C-138/86 - Direct Cosmetics Ltd / Commissioners of Customs and Excise

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EUR-Lex - 61986C0138 - FR

61986C0138

Conclusions de l'avocat général Vilaça présentées le 27 janvier 1988. - Direct Cosmetics Ltd et Laughtons Photographs Ltd contre Commissioners of Customs and Excise. - Demandes de décision préjudicielle: Value Added Tax Tribunal, London - Royaume-Uni. - Sixième directive TVA - Autorisation de mesures dérogatoires - Validité. - Affaires jointes 138/86 et 139/86.

Recueil de jurisprudence 1988 page 03937
édition spéciale suédoise page 00535
édition spéciale finnoise page 00545


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . En vertu de l' article 177 du traité CEE, le "London Value Added Tax Tribunal" nous défère à titre préjudiciel un certain nombre de questions relatives à l' interprétation de l' article 27 de la sixième directive du Conseil 77/388/CEE, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme ( 1 ), et à la validité d' une décision du Conseil qui, en application de l' article précité, autorise le Royaume-Uni à introduire pour une période de deux ans une mesure dérogatoire destinée à éviter certaines évasions fiscales ( 2 ).

1 . Les antécédents du litige

2 . Les questions ont été posées dans le cadre de litiges dans lesquels deux entreprises anglaises - Direct Cosmetics Ltd et Laughtons Photographs Ltd - contestent l' application de cette mesure dérogatoire à leur égard; les litiges portent essentiellement sur la détermination de la base d' imposition de la TVA en ce qui concerne les opérations effectuées par ces sociétés et qui, du fait de leur nature particulière, ont entraîné l' application de ladite mesure .

3 . Le procès qui nous occupe aujourd' hui fait suite à un autre procès déjà tranché par la Cour ( 3 ) et qui opposait également une des sociétés aujourd' hui en cause ( Direct Cosmetics ) et les "Commissioners of Customs and Excise ". Dans cette affaire, il s' agissait de savoir s' il était ou non nécessaire, en vertu de l' article 27, paragraphe 2, de la sixième directive, de notifier à la Commission une modification de la législation fiscale anglaise, dérogeant à la base d' imposition définie dans la directive précitée .

4 . Se conformant à l' arrêt de la Cour qui a considéré la modification en cause comme une "mesure particulière" au sens de l' article 27, paragraphe 1, soumise dès lors à autorisation du Conseil, le Royaume-Uni a communiqué à la Commission, le 15 mars 1985, la teneur de la mesure qui dérogeait à la sixième directive et qu' il entendait introduire .

5 . Selon cette notification, la dérogation en question, qui était limitée à une période de deux ans, visait à combattre l' évasion fiscale par l' introduction d' un système spécial de liquidation de la TVA dans les cas où le système de commercialisation de certaines entreprises était basé sur la vente des produits à des revendeurs non assujettis .

6 . Conformément à la disposition de l' article 27, paragraphe 3, la Commission a informé les autres États membres de la demande présentée par le Royaume-Uni; l' affaire n' ayant pas été soumise à l' appréciation du Conseil par un quelconque État membre ou par la Commission elle-même dans le délai de deux mois à compter de la date de cette information, la dérogation était réputée autorisée à partir du 13 juin 1985, conformément à l' article 27, paragraphe 4 ( 4 ).

7 . A la suite de cette autorisation, le paragraphe 3 de l' annexe 4 du "VAT Act 1983" disposait ce qui suit :

"Lorsque :

a ) tout ou partie de l' activité exercée par un assujetti consiste à fournir à un certain nombre de particuliers des marchandises destinées à être vendues au détail, que ce soit par ces derniers ou par d' autres personnes, et lorsque

b ) ces personnes ne sont pas des assujettis, les Commissioners peuvent donner instruction par écrit à l' assujetti que la valeur de toute livraison effectuée par lui après la notification de ces instructions ou après une date déterminée, indiquée dans la notification, sera réputée être sa valeur normale dans une vente au détail ."

8 . En ce qui concerne le texte précédemment en vigueur ( le paragraphe 2 de l' annexe 3 du "Finance Act" de 1972, dans sa version initiale ), la modification du paragraphe 3 de l' annexe 4 du VAT Act a consisté essentiellement dans la suppression de la mention qui y est faite de la nécessité de la "protection des intérêts du Trésor ".

9 . Par décisions respectivement du 25 juin 1985 et du 5 juillet 1985, dont le texte ( identique dans les deux cas ) doit être considéré comme reproduit ici, les Commissioners of Customs and Excise ont appliqué la disposition précitée aux sociétés Laughtons Photographs et Direct Cosmetics .

10 . On saisit l' importance de ces décisions pour leurs destinataires si on tient compte de la spécificité de leurs systèmes de vente respectifs . Ceux-ci sont décrits dans le rapport d' audience, et l' arrêt du 13 février 1985 avait déjà exposé le système de vente pratiqué par Direct Cosmetics .

11 . Nous rappellerons seulement que Direct Cosmetics est une société spécialisée dans la vente directe de produits cosmétiques qui ne peuvent pas être écoulés par les canaux commerciaux normaux ( invendus, fins de série, produits qui ne sont plus fabriqués, produits conditionnés dans des emballages de Noël et qui n' ont pas été vendus à l' époque appropriée, etc .). Direct Cosmetics achète ces produits directement aux producteurs à prix réduit et les revend ensuite aux hôpitaux, entreprises et bureaux par l' intermédiaire d' agents qui percevront le prix de catalogue de l' entreprise et verseront à celle-ci le produit de la vente; si le prix est versé dans un délai de quatorze jours, les agents peuvent retenir une ristourne de 20 % qui constitue leur rémunération .

12 . En ce qui concerne Laughtons Photographs, il s' agit d' une entreprise spécialisée dans les photographies individuelles ou de groupe des enfants des écoles, auxquelles les photographies sont vendues par lots; les écoles se chargent ensuite de les revendre aux familles des élèves à un prix à propos duquel la société ne peut pas préciser s' il est égal ou supérieur à celui qu' elle-même a facturé aux écoles .

13 . Il importe de relever que les agents par l' intermédiaire desquels se fait la vente des produits de Direct Cosmetics ne sont pas assujettis à la TVA, parce que leur chiffre d' affaires est inférieur à la limite minimale fixée par la législation britannique, conformément à l' article 24 de la sixième directive; de même, les écoles ne sont pas assujetties à la TVA pour les photographies qui leur sont facturées par la société Laughtons et qu' elles revendent .

14 . C' est dans ce contexte que les deux sociétés en cause ont saisi le London Value Added Tax Tribunal . Elles ont fait valoir devant cette juridiction que les décisions des Commissioners étaient invalides au motif qu' elles sortaient du cadre des objectifs visés par l' article 27, paragraphe 1, de la sixième directive et par la décision d' autorisation du Conseil, du 31 juillet 1985; en outre, elles ont soutenu que l' article 11, lettre A, paragraphe 1, sous a ), de la même sixième directive, auquel il faut, selon elles, reconnaître un effet direct et en vertu duquel la TVA n' est due que sur la contrepartie effectivement obtenue par elles, était applicable .

15 . Les Commissioners ont fait valoir à l' encontre de ces considérations a ) que l' article 11, lettre A, paragraphe 1, sous a ), avait été transposé en droit anglais; b ) que la notification qu' ils avaient effectuée en vertu d' une dérogation valablement autorisée par le Conseil de ministres avait été régulière; c ) que la mesure litigieuse était apte à permettre de taxer la totalité de la valeur du produit au stade de la vente au détail .

2 . Les questions préjudicielles

16 . La juridiction de renvoi a sursis à statuer et a posé à titre préjudiciel les cinq questions suivantes à la Cour :

"1 ) Une mesure telle que celle inscrite au paragraphe 3 de l' annexe 4 du Value Added Tax Act de 1983 se situe-t-elle dans les limites fixées par l' article 27, paragraphe 1, de la sixième directive ou excède-t-elle ce qui est strictement nécessaire?

2 ) Lorsqu' une telle mesure s' applique :

a ) à un contribuable dont il a été admis qu' il exerce son activité sans aucune intention de fraude ou d' évasion fiscale concernant la taxe sur la valeur ajoutée et dont la méthode de vente pratiquée est inspirée uniquement par des considérations commerciales;

b ) à un contribuable dont il a été admis qu' il exerce son activité sans aucune intention de fraude ou d' évasion fiscale concernant la taxe sur la valeur ajoutée et dont la méthode de vente pratiquée est inspirée uniquement par des considérations commerciales, cela pouvant cependant avoir pour résultat objectif une certaine évasion fiscale;

c ) à certains contribuables vendant directement à des revendeurs qui ne sont pas tenus à l' assujettissement, mais non à l' encontre d' autres contribuables procédant de la sorte,

se situe-t-elle dans les limites de la dérogation prévue par l' article 27, paragraphe 1, de la sixième directive ou excède-t-elle ce qui est strictement nécessaire?

3 ) Une telle mesure peut-elle s' appliquer à des contribuables dont les activités ne relèvent pas de l' objet visé par l' article 27 de ladite sixième directive ou ne relèvent pas des termes de la demande d' autorisation ou des termes de l' autorisation effective du Conseil de ministres?

4 ) La décision d' autorisation du Conseil de ministres est-elle invalide ou dépourvue d' effets pour des raisons de fond ou de procédure, tel que le fait pour le Conseil de ministres ou les États membres de n' avoir pas apprécié la mesure par rapport aux critères énoncés à l' article 27 de la sixième directive ou au principe de proportionnalité ou aux principes de base de la sixième directive ou de n' avoir pas été informé du fait que la mesure n' était pas susceptible de faire l' objet d' une pareille appréciation?

5 ) La décision d' autorisation du Conseil de ministres signifie-t-elle qu' un contribuable individuel, tel que le demandeur dans la procédure principale, dont il a été admis qu' il exerce son activité sans aucune intention de fraude ou d' évasion fiscale concernant la taxe sur la valeur ajoutée, ne peut prétendre à être imposé conformément aux dispositions de l' article 11, lettre A, paragraphe 1, sous a ), de la sixième directive concernant la taxe sur la valeur ajoutée?"

17 . Il faut changer l' agencement des questions posées, leur formulation ne permettant pas d' y répondre avec clarté .

18 . En effet, les deux premières questions concernent le même problème général ( portée de la dérogation prévue par l' article 27, paragraphe 1, de la sixième directive ), la deuxième question précisant certains aspects du problème général déjà soulevé dans la première question .

19 . La cinquième question, quant à elle, est intimement liée à l' analyse de ces deux questions, l' exclusion de l' article 11, lettre A, paragraphe 1, sous a ), résultant de l' application d' une mesure dérogatoire valablement autorisée .

20 . A - Par ces différentes questions, la juridiction de renvoi cherche essentiellement à savoir :

1 ) si l' article 27, paragraphe 1, de la sixième directive permet qu' une mesure particulière dérogatoire s' applique dans les cas d' évasion fiscale objective, dans lesquels l' existence d' une quelconque intention de fraude n' est pas démontrée chez les opérateurs économiques concernés;

2 ) si une mesure spéciale dérogeant à la sixième directive, telle que celle prévue par le paragraphe 3 de l' annexe 4 du VAT Act de 1983, est visée par la disposition de l' article 27, paragraphe 1, précité ou si elle est disproportionnée par rapport à l' objectif visé, consistant à éviter certaines fraudes ou évasions fiscales;

3 ) si l' article 27, paragraphe 1, n' est compatible avec l' application de la mesure en cause que pour certains opérateurs qui vendent directement à des revendeurs non assujettis;

4 ) si, à la lumière des réponses à donner aux questions susmentionnées, il faut ou non déclarer l' article 11, lettre A, paragraphe 1, sous a ) , inapplicable .

21 . B - En ce qui concerne la première partie de la troisième question, la réponse résulte inévitablement des réponses à donner aux questions précédentes, sans qu' il soit nécessaire d' y consacrer de plus amples développements; dans sa partie finale, cette question pose encore le problème de savoir dans quels termes, conformément à l' article 27, paragraphe 4, le Conseil de ministres peut être considéré comme ayant tacitement autorisé l' adoption des mesures dérogatoires .

22 . La quatrième question concerne de nouveau le problème des conditions de validité de la décision tacite d' autorisation, prise par le Conseil . Il s' agit d' un problème que nous devrons analyser en liaison avec les autres questions posées par la juridiction de renvoi .

23 . Nous examinerons toutes les questions posées comme de véritables problèmes d' interprétation de l' article 27 et y répondrons en tenant compte de la nature spécifique du processus de renvoi préjudiciel, qui ne permet pas d' interpréter le droit national ni d' apprécier sa compatibilité avec le droit communautaire .

3 . Le système général de la taxe sur la valeur ajoutée

24 . A - Pour répondre à ces différentes questions, il convient de commencer par examiner le système général de la TVA communautaire, tel qu' il est consacré dans la sixième directive et dans les directives antérieures, en particulier les première et deuxième directives TVA .

25 . B - Comme on le sait, ces deux dernières directives, du 11 avril 1967, ont créé les bases pour l' uniformisation des systèmes nationaux de taxation du chiffre d' affaires dans les pays de la Communauté .

26 . La première directive ( 5 ) a rendu l' adoption de la TVA obligatoire sur tout le territoire de la Communauté à partir du 1er janvier 1970 ( date qui a été ensuite reportée au 1er janvier 1972 ) en remplacement des taxes cumulatives qui étaient appliquées antérieurement dans presque tous les États membres ( à l' exception de la France ).

27 . La deuxième directive ( 6 ), quant à elle, a établi certains des principes généraux, encore assez souples, qui devaient régir la TVA communautaire .

28 . C - Par rapport aux taxes cumulatives, le système de la taxe sur la valeur ajoutée présente des avantages incontestables : il s' agit évidemment d' un impôt neutre dans le traitement fiscal tant des transactions intérieures que des transactions internationales .

29 . D' une part, la TVA est un impôt qui n' interfère pas avec le degré d' intégration de l' activité de production : un bien supporte toujours la même charge fiscale, quelle que soit la longueur du circuit de production, étant donné que cette charge dépend uniquement de la valeur ajoutée à chaque étape, les taxes inclues dans le prix des biens intermédiaires et des services étant déductibles à chaque étape ( cf . première directive, huitième considérant, et article 2, alinéa 2 ). Ce qui importe, c' est que la somme de la TVA frappant à chaque étape la valeur ajoutée au cours de chaque étape soit égale au montant qui résulterait de l' application d' une taxe d' étape unique et au même taux, frappant seulement la vente du bien par le détaillant au consommateur final . La TVA peut donc être considérée comme "un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d' imposition" ( article 2, alinéa 1, de la première directive ).

30 . D' autre part, la TVA permet aisément l' ajustement fiscal aux frontières par la restitution à l' exportateur des taxes payées en amont et la taxation des importations dans le pays de destination au taux applicable aux marchandises nationales similaires . Cette méthode assure l' élimination des discriminations entre les produits nationaux et importés et la suppression des barrières fiscales à la libre circulation des marchandises à l' intérieur de la Communauté, aussi longtemps qu' il n' est pas possible d' éliminer totalement les frontières fiscales par l' adoption de ce qu' il est convenu d' appeler le "principe d' origine ".

31 . Tels étant certains des objectifs fondamentaux que le système de la TVA doit permettre d' atteindre, il est clair que l' application de cette taxe doit être aussi large que possible, étant donné que son efficacité par rapport aux objectifs visés est d' autant plus grande que s' étendent la gamme des produits et services auxquels elle s' applique et la couverture des transactions à partir du stade de la production jusqu' à celui du commerce de détail . Comme le souligne le cinquième considérant de la première directive, "un système de taxe sur la valeur ajoutée atteint la plus grande simplicité et la plus grande neutralité lorsque la taxe est perçue d' une manière aussi générale que possible et que son champ d' application englobe tous les stades de la production et de la distribution ".

32 . En outre, la "généralisation" de la TVA est un facteur essentiel de son efficacité financière, en ce qu' elle permet d' assurer une recette importante à des taux normaux qui se maintiennent dans des limites raisonnables ( voir quatrième considérant de la deuxième directive ).

33 . D . Or, c' est la sixième directive qui a permis de franchir une étape importante dans la réalisation des objectifs de la TVA au niveau communautaire, en donnant une impulsion significative au processus d' harmonisation fiscale .

34 . En effet, bien qu' elles aient créé les bases de l' uniformisation des systèmes nationaux d' imposition indirecte, tant la première que la deuxième directive avaient laissé subsister la possibilité de nombreuses divergences quant au champ d' application de la taxe et avaient introduit un nombre encore très restreint de concepts communautaires .

35 . En revanche, la sixième directive a uniformisé dans tous les États membres la base d' imposition de la TVA, ce qui s' est traduit, par rapport à la deuxième directive, par une application aussi large que possible de la taxe .

36 . D' une part, la sixième directive a imposé l' obligation d' inclure la valeur ajoutée au stade du commerce de détail dans la base d' imposition, ce qui était facultatif précédemment .

37 . D' autre part, elle a imposé la taxation des services et uniformisé la liste des exonérations que les États membres sont autorisés à accorder .

38 . Il faut encore se rappeler que la sixième directive visait un autre objectif immédiat, à savoir la création des conditions pour que la TVA puisse constituer une base de calcul des ressources propres de la Communauté : c' est ce qui a rendu indispensable l' uniformisation de la base d' imposition, condition préalable d' une répartition équitable des charges entre les différents États membres .

39 . E . Or, le souci de soumettre la base d' imposition à une taxation aussi complète que possible sur une base générale et uniforme dans toute la Communauté se heurte tant aux impératifs politiques ou sociaux de l' exclusion de certaines opérations, certaines catégories d' opérateurs, qu' au poids des traditions et usages fiscaux nationaux ou aux difficultés administratives ou aux problèmes d' organisation économique ou aux difficultés liées, dans certains cas, à l' identification rigoureuse et la détermination précise de la base d' imposition effective .

40 . C' est la raison pour laquelle, d' une part, la sixième directive a dû accepter certaines limites à l' uniformisation des régimes fiscaux, en rendant certaines décisions facultatives ( par exemple, les articles 5, paragraphes 5, 7 et 8, et 6, paragraphe 3 ) ou en laissant, temporairement ou définitivement, certains régimes au choix des États membres ou des assujettis eux-mêmes ( par exemple, l' article 13, lettre C; le régime des petites entreprises, prévu par l' article 24; les régimes spéciaux des producteurs agricoles, en vertu de l' article 25; les dispositions transitoires de l' article 28 ).

41 . En outre, aux articles 13 à 16, la directive a institué un régime commun d' exonérations . Or, ces exonérations sont limitées en pratique à certains types de transactions qu' il est très difficile ou impossible d' inclure dans la base d' imposition et à une série de dépenses dont l' exonération se justifie par des raisons importantes de politique sociale .

42 . La directive a donc été aussi loin que possible dans la détermination de la base d' imposition et, inversement, elle s' est limitée au minimum indispensable en ce qui concerne les exceptions au principe de la généralité de l' impôt .

43 . C' est ce qui justifie que ces exceptions ne soient pas interprétées dans un sens large, mais, dans la mesure où elles s' opposent à la règle de base, qu' elles soient au contraire interprétées strictement .

44 . D' autre part, la sixième directive a permis l' adoption de certains mécanismes destinés à faire face à des situations particulièrement complexes ou comportant le risque d' une évasion fiscale soustrayant à la taxe une partie de la base d' imposition .

45 . C' est ainsi que l' article 4, paragraphe 4, alinéa 2, élargissant la définition de l' assujetti visée au paragraphe 1, permet aux États membres de considérer "comme un seul assujetti les personnes établies à l' intérieur du pays qui sont indépendantes du point de vue juridique, mais qui sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l' organisation ".

46 . La disposition de l' article 27, qui prévoit en son paragraphe 1 que "le Conseil, statuant à l' unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d' éviter certaines fraudes ou évasions fiscales", va dans le même sens .

47 . Eu égard aux termes dans lesquels cette disposition est rédigée, on ne saurait exclure que le champ d' application des mesures dérogatoires englobe la disposition de l' article 11, en particulier l' article 11, lettre A, paragraphe 1, sous a ), qui consacre le principe que, dans chaque transaction ( livraison de biens ou prestation de services ), la base d' imposition est normalement constituée par la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire de services .

48 . Or, il est évident que le législateur a voulu que les solutions adoptées en vertu de l' article 27 s' écartent le moins possible de la ligne définie par la réglementation de base . C' est la raison pour laquelle il a tenu à préciser ( deuxième phrase du paragraphe 1 ) que "les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale ".

49 . De même, la possibilité d' introduire des mesures particulières "afin d' éviter certaines fraudes ou évasions fiscales" doit être considérée comme constituant une dérogation qui ne vise pas à contredire le raisonnement de la sixième directive, mais vise à réaliser le plus complètement possible les objectifs de ladite directive .

50 . En fait, devant les difficultés de certaines situations concrètes, il s' agit de prévoir l' instauration de mécanismes aptes à "poursuivre" la base d' imposition, en évitant que, devant les circonstances particulières caractérisant les transactions en cause, une partie d' entre elles échappe à la taxe, ce qui pourrait éventuellement entraîner des distorsions ( ne résultant pas nécessairement d' une "concurrence déloyale ") dans le traitement fiscal de situations qui, sur le plan économique ou commercial, sont fondamentalement identiques .

51 . Tant dans ce cas que dans celui des mesures destinées à simplifier la perception de la taxe, les mesures adoptées peuvent revêtir différentes formes ( 7 ). Une de ces formes est indéniablement celle qui a été utilisée par le Royaume-Uni au paragraphe 3 de l' annexe 4 du VAT Act et qui a été appliquée aux sociétés demanderesses .

52 . Il reste à savoir si cette forme est légale et si elle a été appliquée correctement .

53 . Nous estimons que les principes développés jusqu' à présent permettent de répondre à ces questions .

4 . Analyse des questions préjudicielles

54 . A - Le premier problème d' interprétation soulevé par l' article 27 est de savoir si cet article ne permet l' adoption de mesures particulières pour combattre l' évasion fiscale que lorsqu' il existe une intention d' échapper à la taxe ou s' il couvre aussi les cas dans lesquels l' évasion fiscale apparaît comme une conséquence objective des pratiques commerciales adoptées par les assujettis .

55 . A cet égard, les sociétés demanderesses soutiennent que ( à l' exception des cas de simplification de la perception ) la disposition de l' article 27 ne peut s' appliquer que dans les cas d' évasion fiscale frauduleuse .

56 . Ce point de vue ne nous paraît pas exact .

57 . Le texte de l' article 27 de la sixième directive - quelle que soit la version considérée, y compris la version anglaise - cite à l' évidence deux concepts distincts, à savoir celui de fraude et celui d' évasion fiscale, et il les inclut expressément dans la règle qu' il édicte, comme le fait le dix-septième considérant du préambule de la directive .

58 . Dans ce considérant, la directive s' est écartée du texte de l' article 13 de la deuxième directive, qui ne prévoyait la possibilité pour les États membres d' instaurer des mesures particulières qu' "afin d' éviter certaines fraudes ".

59 . La différence de rédaction montre clairement que la sixième directive a voulu couvrir "l' évasion objective", en étendant la dérogation admise .

60 . La version anglaise de la sixième directive est même particulièrement éloquente à cet égard . En effet, alors que l' article 27 dit qu' il s' agit d' éviter "certain types of tax evasion or avoidance", le dix-septième considérant cite l' objectif "to avoid fraud or tax avoidance", en ajoutant ce dernier concept ( qui correspond à "evasão fiscal" en portugais et à des expressions similaires dans les autres langues romanes ) à celui de "fraud", qui était le seul concept mentionné dans la deuxième directive .

61 . L' objectif et l' économie générale de la disposition - tel qu' ils résultent des développements que nous avons consacrés plus haut au système de la sixième directive - confortent ce point de vue . Il est évident qu' il s' agit de mesures dérogeant aux règles générales de la directive ( en particulier celle de l' article 11 ); toutefois, comme nous l' avons souligné, il s' agit de dérogations qui, eu égard à leurs objectifs et aux mécanismes adoptés, doivent s' inscrire dans le cadre de l' esprit général du système de la TVA .

62 . Du reste, on peut comprendre la solution adoptée par le législateur de la sixième directive : la limitation du champ d' application des mesures dérogatoires aux cas de fraude ne permettrait pas d' atteindre dans la même mesure les objectifs de la directive, qui dépendraient en outre de la preuve de l' intention frauduleuse, qui devrait être apportée dans chaque cas, et créeraient en outre des possibilités de discrimination entre deux sociétés dont l' une ne serait limitée, à des fins d' évasion fiscale, à copier les méthodes commerciales que l' autre aurait introduites avant même la création de la taxe .

63 . A l' appui de cette interprétation, on peut encore citer la déclaration dont il a déjà été question et qui figure dans le compte rendu de la réunion du Conseil au cours de laquelle la sixième directive a été adoptée, déclaration selon laquelle les mesures visant à éviter la fraude et l' évasion fiscale pourront consister, par exemple, "en dispositions destinées à éviter une réduction de la base d' imposition, considérée comme injustifiée par l' État membre ".

64 . Ce point de vue est aussi partagé par le gouvernement de la République fédérale d' Allemagne, ainsi qu' il résulte des observations qu' il a présentées dans la présente procédure .

65 . Selon nous, les considérations que les deux sociétés ont cherché à déduire de la comparaison des textes des sixième et deuxième directives sont ainsi affaiblies .

66 . Nous ne pensons pas non plus que, dans l' état actuel du droit communautaire, il soit de ce fait porté atteinte à l' esprit de la disposition de l' article 19 de la deuxième directive, dont les objectifs continuent à s' imposer aux institutions, dans le cadre de l' élimination des barrières fiscales à l' intérieur de la Communauté, conformément à l' article 35 de la sixième directive .

67 . B - Compte tenu du système consacré par l' article 27, l' analyse de la validité d' une mesure nationale qui déroge à la directive doit comporter deux aspects différents .

68 . Le premier est celui de l' autorisation du Conseil, exigée par l' article 27, paragraphe 1 : il faut que la procédure, décrite aux paragraphes 2, 3 et 4 de cet article ( notification à la Commission, information des États membres, autorisation expresse ou tacite ), ait été régulièrement appliquée; ensuite, il faut tenir compte des termes de l' autorisation et de la relation entre l' autorisation et la demande .

69 . En second lieu, la validité de la mesure dépend de sa compatibilité avec les objectifs de l' article 27 et avec les principes généraux de la sixième directive .

70 . Examinons tout d' abord le premier de ces aspects .

71 . Comme l' a observé l' avocat général M . VerLoren van Themaat dans ses conclusions dans la première affaire Direct Cosmetics ( 8 ), les différentes procédures instaurées par l' article 27 visent à garantir que "les États membres n' introduiront pas de dérogations au système normal ( en particulier celui de l' article 11 ) de la directive qui ne répondent pas aux critères établis à l' article 27 ".

72 . C' est dans ce but que l' article 27, paragraphe 2, dispose que lorsqu' il informe la Commission, l' État membre qui souhaite introduire les mesures dérogatoires lui fournira "tous les éléments d' appréciation utiles ".

73 . Or, ces garanties doivent s' appliquer aussi aux dispositions nationales qui - comme celles qui sont en cause en l' espèce - ne confèrent à certaines autorités administratives qu' une habilitation générale pour l' adoption de mesures individuelles destinées en particulier à empêcher les fraudes ou évasions fiscales . On ne saurait admettre que, en adoptant une simple disposition d' habilitation générale permettant aux autorités compétentes de déroger au système général de la sixième directive, les États membres s' abstiennent d' apprécier leur mesure à la lumière des critères de l' article 27, en permettant l' adoption de dispositions individuelles d' application qui, échappant à cette appréciation, seraient susceptibles de ne pas satisfaire à ces critères .

74 . Si, de surcroît, les objectifs de la disposition en cause et le cadre dans lequel elle doit être appliquée ne sont pas très clairs, seule la prise en considération de l' ensemble de ces éléments permettra de conclure qu' il ne s' agit pas d' une habilitation entièrement "en blanc" et, partant, qu' elle peut être appréciée à la lumière des critères visés à l' article 27 .

75 . A cet égard, nous rappellerons que le texte en cause de la mesure litigieuse a résulté de la suppression, dans la version antérieure, des termes "pour protéger les intérêts du Trésor", qui pourraient être considérés comme l' équivalent des termes "éviter certaines fraudes ou évasions fiscales", utilisés par la sixième directive ( 9 ). C' est cette modification que la Cour a examinée dans la première affaire Direct Cosmetics ( 10 ) et qu' elle a jugée ( vingt-septième attendu dudit arrêt ) de nature à rompre tout lien apparent entre les mesures litigieuses et les exceptions prévues par l' article 27, paragraphe 1 .

76 . Le pouvoir de déroger à la directive, reconnu aux Commissioners, ayant ainsi été étendu dans une mesure apparemment indéterminée, la Cour en a déduit ( vingt-huitième attendu ) qu' il était devenu nécessaire de procéder à une nouvelle notification, conformément à l' article 27, paragraphe 2, pour permettre à la Commission et éventuellement au Conseil "de contrôler s' il y avait encore correspondance entre la mesure nouvelle et l' objectif défini par le paragraphe 1 du même article ".

77 . Le Royaume-Uni a effectué cette notification le 15 mars 1985 et c' est sur la base de cette notification que la Commission et les États membres ont pu vérifier l' existence de cette correspondance, ce qui a conduit à l' autorisation tacite du Conseil .

78 . Peut-on en déduire que les données contenues dans la notification étaient de nature à permettre à la Commission et aux États membres d' apprécier en toute connaissance de cause et de façon exhaustive les objectifs, le champ d' application et la nature de la mesure et, comme le demande la juridiction de renvoi, de considérer comme valide l' autorisation tacite qui a été accordée?

79 . A cet égard, nous observerons tout d' abord que la notification, effectuée par les autorités britanniques - et dont les termes sont contenus dans la décision de renvoi -, contient non seulement le texte de la mesure particulière pour laquelle l' autorisation a été sollicitée, mais aussi différentes précisions sur les objectifs qu' elle vise à atteindre, l' historique de la législation en cause et les circonstances dans lesquelles elle doit être appliquée .

80 . La notification fait plus particulièrement référence au fait que, "au Royaume-Uni, certaines sociétés, dans le domaine des cosmétiques, par exemple, vendent uniquement leurs produits à des détaillants qui ne sont pas tenus à l' assujettissement et ne tombent donc pas sous le coup de la TVA . Or, bien que les sociétés et les détaillants en question ne cherchent pas à se soustraire à l' impôt, la nature de leur système de commercialisation est telle que la taxe sur la valeur ajoutée au produit final par le négociant n' est pas acquittée . Les sociétés qui vendent des produits similaires par l' intermédiaire de revendeurs au détail ordinaires, tenus à l' assujettissement, et qui sont en concurrence directe avec les premières, sont par conséquent désavantagées sur le plan de la concurrence, puisque le prix de leurs produits pour le consommateur final est augmenté de la TVA ".

81 . Le texte de la notification ajoute encore que la mesure en cause ne s' appliquera qu' à des entreprises suffisamment importantes (" in a substantial way of business ") et qui exercent leurs activités de la manière décrite . Il indique donc que la mesure ne s' appliquera pas aux autres grossistes qui vendent à des détaillants non inscrits .

82 . Il nous paraît donc logique de considérer qu' une notification effectuée dans ces termes contient en substance les éléments indispensables pour permettre à ses destinataires de comprendre ses objectifs et sa portée et de demander, en cas de doute ou de différend, son appréciation par le Conseil .

83 . Les observations présentées en l' espèce par le Conseil vont dans le même sens .

84 . Dans ce contexte, la déclaration faite par un membre du gouvernement britannique au cours d' une séance du Parlement et que les demanderesses dans la procédure principale ont citée à l' appui de leur thèse est dépourvue d' importance .

85 . C - Or, dans le cas d' espèce, une circonstance particulière est venue compliquer l' appréciation du problème .

86 . En effet, à la suite de la notification effectuée par le Royaume-Uni, conformément à la disposition de l' article 27, paragraphe 3, de la sixième directive, la Commission a informé tous les autres États membres et le Conseil, respectivement par lettres du 12 avril et du 9 juillet 1985, du fait qu' elle avait été saisie d' une demande de mesures dérogatoires par les autorités britanniques .

87 . Or, il a été constaté que la version anglaise des communications de la Commission parle de "tax evasion", qui est l' équivalent anglais de "fraude fiscale", et non de "tax avoidance" qui, dans la terminologie anglo-saxonne, correspond mieux à "évasion fiscale ".

88 . La même terminologie a été utilisée dans le texte anglais de la communication de la décision d' autorisation ( 85/369/CEE ), publiée au Journal officiel du 31 juillet 1985, et elle a apparemment été reprise dans deux autres versions linguistiques .

89 . Ayant constaté qu' il s' agissait d' une erreur, le Conseil l' a corrigée dans le JO L 93 du 7.4.1987, p . 17 . Or, cette erreur ne s' est pas répercutée sur la publication au Journal officiel d' une nouvelle autorisation de maintenir les mesures dérogatoires pour plus de deux ans ( 11 ).

90 . La circonstance que nous venons de mentionner est de nature à faire naître des doutes quant au champ d' application ou la validité de l' autorisation tacite accordée par le Conseil de ministres et, partant, sur la portée de la mesure dérogatoire adoptée par le Royaume-Uni .

91 . Or, selon nous, cette circonstance n' affecte pas la régularité de la procédure appliquée ni, partant, la validité de la mesure prise par le Royaume-Uni et le sens que celui-ci a de toute évidence voulu donner à sa notification .

92 . En effet, tous les États membres avaient reçu, en même temps que la lettre de la Commission, le texte de la notification du Royaume-Uni, contenant les éclaircissements nécessaires pour comprendre, en dépit de l' erreur de terminologie ou de traduction, la portée de la mesure en question .

93 . Nous rappellerons en particulier que, dans la notification en question, les autorités britanniques précisaient expressément qu' était en cause la situation d' entreprises qui ne cherchaient pas à se soustraire à la taxe, mais qui, du fait de leur organisation commerciale, l' évitaient partiellement .

94 . Du reste, ainsi qu' il a été expliqué, la plupart des versions liguistiques, y compris la version française, ne contenaient pas l' erreur en question . D' ailleurs, on peut constater que la lettre de la Commission, qui accompagnait le texte de la notification du Royaume-Uni, précisait qu' il s' agissait de l' évasion fiscale "en rapport avec le type de circuit de distribution ".

95 . Rien ne permet donc de conclure que les États membres ont été induits en erreur sur la nature de la dérogation sollicitée, étant donné qu' ils étaient en possession de tous les éléments permettant d' en comprendre le sens .

96 . Aucun État membre - ni la Commission - n' a demandé que la demande fût soumise à l' appréciation du Conseil, ce qui fait qu' en vertu de l' article 27, paragraphe 4, la décision d' autorisation était réputée acquise à partir du 13 juin 1985 . Comme le Conseil l' a souligné dans ses observations, en tant qu' institution, elle doit être considérée comme ayant examiné et approuvé la mesure proposée .

97 . C' est cette autorisation tacite qui a été portée à la connaissance des tiers par la publication au Journal officiel .

98 . Or, selon nous, force est de considérer que cette autorisation tacite doit nécessairement avoir exactement la même portée et le même sens que ceux qui lui ont été attribués dans la demande de dérogation, présentée par l' État membre intéressé .

99 . Le champ d' application de la mesure notifiée ne pourrait être modifié qu' après appréciation de la notification par le Conseil et refus du Conseil d' accorder l' autorisation demandée .

100 . Or, non seulement aucun État membre n' a demandé son appréciation par le Conseil, mais aucun d' eux n' a non plus contesté a posteriori - du moins par des observations présentées dans le cadre de la présente procédure - la régularité de la procédure en cause à la suite de la circonstance indiquée plus haut .

101 . Dans ces conditions, rien ne permet de dire que l' erreur commise a pu, par elle-même, affecter la validité de la mesure nationale adoptée sur la base de l' autorisation tacite qui a été accordée; dans le cas contraire, il serait porté gravement atteinte à l' attente légitime d' un État membre et - du fait d' une erreur à laquelle cet État a été totalement étranger - à sa position juridique qui lui est reconnue par le droit communautaire .

102 . Il n' est pas non plus porté atteinte à la position des justiciables visés par les mesures adoptées . En cas de doute, les juridictions nationales - auxquelles il incombe d' appliquer leur droit national respectif - peuvent toujours demander à la Cour, en vertu de l' article 177, de leur fournir les éléments d' interprétation du droit communautaire qui leur permettront de contrôler la régularité de la procédure suivie, laquelle pourrait être mise en cause si, par exemple, la Commission ou les États membres avaient été privés des éléments nécessaires pour apprécier en toute connaissance de cause les termes de la dérogation demandée .

103 . Comme nous l' avons dit, tel n' a pas été le cas en l' espèce .

104 . D - Analysons maintenant le deuxième aspect mentionné plus haut .

105 . Dans les observations qu' elles ont présentées dans la présente procédure, les deux sociétés ont fait valoir subsidiairement que la mesure adoptée par le Royaume-Uni était disproportionnée par rapport aux objectifs qu' elle prétendait atteindre et qu' elle sortait de ce fait des limites qui lui étaient tracées par l' article 27, paragraphe 1 .

106 . a ) - Tout d' abord, il faut rappeler ici, à cet égard, l' orientation définie par la Cour dans l' arrêt Commission/Belgique, du 10 avril 1984 ( 12 ), selon lequel les mesures particulières dérogatoires que les États membres peuvent maintenir pour éviter certaines fraudes ou évasions fiscales "ne peuvent déroger en principe au respect de la base d' imposition de la TVA visée par l' article 11 que dans des limites strictement nécessaires pour atteindre cet objectif ".

107 . Or, nous avons déjà dit que, selon l' article 11, lettre A, paragraphe 1, sous a ), la base d' imposition est en principe constituée, pour chaque transaction, par la valeur de la contrepartie obtenue par le vendeur du bien ou par le prestataire de services . Du point de vue historique, la TVA est une taxe sur la consommation qui vise en principe à atteindre le consommateur final des biens et qui le fait contribuer dans la mesure de ses dépenses : c' est la raison pour laquelle la base d' imposition est en règle générale constituée par la valeur réelle de la transaction et non par les valeurs présumées ou normales ( 13 ): de ce fait, la base d' imposition est, en règle générale, constituée par la valeur réelle de la transaction et non par la valeur présumée ou normale .

108 . Il convient dès lors d' apprécier l' importance de la différence que chaque mesure dérogatoire introduit dans la base générale d' imposition de la TVA, cela afin de déterminer si elle reste dans les limites strictement nécessaires .

109 . Le gouvernement britannique a expliqué en l' espèce que l' application de la mesure en cause a eu pour seul effet de permettre de taxer la valeur ajoutée par certaines catégories d' intermédiaires, de manière à éviter l' évasion fiscale et les distorsions du jeu de la concurrence qui résulteraient de l' introduction dans le système de commercialisation d' un stade supplémentaire, constitué par des agents non assujettis .

110 . Le gouvernement britannique prétend que, dans ces circonstances, les détaillants ne sont que la "longa manus", l' "alter ego" de l' assujetti dans un système de vente directe aux consommateurs .

111 . Or, l' analyse des termes de la mesure elle-même montre que ladite mesure n' est applicable que dans les cas où la totalité ou une partie de l' activité ( en fait, les explications contenues dans la notification parlent seulement d' activités exclusives ) d' un assujetti consiste à fournir à des particuliers non assujettis à la TVA des marchandises destinées à la vente au détail .

112 . Il faut admettre que, dans ces conditions et en l' absence de mesures spécialement applicables, la totalité ou la majorité des ventes de cet assujetti aux consommateurs se feraient à un prix n' incluant pas la TVA qui serait normalement due sur la valeur ajoutée aux biens en question au moment de leur vente par les détaillants .

113 . De ce fait, la base d' imposition ne serait plus le prix final de vente aux consommateurs, étant donné que la différence entre le prix final et le prix pratiqué au stade antérieur échapperait à la taxe .

114 . En revanche, si les biens étaient vendus directement aux consommateurs par l' assujetti, par l' intermédiaire de ses salariés ou agents qui percevraient une commission sur les ventes, la TVA serait facturée sur le prix total de vente au détail au consommateur final . Il y aurait alors distorsion du jeu de la concurrence, ce qui est contraire au système général de la TVA et que les mesures dérogatoires telles que celles qui sont en cause ici visent à empêcher .

115 . En l' absence de telles mesures, la distorsion du jeu de la concurrence aurait même pour effet d' inciter les entreprises à modifier leurs méthodes commerciales, en remplaçant les agents rémunérés par une commission par des détaillants apparemment indépendants et non assujettis à la taxe . La modification des structures serait une conséquence de la taxe qui perdrait son caractère souhaitable de neutralité .

116 . La nécessité de mesures particulières est peut-être même particulièrement évidente dans le cas du Royaume-Uni, compte tenu du taux relativement élevé de l' exonération prévue en faveur des petites entreprises de ce pays .

117 . A cet égard, il faut ajouter que - comme le Royaume-Uni et la Commission l' ont souligné - la situation en cause n' est pas comparable à celle d' un assujetti qui effectue des ventes normales à des petites entreprises se situant dans les limites de l' exonération .

118 . Dans ce dernier cas, les ventes en question ne représentent en général qu' une petite partie du chiffre d' affaires du fournisseur, qui vend en général par l' intermédiaire d' assujettis enregistrés, et elles ne représentent dès lors qu' une quantité négligeable du point de vue de l' évasion fiscale; en revanche, les situations visées auxquelles les mesures dérogatoires se rapportent concernent des entreprises qui pratiquent exclusivement ou essentiellement les méthodes de vente décrites plus haut .

119 . Le gouvernement britannique a expliqué en outre que le système de vente directe des biens de consommation a connu un développement considérable, le chiffre d' affaires ayant atteint, en 1985, 330 millions de livres sterling, dont la moitié dans le secteur des produits cosmétiques et articles de beauté .

120 . Il est donc permis de conclure que les objectifs en vue desquels le Royaume-Uni a sollicité l' autorisation d' introduire la mesure dérogatoire, loin d' éloigner celle-ci du cadre de l' article 27, permettent de penser qu' elle est en principe destinée à être conforme à l' orientation générale de la sixième directive .

121 . b ) En outre, la demande d' autorisation d' adopter des mesures dérogatoires était limitée à une période de deux ans ( prorogée par la suite d' une nouvelle période de deux ans ), le gouvernement britannique s' étant engagé à étudier entre-temps la possibilité de modifier son droit interne de manière à atteindre les mêmes objectifs sans déroger aux dispositions de la sixième directive .

122 . c ) D' autre part, nous ne pensons pas qu' il a été démontré que d' autres solutions - telles que celle des articles 4, paragraphe 4, alinéa 2, ou 24, paragraphe 3, alinéa 2 - puissent toujours être appliquées ou permettent dans tous les cas d' atteindre aussi efficacement les mêmes objectifs, même lorsque toutes les conditions sont remplies à cet égard .

123 . En effet, en ce qui concerne le mécanisme prévu à l' article 4, paragraphe 4, alinéa 2, pour qu' il soit applicable, il faut que plusieurs conditions soient remplies conjointement : il doit s' agir de personnes qui, "bien que juridiquement indépendantes, sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et d' organisation" ( les mots soulignés le sont par nous ).

124 . Il ne semble pas que cette formulation permette de couvrir tous les types de situations visées par la mesure dérogatoire du Royaume-Uni . C' est manifestement le cas de la situation de Laughtons Photographs, dont il s' agit dans la procédure principale . Les écoles auxquelles cette société vend les photographies sont des entités autonomes, puisqu' il n' existe entre elles et la société aucun lien étroit tel que celui qu' exige la disposition en cause .

125 . On peut même se demander si les transactions effectuées par Direct Cosmetics peuvent être considér&eac