C-416/85 - Commission / Royaume-Uni

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EUR-Lex - 61985C0416 - FR

61985C0416

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 2 décembre 1987. - Commission des Communautés européennes contre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord. - Taxe sur la valeur ajoutée - Imposition à taux zero. - Affaire 416/85.

Recueil de jurisprudence 1988 page 03127


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Ce recours en manquement introduit contre le Royaume-Uni est relatif aux critères d' application de l' article 28, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388 du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations nationales relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires ( 1 ). Il est, en substance, reproché au Royaume-Uni d' appliquer à un certain nombre de biens ou prestations de services un "taux zéro" qui ne se justifierait pas par des "raisons d' intérêt social bien définies" et "en faveur des consommateurs finals", ainsi que l' exige l' article 17, dernier tiret, de la deuxième directive du Conseil du 11 avril 1967 ( 2 ) auquel renvoie l' article 28, paragraphe 2, de la sixième directive .

2 . Ce texte s' inscrit dans un processus amorcé en 1967 lorsque ont été adoptées les deux premières directives ( 3 ) d' harmonisation des législations en matière de taxes sur le chiffre d' affaires, lesquelles, notons-le, n' ont jamais eu au Royaume-Uni l' importance ni la forme de taxes cumulatives en cascade que connaissaient les États membres fondateurs de la Communauté ( 4 ). A été ainsi institué, bien que "sans harmonisation concomitante des taux et des exonérations" ( 5 ), un "impôt général sur la consommation" ( 6 ). Dix ans plus tard, la sixième directive ( 7 ) ( ci-après "directive ") a visé un objectif essentiel, la création de ressources propres pour les Communautés comprenant, "entre autres, celles provenant de la taxe sur la valeur ajoutée et obtenues par l' application d' un taux commun à une assiette déterminée d' une manière uniforme et selon des règles communautaires" ( 8 ).

3 . "En vue d' une perception comparable des ressources propres dans tous les États membres" ( 9 ), les articles 13 à 16 de la directive prévoient une liste d' exonérations communes à tous ces États . Par ailleurs, à titre transitoire, l' article 28 de la directive les autorise, notamment, à maintenir, sous certaines conditions, les taux réduits et exonérations existant au 31 décembre 1975 conformes aux critères de l' article 17, dernier tiret, de la deuxième directive ( ci-après "article 17 "). Cette dernière possibilité a été adoptée, car il est apparu "indispensable de prévoir une période transitoire permettant une adaptation progressive des législations nationales dans des domaines déterminés" ( 10 ).

4 . Adopté au titre de l' article 28, paragraphe 2, le système de taux zéro en cause se distingue cependant du mécanisme d' exonération prévu par cette disposition . Elle vise, en effet, une exonération "avec remboursement des taxes payées au stade antérieur" qui se réalise lors de la vente au détail . Aux stades antérieurs, tout assujetti, défini à l' article 4 de la directive, applique la taxe . Seul le détaillant, qui vend au "consommateur final" un produit bénéficiant d' une exonération, ne facture pas la TVA qu' il a acquittée et en obtient le remboursement par l' administration fiscale . Le système du taux zéro procède d' une conception différente . Une série de biens et services, déterminés par le législateur national, fait l' objet d' une taxation théorique et nulle qui se résoud par l' absence de toute perception effective de TVA tant au moment de la livraison qu' aux stades antérieurs de commercialisation . Bien évidemment, il n' y a alors pas lieu à remboursement au profit du détaillant . Selon la Commission, le taux zéro concernerait environ 35 % de la consommation privée des ménages au Royaume-Uni et 33 % en Irlande qui réfute ce pourcentage qu' elle évalue à 25 %. Trois autres États connaissent également la technique du taux zéro qu' ils pratiquent cependant sur une très petite échelle, notamment dans le domaine de la presse .

5 . Indiquons d' emblée que ce système n' est pas contesté dans son principe par la Commission, qui le considère comme équivalant à celui des exonérations avec remboursement . Toutefois, elle critique les applications du taux zéro pour certaines catégories de biens ou de services ( 11 ) de la liste établie par le "Value Added Tax Act" de 1983 . Elle estime que ces dispositions ne répondent pas aux critères établis par l' article 17 . Si elle admet que le taux zéro est sans incidence sur les ressources propres, elle indique que, "dans l' optique de la réalisation du marché intérieur, de l' abolition des frontières fiscales et de l' harmonisation progressive du taux de la TVA ...", son objectif est "de limiter l' utilisation des taux zéro aux opérations qui répondent aux critères fixés à l' article 28, paragraphe 2, de la sixième directive, et ce dans le cadre de sa politique fiscale générale qui est d' aboutir à l' élimination totale de l' ensemble des taux zéro et exonérations avec remboursement ".

6 . De l' avis de la requérante, pour déterminer jusqu' à quel point de la chaîne commerciale un taux zéro est applicable de telle manière qu' il procure un avantage au consommateur final, il convient de ne retenir que les stades correspondant à des "inputs véritables" dans la production ou la distribution d' un même produit final exonérable en fonction des critères de l' article 28, paragraphe 2 . Elle soutient en outre que seul celui qui acquiert des biens ou services sans droit à déduction peut être qualifié de consommateur final .

7 . Le gouvernement du Royaume-Uni s' oppose à cette définition en soutenant qu' est consommateur final la personne placée en fin d' une chaîne de production ou de distribution . En outre, il ne serait pas nécessaire que l' avantage soit directement ou exclusivement procuré au consommateur final . Il suffirait que l' opération donne à celui-ci un avantage indirect, notamment par une diminution du prix final . L' État défendeur rappelle qu' il dispose d' un large pouvoir d' appréciation pour déterminer ses politiques sociales, donc les mesures nationales répondant à "des raisons d' intérêt social bien définies ". Si la Commission ne conteste pas l' existence de pareille prérogative, elle fait cependant valoir que votre contrôle doit vous conduire à constater que ces mesures sont ici injustifiées ou disproportionnées par rapport aux raisons d' intérêt social évoquées, le contenu communautaire de cette notion même devant être défini par vous .

8 . Mais le Royaume-Uni, plus généralement, reproche à la Commission d' utiliser un recours en manquement pour, en réalité, tenter d' éluder les dispositions de l' article 28 selon lesquelles il appartient au Conseil, statuant à l' unanimité, de décider la suppression des exonérations prévues par ce même texte . Le gouvernement défendeur voit l' illustration de cette analyse dans les termes utilisés par la Commission desquels il résulte que "l' application des taux zéro constitue l' une des 'pierres d' achoppement' sur la voie de l' uniformisation des taux de TVA ". Le Royaume-Uni s' estime conforté dans son appréciation des motivations réelles de la requérante par le fait que cette dernière admet que les taux zéro en cause sont sans incidence sur les ressources propres en raison même du mécanisme institué par l' article 28, paragraphe 2, dernière phrase, prescrivant la "déclaration par les assujettis des données nécessaires à la détermination des ressources propres afférentes" aux opérations exonérées . L' État défendeur a fait également valoir qu' à la date de l' introduction du recours la Commission n' avait pas encore proposé au Conseil le programme de suppression prévu par le texte en cause . A cet égard, il convient de relever qu' en cours de procédure ces propositions sont intervenues ( 12 ).

9 . Disons-le d' emblée, ces objections relatives aux éventuelles motivations du recours apparaissent étrangères à votre office . Est-il besoin de rappeler qu' en toute hypothèse la Commission, gardienne des traités, dispose d' une totale liberté d' appréciation pour agir en manquement et qu' il lui "appartient d' apprécier le choix du moment auquel elle introduit une action devant la Cour" ( 13 ). D' autre part et surtout, votre rôle consiste ici à apprécier les éventuels manquements aux obligations communautaires d' un État membre, définies par le droit positif . Rappelons à cet égard que, dans l' affaire Parlement/Conseil où ce dernier soutenait que l' institution requérante utilisait le recours en carence comme instrument de poursuite d' objectifs politiques, vous avez affirmé que :

"On ne saurait restreindre, pour l' une d' entre elles ( les institutions communautaires ), l' exercice de cette faculté ( le recours en carence ) sans porter atteinte à sa position institutionnelle voulue par le traité" ( 14 ).

Vous avez ainsi écarté la fin de non-recevoir présentée à cet égard par le Conseil, conformément aux conclusions de votre avocat général qui avait indiqué :

"Il n' appartient pas à la Cour de se prononcer sur la question de savoir si un recours poursuit des objectifs politiques . La Cour est saisie dans le cadre des règles de procédure d' un litige portant sur une question de droit, à savoir l' étendue des obligations incombant à une institution communautaire . Ce litige doit être tranché sur la base des dispositions pertinentes en l' espèce, c' est-à-dire celles du traité instituant la Communauté économique européenne du 25 mars 1957 . L' action est menée dans l' intérêt de la Communauté et de son ordre juridique qui détermine l' étendue des droits et des obligations des parties au litige" ( 15 ).

De tels rappels de principe, soulignant le caractère objectif des recours introduits devant vous, permettent d' apprécier à leur juste mesure la portée des arguments présentés à cet égard par le gouvernement défendeur . Et si l' institution requérante a, en l' espèce, utilisé certaines formulations générales concernant les intérêts qu' elle estimait en cause, il n' en reste pas moins qu' elle a, dans son recours, visé sans aucune ambiguïté, un manquement à l' article 28 de la sixième directive en liaison avec l' article 17 de la deuxième directive . Et, bien évidemment, ce sont ces seules dispositions qui vous permettront de constater l' existence ou l' absence d' un manquement dans le chef de l' État défendeur, car, si la sixième directive prévoit expressément qu' il appartient au Conseil de supprimer les dérogations instituées au titre de l' article 28, leur maintien même, jusqu' à cette décision, implique leur conformité à ce texte . C' est donc à ce dernier examen qu' il convient de procéder à présent .

I - Les raisons d' intérêt social bien definies et en faveur des consommateurs finals

10 . Soulignons dès l' abord que "raisons d' intérêt social bien définies" et consommateur final ne constituent pas des conditions alternatives . En effet, l' une est relative à l' objectif des mesures en cause, l' autre, aux bénéficiaires de celles-ci . Elles sont donc cumulatives . Au surplus, rien n' autoriserait de procéder à l' interprétation extensive d' une disposition portant exception aux règles de l' assiette uniforme de la TVA .

A - Les "raisons d' intérêt social bien définies"

11 . Les parties s' accordent à cet égard pour reconnaître aux États membres un pouvoir discrétionnaire dans la détermination de leur politique sociale . La Commission estime toutefois qu' il vous appartient de donner un contenu communautaire à la notion de "raisons d' intérêt social bien définies", ce qui devrait vous conduire à constater, en l' occurrence, que les mesures adoptées sont insuffisamment définies ou injustifiées, ou encore disproportionnées par rapport aux raisons invoquées .

12 . L' application du taux zéro peut tendre à une diminution des prélèvements fiscaux sur les couches sociales les plus défavorisées . Mais on conçoit tout autant que les États membres utilisent aussi l' instrument fiscal pour mieux satisfaire les besoins de la grande majorité de la population . Et nous ne pensons pas, s' agissant du concept en cause, qu' il vous appartienne d' examiner l' opportunité des choix effectués par les États membres . Rappelons que vous avez estimé, à propos de la réserve de moralité publique en matière de libre circulation des marchandises, que :

"Il appartient, en principe, à chaque État membre de déterminer les exigences de la moralité publique sur son territoire selon sa propre échelle de valeurs, et dans la forme qu' il a choisie" ( 16 ).

Nous vous proposons de transposer ici cette solution . En effet, si les États membres peuvent ainsi apporter une limitation à la liberté fondamentale précitée, une latitude analogue doit pouvoir leur être reconnue, sans davantage de péril pour la cohérence de l' ordre juridique communautaire, en ce qui concerne des dérogations provisoires à l' uniformité de l' assiette de la TVA .

13 . Cependant, le respect de la directive en cause exige que vous puissiez intervenir au cas où l' exercice par les États membres de leurs pouvoirs en la matière, ne pouvant nullement se rattacher au domaine concerné, viendrait faire échec au texte communautaire lui-même . Nous vous suggérons donc de réserver votre censure aux hypothèses où l' objectif des mesures adoptées serait manifestement étranger à la satisfaction des besoins fondamentaux, individuels ou collectifs, de la population de l' État membre .

B - Le consommateur final

14 . Pour notre part, nous estimons que le consommateur final doit être défini comme celui qui acquiert un bien ou un service pour un usage personnel, exclusif d' une activité économique que l' article 4 de la directive utilise comme critère permettant de caractériser l' assujetti . Assujetti et consommateur final se distinguent par le fait que le premier accomplit des opérations à titre onéreux et le second des acquisitions pour son propre usage . Cette distinction entraîne des conséquences fiscales essentielles : l' assujetti déduit, en principe, la charge de la TVA alors que le consommateur final, "en l' absence de transactions ultérieures comportant un prix" ( 17 ), supporte cette taxe . Cette dernière conséquence ne saurait être méconnue dès lors qu' il s' agit d' un taux zéro . Dans ce cas, le consommateur final est le même que celui qui supporterait, sans déduction possible, une taxe positive . Loin de procéder d' une approche étroite, cette définition nous paraît correspondre strictement à une acception fiscale, seule conforme, dans le cadre de dispositions relatives à la TVA, aux catégories mises en oeuvre par cette imposition . C' est au demeurant celle figurant à l' article 3 de la proposition de seizième directive en matière de TVA ( 18 ):

" Aux fins de l' application de la présente directive, on entend par :

a ) consommateur final :

1 ) une personne qui n' est pas considérée, pour l' opération d' importation des biens visés à l' article 2, comme un assujetti au sens de l' article 4 de la directive 77/388/CEE du Conseil;

2 ) un assujetti qui n' a pas eu droit à la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée lors de l' acquisition d' un bien ."

C - "En faveur" du consommateur final : la notion d' avantage

15 . Reste à examiner la notion d' avantage que l' article 17 postule en mentionnant les exonérations "en faveur des consommateurs finals ". Dans le cadre de l' exonération "normale", cet avantage résulte de la non-application de la TVA au stade du commerce de détail . En substance, l' avantage est strictement identique dans le système du taux zéro : le consommateur ne paie pas la TVA . L' application du taux zéro à des stades antérieurs de commercialisation ne procure aucun avantage fiscal supplémentaire au consommateur, puisque, de toute façon, il ne supporte pas de taxe . Cependant, avec la Commission, on peut admettre un taux zéro en amont dans la mesure où il s' applique au produit même qui est destiné à une acquisition à taux zéro par le consommateur final .

16 . Pourrait-on, allant plus loin, retenir l' avantage indirect qui résulterait, selon le gouvernement défendeur, de l' application d' un taux zéro à des facteurs de production concourant à produire des biens, eux-mêmes soumis à un taux zéro? Soulignons que, fiscalement, cet avantage n' existe pas dès lors qu' un taux zéro est accordé au consommateur final . En effet, la mutiplication de taux zéro en amont est sans incidence sur la charge fiscale du consommateur, en toute hypothèse bénéficiaire d' un taux nul . Dès lors, il ne saurait y avoir d' autre avantage pour lui que celui résultant d' une éventuelle réduction du coût du produit, consécutive à l' allégement de charges de trésorerie et de frais généraux en l' absence de taux positifs frappant les facteurs de production concernés . Ces conséquences, que met en lumière l' analyse économique, nous paraissent cependant devoir être considérées avec une certaine prudence, dans la mesure où elles varient selon les délais de déduction retenus, la taille, la structure des producteurs ou intermédiaires en cause, leurs relations de crédit interentreprises, etc . La complexité de tels effets commande, à notre avis, que l' on observe certaines précautions à cet égard dans l' examen d' un avantage "en faveur du consommateur final" au sens de l' article 17 . Cependant, dans la mesure où l' existence même d' une diminution des coûts de revient est de nature à procurer un avantage, serait-il variable, au consommateur final, nous vous proposons de ne pas écarter le principe d' un taux zéro applicable aux seuls facteurs de production directs et exclusifs d' un produit légitimement soumis à taux zéro .

17 . Les conditions posées par le texte à l' examen ayant été précisées, il y a lieu désormais d' en vérifier le respect par les mesures litigieuses .

II - Examen des taux zéro litigieux

A - Groupe 1 de la liste établie par le "Value Added Tax Act", annexe 5 - Alimentation

18 . Il s' agit d' une application du taux zéro aux aliments pour animaux, semences ou autres moyens de reproduction de plantes et animaux vivants utilisés pour produire ou fournir de la nourriture destinée à la consommation humaine . Ces différents facteurs concourent à la production d' aliments destinés à la consommation humaine, eux-mêmes soumis au taux zéro sans que cela soit discuté . Le gouvernement défendeur fait valoir que ce taux est de nature à avantager directement le consommateur final, producteur lui-même des denrées alimentaires à partir de ces fournitures . Il invoque plus généralement l' allégement de la trésorerie des agriculteurs et ses incidences possibles sur les prix de l' alimentation .

19 . Si cette dernière considération doit être reçue avec les précautions déjà exposées, on ne peut exclure les effets négatifs d' une taxation des produits concernés sur les prix alimentaires dont les variations à la hausse sont particulièrement "sensibles", s' agissant du consommateur final . Observons que toutes les fournitures ainsi visées contribuent directement et exclusivement à la production d' aliments destinés au consommateur final . De plus, les personnes produisant leur propre consommation à partir de telles fournitures et les agriculteurs réservant une partie de leur production pour un usage familial bénéficient d' un avantage direct résultant des taux zéro critiqués . Nous vous proposons donc de ne pas constater ici de manquement .

B - Groupe 2 - Prestations relatives aux égouts et aux fournitures d' eaux

20 . En ce qui concerne tout d' abord les égouts ( collecte, évacuation ou traitement des eaux usées, vidanges de puisards, fosses septiques ...), ces prestations sont normalement financées par la perception d' une redevance, non soumise à TVA . Ne font donc l' objet de prestations commerciales taxables que les puisards ou fosses septiques nécessaires en l' absence de réseau de tout-à-l' égout . En substance, le Royaume-Uni justifie le taux zéro pour ces dernières installations par des raisons d' équité entre citadins et exploitants agricoles isolés qui seraient généralement les bénéficiaires de la mesure en question . De plus, des raisons domestiques seraient de nature à justifier l' exonération . En toute hypothèse, la Commission ne vise que les fournitures à l' industrie . Le Royaume-Uni indiquant qu' il est peu probable que les industriels fassent usage des prestations en cause, nous estimons, avec la Commission, que l' abrogation de la disposition critiquée - les industriels ne pouvant être considérés comme consommateurs finals - ne devrait pas soulever de difficultés .

21 . En ce qui concerne les fournitures d' eaux à l' industrie, seules contestées, le Royaume-Uni, tout en admettant que le secteur industriel est le plus gros consommateur, fait cependant valoir que pour certains usagers l' eau est essentiellement utilisée au profit de l' individu pour préparer nourriture et boissons . Il n' y aurait, en outre, aucune raison pratique pour essayer d' identifier le statut du consommateur final, l' eau étant liée dans l' opinion publique à l' alimentation et devant, par analogie, être traitée comme cette dernière .

22 . Il n' est pas possible de souscrire à une telle argumentation . En effet, les usages industriels de l' eau sont si importants qu' ils nous paraissent exclusifs du taux zéro eu égard à la qualité d' assujetti de l' utilisateur . Nous concéderons seulement, avec la Commission, que l' on pourrait admettre un taux zéro dans le cas de la production industrielle de produits finis dans le domaine alimentaire . Le Royaume-Uni a certes invoqué l' exonération pour les fournitures d' eaux dans un autre État membre . La Commission a précisé que celle-ci était fondée sur l' article 28, paragraphe 3, sous b ), de la sixième directive selon lequel les États membres peuvent continuer à exonérer, au cours de la période transitoire qu' elle prévoit, les opérations visées à l' annexe F, en l' occurrence "les fournitures d' eaux par un organisme de droit public" ( 19 ). Le Royaume-Uni qui s' est fondé expressément sur l' article 28, paragraphe 2, n' a guère prétendu qu' il pouvait se prévaloir des dispositions - à notre sens strictement alternatives - du paragraphe 3 du même article ni même allégué qu' il satisfaisait aux conditions requises par ce dernier texte . Nous estimons, en conséquence, que le manquement de ce chef doit également être constaté .

C - Groupe 6 - Services d' informations

23 . La Commission ayant admis l' application du taux zéro en cas de fourniture d' informations directement au public et à toute industrie où elles servent directement à fabriquer des produits, tels les journaux, il semble donc que ne reste plus contestée que l' application d' un tel taux à la fourniture d' informations - essentiellement par canal informatique - à des destinataires les utilisant, mais pour tout autre usage professionnel . Il est exclu que de semblables bénéficiaires du taux zéro ( banques, assurances ...) puissent être qualifiés de consommateur final .

D - Groupe 7 - Combustibles et énergie

24 . La Commission conteste les exonérations autres qu' aux consommateurs finals . Le Royaume-Uni fait valoir, d' une part, la difficulté de distinguer usage professionnel et usage privé par l' utilisateur mixte . Pareille objection ne convainc pas et il appartient aux États membres de dégager les solutions techniques appropriées à ce qui n' apparaît nullement constituer une insurmontable difficulté . D' autre part, le gouvernement défendeur soutient que la taxation de ces fournitures dans les secteurs de l' enseignement et de la santé emporterait des effets sociaux négatifs . En tout état de cause, nous devons constater, soulignant l' importance majeure de la consommation énergétique du secteur industriel, que le taux zéro ne bénéficiant pas en l' occurrence au consommateur final, il y a lieu, selon nous, de constater le manquement ici allégué .

E - Groupe 8 - Construction de bâtiments, etc .

25 . Il s' agit certainement du groupe d' exonérations le plus important d' un point de vue économique englobant le secteur de l' habitation, le secteur immobilier à usage industriel et commercial ainsi que celui des ouvrages collectifs et ceux de génie civil . La Commission estime que l' absence de distinction selon la nature des habitations concernées est disproportionnée au regard des objectifs poursuivis . Le Royaume-Uni fait valoir qu' il est très difficile de distinguer, comme l' a suggéré la Commission, entre habitations construites par les autorités locales, incontestablement exonérables, et autres habitations, d' autant que le secteur privé fournirait désormais, en raison du dispositif adopté pour encourager l' accès à la propriété, une part croissante des logements destinés aux couches sociales les moins favorisées .

26 . Sans doute pourrait-on, si vous aviez à examiner le bien-fondé des choix qui conduisent à appliquer un taux zéro pour la construction de tous les logements à usage privatif, relever que pareilles mesures, parce que indistinctes, correspondent à une conception très compréhensive des raisons d' intérêt social invoquées . Mais, nous l' avons dit, un tel contrôle revêtirait une portée empiétant sur les pouvoirs reconnus aux États membres . En tout état de cause, l' option retenue par le Royaume-Uni, à savoir faciliter l' accès à la propriété pour l' ensemble de la population, n' excède manifestement pas les limites de l' appréciation discrétionnaire qui doit lui être reconnue en ce domaine .

27 . S' agissant maintenant du secteur industriel et commercial, le taux zéro est utilisé par le Royaume-Uni comme un instrument d' incitation à la rénovation d' infrastructures et à la construction, notamment au regard de l' emploi . Nous ne partageons pas, à cet égard, les réserves faites par la Commission quant aux raisons d' intérêt social avancées . En effet, l' amélioration du tissu industriel, le développement des quartiers et, surtout, les incidences quantitatives et qualitatives sur l' emploi constituent à l' évidence des raisons sociales majeures . Cependant, nous devons vous inviter à constater ici un manquement dans la mesure où les taux zéro en cause, s' ils bénéficient indubitablement au travailleur, à l' usager, au citoyen, ne peuvent être considérés comme apportant un avantage au consommateur final tel que le vise la directive . Assimiler ici le consommateur final à l' ensemble de la population ne nous paraît pas compatible avec les prévisions d' un texte visant indubitablement l' acquéreur de biens ou services pour un usage personnel . De plus, une acception aussi extensive de la notion de consommateur final conduirait à supprimer de facto la condition posée à cet égard par le texte pour aboutir à admettre toute exonération reposant sur des raisons d' intérêt social .

28 . Quant aux ouvrages collectifs et ceux de génie civil, nous sommes enclins, pour des motifs analogues à ceux que nous venons d' exposer, à retenir une solution identique . Ici encore, en dépit de l' aspect social des raisons exposées, force est de constater que nous discernons avec peine dans quelle mesure le consommateur final n' est pas purement et simplement confondu avec la population dans son ensemble .

F - Groupe 17 - Vêtements et chaussures ( bottes et casques de protection )

29 . Le taux zéro appliqué aux acquisitions de ces fournitures effectuées par les employeurs serait justifié par la crainte qu' une taxation ne les décourage d' équiper leur personnel . Bornons-nous à constater que le bénéficiaire ne saurait être considéré comme un consommateur final selon la définition que nous avons retenue . Ajoutons, à cet égard, qu' il ressort des observations mêmes du Royaume-Uni que de nombreux employeurs pourraient récupérer la taxe afférente aux fournitures en cause .

30 . En conclusion, nous vous proposons :

- de constater que, en appliquant un taux zéro de TVA :

- en tant que l' industrie en bénéficie, aux fournitures d' eaux et aux prestations relatives aux égouts,

- aux services d' informations autres que ceux directement destinés soit au public, soit à la fabrication de produits, tels les journaux, bénéficiant d' un taux zéro,

- au secteur de la construction de bâtiments à usage industriel et commercial et au secteur collectif et du génie civil,

- dès lors qu' elles ne sont pas fournies aux consommateurs finals, aux fournitures de combustibles et d' énergie, de bottes et casques de protection,

le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE et de l' article 28, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388 du Conseil, du 17 mai 1977,

- de rejeter le surplus du recours,

- de condamner le Royaume-Uni aux dépens .

( 1 ) "Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme", JO L 145 du 13.6.1977, p . 1 .

( 2 ) Directive 67/228, "Structure et modalités du système commun de taxe sur la valeur ajoutée" ( ci-après "TVA "); JO 71 du 14.4.1967, p . 13O3 ( ci-après "deuxième directive ").

( 3 ) Première directive 67/227 du conseil, du 11 avril 1967, "en matière d' harmonisation des législations des Ëtats membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires", JO du 14.4.1967; deuxième directive, précitée .

( 4 ) J . C . Scholsem, "La TVA, impôt européen" in Mélanges Fernand Dehousse, vol . II, p . 3O5 .

( 5 ) Huitième considérant de la première directive .

( 6 ) Article 2, alinéa 1, de la première directive .

( 7 ) Les troisième, quatrième et cinquième directives n' avaient d' autre objet que de proroger la date de mise en place du système commun de TVA .

( 8 ) Voir deuxième considérant de la directive, souligné par nous .

( 9 ) Onzième considérant de la directive .

( 10 ) Dix-neuvième et dernier considérant de la directive, souligné par nous .

( 11 ) Taux zéro contestés :

Groupe 1 - Alimentation ( aliments pour animaux, semences, animaux vivants généralement utilisés pour produire ou fournir de la nourriture humaine )

Groupe 2 - Prestations relatives aux égoûts et aux eaux ( toutes les fournitures à l' industrie )

Groupe 6 - Services d' informations

Groupe 7 - Combustibles et énergie ( fournitures à d' autres utilisateurs que le consommateur final )

Groupe 8 - Construction de bâtiments, etc . ( non réalisées par ou pour le consommateur final dan le cadre d' une politique sociale )

Groupe 17 - Vêtements et chaussures ( bottes et casques de protection vendus aux employeurs ).

( 12 ) JO C 25O du 18.9.1987, p . 2 .

( 13 ) Arrêt du 1O décembre 1968, affaire 7/68, Rec . p . 617, 625 .

( 14 ) Arrêt du 22 mai 1985, 13/83, Rec . p . 1513, 1556, point 17 .

( 15 ) Conclusions de l' avocat général M . Lenz du 7 février 1985, affaire 13/83, précitée, p . 1515, 1518 .

( 16 ) Regina/Henn et Darby, 34/79, arrêt du 14 décembre 1979, Rec . p . 3795 .

( 17 ) Staats Secretaris van Finanziën/Hong-Kong Trade Development Council, 89/81, arrêt du 1er avril 1982, Rec . p . 1277, point 9 .

( 18 ) JO C 226 du 28.8.1984, p . 2 .

( 19 ) Point 12 de l' annexe .