C-230/87 - Naturally Yours Cosmetics Ltd / Commissioners of Customs and Excise

Printed via the EU tax law app / web

EUR-Lex - 61987C0230 - FR

61987C0230

Conclusions de l'avocat général Vilaça présentées le 14 juillet 1988. - Naturally Yours Cosmetics Limited contre Commissioners of Customs and Excise. - Demande de décision préjudicielle: Value Added Tax Tribunal, London - Royaume-Uni. - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Base d'imposition - Fournitures de biens et de services. - Affaire 230/87.

Recueil de jurisprudence 1988 page 06365


Conclusions de l'avocat général


++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La question préjudicielle qui nous est soumise par le "London Value Added Tax Tribunal" et, plus encore, le texte long et détaillé de l' ordonnance de renvoi sont symptomatiques de l' embarras suscité par l' application de l' article 11, partie A, paragraphe 1, sous a ) de la sixième directive sur la TVA ( 1 ) dans le contexte des faits qui font l' objet de la procédure au principal .

La société "Naturally Yours Cosmetics Ltd" ( ci-après "NYC ") se consacre à la vente en gros de produits de beauté à des détaillantes appelées "conseillères en esthétique", qui ont à leur tour recours à des personnes de leurs relations (" les hôtesses ") pour organiser des réunions privées pendant lesquelles les produits de la NYC sont offerts à la vente aux femmes qui sont présentes .

Les conseillères en esthétique - qui exercent, paraît-il, leur activité de manière indépendante - achètent les produits à la société pour un prix déterminé et les vendent aux clients au prix de détail recommandé, la différence entre les deux constituant le bénéfice auquel elles ont droit .

Elles entrent donc dans la catégorie des "assujettis", au sens de l' article 4, paragraphe 1, de la sixième directive; mais elles sont exemptées du paiement de la TVA, au titre de l' article 24 de la même directive, en raison du fait que leur chiffre d' affaires est inférieur au plancher fixé dans la législation britannique .

A chaque réunion, la conseillère en esthétique offre un pot de crème de beauté à l' hôtesse pour la récompenser d' en avoir assuré l' organisation . Le pot est acheté par la conseillère à la société NYC pour 1,5 UKL, au lieu de son prix de gros normal de 10,14 UKL .

Cependant, les "Commissioners of Customs and Excise" ont liquidé la TVA relative à 1984 sur la base de ce dernier montant en invoquant les dispositions de l' article 10, paragraphe 3, du "Value Added Tax Act de 1983", selon lequel, "si la fourniture n' a pas de contrepartie ou si sa contrepartie n' est pas monétaire ou ne l' est pas entièrement, sa valeur est réputée égale à sa valeur normale sur le marché ".

Considérant que cette disposition était contraire à l' article 11, partie A, paragraphe 1, sous a ) de la sixième directive, dont elle a invoqué l' effet direct, la société NYC a attaqué cette liquidation devant le London Value Added Tax Tribunal, en alléguant que la taxe ne devrait s' appliquer qu' au prix de 1,50 UKL payé par la conseillère en esthétique pour le pot de crème destiné à servir de cadeau .

Pour résoudre le litige, le juge national a estimé nécessaire de demander à la Cour quelle base d' imposition il fallait prendre en compte dans un cas de ce genre .

La question est au fond de savoir quel est, au sens de l' article 11, partie A, paragraphe 1, sous a ), de la sixième directive, la "contrepartie" reçue en échange du pot de crème fourni par l' entreprise aux conseillères en esthétique . S' agit-il seulement du prix effectivement payé par ces dernières ou y a-t-il autre chose et, dans l' affirmative, quoi?

Le problème se pose parce que la notion de "contrepartie" visée à l' article 11, partie A, paragraphe 1, sous a ), n' est pas définie avec précision et qu' il est donc difficile de l' appliquer à une situation comme celle qui fait l' objet de la question préjudicielle .

La deuxième directive sur la TVA ( 2 ) se réfère en son article 8, sous a ), à la notion équivalente de "contre-valeur" sur laquelle la Cour a déjà été appelée à se prononcer dans un arrêt du 5 février 1981 ( 3 ).

Étant donné que la Cour a précisé dans un arrêt postérieur ( 4 ) que, eu égard à "la finalité législative commune" des deux directives, il importait de tenir compte dans l' interprétation de la sixième directive de la jurisprudence relative à la deuxième directive, il convient de rappeler à propos de la notion de "contrepartie" les principes déjà définis dans l' arrêt précité du 5 février 1981 .

Nous pouvons tirer de cet arrêt ( points 8 à 14 ) les éléments d' interprétation ci-après :

a ) la notion à interpréter (" contre-valeur" ou "contrepartie ") fait partie d' une disposition de droit communautaire qui ne renvoie pas au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée; il s' ensuit que son interprétation ne saurait être laissée à la discrétion de chaque État membre;

b ) ainsi que la deuxième directive l' a précisé au point 13 de son annexe A ( qui en fait partie intégrante, en vertu de son article 20 ), il faut entendre par "contre-valeur" ( et, partant, également par "contrepartie "), "tout ce qui est reçu en contrepartie de la livraison du bien ou de la prestation de services, y compris les frais accessoires ( emballages, transports, assurances, etc .), c' est-à-dire non seulement le montant des sommes perçues, mais aussi, par exemple, la valeur des biens reçus en échange ..." ( c' est nous qui soulignons );

c ) ainsi qu' il résulte des dispositions combinées de l' article 8, sous a ), et de l' article 2, sous a ), de la deuxième directive ( correspondant respectivement aux articles 11, partie A, paragraphe 1, sous a ), et 2, paragraphe 1, de la sixième directive ), seules les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux sont en règle générale assujetties à la taxe;

d ) pour que les conditions précitées puissent être considérées comme vérifiées, il est nécessaire qu' il y ait un lien direct à caractère synallagmatique entre le bien livré ( ou le service rendu ) et la contrepartie reçue;

e ) il résulte de l' utilisation des termes "à titre onéreux" et "ce qui est reçu en contrepartie" - ainsi que des dispositions de l' article 9 de la deuxième directive ( article 12, paragraphe 3, de la sixième directive ) relatives au taux normal d' imposition - que la contre-valeur ( ou la contrepartie ) de la livraison d' un bien ( ou de la prestation d' un service ) doit pouvoir être exprimée en argent; il apparaît également que cette contrepartie est une "valeur subjective", puisque la base d' imposition est la contrepartie réellement reçue et non pas une valeur estimée selon des critères objectifs .

Comment appliquer ces principes à la présente affaire?

Commençons par la teneur de la contrepartie .

L' article 11, partie A, paragraphe 1, sous a ), énonce très clairement que la contrepartie ne se limite pas aux versements d' argent, mais qu' elle est formée "par tout ce qui ( 5 ) constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations" ( livraison de biens ou prestation de services ) de la part de l' acheteur, du preneur ou d' un tiers . En ne spécifiant pas ce qui est inclus dans cette expression, la directive a naturellement voulu lui donner toute l' amplitude possible . C' est ce qui correspond, du reste, aux objectifs du système de la TVA : un système général d' imposition de la consommation, neutre par rapport à la structure des transactions et en assurant par conséquent la couverture la plus complète possible à tous les stades de la production et de la distribution ( voir le cinquième considérant de la première directive ( 6 )).

Toutes les transactions ( livraisons de biens et prestations de services, ainsi qu' importations de biens ) effectuées à titre onéreux sont donc incluses dans le champ d' application de la taxe ( article 2 de la sixième directive ).

Le souci du législateur d' appréhender ( de façon d' ailleurs uniforme dans toute la Communauté ) la totalité de la base imposable se manifeste également dans la définition même des opérations imposables ( articles 5 et 6 ), qui englobe diverses opérations assimilées à des livraisons de biens ou à des prestations de services à titre onéreux .

S' il fallait exclure de la contrepartie une forme de paiement, par exemple les services rendus en échange du bien fourni, la porte serait ouverte à une évasion fiscale qui empêcherait d' atteindre les objectifs de la sixième directive et permettrait qu' une partie de l' assiette imposable échappe à l' impôt, en provoquant, le cas échéant, des distorsions dans le traitement fiscal de situations qui sont, d' un point de vue économique ou commercial, substantiellement identiques .

Les prestations de services ne sont donc pas, a priori, exclues de la notion de contrepartie, car sinon il ne serait pas difficile d' échapper au champ d' application de l' imposition .

Certes, lorsqu' il explicite la notion de "contre-valeur", le point 13 de l' annexe A de la deuxième directive se réfère exclusivement à la "valeur des biens reçus en échange" et non pas également à la valeur des services rendus .

Cette indication est cependant faite à titre exemplatif et ne doit pas, pour cela, être comprise de façon restrictive ou littérale .

La référence aux biens se justifie certainement, parce qu' il s' agit là du cas le plus fréquent; mais on peut toujours admettre que le fait que le législateur n' a pas mentionné les services traduit peut-être les difficultés pratiques que la prise en compte de ces derniers soulève dans certains cas ( 7 ).

Ajoutons encore que la détermination de la base d' imposition doit être faite en se référant non pas à tous les avantages que le fournisseur peut retirer de l' opération, mais seulement à ceux qu' il obtient en contrepartie de sa prestation, ce qui enlève toute pertinence à l' exemple, invoqué par la société NYC, de la vente à bas prix des produits d' une usine pour écouler des "stocks" déjà anciens .

Il faut cependant - deuxième condition - qu' entre le service rendu et le bien fourni il existe un lien direct qui permette de considérer le premier comme la contrepartie du second .

Tout dépend du contrat qui a été conclu .

Dans la présente affaire, les pièces du dossier - notamment l' ordonnance du juge de renvoi - paraissent indiquer que la situation est la suivante .

Le pot de crème régénérante est fourni à la conseillère en esthétique au prix de 1,5 UKL contre engagement de la part de cette dernière de le remettre à une hôtesse en récompense pour l' organisation d' une réunion destinée à promouvoir la vente des produits de la société NYC .

Le pot ne peut être détourné de cette finalité; il ne peut notamment être vendu au public pour un prix supérieur à celui auquel il a été fourni à la conseillère .

Ce prix peut être considéré comme constituant une partie seulement du paiement du pot; si l' entreprise fournit ce dernier à la conseillère à un prix aussi bas, c' est parce que, en contrepartie, elle reçoit de cette dernière le service qui consiste à trouver une hôtesse et à promouvoir l' organisation de la réunion .

On opposera à cette conception que la tâche de trouver une hôtesse pour organiser la réunion ne constitue pas un service rendu à la NYC, mais plutôt un travail que la conseillère réalise dans son propre intérêt . En effet, si la réunion privée n' a pas lieu, la conseillère en esthétique - qui a payé les produits au grossiste - les gardera invendus ou du moins verra leur vente être retardée, alors que la société NYC aura déjà été payée et qu' il devrait lui être indifférent que sa détaillante récupère ou non les sommes payées .

Il n' en est rien .

La demanderesse a un intérêt à ce que la réunion se réalise, car, comme il s' agit là - à ce qu' il paraît - de sa seule méthode de vente, l' écoulement régulier de ses produits dépend de la multiplication des réunions privées et, par conséquent, de l' intervention des conseillères dans l' organisation de ces réunions .

C' est pour cette raison - et certainement pour elle seule - que la NYC accepte de vendre le pot de crème destiné à servir de cadeau à un prix aussi bas . S' il ne s' agissait que de l' intérêt de la conseillère en esthétique, il serait logique que le commerçant en gros lui demande le prix normal du produit et qu' elle prenne elle-même en charge le coût total du cadeau ( éventuellement avec une quelconque ristourne ), qu' elle devrait alors récupérer grâce au bénéfice des ventes effectuées à un prix de détail supérieur au prix de gros .

Ainsi qu' il résulte du dossier, si la conseillère en esthétique ne rend pas au grossiste le service prévu, c' est-à-dire si elle ne trouve pas la maîtresse de maison susceptible de lui organiser la réunion, le pot de crème devra être rendu ou payé au prix normal de vente en gros, ce qui constitue une preuve suffisante de l' affirmation que la contrepartie n' est pas constituée seulement par la somme de 1,5 UKL .

La demanderesse au principal ( la société NYC ) a eu recours, pour illustrer sa démonstration de l' incohérence de la position visée ci-dessus, à l' exemple de la vente d' une marchandise à un prix très inférieur au prix courant ( éventuellement un prix symbolique ), contre engagement de la part de l' acheteur d' acquérir ultérieurement des quantités plus importantes de cette marchandise . Pour la société NYC, cet engagement constitue - comme dans le cas qui fait l' objet du présent procès - un simple élément de l' accord global conclu entre les deux parties, lequel, en dépit de la valeur qu' il peut certainement avoir pour le fournisseur, ne devrait pas être inclus dans la contrepartie aux fins de détermination de la base d' imposition de la TVA . A l' audience, l' agent du gouvernement portugais s' est référé à ce même exemple et a considéré qu' il ne serait pas comparable à la situation qui est en cause dans la présente affaire, puisqu' il n' y aurait aucune relation directe entre la réduction du prix et la promesse d' acquérir ultérieurement des quantités supplémentaires au prix courant .

A notre avis, aucun argument décisif ne peut être tiré de cet exemple .

En effet, de deux choses l' une : ou les situations en question sont, comme l' a affirmé le gouvernement portugais, entièrement distinctes, parce que, dans l' exemple donné par la NYC, il s' agit d' opérations imposables faites dans des conditions différentes et qui s' étalent dans le temps sans qu' il y ait de lien suffisant entre elles; ou alors, il existe des éléments objectifs qui permettent de les considérer comme identiques et conduisant en fin de compte au même résultat . A ce dernier propos, on pourrait penser par exemple à l' hypothèse où les parties conviennent que si l' acheteur ne respecte pas son engagement d' acquérir ultérieurement des quantités supplémentaires de marchandises, il doit rembourser au fournisseur la différence entre le prix normal et le prix réduit . Il serait alors possible de constater un lien direct entre la réduction du prix et l' engagement assumé, avec possibilité d' appréciation "subjective" précise du service promis et non rendu en contrepartie du bien fourni . Mais, même ainsi, il faudrait démontrer que, eu égard à l' importance de la réduction, on ne se trouve pas en présence d' une simple ristourne ou d' un rabais postérieurement rectifié ou annulé et qui n' est en principe pas inclus dans la base d' imposition (( article 11, partie A, paragraphe 3, sous b ), de la sixième directive )).

Dans le cas qui nous préoccupe aujourd' hui, l' existence d' un lien spécifique entre la livraison du pot de crème à la conseillère en esthétique ( pour un prix inférieur au prix normal ) et l' engagement de la part de cette dernière de promouvoir l' organisation d' une réunion privée permet encore de distinguer cette situation de celle qui consisterait en la livraison d' un ou de plusieurs pots de crème pour ce prix contre l' engagement, sans autre précision, d' organiser, en général, des réunions pour la vente des produits de la demanderesse . En effet, dans ce dernier cas, il serait certainement beaucoup plus difficile de parler d' une contrepartie spécifique pour la fourniture du produit à un prix inférieur au prix courant .

Dans les deux cas, la parcelle du coût des pots de crème qui n' a pas été payée en argent par la détaillante sera naturellement comptabilisée par l' entreprise dans ses charges générales de fonctionnement et, selon les cas, déduite des bénéfices ou incluse dans le calcul du prix des marchandises qu' elle vend par la voie normale . Il s' agit alors de simples pratiques comptables liées aux options financières ou de trésorerie de l' entreprise et qui n' altèrent en rien la nature des transactions en cause, quelles que soient les contreparties que ces dernières comportent .

Ce qui précède justifie encore ( avec la valeur élevée de la réduction par rapport au prix de vente en gros : environ 86 %) que ne soit pas appliqué, purement et simplement, le régime des rabais et ristournes visé à l' article 11, partie A, paragraphe 3, sous b ), de la sixième directive . De fait, l' idée de réciprocité qui est présente dans le cas sub judice, est étrangère à ces notions .

Quant au service rendu par l' hôtesse en mettant sa maison à disposition et en collaborant à l' organisation de la réunion, il est étranger au champ des relations entre la conseillère en esthétique et la grossiste NYC, et il n' y a donc pas lieu de le prendre en compte pour la définition de la contrepartie des ventes de la NYC à la conseillère . Les relations entre la conseillère et l' hôtesse se situent par conséquent à un autre stade du processus de distribution des produits .

Audit stade, et si les conseillères étaient assujetties à la taxe, la remise à titre gracieux du pot de crème à la maîtresse de maison serait elle-même assujettie en principe à l' imposition, indépendamment de sa prise en considération comme contrepartie du service rendu par l' hôtesse . Ainsi que l' agent du gouvernement portugais l' a rappelé lors de l' audience, l' article 5, paragraphe 6, de la sixième directive considère la disposition de biens de l' entreprise à titre gratuit comme une livraison effectuée à titre onéreux, la base d' imposition étant alors déterminée conformément aux termes de l' article 11, partie A, paragraphe 1, sous b ).

Il n' en serait autrement que si la livraison pouvait être considérée comme un "cadeau de faible valeur" ou un "échantillon", lesquels sont exclus par l' article 5, paragraphe 6, de l' assimilation aux livraisons effectuées à titre onéreux . Compte tenu du coût du produit en question, il semble cependant pour le moins douteux que l' on puisse appliquer ce régime dans la présente affaire .

Le prix de revient aux fins de détermination de la base d' imposition au titre de l' article 11, partie A, paragraphe 1, sous b ), sera en réalité de 10,14 UKL, soit le prix normal de vente en gros du produit qui forme la base d' imposition de la taxe au stade antérieur du circuit de distribution .

C' est là, en fin de compte, ce qui permet de dire que l' hôtesse reçoit, pour l' organisation de la réunion, un cadeau qui vaut 10,14 UKL ( ou 12,95 UKL, prix de vente au détail du même produit ) et non pas seulement 1,5 UKL, comme il serait logique de le penser si l' on considérait cette somme comme la seule contrepartie, soumise en tant que telle à taxation, reçue par la NYC .

Pour que le service rendu soit considéré comme une parcelle de la contrepartie du bien fourni et soit par conséquent inclus dans l' assiette de la TVA, il faut encore - troisième condition - qu' il soit susceptible d' une évaluation et puisse être exprimé en argent . Ainsi que la Cour l' a précisé, cette "contre-valeur" doit être une "valeur subjective" et non pas une valeur calculée selon des critères objectifs .

Nous ne pouvons exclure a priori que ces conditions se trouvent vérifiées dans une affaire comme la présente .

Les parties au contrat ( la NYC et les conseillères en esthétique ) ont réduit le prix de vente en gros du bien ( le pot de crème destiné à servir de cadeau ) remis en échange de la prestation d' un service consistant en l' organisation d' une réunion privée .

Le fait que la réduction de prix ne s' applique qu' en cas de réalisation effective de la réunion avec remise du pot de crème à l' hôtesse, démontre que les parties ont attribué, subjectivement, au service rendu une valeur correspondant à cette réduction de prix . Puisque la partie du prix du bien qui n' a pas été versée au départ doit être payée si la réunion n' a pas lieu, nous pouvons conclure que cette partie du prix est payée sous forme d' une prestation de service ou, à défaut de cette prestation, par le versement d' une somme d' argent .

Il est donc légitime, selon nous, d' appliquer la taxe à cette valeur, dans la mesure où cette dernière fait partie intégrante de l' une des prestations réciproques d' un contrat bilatéral en vertu duquel une des parties livre un bien que l' autre paie partiellement en argent et partiellement avec un service qu' elle s' engage à fournir .

Dans l' hypothèse d' un troc, la valeur de chaque prestation vaut en fin de compte comme contrepartie ( ou contre-valeur ) de l' autre prestation .

Le problème est rendu plus obscur par le fait que la législation britannique se réfère à la valeur normale (" open market value ") du bien livré ou du service rendu comme base de la taxation .

En l' espèce, l' application de cette notion est équivoque .

En effet, il s' agit en l' occurrence de déterminer la valeur effectivement attribuée par les contractants à la contrepartie, afin d' appliquer la taxe à cette valeur .

Il est certain que la détermination de cette valeur implique, dans les circonstances données, une référence au prix de vente en gros normalement pratiqué pour ce type de biens lorsqu' ils sont fournis pour être vendus au public .

Mais, la façon dont les "Commissioners" ont fait application de la norme britannique montre qu' ils n' ont pas à proprement parler mis en cause l' utilisation, pour apprécier la contrepartie, d' une véritable notion de valeur normale, en tant que concept fictif et détaché des termes de la transaction réalisée et du lien synallagmatique établi entre les deux parties au contrat .

En effet, dans une affaire comme la présente, il y a entre les prestations réciproques une relation telle qu' il devient possible de connaître la valeur que les cocontractants ont attribuée au service qui constitue un élément de la contrepartie . La détermination de cette valeur est réalisée indirectement par référence au prix normal de vente en gros du produit; là encore, cependant, il ne s' agit pas d' une valeur abstraite, mais d' un prix concret pratiqué entre ces mêmes cocontractants dans les opérations "normales", prix qui sera du reste appliqué au même bien si le service promis n' est pas rendu .

De toute manière, nous n' aimerions pas que l' on en conclue - comme le voudrait la partie demanderesse et comme le préférerait également la Commission, ainsi qu' il résulte de ses observations écrites - à l' impossibilité complète de recourir à la notion de valeur normale ou de valeur normale sur le marché pour évaluer la contrepartie, dans le cadre de l' article 11, partie A, paragraphe 1, sous a ), de la sixième directive .

En effet, dans certaines circonstances, le recours à cette notion sera la seule façon de déterminer effectivement la valeur de la contrepartie et de l' assujettir à la taxe, afin d' éviter des distorsions ou des évasions fiscales qui auraient forcément lieu s' il fallait négliger l' élément de la contrepartie qui ne consiste pas en la remise d' une somme déterminée en argent .

Ainsi que nous l' avons relevé au cours de l' audience, deux contrats de vente d' une même marchandise où le paiement est fait en partie en argent et en partie en biens ou en services ne sauraient recevoir un traitement fiscal différent au seul prétexte que dans l' un de ces contrats, les parties ont fixé la valeur du bien livré ou du service presté en échange, alors que, dans l' autre, elles ont omis de le faire . Seul le recours à la valeur normale ou à la valeur normale sur le marché permettra alors d' éviter la distorsion qui résulterait de l' application d' un traitement différent à des transactions ayant un contenu économique rigoureusement identique .

Cette conclusion ne saurait être invalidée par le fait que l' article 11, partie A, paragraphe 1, sous a ), de la sixième directive - exception faite des cas particuliers visés sous d ) de la même disposition ou à l' article 11, partie B, paragraphe 1, sous b ), ( importations ) - n' envisage pas, sur un plan général, le recours à la notion de "valeur normale ".

Elle ne peut pas non plus être invalidée par le fait que la référence à cette notion est éliminée de la version finale de la directive, alors qu' elle se trouvait dans le projet initial ( 8 ). Si cette élimination a un sens ( et elle en a certainement un ), il est, pour ce qui nous intéresse, que l' on a voulu - pour ce type de transactions - remplacer comme base d' imposition la référence à la valeur normale de l' opération en cause ( au sens de valeur normale du bien ou du service fourni ) par la référence à la contrepartie, dont il faut déterminer la valeur d' une façon que la directive n' a pas explicitée .

En effet, en précisant que, dans le cas général des livraisons de biens et des prestations de services, la base d' imposition est constituée "par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire", le législateur a laissé en suspens la façon dont il convient de déterminer ou d' apprécier cette contrepartie quand elle ne consiste pas en une somme d' argent ( 9 ).

Conformément à l' interprétation de la Cour ( notamment dans l' arrêt précité du 5 février 1981 ), cette "façon" doit être la plus directe et celle qui apporte le moins de distorsions tout en respectant le mieux l' économie générale de la sixième directive .

Dans certains cas, le recours à la notion de valeur normale sera, comme nous l' avons dit, la seule façon d' évaluer la contrepartie et d' éviter les distorsions ou les avantages fiscaux injustifiés qui résulteraient de sa non-prise en compte .

La Commission semble avoir accepté ce fait dans les observations qu' elle a présentées dans l' affaire 154/80 ( 10 ), et l' avocat de la société NYC ainsi que l' agent de la Commission l' ont reconnu lors de l' audience dans la présente affaire .

Mais, comme nous l' avons observé dans nos conclusions Direct Cosmetics ( 11 ), la valeur normale ne devra être prise en compte qu' en l' absence d' un prix payé par l' acquéreur et quand il sera impossible ( ou, du moins, trop difficile ) d' attribuer, d' une autre façon, à la contrepartie sa valeur effective dans la transaction ou, au moins, sa valeur réelle sur le marché . Sur ce point, force nous est de dire que l' expression de la législation britannique et de la version anglaise de la sixième directive - "open market value", qui équivaut à "valeur normale sur le marché" - nous semble plus heureuse que l' expression "valeur normale" utilisée dans les versions latines de la directive . Ce n' est qu' en l' absence d' un marché qu' il sera nécessaire de recourir à une valeur non réelle ou à une simple estimation .

En tout état de cause, en tant qu' impôt de consommation, la TVA doit frapper aussi exactement que possible la dépense effective du consommateur, et, partant, le remplacement des valeurs réelles par des valeurs normales ne devra être admis ( en dehors des cas où il est expressément prévu ) qu' à défaut de toute autre solution qui constituerait une meilleure approche de ce que la Cour a appelé la "valeur subjective" de la contrepartie .

C' est ce que la Cour vient de confirmer dans son récent arrêt du 12 juillet 1988, dans l' affaire précitée Ditect Cometics, en déclarant ( au point 53 des motifs ) que "la valeur normale au sens du régime dérogatoire en question doit être comprise comme la valeur la plus proche de la valeur marchande lors de la vente au détail, c' est-à-dire du prix réel payé par le consommateur final ".

Les circonstances de l' espèce font qu' une telle approche est possible, car elles permettent d' attribuer en toute rigueur ( quoique indirectement ), dans les relations entre les parties, une valeur au service rendu en contrepartie du bien fourni, sans qu' il soit nécessaire de recourir à la notion de valeur normale ou à celle de valeur normale sur le marché, à l' opposé de ce que pourraient nous laisser croire les termes de la disposition nationale ( et, en particulier, ceux de la traduction courante qui peut en être faite dans les diverses langues latines ) en application de laquelle la décision des Commissionners a été prise .

Comme il ne s' agit pas en l' espèce de juger de la compatibilité de cette norme avec le droit communautaire, il n' y a aucun sens à porter des appréciations à caractère général sur les termes dans lesquels elle est rédigée . Partant, nous nous limiterons, dans la réponse que nous proposerons ci-après, à indiquer quels nous paraissent être les principes d' interprétation de l' article 11, partie A, paragraphe 1, sous a ), de la sixième directive qui permettent de trancher l' affaire sub specie .

Nous ajouterons simplement que la détermination de la valeur du service inclus dans la contrepartie ne doit pas être faite par référence à sa productivité, mais à sa valeur subjective dans les relations entre les parties; elle est, par conséquent, indépendante du succès plus ou moins grand des réunions privées, c' est-à-dire du montant du bénéfice obtenu . De la même façon, le projet d' un architecte ou la consultation donnée par un professeur d' université ont un prix, et ce indépendamment du point de savoir si le projet de l' architecte sera retenu dans le cadre d' un appel d' offres ou si le particulier qui a consulté le professeur d' université obtiendra gain de cause en justice .

Conformément à ce qui précède, nous vous proposons de déclarer que, dans un cas comme celui qui vous a été soumis par le "London Value Added Tax Tribunal", - où un fournisseur ( le grossiste ) livre des biens ( le produit motivant ) à un tiers ( le détaillant ) pour un prix sensiblement inférieur à celui pour lequel il livre des biens identiques au détaillant pour la revente au public, le détaillant s' engageant à utiliser le produit motivant pour récompenser une autre personne de l' organisation d' une réunion durant laquelle l' ensemble des produits du grossiste sont offerts à la vente au public, étant entendu que, à défaut d' une telle réunion, le produit motivant doit être rendu au fournisseur ou être payé à son prix de vente en gros - la base d' imposition est constituée, conformément à l' article 11, partie A, paragraphe 1, sous a ), de la sixième directive, par la somme du prix payé au grossiste et de la valeur de la prestation de service fournie par le détaillant en amenant une autre personne à organiser la réunion; la valeur de ce service peut être considérée comme égale à la différence entre le prix que le détaillant paye normalement pour la revente au public et le prix qu' il a effectivement payé pour ledit produit motivant .

(*) Traduit du portugais .

1 Sixième directive du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme ( 77/388/CEE ) JO L 145 du 13.6.1977, p . 1 .

( 1 )

( 2 ) Deuxième directive du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d' harmonisation des législations des Ëtats membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - Structure et modalités d' application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée ( 67/228/CEE ), JO 71 du 14.4.1967, p . 1303 .

( 3 ) Arrêt du 5 février 1981 dans l' affaire 154/80, Staatssecretaris vand Financiën/Cooeperatieve Aardappelenbewaarplaats, Rec . 1981, p . 445 et suiv .

( 4 ) Arrêt du 8 mars 1988 dans l' affaire 102/86, Apple and Pear Development Council, en instance de publication, point 10 des motifs .

( 5 ) Souligné par nous .

( 6 ) Première directive du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d' harmonisation des législations des Ëtats membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - JO 71 du 14.4.1967, p . 1301 .

( 7 ) Il est curieux de relever que, dans le document COM(74 ) 795 final du 26 juillet 1974 "Modifications à la proposition de sixième directive du Conseil ...", cité par le gouvernement portugais, la Commission elle-même mentionne expressément la valeur des services obtenus ou à obtenir comme faisant partie de la "contre-valeur" et comme devant par conséquent être incluse dans la base d' imposition, à l' instar des biens reçus en échange .

( 8 ) Voir la proposition de sixième directive du Conseil en matière d' harmonisation des législations des Ëtats membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, présentée par la Commission au Conseil le 29 juin 1973, JO C 80 du 5.10.1973, p . 1; procès-verbal de la séance du Parlement européen du 14 mars 1974; JO C 40 du 8.4.1974, p . 34 et suiv .

( 9 )

Cette conclusion doit être rapprochée de celle à laquelle la Cour est parvenue dans son arrêt du 1er février 1977 dans l' affaire 51/76, Nederlandse Ondernemingen/Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen ( Rec . 1977, p . 113, 125 et 126, attendus 14 à 18 ), relativement à l' interprétation correcte de l' expression "biens d' investissement" visée à l' article 17 alinéa 1, troisième tiret, de la deuxième directive . Dans cette affaire, la Cour a considéré que, puisque la directive ne contient pas tou es les indications nécessaires pour définir de manière uniforme et précise les exigences qui doivent être satisfaites ( en ce qui concerne la durabilité, la valeur ainsi que les règles d' amortissement à appliquer ) pour qu' un bien puisse être qualifié de bien d' investissement, les Ëtats membres jouissent d' une certaine marge d' appréciation en ce qui concerne ces exigences .

( 10 )

Rec . 1981, p . 449 et 450 .

( 11 )

Conclusions dans les affaires jointes 138 et 139/86, Direct Cosmetics et Laughtons Photographs, présentées à l' audience du 27 janvier 1988 .