C-335/19 - E.

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Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 4 juin 2020 (1)

Affaire C335/19

E. Sp. z o.o. Sp. k.

contre

Minister Finansów

(Demande de décision préjudicielle formée par le Naczelny Sąd Administracyjny [Cour suprême administrative, Pologne])

« Demande de décision préjudicielle – Législation fiscale – Taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Article 90 et article 185 – Réduction de la base d’imposition – Non-paiement total ou partiel du prix – Nécessité que le destinataire de la prestation ne soit ni insolvable ni en liquidation – Régularisation correspondante de la déduction initialement opérée – Moment de la régularisation »






I.      Introduction

1.        À quelles conditions un assujetti peut-il régulariser la taxe due, lorsque son cocontractant n’a l’a pas payé ? Il s’agit là, en fin de compte, d’une question qui revient régulièrement devant la Cour (2). Elle soulève un problème fondamental d’un système de fiscalité indirecte, notamment lorsque deux entreprises sont impliquées. En effet, la régularisation de la taxe due par le prestataire a pour corollaire la régularisation de la déduction effectuée par le destinataire de la prestation. Cette dernière, cependant, finit en général par ne pas se produire, lorsque le destinataire de la prestation se trouve dans une procédure d’insolvabilité, voire a déjà fait l’objet d’une liquidation. L’État se retrouve alors les mains vides.

2.        Le législateur polonais exclut ce risque de pertes de recettes fiscales en ce qu’il ne permet une régularisation de la taxe due par le prestataire que lorsque le destinataire de la prestation, au moment de la prestation, ne se trouve pas encore dans une procédure d’insolvabilité ou de liquidation. Ainsi, c’est sur le prestataire que pèse le risque d’avoir à s’acquitter d’une taxe qu’il n’a pas pu encaisser. La Cour est appelée à décider si cela est compatible avec la fonction de celui‑ci de « collecter de taxes pour le compte de l’État » (3).

3.        L’intérêt légitime de la Pologne et de l’Union à ce que soit évité une perte de TVA peut toutefois être poursuivi autrement. C’est pourquoi, la Cour devrait saisir l’occasion de la présente demande de décision préjudicielle pour se prononcer également sur le moment auquel s’opère une régularisation de la taxe payée en amont par le destinataire de la prestation, lorsque ce dernier n’a pas encore payé la contrepartie et n’est donc pas tenu de s’acquitter de la taxe sur la valeur ajoutée.

II.    Cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

4.        Le cadre juridique en droit de l’Union es constitué par les articles 73, 90 184, 185 et 273 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (ci‑après la « directive TVA ») (4).

5.        L’article 73 de la directive TVA définit la base d’imposition :

« Pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées aux articles 74 à 77, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acquéreur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ».

6.        L’article 90 de la directive TVA régit la modification, a posteriori, de la base d’imposition et les conséquences pour le prestataire :

« (1) En cas d’annulation, de résiliation, de résolution, de non‑paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans les conditions déterminées par les États membres.

(2) En cas de non‑paiement total ou partiel, les États membres peuvent déroger au paragraphe 1 ».

7.        Les articles 184 et 185 de la directive TVA concernent la régularisation des déductions du destinataire des prestations en cas de modifications a posteriori. L’article 184 prévoit :

« La déduction initialement opérée est régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer ».

8.        L’article 185 de la directive TVA prévoit :

« (1) La régularisation a lieu notamment lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA, entre autres en cas d’achats annulés ou en cas de rabais obtenus.

(2) Par dérogation au paragraphe 1, il n’y a pas lieu à régularisation en cas d’opérations totalement ou partiellement impayées, en cas de destruction, de perte ou de vol dûment prouvés ou justifiés et en cas de prélèvements effectués pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons visés à l’article 16.

En cas d’opérations totalement ou partiellement impayées et en cas de vol, les États membres peuvent toutefois exiger la régularisation ».

9.        L’article 273 de la directive TVA prévoit des possibilités pour les États membres de lutter contre l’évasion fiscale etc. :

« Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière. La faculté prévue

La faculté prévue au premier alinéa ne peut être utilisée pour imposer des obligations de facturation supplémentaires à celles fixées au chapitre 3. »

B.      Droit polonais

10.      Ces dispositions du droit de l’Union ont été transposées en droit polonais par la loi relative à la taxe sur les biens et services (Ustawa o podatku od towarów i usług, Dz. U. 2011, no 177, position 1054 telle que modifiée, ci‑après la « loi sur la TVA »), du 11 mars 2004.

11.      L’article 89a de la loi sur la TVA dispose :

« (1)      Un assujetti peut régulariser la base d’imposition et la TVA exigible au titre d’une livraison de biens ou d’une prestation de services effectuée sur le territoire national en cas de créances dont il justifie du caractère vraisemblablement irrécouvrable. La régularisation concerne également la base d’imposition et le montant de TVA afférents à la fraction desdites créances dont il justifie du caractère vraisemblablement irrécouvrable.

(1a)      Une créance est considérée comme vraisemblablement irrécouvrable lorsqu’elle n’a été ni réglée ni cédée sous quelque forme que ce soit dans les 150 jours suivant l’expiration du délai de paiement indiqué au contrat ou sur la facture.

(2)      Le paragraphe 1 s’applique lorsque les conditions suivantes sont réunies :

1)      la livraison du bien ou la prestation de services est effectuée pour un assujetti visé à l’article 15, paragraphe 1, enregistré en tant qu’assujetti à la TVA et ne faisant pas l’objet d’une procédure d’insolvabilité ou de liquidation ;

[…]

3)      au jour qui précède celui du dépôt de la déclaration fiscale comportant la régularisation visée au paragraphe 1 :

a)      le créancier et le débiteur sont enregistrés en tant qu’assujettis à la TVA,

b)      le débiteur ne fait pas l’objet d’une procédure d’insolvabilité ou de liquidation ;

[…]

5)      la période écoulée depuis la date d’émission de la facture établissant la créance, calculée à compter de la fin de l’année où elle a été émise, n’excède pas deux ans ;

(3)      La régularisation visée au paragraphe 1 peut être effectuée dans la déclaration fiscale afférente à la période au cours de laquelle il a été justifié du caractère vraisemblablement irrécouvrable de la créance, à condition que celle‑ci n’ait été ni réglée ni cédée sous quelque forme que ce soit au jour du dépôt de ladite déclaration fiscale par le créancier pour cette période.

(4)      Lorsque, à la suite du dépôt de la déclaration fiscale comportant la régularisation visée au paragraphe 1, la créance est réglée ou cédée sous quelque forme que ce soit, le créancier est tenu d’augmenter la base d’imposition ainsi que le montant de la TVA exigible dans la déclaration afférente à la période au cours de laquelle cette créance a été réglée ou cédée. Si la créance n’a été réglée qu’en partie, la base d’imposition ainsi que le montant de la TVA exigible augmentent à due concurrence de cette partie.

(5)      Lors du dépôt de la déclaration fiscale dans laquelle il apporte une rectification, au sens du paragraphe 1, le créancier est tenu d’informer de cette rectification le directeur de l’administration fiscale compétent, en lui en indiquant le montant ainsi que les coordonnées du débiteur.

[…]

(7)      Les paragraphes 1 à 5 ne s’appliquent pas lorsque le créancier et le débiteur sont liés par l’une des relations visées à l’article 32, paragraphes 2 à 4.

(8)      Le ministre compétent en matière de finances publiques définit, par voie d’arrêté, le modèle de l’information visée au paragraphe 5, […] ».

12.      L’article 89b de la loi sur la TVA prévoit :

« (1)      Lorsqu’une facture établie pour une livraison de biens ou une prestation de services effectuée sur le territoire national n’a pas été réglée dans les 150 jours suivant l’expiration du délai de paiement indiqué au contrat ou sur la facture, le débiteur est tenu de régulariser la déduction de TVA afférente à ladite facture, dans une déclaration afférente à la période de 150 jours suivant l’expiration du délai de paiement indiqué au contrat ou sur la facture.

(1a)      Le paragraphe 1 ne s’applique pas si le débiteur a réglé la créance au plus tard le dernier jour de la période de 150 jours suivant l’expiration du délai de paiement de ladite créance.

[…]

(2)      Lorsque la créance a été réglée en partie dans les 150 jours suivant l’expiration du délai de paiement indiqué au contrat ou sur la facture, la régularisation porte sur la TVA en amont afférente à la partie impayée de la créance. Les dispositions du paragraphe 1 s’appliquent mutatis mutandis.

[…]

(4)      En cas de paiement de la créance postérieurement à la régularisation visée au paragraphe 1, l’assujetti a le droit, dans la déclaration correspondant à la période au cours de laquelle la créance a été réglée, d’augmenter le montant de la TVA en amont du montant de la taxe visée au paragraphe 1. Si seule une partie de la créance a été réglée, la TVA en amont peut être augmentée à concurrence du montant afférent à cette partie.

[…]

(6)      Lorsqu’il est constaté que l’assujetti a manqué à son obligation au titre du paragraphe 1, le directeur de l’administration fiscale ou l’organe de contrôle fiscal impose une charge fiscale supplémentaire correspondant à 30 % du montant de résultant des factures impayées, qui n’a pas été régularisé conformément au paragraphe 1. La charge fiscale supplémentaire ne s’applique pas aux personnes physiques reconnues responsables d’une infraction fiscale au titre des mêmes faits ».

III. Les faits et la procédure préjudicielle

13.      Le litige qui a donné lieu à la demande de décision préjudicielle qui nous occupe a pour origine une demande de rescrit fiscal adressée par la E. sp. z o.o. (la partie requérante dans l’affaire au principal, ci‑après la « requérante ») au Minister Finansów (ministre des finances, Pologne).

14.      La requérante est enregistrée en tant qu’assujettie à la TVA. Elle exerce l’activité de prestation de services rémunérés de conseil dans le domaine fiscal notamment pour d’autres opérateurs économiques. La requérante a émis, pour l’un d’entre eux, une facture mentionnant la TVA pour les services de conseil dans le domaine fiscal qu’elle a fournis et qui étaient soumis à l’impôt sur le territoire national. Son client, au moment de la prestation de services, était enregistré en tant qu’assujetti à la TVA, ne faisait pas l’objet d’une procédure d’insolvabilité et n’était pas placé en liquidation. Au jour du dépôt de la demande de rescrit fiscal, la requérante n’avait toujours pas reçu la contreprestation facturée. Depuis l’émission de la facture, il ne s’est pas encore écoulé plus de deux ans. Toutefois, le délai imparti pour le paiement a été dépassé de plus de 150 jours.

15.      Au moment de la demande de rescrit fiscal, le débiteur était toujours enregistré en tant qu’assujetti à la TVA, mais avait été, entre-temps, placé en liquidation. Dans la demande de rescrit fiscal, la requérante souhaitait savoir si, dans ces circonstances, il est possible de régulariser la base d’imposition, et, par là-même, le montant de la TVA exigible en aval au titre de la prestation de services fournie sur le territoire national.

16.      Par rescrit fiscal du 12 janvier 2015, le ministre des Finances a établi que cela n’est pas possible. Il a motivé cette conclusion en faisant valoir que, selon l’article 89a, paragraphe 2, point 3, de la loi sur la TVA, le fait que le débiteur de la créance se trouve en liquidation s’oppose à la régularisation de la base d’imposition et donc de la taxe exigible. La disposition de l’article 90 de la directive TVA étant facultative pour les États membres, l’article 89a de la loi sur la TVA ne serait pas contraire à l’article 90 de la directive TVA.

17.      La requérante a formé un recours devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Szczecinie (tribunal administratif de voïvodie de Szczecin, Pologne) contre ledit rescrit fiscal. Son recours ayant été rejeté, elle s’est pourvue en cassation. Le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a suspendu la procédure et a saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE portant sur les deux questions suivantes :

1)      La directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), en particulier son article 90, paragraphe 2, autorise-t-elle, au regard des principes de neutralité fiscale et de proportionnalité, l’introduction, en droit national, de dispositions limitant la faculté de réduire la base d’imposition en cas de non‑paiement partiel ou total, selon le statut fiscal particulier du débiteur et du créancier ?

2)      Plus particulièrement, le droit de l’Union s’oppose-t-il à l’instauration, en droit national, de règles permettant de bénéficier d’un « allègement pour créances irrécouvrables » à condition que, à la date de l’exécution de la prestation de services ou de la livraison de biens, ainsi qu’au jour qui précède celui du dépôt de la régularisation de la déclaration fiscale visant à bénéficier dudit allègement :

–      le débiteur ne fasse pas l’objet d’une procédure d’insolvabilité ou de liquidation ?

–      le créancier et le débiteur soient enregistrés en tant qu’assujettis à la TVA ?

18.      Dans le cadre de la procédure devant la Cour, la requérante, la Pologne et la Commission européenne ont déposé des observations écrites.

IV.    Analyse juridique

A.      Sur les questions préjudicielles

19.      Par ces deux questions, auxquelles, comme l’a soutenu la Commission, il peut être répondu conjointement, la juridiction de renvoi souhaite savoir comment il convient d’interpréter l’article 90 de la directive TVA. Concrètement, celle‑ci souhaite savoir si ce dernier s’oppose à une disposition comme celle de l’article 89a de la loi sir la TVA. Selon ce dernier, une régularisation de la base d’imposition est exclue en cas d’insolvabilité ou de défaut d’enregistrement du bénéficiaire de la prestation, malgré le non‑paiement de la contreprestation convenue.

20.      Toutefois, pour autant que les questions du tribunal ont trait au fait que le débiteur de la créance (c’est‑à‑dire le bénéficiaire de la prestation) n’est plus, au moment de la régularisation, enregistré en tant qu’assujetti à la TVA, elles demeurent hypothétiques et sont de ce fait irrecevables (5). D’après l’exposé des faits qui a été présenté à la Cour, le débiteur de la requérante était enregistré comme assujetti à la TVA tant au moment où la prestation a été effectué qu’au moment de la demande. Les questions ne sont recevables que dans la mesure où elles portent sur le fait que le bénéficiaire de la prestation se trouve déjà dans une procédure d’insolvabilité ou de liquidation.

21.      La réponse à ces questions dépend de manière décisive de l’objectif poursuivi par l’article 90 de la directive TVA (voir section B). Celui-ci restreint les possibilités qu’ont les États membres de limiter une régularisation de la base d’imposition. Même si la Cour a une fois considéré, dans une décision, que l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA permettrait aux États membres de décider, en cas de non‑paiement du prix, « si une telle réduction n’est pas admise dans cette situation » (6), des décisions ultérieures (7) ont fait évoluer cette première décision (voir section C). Les États membres sont dès lors toujours tenus de justifier des restrictions à la régularisation de la base d’imposition par le prestataire assujetti à la TVA (voir section D)

22.      Toutefois, à y regarder de plus près, la question soulevée par la juridiction de renvoi est, en substance, celle de savoir si et comment le législateur national peut empêcher, d’une façon qui soit conforme au droit de l’Union, une mise en danger des recettes de la TVA induite par le système en cas de non‑paiement et d’insolvabilité ultérieure du bénéficiaire de la prestation. À cet égard, nous nous pencherons sur l’article 185 de la directive TVA.

B.      L’objectif de la régularisation de la base d’imposition

23.      Le point de départ devrait faire l’unanimité : La TVA est certes due par le prestataire.  Il existe cependant une jurisprudence constante de la Cour, en vertu de laquelle la TVA est un impôt indirect sur la consommation, lequel doit grever le consommateur final (8). L’entreprise assujettie agit à cet égard simplement « [un collecteur] de taxes pour le compte de l’État et dans l’intérêt du Trésor public » (9). La dette fiscale de l’entreprise prestataire ne remplit dès lors qu’une fonction technique qui résulte uniquement de la forme de perception indirecte de la TVA.

24.      D’un point de vue materiel, la TVA, en tant qu’impôt sur la consommation ne devrait pas frapper l’entreprise prestataire, mais la capacité financière du consommateurler, que celui‑ci manifeste par une dépense d’actifs en vue de se procurer un avantage exploitable (10). Cela apparaît d’une façon particulièrement claire dans la disposition de l’article 73 de la directive TVA. Selon cet article, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie « obtenue ou à obtenir » par le fournisseur ou le prestataire.

25.      C’est en conséquence que la Cour (11) a expressément considéré, à plusieurs reprises, que « la base d’imposition de la TVA à percevoir par les autorités fiscales ne peut pas être supérieure à la contrepartie effectivement payée par le consommateur final et sur laquelle a été calculée la TVA qui pèse en définitive sur ce consommateur ».

26.      Lorsque l’entreprise prestataire n’est pas payée par le bénéficiaire de la prestation, matériellement elle ne doit pas non plus de TVA. Le fait générateur de la TVA fait défaut, car l’entrepreneur n’a en définitive effectué aucune livraison ou prestation à titre onéreux au sens de l’article 2 de la directive TVA.

27.      La juridiction de renvoi n’a pas de motif, à cet égard, de craindre que la régularisation de la base imposable en cas de non‑paiement du prix ne donne lieu à une consommation finale non taxée. À défaut de rémunération – et au-delà des hypothèses des articles 14 et 26 de la directive TVA – il n’y a pas non plus de « consommation finale » à taxer, puisque le bénéficiaire n’a pas dépensé d’actifs à cet effet.

28.      Le fait générateur matériel en question doit être distingué de la technique d’imposition. Conformément à l’article 63 de la directive, la taxe devient déjà exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée. Il n’est pas décisif à cet égard que le destinataire ait bien payé la contrepartie (ce qu’il est convenu d’appeler le principe de taxation de la créance stipulée). Ce mode d’exigibilité de l’impôt se fonde clairement sur la présomption que normalement, à la suite d’une livraison ou prestation, la contrepartie contractuelle sera bien payée dans un délai proche.

29.      Néanmoins, lorsque le droit matériel n’impose que la dépense réelle déboursée par le bénéficiaire pour des produits ou service, tandis que la technique d’imposition tient quant à elle compte de la dépense convenue, il faudra tôt ou tard rendre compatibles ces deux systèmes. C’est ce que fait l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA en prescrivant que la dette fiscale initiale mise à charge de l’entreprise assujettie soit corrigée à due concurrence.

30.      Dès lors, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA constitue l’expression d’un principe fondamental de cette directive, selon lequel la base d’imposition est constituée par la contrepartie réellement reçue. Le corollaire de ce principe consiste en ce que l’administration fiscale ne saurait percevoir au titre de la TVA un montant supérieur à celui que l’assujetti avait perçu (12).

31.      L’article 90, paragraphe 1, constitue le contrepoids nécessaire de la technique d’imposition inscrite à l’article 63 de la directive (c’est‑à‑dire de ce qu’il est convenu d’appeler principe d’exigibilité immédiate de l’impôt sur la base de la créance stipulée) (13). Cette disposition oblige les États membres à réduire la base d’imposition à due concurrence (14).

C.      Les États membres ne sont pas habilités à exclure une réduction de la base d’imposition en cas de nonpaiement

32.      De façon logique, la Cour a donc considéré dans son arrêt Goldsmiths qu’une dérogation à cette règle fondamentale de l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA doit être justifiée, afin que les mesures prises par les États membres sur le fondement de l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA ne bouleversent pas l’objectif d’harmonisation fiscale (15).

33.      Néanmoins la Cour a également dit pour droit, dans son arrêt Almos Agrárkülkereskedelmi – sur lequel s’appuient la juridiction de renvoi et, surtout, la Pologne –, que les assujettis ne sauraient se prévaloir, sur le fondement de l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA, d’un droit à la réduction de leur base d’imposition de la TVA en cas de non‑paiement du prix, si l’État membre concerné a entendu faire application de la dérogation prévue à l’article 90, paragraphe 2, de ladite directive (16). Dans cet arrêt, la septième chambre a, en outre, affirmé que la directive TVA « a entendu laisser à chaque État membre le choix de déterminer si la situation de non‑paiement du prix d’achat […] ouvre droit à la réduction de la base d’imposition à due concurrence dans les conditions qu’il fixe, ou bien si une telle réduction n’est pas admise dans cette situation » (17).

34.      Comme la Cour l’a cependant déjà affirmé dans sa décision Di Maura (18) ainsi que dans des décisions ultérieures (19), l’arrêt précité ne doit pas être entendu en ce sens que nicht les États membres peuvent exclure toute réduction de la basee d’imposition de la TVA.

35.      L’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA permet, certes, aux États membres, en cas de non‑paiement total ou partiel du prix, que les États membres puissent déroger à la réduction de la base d’imposition prévue à l’article 90, paragraphe 1. Les travaux préparatoires de la disposition précédente, de même contenu, font toutefois apparaître, d’une part, que cette faculté n’a été prévue qu’afin d’éviter des abus (20). D’autre part, cette faculté de dérogation en cas de non‑paiement total ou partiel est fondée – comme la Cour l’a déjà affirmé (21) – sur la seule considération que, dans certaines circonstances et en raison de la situation juridique existant dans l’État membre concerné, il peut être difficile de vérifier si la contrepartie n’a pas été versée de manière définitive ou seulement provisoirement.

36.      Il s’ensuit que l’exercice de cette faculté de dérogation doit être justifié afin que les mesures prises par les États membres pour sa mise en œuvre ne bouleversent pas l’objectif d’harmonisation fiscale (22). Il s’ensuit également que la faculté de dérogation n’autorise pas les États membres à exclure purement et simplement la réduction de la base d’imposition à la TVA en cas de non‑paiement (23).

37.      Admettre la possibilité pour les États membres d’exclure toute réduction de la base d’imposition à la TVA irait également à l’encontre du principe de neutralité de la TVA. Il découle notamment de ce dernier que, en sa qualité de collecteur de taxes pour le compte de l’État, l’entrepreneur doit être entièrement soulagé du poids de la taxe due ou acquittée dans le cadre de ses activités économiques elles‑mêmes soumises à la TVA (24). À cela s’ajoutent, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’exposer dans mes conclusions présentées dans l’affaire Di Maura (25), les droits fondamentaux des prestataires assujettis. Il ne peut être porté atteinte à ces derniers que d’une manière proportionnée (article 52, paragraphe 1, première phrase de la Charte) (26).

38.      Á cet égard, la jurisprudence de la Cour admet une certaine distinction selon que les restrictions à la régularisation de la base d’imposition au sens de l’article 90 de la directive TVA peuvent être justifiées, et de quelle façon. La Cour distingue, en effet, entre les aspects matériels (pour les dérogations (27) au sens de l’article 90, paragraphe 2, de la directive TVA) et les aspects formels (pour les conditions (28) au sens de l’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA). Dans ce cadre, tant les dérogations que les conditions prévues par les États membres doivent être proportionnées (29).

39.      Une dérogation matérielle, en cas de non‑paiement du prix, doit à cet égard nécessairement viser l’incertitude quant à la question de savoir si l’absence de contrepartie est définitive ou bien seulement provisoire (30).

40.      D’un point de vue formel, en revanche, il peut être prévu des conditions plus générales qui garantissent l’exacte perception de l’impôt et évitent l’évasion fiscale. À cet égard, la Cour a, par exemple, déjà eu l’occasion d’affirmer qu’un accusé de réception d’une facture rectificative (31) du bénéficiaire de la prestation ou la communication de la régularisation de la base d’imposition envisagée (32) au bénéficiaire de la prestation peuvent constituer, en principe des conditions possibles pour une réduction de sa propre dette fiscale.

D.      Sur la justification de la limitation de la régularisation de la base d’imposition

41.      Dans la présente espèce, le législateur polonais a fait dépendre la régularisation de la base d’imposition (et donc de la dette fiscale) de l’entreprise prestataire du fait que, au moment où la prestation est effectuée ainsi que la veille du dépôt de la déclaration fiscale régularisée, le bénéficiaire de la prestation soit encore un assujetti enregistré ne se trouvant ni en procédure d’insolvabilité ni en liquidation.

42.      Cela ne constitue manifestement pas une simple condition formelle à caractère général de la régularisation de la base d’imposition par le prestataire assujetti. D’une part, il n’a sur cette caractéristique absolument aucune emprise, c’est pourquoi elle ne saurait être considérée comme une simple formalité. D’autre part, cette exigence exclut, en soi, une régularisation de la base d’imposition dès lors que des fournitures ou des prestations de services sont effectuées au bénéfice d’une entreprise qui, certes, existe toujours, mais qui se trouve en procédure d’insolvabilité ou de liquidation.

43.      La directive TVA part cependant du principe que de telles fournitures et prestations de services sont taxables. Ainsi, l’article 90 de la directive TVA part du principe fondamental (voir plus haut, point 30) d’une possibilité de la régularisation de la base d’imposition de telles fournitures et prestations de services, lorsque la contrepartie n’est pas payée, en tout ou en partie. L’exclusion de cette possibilité pour de telles fournitures et prestations de services ne constitue dès lors pas – contrairement à l’avis de la Pologne – une condition simplement formelle, mais bien une dérogation matérielle.

44.      Pour être licite, cette dérogation matérielle en cas de non‑paiement du prix devrait donc viser l’incertitude quant à la question de savoir si l’absence de contrepartie est définitive ou bien seulement provisoire (33). Or, cela n’est pas le cas.

45.      Comme la cour l’a déjà exposé dans l’affaire A-PACK CZ s. r. o. (34) et comme l’a souligné à juste titre la Commission, le fait que le bénéficiaire de la prestation fasse l’objet d’une procédure d’insolvabilité est plutôt une circonstance susceptible de confirmer que le non‑paiement est définitif. Il en va de même de la circonstance que le bénéficiaire de la prestation est en liquidation. Une limitation de la régularisation de la base d’imposition, dans des cas où il est pratiquement certain que la contrepartie convenue ne sera pas versée, n’est dès lors ni possible ni proportionnée.

46.      Cela est d’autant plus vrai qu’en vertu du droit polonais, une condition fondamentale pour une régularisation de la base d’imposition est constituée par le fait qu’aucun paiement n’ait été effectué, malgré l’échéance, depuis 150 jours. En tout état de cause, il n’y a pas lieu de répondre, ici, à la question de savoir si un préfinancement de la TVA sur une période de 5 mois peut être considéré comme proportionné. En effet, dans un cas où la contrepartie n’a pas été payée pendant 150 jours et où le bénéficiaire de la prestation est déjà en liquidation, il n’y a plus d’incertitude quant à la question de savoir si le non‑paiement est définitif.

47.      Même les mesures que les États membres ont la faculté d’adopter, en vertu de l’article 273, afin d’assurer l’exacte perception de la taxe et d’éviter la fraude ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs et ne doivent pas remettre en cause la neutralité de la TVA (35). Comme la Cour l’a déjà affirmé, une responsabilité sans faute de l’assujetti à partir d’une certain événement (en l’espèce le jour de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité ou de liquidation) va au-delà de ce qui est nécessaire pour défendre les intérêts du trésor (36). Cependant, on serait en présence d’une responsabilité sans faute, si le prestataire assujetti ne pouvait pas régulariser sa dette fiscale malgré le non‑paiement du prix.

48.      En outre, on ne voit pas en quoi la limitation de la régularisation de la dette fiscale à partir de la réalisation d’un certain événement sur lequel l’entreprise prestataire n’a pas la moindre emprise constituerait une mesure appropriée pour lutter contre la fraude à la TVA.

49.      En conclusion, l’article 90 de la directive TVA ne permet donc pas aux États membres d’exclure la régularisation de la dette fiscale du prestataire au motif que le bénéficiaire de la prestation, au moment où la prestation a été effectuée ou au moment de la régularisation fait déjà l’objet d’une procédure d’insolvabilité ou se trouve en liquidation.

E.      Sur la nécessité d’éviter un risque de perte de recettes fiscales

50.      Le législateur polonais vise essentiellement, – et la juridiction de renvoi ne manque pas de le relever – à éviter un risque de perte de recettes fiscales en raison de la moindre capacité du bénéficiaire de la prestation de payer cette dernière. Le gouvernement polonais fait dès lors essentiellement valoir, dans la présente procédure, le fonctionnement du système de la TVA et la protection des intérêts financiers de la Pologne ainsi que de l’Union.

51.      Il s’agit là d’une question qui pose problème dans beaucoup d’États membres. Sur qui pèse le risque d’insolvabilité du bénéficiaire de la prestation au regard de la TVA – sur l’État ou sur le prestataire ? En effet, si le bénéficiaire de la prestation est à son tour un assujetti, alors la modification de la base d’imposition dans le chef du prestataire entraîne, en fait, conformément à l’article 185 de la directive TVA une régularisation dans le chef du bénéficiaire de la prestation. Ce dernier est également tenu de régulariser la déduction opérée à tort – correspondant à la dette fiscale régularisée du prestataire. L’État acquiert alors une créance fiscale à l’égard du bénéficiaire de la prestation.

52.      Ce mécanisme s’avère cependant défaillant lorsque le bénéficiaire de la prestation fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité ou de liquidation. En général, les moyens financiers dont il dispose ne suffisent pas pour rembourser à l’État le montant des déductions déjà effectuées. De l’avis de la juridiction de renvoi, la régularisation de la dette fiscale par le prestataire « empiète de façon illicite sur la procédure d’insolvabilité ». De cette façon, un créancier du débiteur est satisfait, aux dépens du trésor public, et est remplacé par l’État. Le risque de perte de recettes fiscales pour l’État membre a ainsi bien été circonscrit, même si l’argumentation est largement dénuée de pertinence. Le prestataire non plus n’est pas satisfait. Sa créance est également perdue, comme celle de l’autre créancier. Simplement l’État intervient en tant que créancier au regard de la régularisation des déductions effectuée en amont, cette créance étant cependant le plus souvent sans valeur.

53.      Finalement, ce risque de perte de recettes fiscales, et par là-même la mise en danger des intérêts financiers de l’Union et de la Pologne ne résulte que d’une interprétation très littérale de l’article 167 de la directive TVA. D’après sa lettre, cette disposition fait dépendre le droit à régularisation des déductions effectuées par le bénéficiaire de la prestation uniquement de la naissance de la dette fiscale dans le chef du prestataire. C’est pourquoi le bénéficiaire de la prestation se voit reconnaître un droit à déduction avant le paiement (ce qu’on appelle la déduction immédiate) (37).

54.      Il convient d’envisager cette déduction immédiate pour contenir le risque de pertes pour l’État et tenir compte, ainsi, de l’intérêt des États membres et de l’Union à ce que la TVA soit effectivement perçue. En effet, l’État membre est libre, en cas de non‑paiement de la contrepartie, de régulariser la déduction effectuée rapidement, au lieu de se retourner contre le bénéficiaire de la prestation en tant que « garant en cas de défaillance pour insolvabilité »

55.      La disposition de l’article 167 de la directive TVA part, en effet, de l’idée que le bénéficiaire de la prestation, qu’il s’agisse d’une fourniture ou une prestation de services, paiera celle‑ci rapidement, de sorte qu’il s’acquittera aussi rapidement de la TVA en amont. On présume donc que la TVA sera acquittée rapidement. En revanche, la lettre de cette disposition ne dit rien sur la question de savoir s’il y a lieu de soulager l’assujetti moyennant la déduction de la TVA, maintenue pendant des années, même lorsque la TVA n’a pas été acquittée.

56.      Cette dernière hypothèse serait notamment contraire à l’objectif de la déduction de la TVA. En effet, celle‑ci permet simplement de déduire les sommes payées par chaque assujetti à son propre fournisseur, au titre de la TVA sur l’opération correspondante (38). Avant un tel paiement, l’assujetti n’a pas encore été grevé (39) et la « déduction » d’un impôt qui n’a pas encore été payé n’est qu’une sorte de subvention (40).

57.      En outre, un tel droit à déduction maintenu pendant des années jusqu’à la régularisation de la dette fiscale par l’entreprise prestataire constituerait même une incitation à la fraude pour le bénéficiaire de la prestation. Cela serait contraire à l’idée sous‑jacente à l’article 273 de la directive TVA, qui permet aux États membres de prévoir des obligations en vue d’assurer l’exacte perception de l’impôt. Un tel droit à déduction, illimité dans le temps et sans que l’assujetti n’ait été grevé par la TVA, est notamment contraire à l’appréciation de l’article 325 TFUE, selon laquelle les États membres doivent défendre les intérêts financiers de l’Union.

58.      En particulier, l’article 185, paragraphe 1, de la directive TVA prévoit une régularisation de la déduction, entre autres lorsque des modifications des éléments pris en compte pour la déduction sont intervenues postérieurement à la déclaration de la TVA. En cas de non‑paiement, les États membres peuvent même exiger une régularisation (paragraphe 2). Cette possibilité est sans lien avec le fait de savoir si le prestataire a déjà régularisé sa dette fiscale. Ainsi, les États membres peuvent prévoir, en vertu de l’article 185, paragraphe 2, deuxième phrase, de la directive TVA, que le bénéficiaire de la prestation qui n’a pas payé la contrepartie et n’a donc pas été grevé par la TVA est tenu, au titre de l’article 185 de la directive TVA de régulariser sa déduction dès que possible.

59.      La durée d’une période d’imposition constitue à cet égard un laps de temps raisonnable pour vérifier la présomption, qui est à la base de la déduction immédiate, d’un paiement rapide par le bénéficiaire de la prestation. Au moment de la déclaration fiscale suivante au titre de la période d’imposition suivant (généralement un mois plus tard) il apparaît clairement si la déduction effectuée l’a été jusqu’alors (l’assujetti n’ayant pas été grevé) à tort. Cela réduit le risque de perte de recettes fiscales induit par le système à la durée de cette seul période d’imposition.

60.      Dans cette perspective, le créancier de l’impôt (en l’espèce la Pologne) ne doit pas attendre que le bénéficiaire de la prestation fasse l’objet d’une procédure d’insolvabilité ou soit en liquidation, mais peut devancer le risque de pertes de recettes fiscales.

61.      Si ensuite le bénéficiaire de la prestation devait malgré tout effectivement payer la contrepartie au prestataire, il s’agirait d’une nouvelle modification des éléments pris en considération pour la détermination du montant de la déduction. Cela donnerait lieu à une nouvelle régularisation au titre de l’article 185, paragraphe 1, de la directive TVA. Ainsi, il est assuré que le bénéficiaire de la prestation est soulagé de toute charge de la TVA, dès le moment où celle‑ci entraîne une dépense de sa part. Cela correspond exactement au principe de neutralité de la TVA tel que développé et interprété par la Cour (41).

62.      La solution de la question illustrée par la juridiction de renvoi en cas de non‑paiement de la contrepartie entre deux assujettis ne se trouve dès lors pas dans une limitation de la régularisation de la dette fiscale dans le chef du prestataire assujetti, mais dans une régularisation plus rapide d’une déduction effectuée par le bénéficiaire de la prestation sans avoir été préalablement grevé par l’impôt.

V.      Conclusion

63.      Je propose ainsi à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne) :

L’article 90 de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ne permet pas aux États membres d’exclure la régularisation de la dette fiscale du prestataire assujetti, au motif que le bénéficiaire de la prestation, au moment où la prestation a été effectuée ou au moment de la régularisation fait déjà l’objet d’une procédure d’insolvabilité ou se trouve en liquidation. L’article 185, paragraphe 2, de la même directive, permet toutefois aux États membres, dans le cas où le prix n’a pas été totalement payé, d’exiger une régularisation de la déduction dès la période d’imposition suivante.


1      Langue originale : l’allemand.


2      Voir, à cet égard, déjà arrêts du 3 juillet 2019, UniCredit Leasing (C‑242/18, EU:C:2019:558), du 8 mai 2019, A-PACK CZ (C‑127/18, EU:C:2019:377), du 6 décembre 2018, Tratave (C‑672/17, EU:C:2018:989), du 23 novembre 2017, Di Maura (C‑246/16, EU:C:2017:887), du 2 juillet 2015, NLB Leasing (C‑209/14, EU:C:2015:440), du 3 septembre 2014, GMAC UK (C‑589/12, EU:C:2014:2131), du 15 mai 2014, Almos Agrárkülkereskedelmi (C‑337/13, EU:C:2014:328), du 26 janvier 2012, Kraft Foods Polska (C‑588/10, EU:C:2012:40), et du 3 juillet 1997, Goldsmiths (C‑330/95, EU:C:1997:339).


3      Voir, à cet égard, simplement arrêts du 23 novembre 2017, Di Maura (C‑246/16, EU:C:2017:887, point 23), du 21 février 2008, Netto Supermarkt (C‑271/06, EU:C:2008:105, point 21), et du 20 octobre 1993, Balocchi (C‑10/92, EU:C:1993:846, point 25).


4      JO 2006, L 347, p. 1.


5      Voir, à l’égard de cette conséquence juridique, entre autres, arrêt du 14 février 2019, Vetsch Int. Transporte (C‑531/17, EU:C:2019:114, point 45).


6      Arrêt du 15 mai 2014, Almos Agrárkülkereskedelmi (C‑337/13, EU:C:2014:328, point 25).


7      En particulier par les arrêts du 8 mai 2019, A-PACK CZ (C‑127/18, EU:C:2019:377, points 20 et suivants), du 22 février 2018, T – 2 (C‑396/16, EU:C:2018:109, points 35 et suivants), et du 23 novembre 2017, Di Maura (C‑246/16, EU:C:2017:887, points 20 et suivants).


8      Arrêts du 7 novembre 2013, Tulică et Plavoşin (C‑249/12 et C‑250/12, EU:C:2013:722, point 34), et du 24 octobre 1996, Elida Gibbs (C‑317/94, EU:C:1996:400, point 19), ainsi qu’ordonnance du 9 décembre 2011, Connoisseur Belgium (C‑69/11, non publiée, EU:C:2011:825, point 21).


9      Arrêts du 21 février 2008, Netto Supermarkt (C‑271/06, EU:C:2008:105, point 21), et du 20octobre 1993, Balocchi (C‑10/92, EU:C:1993:846, point 25).


10      Voir, par exemple : arrêts du 3 mars 2020, Vodafone Magyarország (C‑75/18, EU:C:2020:139, point 62), du 11 octobre 2007, KÖGÁZ e.a. (C‑283/06 et C‑312/06, EU:C:2007:598, point 37 – « la fixation de son montant proportionnellement au prix perçu par l’assujetti en contrepartie des biens et des services qu’il fournit »), et du 18 décembre 1997, Landboden-Agrardienste (C‑384/95, EU:C:1997:627, points 20 et 23).


11      Arrêt du 24 octobre 1996, Elida Gibbs (C‑317/94, EU:C:1996:400, point 19), et dans un sens proche, également, arrêts du 16 janvier 2003, Yorkshire Co-operatives (C‑398/99, EU:C:2003:20, point 19), et du 15 octobre 2002, Commission/Allemagne (C‑427/98, EU:C:2002:581, point 30), ainsi que conclusions de l’avocat général Léger présentées dans l’affaire MyTravel (C‑291/03, EU:C:2005:283, point 69).


12      Arrêts du 3 juillet 2019, UniCredit Leasing (C‑242/18, EU:C:2019:558, point 37), du 8 mai 2019, A-PACK CZ (C‑127/18, EU:C:2019:377, point 17), du 6 décembre 2018, Tratave (C‑672/17, EU:C:2018:989, point 29), du 20 décembre 2017, Boehringer Ingelheim Pharma (C‑462/16, EU:C:2017:1006, point 32), du 2 juillet 2015, NLB Leasing (C‑209/14, EU:C:2015:440, point 35), du 3 septembre 2014, GMAC UK (C‑589/12, EU:C:2014:2131, point 37), du 26 janvier 2012, Kraft Foods Polska (C‑588/10, EU:C:2012:40 point 27), et du 3 juillet 1997, Goldsmiths (C‑330/95, EU:C:1997:339 point 15).


13      La même fonction est assurée par les articles 184 et suivants de la directive TVA, qui constituent le contrepoids de la déduction de la TVA en amont effectuée – conformément au principe d’exigibilité immédiate de l’impôt sur la base de la créance – en vertu des articles 168 et 178 de la directive TVA et qui régularisent une déduction initiale trop importante de l’impôt payé en amont. En particulier, l’article 185, paragraphe 2, de la directive TVA permet de garantir le fait que la déduction de l’impôt payé en amont est en définitive adaptée à la charge réelle de la TVA. Le bénéficiaire de la prestation qui, faute d’avoir payé la contrepartie, ne supporte pas la TVA ne doit pas pouvoir en plus s’exonérer d’une charge (fictive) au moyen d’une déduction.


14      Voir, expressément en ce sens, arrêts du 3 septembre 2014, GMAC UK (C‑589/12, EU:C:2014:2131, point 31), et du 26 janvier 2012, Kraft Foods Polska (C‑588/10, EU:C:2012:40, point 26).


15      Arrêt du 3 juillet 1997, Goldsmiths (C‑330/95, EU:C:1997:339, point 18).


16      Arrêt du 15 mai 2014, Almos Agrárkülkereskedelmi (C‑337/13, EU:C:2014:328, point 23).


17      Arrêt du 15 mai 2014, Almos Agrárkülkereskedelmi (C‑337/13, EU:C:2014:328, point 25).


18      Arrêt du 23 novembre 2017, Di Maura (C‑246/16, EU:C:2017:887, points 20 et suivants, et, en particulier, point 23).


19      Arrêts du 8 mai 2019, A-PACK CZ (C‑127/18, EU:C:2019:377, points 20 et suivants), et du 22 février 2018, T – 2 (C‑396/16, EU:C:2018:109, points 35 et suivants).


20      Voir la motivation de l’article 12 (base d’imposition), p. 15 de la proposition de la Commission du 20 juin 1973, COM(73) 950 final.


21      Arrêts du 3 juillet 2019, UniCredit Leasing (C‑242/18, EU:C:2019:558, points 54 et suivants), du 8 mai 2019, A-PACK CZ (C‑127/18, EU:C:2019:377, point 19), du 22 février 2018, T‑2 (C‑396/16, EU:C:2018:109, point 37), du 23 novembre 2017, Di Maura (C‑246/16, EU:C:2017:887, point 17), et du 3 juillet 1997, Goldsmiths (C‑330/95, EU:C:1997:339, point 18).


22      Voir arrêts du 8 mai 2019, A-PACK CZ (C‑127/18, EU:C:2019:377, point 20), du 22 février 2018, T‑2 (C‑396/16, EU:C:2018:109, point 38), du 23 novembre 2017, Di Maura (C‑246/16, EU:C:2017:887, point 18), et du 3 juillet 1997, Goldsmiths (C‑330/95, EU:C:1997:339, point 18).


23      Arrêts du 8 mai 2019, A-PACK CZ (C‑127/18, EU:C:2019:377, point 20), et du 23 novembre 2017, Di Maura (C‑246/16, EU:C:2017:887, points 20 et 21).


24      Arrêts du 8 mai 2019, A-PACK CZ (C‑127/18, EU:C:2019:377, point 20), et du 23 novembre 2017, Di Maura (C‑246/16, EU:C:2017:887, point 23).


25      Voir mes conclusions présentées dans l’affaire Di Maura (C‑246/16, EU:C:2017:440, points 45 et suivants).


26      Le préfinancement de la TVA affecte la liberté professionnelle, la liberté entrepreneuriale ainsi que le droit fondamental de propriété (articles 15, 16 et 17 de la Charte). Se pose en outre la question d’une inégalité de traitement au titre de l’article 20 de la Charte par rapport à des entreprises pour lesquelles la taxe ne devient exigible que lors de l’encaissement du prix, conformément à l’article 66, sous b), de la directive TVA (règle de la taxation du paiement effectif).


27      Arrêts du 8 mai 2019, A-PACK CZ (C‑127/18, EU:C:2019:377, point 21), du 22 février 2018, T – 2 (C‑396/16, EU:C:2018:109, points 37 et suivants), et du 23 novembre 2017, Di Maura (C‑246/16, EU:C:2017:887, point 22).


28      Arrêts du 3 juillet 2019, UniCredit Leasing (C‑242/18, EU:C:2019:558, points 38 et suivant), du 6 décembre 2018, Tratave (C‑672/17, EU:C:2018:989, points 32 et suivants), et du 26 janvier 2012, Kraft Foods Polska (C‑588/10, EU:C:2012:40, points 23 et suivants).


29      Voir arrêts du 8 mai 2019, A-PACK CZ (C‑127/18, EU:C:2019:377, point 26), du 6 décembre 2018, Tratave (C‑672/17, EU:C:2018:989, point 33), du 23 novembre 2017, Di Maura (C‑246/16, EU:C:2017:887, point 25), et du 26 janvier 2012, Kraft Foods Polska (C‑588/10, EU:C:2012:40, point 28).


30      Voir, expressément en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, A-PACK CZ (C‑127/18, EU:C:2019:377, point 23), et, dans un sens proche, arrêts du 22 février, T – 2 (C‑396/16, EU:C:2018:109, point 40), et du 23 novembre 2017, Di Maura (C‑246/16, EU:C:2017:887, point 22).


31      Arrêt du 26 janvier 2012, Kraft Foods Polska (C‑588/10, EU:C:2012:40, point 25) – pour autant que cela est possible sans efforts excessifs.


32      Arrêt du 6 décembre 2018, Tratave (C‑672/17, EU:C:2018:989, points 35 et suivant). Toutefois, la question de la possibilité de fournir des informations a posteriori n’a pas été abordée à cette occasion.


33      Voir, expressément en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, A-PACK CZ (C‑127/18, EU:C:2019:377, point 23). Voir également arrêts du 22 février 2018, T – 2 (C‑396/16, EU:C:2018:109, point 40), et du 23 novembre 2017, Di Maura (C‑246/16, EU:C:2017:887, point 22).


34      Arrêt du 8 mai 2019, A-PACK CZ (C‑127/18, EU:C:2019:377, point 24).


35      Voir seulement arrêt du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean (C‑183/14, EU:C:2015:454, point 62 et jurisprudence citée).


36      Arrêts du 6 décembre 2012, Bonik (C‑285/11, EU:C:2012:774, point 42), et du 21 juin 2012, Mahagében (C‑80/11 et C‑142/11, EU:C:2012:373, point 48).


37      Cela est conforme à la jurisprudence de la Cour – voir, parmi d’autres, arrêt du 28 juillet 2011, Commission/Hongrie (C‑274/10, EU:C:2011:530, point 48).


38      Voir, par exemple, arrêt du 22 février 2018, T – 2 (C‑396/16, EU:C:2018:109, point 24 et jurisprudence citée). Voir également arrêt du 29 avril 2004, Terra Baubedarf-Handel (C‑152/02, EU:C:2004:268, point 35 in fine). Certes, la Cour utilise à cet endroit, dans la version allemande, l’expression « abgeführt hat » (il s’agit du verbe « payer », mais en se référant spécifiquement au fait, pour un contribuable, de payer un impôt). Cependant, comme elle parle du bénéficiaire de la prestation, qui ne verse pas cette TVA au trésor public, mais la paye au prestataire, il est évident que c’est en ce dernier sens qu’il faut comprendre ladite expression. La version française utilise également l’expression « avoir été acquittée », ce qui peut aisément se traduire en allemand par « gezahlt wurde » (a été payée). Au point 36 – la traduction y est juste à cet endroit – cela apparaît plus clairement.


39      Voir notamment conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona présentées dans l’affaire Volkswagen (C‑533/16, EU:C:2017:823, point 64) : la déduction est « indissociable du paiement de la taxe : si l’assujetti n’a pas payé la TVA […], il ne dispose d’aucun fondement, juridique ou économique, pour l’exercice du droit à déduction ». Voir également mes conclusions présentées dans l’affaire Biosafe - Indústria de Reciclagens (C‑8/17, EU:C:2017:927, point 44).


40      Clairement exprimé par H. Stadie, in Rau/Dürrwächter, UStG, § 15 Anm. 87 – état : mai 2019.


41      Arrêts du 13 mars 2014, Malburg (C‑204/13, EU:C:2014:147, point 41), et du 3 mars 2005, Fini H (C‑32/03, EU:C:2005:128, point 25 et jurisprudence citée).