C-165/88 - ORO Amsterdam Beheer en Concerto / Inspecteur der Omzetbelasting

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EUR-Lex - 61988C0165 - FR

61988C0165

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 24 octobre 1989. - ORO Amsterdam Beheer BV et Concerto BV contre Inspecteur der Omzetbelasting Amsterdam. - Demande de décision préjudicielle: Gerechtshof Amsterdam - Pays-Bas. - TVA - Régime de revente des biens d'occasion. - Affaire C-165/88.

Recueil de jurisprudence 1989 page 04081


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Les présentes questions préjudicielles trouvent leur source dans le caractère encore incomplet de l' harmonisation des législations fiscales à l' intérieur de la Communauté . Si, d' une part, la première, la deuxième et la sixième directives ( 1 ) ont introduit les bases et les principes généraux du système harmonisé de la taxe sur la valeur ajoutée, d' autre part, la prévision explicite de dérogations temporaires et l' existence de secteurs qui ne sont pas complètement harmonisés amènent la Cour à devoir résoudre les conflits qui résultent de la contradiction entre l' exigence du respect des principes généraux et l' absence de réglementation commune sur des points du système qui sont loin d' être mineurs .

Le cas qui nous occupe aujourd' hui est exemplaire à cet égard . Alors que l' un des principes fondamentaux du système commun de la TVA est celui du non-cumul de l' imposition - rappelé à plusieurs reprises dans la jurisprudence de la Cour -, l' absence d' une réglementation commune en ce qui concerne la taxation des biens d' occasion a pour conséquence que ce principe n' est pas respecté dans une hypothèse comme celle à l' origine de l' affaire qui nous est soumise par le juge de renvoi . Dans une telle situation, il est nécessaire d' apprécier si la non-réalisation du principe de l' élimination de la double imposition est compatible ou non avec le droit communautaire .

2 . Abordons brièvement les faits de l' affaire en instance devant le juge de renvoi, le Gerechtshof d' Amsterdam, entre les demanderesses, ORO Amsterdam Beheer BV et Concerto BV, et l' Inspecteur der Omzetbelastingen, partie défenderesse .

Les demanderesses, après avoir dûment versé au fisc néerlandais la différence entre le montant de la TVA résultant de la vente de biens neufs et d' occasion et le montant de la taxe sur le chiffre d' affaires versée en amont, ont demandé le remboursement d' une somme déterminée au titre de la TVA encore incorporée dans le prix des biens d' occasion achetés en vue d' être revendus . Le fisc néerlandais a opposé une fin de non-recevoir à cette demande .

Le juge saisi de l' affaire, ayant constaté que la législation nationale ne comporte aucune disposition permettant la déduction, totale ou partielle, de la TVA encore incorporée dans le prix des biens d' occasion et que la situation juridique ainsi créée soulève un problème d' interprétation du droit communautaire, et notamment de l' article 32 de la sixième directive, a déféré à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1 ) Est-il compatible avec le droit communautaire, et notamment avec les dispositions du traité instituant la Communauté économique européenne et avec la sixième directive du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme ( 77/388/CEE ) - qu' en décembre 1986 un État membre prélève sans minoration la taxe sur le chiffre d' affaires sur la livraison de biens d' occasion, sans tenir le moindre compte à cet égard du fait que les biens ont été achetés à des particuliers, alors que le Conseil des Communautés européennes s' est engagé dans sa sixième directive déjà citée à arrêter avant le 31 décembre 1977 le régime communautaire de taxation pour le commerce des biens d' occasion et l' a annoncé, mais n' y a à ce jour encore donné aucune suite?

2 ) Dans l' hypothèse où la première question recevrait une réponse négative, de quelle façon convient-il de tenir compte, lors du calcul de la taxe sur le chiffre d' affaires due sur la livraison de biens d' occasion, du fait que les biens sont achetés à des particuliers?"

3 . Les arguments des parties ont été reproduits dans le rapport d' audience et n' ont pas été fondamentalement modifiés au cours de l' audience elle-même . Nous pouvons donc nous abstenir de les rappeler .

4 . Nous observons à titre préliminaire que tant la procédure écrite que l' audience ont fait apparaître que, dans la présente espèce, les parties ne divergent pas en ce qui concerne l' analyse des aspects fiscaux . Il est constant, en effet, que, en n' autorisant pas la déduction totale ou partielle de la TVA contenue dans le prix des biens d' occasion cédés par un particulier à un sujet passif lors de la vente ultérieure de ce bien par le sujet passif, la réglementation néerlandaise a pour effet d' engendrer une double imposition ( cumul d' imposition ).

Ce qui constitue le coeur du litige, comme nous le verrons ci-dessous, est la question de savoir si cette double imposition peut se justifier sur la base de l' article 32 de la sixième directive ( 2 ) ou si les États membres n' auraient pas dû pallier la carence du Conseil en introduisant dans leur système fiscal des dispositions évitant la double imposition .

5 . La première question posée par le juge de renvoi présuppose l' examen de l' article 32 de la sixième directive, en vue de déterminer si, devant la carence du Conseil qui a omis d' adopter, avant le 31 décembre 1977, le régime communautaire d' imposition applicable dans le secteur des biens d' occasion, les États membres pouvaient maintenir en vigueur le régime particulier qu' ils appliquaient avant l' entrée en vigueur de la sixième directive .

6 . A cet égard, le gouvernement des Pays-Bas a fait valoir que l' article 32 doit être interprété en ce sens qu' il comporte une interdiction de modifier les régimes particuliers existant avant l' entrée en vigueur de la sixième directive, aussi longtemps que le Conseil n' a pas adopté un système communautaire .

Cette thèse a été contestée par la Commission et par les demanderesses dans la procédure nationale .

7 . Il nous semble indubitable que l' article 32, alinéa 2, ne peut être interprété dans le sens formel allégué par le gouvernement néerlandais . Nous ne voyons pas en effet comment on peut estimer qu' une autorisation de continuer à appliquer un système particulier peut être dénaturée au point de la transformer en une interdiction de modifier ce régime . Au-delà de tout doute de caractère littéral, il suffit de souligner que la Cour elle-même, dans son arrêt du 10 juillet 1985, Commission/Pays-Bas ( 16/84, Rec . p . 2355 ), en répondant de manière incidente à la Commission qui alors - curieusement - défendait la thèse selon laquelle l' article 32 "interdit toute modification des régimes nationaux existants", a affirmé "que tel ne saurait être le cas d' adaptations ayant pour seul objectif de rendre un régime national pleinement conforme audit article ".

8 . Dans ces conditions, il ne nous semble pas possible de partager les thèses du gouvernement néerlandais . La clause de "standstill" contenue dans l' alinéa 2 de l' article 32 doit, à notre avis, être interprétée en ce sens que les États membres qui souhaitent introduire dans leur législation un système de taxation des biens d' occasion permettant d' éviter une double imposition ont la faculté de modifier le régime particulier d' imposition des biens d' occasion qui existait avant l' entrée en vigueur de la sixième directive . Ce faisant, ils ne violeraient pas la disposition inscrite à l' article 32, alinéa 2 . En effet, nous ne sommes pas convaincu par l' argument de caractère technique, selon lequel toute modification de la législation existante rendrait l' harmonisation au niveau communautaire plus difficile; bien entendu, il faut que la finalité poursuivie, même avec des moyens différents selon les États membres, soit d' atteindre un objectif conforme aux principes généraux du système de la TVA et, en particulier, au principe de l' élimination de toute double imposition .

9 . Il est évident que cette première conclusion ne résout pas le problème qui nous a été posé par le juge de renvoi . Il résulte, en effet, aussi bien de la teneur de sa première question que des observations présentées par les demanderesses et par la Commission que la véritable interrogation ne porte pas tant sur la faculté pour un État membre de modifier son régime de taxation que sur l' existence d' une obligation, face à la carence du Conseil, d' adopter des mesures internes permettant d' éviter la double imposition .

10 . A cet égard, nous devons admettre qu' à première vue il peut sembler étrange qu' en dépit de la disposition explicite de l' article 32, alinéa 1, le Conseil n' ait pas encore adopté, treize ans après la fin du délai indiqué, un régime communautaire de taxation dans un secteur aussi important que celui des biens d' occasion .

11 . Nous ne pensons toutefois pas que cette situation soit de nature à faire naître, à l' égard des États membres, une obligation d' adopter des mesures nationales pour pallier l' inaction du Conseil .

12 . Nous sommes d' accord en premier lieu avec le gouvernement néerlandais lorsqu' il affirme qu' on ne retrouve pas dans la présente espèce la ratio de l' arrêt du 5 mai 1982, Schul I ( 15/81, Rec . p . 1409 ). Cet arrêt était fondé sur la violation d' une disposition spécifique du traité, l' article 95, qui ne s' applique pas dans le cas d' espèce .

En termes strictement juridiques, la carence du Conseil consiste dans le fait qu' il n' a pas satisfait à une obligation de légiférer dans un délai déterminé qu' il s' était imposé lui-même, sans qu' elle lui ait été prescrite par une quelconque disposition spécifique du traité . En appliquant la théorie de la hiérarchie des normes, on peut même être enclin à soutenir que le Conseil n' a violé aucune norme de rang supérieur et que, par son inaction, il s' est limité à ne pas se conformer à une prescription de procédure qu' il avait adoptée lui-même et dans laquelle le caractère péremptoire du délai reste entièrement à démontrer .

Soutenir qu' un tel non-respect d' un délai manifestement dénué de tout caractère impératif doit avoir pour conséquence d' engendrer une obligation pour les États membres, celle d' introduire dans leur ordre juridique une réglementation ayant les mêmes effets que celle que le Conseil aurait dû adopter mais qu' il n' a pas adoptée, revient en pratique à nier l' existence d' un pouvoir discrétionnaire du Conseil en matière d' harmonisation fiscale .

Nous ne pensons donc pas que le non-respect du délai prescrit fait naître une obligation à la charge des États membres d' "anticiper" une décision communautaire que le Conseil, pour des raisons qui lui sont propres, n' a pas pu adopter .

13 . Nous ajoutons que la teneur même de l' article 32 ne nous semble pas militer en faveur des thèses de la Commission . Si le législateur avait voulu limiter la durée de l' autorisation, faite aux États membres, de continuer à appliquer un régime particulier uniquement pendant la période allant jusqu' au 31 décembre 1977, il n' aurait pas choisi, dans l' alinéa 2, d' utiliser les termes "jusqu' à la mise en application de ce régime communautaire ". Il aurait été plus simple et plus direct d' utiliser l' expression "jusqu' au 31 décembre 1977 ".

Nous constatons, à cet égard, que cette interprétation coïncide avec celle soutenue par l' avocat général M . Darmon dans ses conclusions dans l' affaire déjà citée, Commission/Pays-Bas ( 16/84 ). En se référant à l' article 32, il a fait observer : "Cette disposition permet, à titre transitoire et jusqu' à achèvement de l' harmonisation en matière de TVA, de déroger au régime commun établi par la sixième directive ..." ( c' est nous qui soulignons ).

14 . Nous ne pensons pas qu' on puisse invoquer à l' encontre de cette conclusion, comme tente de le faire la Commission, les arrêts du 28 mars 1984, Pluimveeslachterij ( 47 et 48/83, Rec . p . 1721 ), et du 5 mai 1981, Commission/Royaume-Uni ( 804/79, Rec . p . 1045 ). Selon la Commission, il ressort de ces arrêts que, dans une situation de carence du Conseil, sur la base du devoir de coopération imposé à l' article 5 du traité, le maintien ou l' institution par un État membre de mesures nationales destinées à poursuivre les objectifs recherchés par la réglementation communautaire ne peut, en principe, faire l' objet d' une censure .

15 . L' argumentation de la Commission ne résiste pas à un examen critique . Il résulte des arrêts cités que la ratio qui les fonde est totalement différente de celle exposée par la Commission . La teneur des arrêts ne suscite pas le moindre doute : il s' agit uniquement d' une faculté reconnue aux États membres, dans une situation de carence du Conseil, "de maintenir ou d' instituer" des règles nationales . Entre le fait d' admettre une faculté et celui de prétendre à l' existence d' une obligation, il y a un gouffre que même la référence faite par la Cour à l' accomplissement d' une obligation de coopération fondée sur l' article 5 du traité CEE ne suffit pas à combler . L' argumentation tirée de l' article 5 et reprise dans l' arrêt Commission/Royaume-Uni ( 804/79 ), déjà cité, a une fonction totalement différente de celle que la Commission voudrait lui attribuer . En d' autres termes, la Cour n' a pas dit que, du fait de l' existence d' une obligation de collaboration ex article 5, les États membres sont tenus de remédier à la carence du législateur communautaire . Au contraire, la Cour s' est servie d' une argumentation fondée sur l' article 5 pour limiter la possibilité de légiférer des États membres dans un secteur régi par une organisation commune de marché . Au point 23 des motifs de l' arrêt Pluimveeslachterij ( 47 et 48/83 ), elle précise clairement en effet que : "de telles mesures ne doivent cependant pas être considérées comme relevant de l' exercice d' une compétence propre des États membres ".

Il résulte enfin clairement de la suite de l' arrêt ( point 25 des motifs ) qu' il s' agit toujours d' "autorisations" (" les dispositions prises ou maintenues par les États membres dans la situation ci-dessus décrite ... sont admissibles ") et non pas d' une obligation incombant aux États membres . Nous remarquons enfin, s' il en est encore besoin, que les conclusions de l' avocat général Mme Rosès montrent clairement que ce dont il s' agit est l' existence d' une "compétence substitutive" des États membres ( voir, en particulier, Rec . 1984, p . 1745 ) et non pas d' une obligation d' agir en légiférant pour se substituer au Conseil en cas de carence de ce dernier . En outre, cela soulèverait un autre problème que nous préférons nous borner à évoquer sans l' approfondir, celui de l' utilité de l' action en carence fondée sur l' article 175 si l' on admettait que la carence du Conseil engendre une obligation d' action de la part des États membres .

16 . Nous souhaiterions enfin mentionner, dans un souci d' exhaustivité et quoique la Commission n' ait pas utilisé ce genre d' argument, que l' existence d' une obligation à l' égard des États membres en cas d' inaction du Conseil ne peut pas non plus être déduite de la circonstance que la Commission a introduit à plusieurs reprises des propositions de directive pour mettre en oeuvre la disposition de l' article 32, alinéa 1 . En effet, il résulte de l' arrêt du 16 décembre 1981, Tymen ( 269/80, Rec . p . 3079 ), que :

"Il y a lieu d' observer à ce sujet qu' une proposition adressée par la Commission au Conseil et visant l' institution d' une action communautaire concertée ne peut pas être considérée en soi comme portant approbation d' une mesure nationale unilatérale, même de contenu identique, adoptée dans un domaine relevant de la compétence de la Communauté . Le raisonnement du gouvernement britannique équivaudrait à reconnaître la légalité de mesures nationales intervenues dans la sphère de compétence de la Communauté, en raison du seul fait de l' existence d' une proposition communautaire identique dans son principe . Cela serait non seulement contraire à la sécurité juridique, mais conduirait encore à fausser la répartition des compétences entre la Communauté et les États membres, et porterait ainsi atteinte aux équilibres essentiels institués par le traité ."

17 . Si l' on donne une réponse négative à la première question, point n' est besoin de répondre à la seconde .

18 . En conclusion, nous proposons de répondre à la juridiction de renvoi qu' en l' état actuel du droit communautaire le fait qu' un État membre prélève une taxe sur le chiffre d' affaires, sans aucune réduction, pour la vente de biens d' occasion, sans tenir compte de ce que ces biens ont été achetés à des particuliers, n' est pas incompatible avec la sixième directive du Conseil en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires, et notamment avec son article 32 .

(*) Langue originale : l' italien .

( 1 ) Première et deuxième directives du Conseil du 11 avril 1967 en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires ( JO 1967, 71 du 14.4.1967, p . 1301/67 ).

Sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme ( 77/388/CEE ) ( JO L 145 du 13.6 . 1977, p . 1 ).

( 2 ) Cet article a la teneur suivante :

"Le Conseil, statuant à l' unanimité sur proposition de la Commission, arrêtera, avant le 31 décembre 1977, le régime communautaire de taxation applicable dans le domaine des biens d' occasion ainsi que des objets d' art, d' antiquité et de collection .

Jusqu' à la mise en application de ce régime communautaire, les États membres qui, lors de l' entrée en vigueur de la présente directive, appliquent un régime particulier dans le secteur visé ci-dessus peuvent maintenir ce régime ."