C-598/20 - Pilsētas zemes dienests

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ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

1er décembre 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Harmonisation des législations fiscales – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Exonérations – Article 135, paragraphe 1, sous l), et paragraphe 2 – Affermage et location de biens immeubles – Exclusion de l’exonération du bail obligatoire d’un terrain aux propriétaires des immeubles bâtis – Principe de neutralité fiscale »

Dans l’affaire C‑598/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle, Lettonie), par décision du 11 novembre 2020, parvenue à la Cour le 13 novembre 2020, dans la procédure

« Pilsētas zemes dienests » AS

en présence de :

Latvijas Republikas Saeima,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. F. Biltgen (rapporteur), faisant fonction de président de chambre, Mme L. S. Rossi et M. N. Wahl, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour « Pilsētas zemes dienests » AS, par M. D. Rapoports,

–        pour le gouvernement letton, initialement par Mmes K. Pommere et V. Soņeca ainsi que par M. E. Bārdiņš, puis par Mme K. Pommere et M. E. Bārdiņš, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme L. Lozano Palacios et M. E. Kalniņš, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 135, paragraphe 1, sous l), et paragraphe 2, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »), ainsi que du principe de neutralité fiscale.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours constitutionnel introduit par « Pilsētas zemes dienests » AS (ci-après « PZD ») devant la Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle, Lettonie) au sujet de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) des loyers perçus en contrepartie de la location obligatoire de terrains aux propriétaires d’immeubles bâtis.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 25, sous c), de la directive TVA dispose :

« Une prestation de services peut consister, entre autres, en une des opérations suivantes :

[...]

c)      l’exécution d’un service en vertu d’une réquisition faite par l’autorité publique ou en son nom ou aux termes de la loi. »

4        L’article 135 de la directive TVA prévoit :

« 1.      Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

[...]

l)      l’affermage et la location de biens immeubles.

2.      Sont exclues de l’exonération prévue au paragraphe 1, point l), les opérations suivantes :

a)      les opérations d’hébergement telles qu’elles sont définies dans la législation des États membres qui sont effectuées dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire, y compris les locations de camps de vacances ou de terrains aménagés pour camper ;

b)      les locations d’emplacements pour le stationnement des véhicules ;

c)      les locations d’outillages et de machines fixés à demeure ;

d)      les locations de coffres-forts.

Les États membres peuvent prévoir des exclusions supplémentaires au champ d’application de l’exonération prévue au paragraphe 1, [sous] l). »

 Le droit letton

 La Constitution

5        L’article 91, première phrase, de la Latvijas Republikas Satversme (Constitution de la République de Lettonie, ci-après la « Constitution ») dispose :

« Tous les êtres humains en Lettonie sont égaux devant la loi et les tribunaux. »

6        Aux termes de l’article 105, première à troisième phrase, de la Constitution :

« Toute personne a le droit de posséder des biens. La propriété ne doit pas être utilisée de manière contraire aux intérêts du public. Le droit de propriété ne peut être restreint que conformément à la loi. »

 La loi sur la TVA

7        La Pievienotās vērtības nodokļa likums (loi sur la taxe sur la valeur ajoutée), du 29 novembre 2012 (Latvijas Vēstnesis, 2012, no 197) (ci-après la « loi sur la TVA »), transpose la directive TVA en droit letton.

8        En vertu de l’article 1er, paragraphe 14, sous c), de la loi sur la TVA, la prestation de services est une opération qui exclut la fourniture d’un bien et la location de biens est également considérée comme une prestation de services au sens de cette loi.

9        Conformément à l’article 5, paragraphe 1, point 2, de la loi sur la TVA, la prestation de services à titre onéreux dans le cadre d’une activité économique est soumise à la TVA. Par « activité économique », au sens de l’article 4 de cette loi, il y a lieu d’entendre toute activité indépendante et continue exercée à titre onéreux, y compris l’exploitation de biens en vue d’en tirer un revenu régulier.

10      L’article 34, paragraphe 7, de la loi sur la TVA prévoit que la valeur imposable d’une opération de location comprend tous les paiements stipulés dans le contrat de bail.

11      En vertu de l’article 52, premier alinéa, point 25, de la loi sur la TVA, le seul service de location des immeubles ou d’affermage exonéré de la TVA est la location résidentielle (à l’exception des services d’hébergement dans des établissements d’hébergement – hôtels, motels, maisons d’hôtes, maisons de campagne, campings et logements touristiques).

12      Aux termes de l’article 84, paragraphe 1, de la loi sur la TVA, la TVA est versée au budget de l’État par tout assujetti qui figure ou qui, conformément à cette loi, doit figurer au registre des assujettis à la TVA tenu par l’administration fiscale nationale et qui effectue des opérations imposables sur le territoire national, sauf disposition contraire dans ladite loi.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13      Après la restauration de l’indépendance de la République de Lettonie, le législateur national a entrepris une réforme foncière en vue de rétablir la justice sociale, mise à mal par l’expropriation, illégale et sans paiement d’une indemnité, des biens appartenant au peuple letton lors de l’occupation soviétique. La propriété des terrains qui avaient été nationalisés a été restituée à leurs anciens propriétaires ou à leurs héritiers. Des immeubles, y compris des immeubles de logements collectifs d’État et des collectivités locales, avaient cependant été construits sur ces terrains. Le législateur national a alors privatisé ces immeubles et prévu que les droits de propriété sur les appartements, les locaux non résidentiels et les ateliers d’artistes de ces immeubles pouvaient être acquis non seulement par des propriétaires fonciers, mais également par d’autres personnes. Pour ce faire, il a introduit une exception au principe de l’unité du terrain et des bâtiments inscrit à l’article 968 du Civillikums (code civil), selon lequel un immeuble érigé sur le sol et étroitement lié à celui–ci est réputé faire partie du sol. Aux fins de réglementer les relations juridiques résultant de la propriété divisée forcée qui se sont établies entre les propriétaires fonciers et les propriétaires d’immeubles, le législateur national a institué un « bail obligatoire » en vertu duquel le propriétaire du terrain est tenu de conclure un contrat de location de terrains avec le propriétaire de l’immeuble. L’Augstākā tiesa (Cour suprême, Lettonie) a jugé que les relations juridiques entre les parties à un tel contrat ne sont qu’en apparence de nature contractuelle, dès lors qu’elles résultent du bail obligatoire prévu par la loi.

14      PZD est propriétaire d’un terrain sur lequel sont situés des immeubles de logements collectifs appartenant à d’autres personnes. Le terrain a été acquis en vertu d’un acte juridique. Il existe une relation de « bail obligatoire », au sens de la réglementation nationale, entre PZD et les propriétaires des immeubles de logements collectifs concernés. PZD est enregistrée en tant qu’assujettie à la TVA depuis le 6 janvier 2002. L’une de ses activités principales est la location et la gestion de biens immobiliers propres ou loués.

15      Jusqu’au 30 avril 2019, le montant du loyer tiré de la location obligatoire de terrains était encadré par le législateur au moyen de dispositions juridiques. Depuis le 1er mai 2019, les dispositions applicables énoncent que le montant de ce même loyer est déterminé par un accord écrit conclu entre les parties. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant du loyer, celui–ci sera déterminé par un tribunal conformément à l’article 2123 du code civil.

16      PZD et les propriétaires de l’immeuble de logements collectifs n’étant pas parvenus à s’entendre sur la conclusion du contrat de bail ni sur le montant du loyer, elle a formé un recours pour réclamer auxdits propriétaires le loyer tiré de la location obligatoire du terrain, y compris le montant de la TVA correspondant à ces revenus. La juridiction saisie a fait droit à la demande de PZD visant à obtenir le loyer tiré de la location obligatoire de son terrain, mais a rejeté la demande de paiement du montant de TVA correspondant.

17      PZD a alors saisi la Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle) d’un recours concernant la compatibilité avec la Constitution de l’article 1er, paragraphe 14, sous c), de la loi sur la TVA.

18      PZD considère que cette disposition est contraire à l’article 91, première phrase, et à l’article 105, première à troisième phrase, de la Constitution, dans la mesure où cette loi s’applique aux locations de terrains en cas de bail obligatoire. Elle estime que le fait de devoir payer la TVA sur les loyers perçus entraînerait une réduction considérable de ses revenus, ce qui porterait atteinte à son droit à la propriété, reconnu par l’article 105 de la Constitution.

19      La juridiction de renvoi expose que la Latvijas Republikas Saeima (Parlement, Lettonie), qui a adopté la loi sur la TVA, considère que l’article 135, paragraphe 2, de la directive TVA lui permet d’introduire des exceptions à l’exonération de la TVA prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous l), de cette directive. Les États membres seraient donc en droit de déterminer que la location d’un terrain est soumise à la TVA dans le cas où le propriétaire, inscrit au registre des contribuables de la TVA et qui a acquis le terrain pour réaliser un profit, est conscient de l’existence d’un bail obligatoire. En contrepartie, le propriétaire de l’immeuble payerait le loyer obligatoire indiqué sur la facture, qui comprendrait également le montant de la TVA. Par conséquent, la location d’un terrain dans le cas d’un bail obligatoire devrait être considérée comme une prestation de services soumise à la TVA.

20      La juridiction de renvoi relève que la Cour n’a pas encore été amenée à interpréter l’article 135 de la directive TVA lorsqu’est en cause la location de terrains sous un régime de bail obligatoire.

21      Dans ces conditions, la Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’exonération de la [TVA] en matière de location de biens immeubles, prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous l), de la [directive TVA], doit-elle être interprétée comme s’appliquant à la location de terrains en cas de bail obligatoire ?

2)      Dans l’hypothèse où la première question appellerait une réponse affirmative, à savoir que la location de terrains en cas de bail obligatoire est exonérée de la [TVA], le fait de soumettre la location de terrains à la [TVA] dans tous les autres cas conduit-il à considérer que l’exonération en question est contraire à l’un des principes de la [directive TVA], à savoir le principe de neutralité de la [TVA] ? »

 Sur les questions préjudicielles

22      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut, notamment lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, décider, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée.

23      Il convient de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

 Sur la première question

24      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 135, paragraphe 1, sous l), et paragraphe 2, de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale en vertu de laquelle la location de terrains sous un régime de bail obligatoire est exclue de l’exonération de la TVA.

25      En vue de répondre à cette question, il convient, d’abord, de relever que, en vertu de l’article 25, sous c), de la directive TVA, une prestation de services peut consister, entre autres, en « l’exécution d’un service en vertu d’une réquisition faite par l’autorité publique ou en son nom ou aux termes de la loi ».

26      En outre, selon la jurisprudence de la Cour, la circonstance qu’une activité exercée par un assujetti consiste dans l’exercice de fonctions qui lui sont conférées par la législation nationale est, en soi, sans pertinence aux fins de la qualification de ces prestations d’« activités économiques » (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2020, WEG Tevesstraße, C‑449/19, EU:C:2020:1038, point 35 et jurisprudence citée).

27      Partant, contrairement à ce qui a été avancé par PZD, il ne saurait être considéré que, en raison du seul fait qu’elle est imposée par la loi, une location d’un terrain sous le régime du bail forcé ne constitue pas une prestation de services au sens de la directive TVA.

28      Il importe, ensuite, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les termes employés pour désigner les exonérations visées à l’article 135, paragraphe 1, de la directive TVA, y compris les notions d’« affermage » et de « location de biens immeubles », sont d’interprétation stricte, étant donné que ces exonérations constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti (arrêt du 19 décembre 2018, Mailat, C‑17/18, EU:C:2018:1038, point 37 et jurisprudence citée).

29      À cet égard, il convient d’ajouter que la Cour a déjà jugé que les exceptions à une telle disposition dérogatoire à l’application de la TVA, qui ont pour effet que les opérations qu’elles visent sont soumises à la taxation qui constitue la règle de principe à la base de la directive TVA, doivent recevoir une interprétation large (voir, en ce sens, arrêt du 28 octobre 2010, Axa UK, C‑175/09, EU:C:2010:646, point 30 et jurisprudence citée).

30      Il s’ensuit que l’article 135, paragraphe 2, second alinéa, de la directive TVA, en ce qu’il permet aux États membres de prévoir des exclusions supplémentaires au champ d’application de l’exonération prévue au paragraphe 1, sous l), de cet article, doit recevoir une interprétation large.

31      Or, en l’occurrence, il apparaît qu’une location de terrain sous le régime du bail obligatoire correspond à une « location de biens immeubles » telle que définie par la Cour, à savoir le droit donné par le propriétaire d’un immeuble au locataire, contre rémunération et pour une durée convenue, d’occuper cet immeuble et d’exclure toute autre personne du bénéfice d’un tel droit (arrêt du 19 décembre 2018, Mailat, C‑17/18, EU:C:2018:1038, point 36 et jurisprudence citée).

32      Force est, enfin, de constater que, au point 15 de son arrêt du 3 février 2000, Amengual Far (C‑12/98, EU:C:2000:62), la Cour a jugé que l’article 13, B, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1), qui prévoyait déjà l’exonération de l’affermage et de la location des biens immeubles, abrogé et remplacé en termes quasi identiques par l’article 135, paragraphe 2, de la directive TVA, « permet aux États membres, par une règle générale, de soumettre à la TVA les locations de biens immeubles et, à titre d’exception, d’en exonérer les seules locations de biens immeubles destinés à l’habitation ».

33      À cet égard, il ressort du dossier dont dispose la Cour que c’est précisément une telle règle générale que le législateur letton a instauré à l’article 52, premier alinéa, point 25, de la loi sur la TVA.

34      Au vu de ces considérations, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 135, paragraphe 1, sous l), et paragraphe 2, de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une législation nationale en vertu de laquelle la location de terrains sous un régime de bail obligatoire est exclue de l’exonération de la TVA.

 Sur la seconde question

35      Compte tenu de la réponse donnée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

 Sur les dépens

36      La procédure revêtant à l’égard des parties au principal le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

L’article 135, paragraphe 1, sous l), et paragraphe 2, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une législation nationale en vertu de laquelle la location de terrains sous un régime de bail obligatoire est exclue de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée.

Signatures


*      Langue de procédure : le letton.