avec une période du remboursement ultérieure, aurait pour effet de permettre un contournement tant du délai de forclusion prévu à l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2008/9 pour introduire une demande de remboursement que du délai de recours contre cette décision de rejet, prévu par l’État membre concerné en vertu de l’article 23, paragraphe 2, de cette directive, ce qui viderait ces dispositions de tout effet utile et porterait atteinte à la sécurité juridique.

97

Par ailleurs, certes, d’une part, la directive TVA prévoit la possibilité de régulariser les déductions initialement opérées lorsqu’elles sont supérieures ou inférieures à celles que l’assujetti était en droit d’opérer, conformément aux dispositions du titre X, chapitre 5, de celle-ci. Ainsi, l’article 185 de cette directive vise notamment les cas d’achats annulés, la détermination des modalités d’application de cet article relevant des États membres, conformément à l’article 186 de ladite directive. En outre, ainsi qu’il ressort de son article 219, la même directive prévoit la possibilité de rectifier une facture, en particulier lorsqu’elle est erronée ou que certaines mentions obligatoires ont été omises sur celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Senatex, C‑518/14, EU:C:2016:691, points 32 et 34 ainsi que jurisprudence citée). D’autre part, l’article 13 de la directive 2008/9 permet de corriger une demande de remboursement lorsque, après l’introduction de celle-ci, la proportion déductible est corrigée en vertu de l’article 175 de la directive TVA.

98

Toutefois, il y a lieu de constater que des circonstances telles que celles décrites au point 92 du présent arrêt ne font nullement apparaître que serait en cause une régularisation du droit au remboursement en conséquence de laquelle une nouvelle demande de remboursement aurait été introduite, ni même une rectification des factures émises au cours d’une période du remboursement antérieure, aucune indication en ce sens n’étant d’ailleurs, en l’occurrence, fournie par la juridiction de renvoi et la troisième question posée reposant, au contraire et comme cela a déjà été constaté au point 89 du présent arrêt, sur la prémisse selon laquelle le droit au remboursement a pu utilement être exercé sur le fondement des factures initiales.

99

Dans ces circonstances, la jurisprudence de la Cour relative à la régularisation des déductions ou à l’éventuel effet rétroactif de factures rectificatives ne saurait renverser la constatation effectuée au point 96 du présent arrêt.

100

Par conséquent, eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que les articles 167 à 171 et 178 de la directive TVA ainsi que la directive 2008/9 doivent être interprétés en ce sens que l’annulation unilatérale d’une facture par un fournisseur, postérieurement à l’adoption par l’État membre du remboursement d’une décision rejetant la demande de remboursement de la TVA qui était fondée sur celle-ci, et alors que cette décision est déjà devenue définitive, suivie de l’émission par ce fournisseur, au cours d’une période du remboursement ultérieure, d’une nouvelle facture afférente aux mêmes livraisons, sans que celles-ci ne soient remises en cause, n’a aucune incidence sur l’existence du droit au remboursement de la TVA qui a déjà été exercé ni sur la période au titre de laquelle celui-ci doit l’être.

Sur les dépens

101

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

 

1)

Les articles 167 à 171 et 178 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010, ainsi que la directive 2008/9/CE du Conseil, du 12 février 2008, définissant les modalités du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, prévu par la directive 2006/112, en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l’État membre du remboursement, mais dans un autre État membre, doivent être interprétés en ce sens que le droit au remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ayant grevé une livraison de biens ne peut pas être exercé par un assujetti établi non pas dans l’État membre du remboursement, mais dans un autre État membre, si cet assujetti ne détient pas une facture, au sens de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2010/45, relative à l’achat des biens concernés. Ce n’est que si un document est entaché de vices tels qu’ils privent l’administration fiscale nationale des données nécessaires pour fonder une demande de remboursement qu’il est possible de considérer qu’un tel document ne constitue pas une « facture », au sens de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2010/45.

 

2)

Les articles 167 à 171 et 178 de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2010/45, ainsi que l’article 14, paragraphe 1, sous a), première hypothèse, de la directive 2008/9 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une demande de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) afférente à une période du remboursement donnée soit rejetée au seul motif que cette TVA est devenue exigible au cours d’une période du remboursement antérieure, alors qu’elle n’a été facturée qu’au cours de cette période donnée.

 

3)

Les articles 167 à 171 et 178 de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2010/45, ainsi que la directive 2008/9 doivent être interprétés en ce sens que l’annulation unilatérale d’une facture par un fournisseur, postérieurement à l’adoption par l’État membre du remboursement d’une décision rejetant la demande de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui était fondée sur celle-ci, et alors que cette décision est déjà devenue définitive, suivie de l’émission par ce fournisseur, au cours d’une période du remboursement ultérieure, d’une nouvelle facture afférente aux mêmes livraisons, sans que celles-ci ne soient remises en cause, n’a aucune incidence sur l’existence du droit au remboursement de la TVA qui a déjà été exercé ni sur la période au titre de laquelle celui-ci doit l’être.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le roumain.