C-186/89 - Van Tiem / Staatssecretaris van Financiën

Printed via the EU tax law app / web

EUR-Lex - 61989C0186 - FR

61989C0186

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 25 septembre 1990. - W. M. van Tiem contre Staatssecretaris van Financiën. - Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad - Pays-Bas. - Redressement de taxe sur le chiffre d'affaires - Sixième directive TVA. - Affaire C-186/89.

Recueil de jurisprudence 1990 page I-04363


Conclusions de l'avocat général


++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . La question juridique que le Hoge Raad der Nederlanden vous a déférée concerne les articles 4 et 5 de la sixième directive TVA ( 1 ). Le Hoge Raad vous demande si l' octroi d' un droit réel ( en l' espèce, un droit de superficie ) sur un bien immeuble pendant une période déterminée et moyennant une somme payable périodiquement peut être considéré comme une activité économique, de sorte que celui qui accorde le droit réel doit être considéré comme un assujetti au sens de l' article 4 de la directive, même lorsque la transaction précitée doit être considérée comme une livraison au sens de l' article 5 de la directive .

Les faits

2 . Nous commencerons notre exposé par un bref aperçu des faits qui sont à la base de la décision du juge de renvoi . M . W . van Tiem ( ci-après "van Tiem ") a acheté un terrain à bâtir le 29 septembre 1980 . Un montant de 10 677,97 HFL lui a été facturé lors de la livraison au titre de la taxe sur le chiffre d' affaires . Immédiatement après cet achat, van Tiem a accordé à la société BV "Tiem' s Electro Technisch Installatiebureau" un droit de superficie sur le terrain pour une durée de dix-huit ans et moyennant le paiement annuel de 3 000 HFL ( taxe sur le chiffre d' affaires incluse ). Le 20 octobre 1980, van Tiem a demandé à l' administration fiscale néerlandaise de l' exclure, à partir du 29 septembre 1980, du bénéfice de l' exonération qui s' appliquait en vertu de la législation néerlandaise pour l' octroi d' un droit de superficie ( 2 ). L' administration fiscale a accédé à la demande de van Tiem, en considérant qu' elle se rapportait à la location du bien immeuble concerné . Par la suite, van Tiem a introduit une déclaration en vue de l' application de la taxe sur le chiffre d' affaires, dans laquelle il a compensé la taxe sur le chiffre d' affaires qu' il avait acquittée au moment de l' achat du terrain . Le litige dans la procédure principale résulte du fait que l' administration fiscale néerlandaise a refusé cette compensation .

Selon la Wet op de omzetbelasting ( loi sur la taxe sur le chiffre d' affaires ) néerlandaise de 1968, modifiée en 1978 dans le cadre de la transposition de la sixième directive, van Tiem peut prétendre à la compensation lorsqu' il agit en qualité d' "opérateur économique" tant en ce qui concerne l' achat du terrain qu' en ce qui concerne la constitution du droit de superficie . Dans le litige principal, l' administration fiscale est d' un avis opposé . Pour plus de clarté, nous devons encore ajouter que, pour justifier de sa qualité d' "opérateur économique", van Tiem ne peut faire état que des opérations juridiques précitées, à l' exclusion de toute autre activité .

3 . Le litige qui oppose les parties au principal ne concerne pas ( tant ) la question de savoir si van Tiem doit être considéré comme un opérateur économique en raison de l' achat du terrain, mais s' il peut être qualifié d' opérateur économique en raison de la constitution du droit de superficie . Le moyen de cassation que van Tiem invoque dans le litige principal est basé sur l' article 7, paragraphe 2, sous b ), de la Wet op de omzetbelasting, qui se lit comme suit :

"On entend également par entreprise au sens de la présente loi :

a ) ...

b ) l' exploitation d' un bien corporel ou incorporel en vue d' en retirer des recettes ayant un caractère de permanence ."

Van Tiem soutient plus particulièrement que l' octroi du droit de superficie, dans les conditions décrites plus haut, doit être considéré comme l' exploitation d' un bien corporel en vue d' en retirer des recettes ayant un caractère de permanence, de sorte qu' il doit être considéré comme opérateur économique et qu' il peut prétendre à la compensation .

Les questions préjudicielles

4 . L' article 7, paragraphe 2, précité, de la Wet op de omzetbelasting visait à transposer la sixième directive, plus précisément l' article 4, paragraphe 2, de cette directive . C' est la raison pour laquelle le Hoge Raad a posé à la Cour trois questions relatives à l' interprétation de la sixième directive . Ces questions se lisent comme suit :

"1 ) La disposition énoncée à l' article 4, paragraphe 2, dernière phrase, de la sixième directive doit-elle être interprétée en ce sens que la cession par le propriétaire d' un bien immeuble de l' usage de ce bien à une autre personne, pendant une période déterminée et moyennant une somme payable périodiquement, en concédant à cette autre personne, pour la période et moyennant le paiement en question, un droit réel donnant à son titulaire un pouvoir d' utilisation sur le bien immeuble, tel que le droit de superficie, est une opération comportant l' exploitation d' un bien corporel en vue d' en retirer des recettes ayant un caractère de permanence, le tout au sens de la disposition visée de la directive?

2 ) Dans la mesure où un État membre a fait usage de la possibilité, offerte par l' article 5, paragraphe 3, sous b ), de la sixième directive, de considérer comme biens corporels les droits réels donnant à leur titulaire un pouvoir d' utilisation sur les biens immeubles, le paragraphe 1 dudit article doit-il être interprété en ce sens que la notion de transfert qui y est utilisée comprend également la constitution d' un tel droit?

3 ) La réponse à la première question est-elle différente dans l' hypothèse et dans la mesure où la réponse à la deuxième question est affirmative?"

5 . Ces questions concernent le champ d' application de la TVA, tel qu' il est défini dans la sixième directive . Aux termes de l' article 2, paragraphe 1, de la directive, sont soumises à la TVA les "livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux ... par un assujetti agissant en tant que tel ". Il ressort de cette disposition que, pour que la taxe soit due, il faut un assujetti et une opération imposable . La première condition est définie à l' article 4 de la sixième directive, la deuxième aux articles 5 à 7 . La première question préjudicielle concerne l' interprétation du concept d' "assujetti", qui correspond à celui d' "opérateur économique" dans la Wet op de omzetbelasting . Par les deuxième et troisième questions préjudicielles, le juge de renvoi demande si la définition du concept "livraison d' un bien" ( qui est une des opérations imposables, citées dans la directive ) peut influer sur l' appréciation de la qualité d' "assujetti ".

La première question

6 . L' article 4, paragraphe 1, de la sixième directive considère comme assujetti quiconque accomplit d' une façon indépendante une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité . Le concept d' "activité économique" est défini au paragraphe 2 du même article 4, auquel correspond, ainsi qu' il a été dit, l' article 7, paragraphe 2, de la Wet op de omzetbelasting . Ces activités sont

"toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, ... Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l' exploitation d' un bien corporel ou incorporel en vue d' en retirer des recettes ayant un caractère de permanence ".

Les parties dans le litige au principal ne s' opposent pas sur le fait que les opérations, décrites plus haut, sont des activités indépendantes et que van Tiem doit être considéré pour cette raison comme un commerçant ou comme un prestataire de services . Il faut donc se demander si l' achat du terrain et la constitution du droit de superficie doivent être considérés, ensemble ou séparément, comme une "activité économique ".

7 . Quels sont, à cet égard, les éléments de référence dans la jurisprudence? En premier lieu, la Cour a souligné à plusieurs reprises que l' article 4 de la sixième directive visait à assigner un champ d' application très large à la TVA ( 3 ). En effet, le système de la TVA vise à garantir une neutralité absolue par la taxation aussi générale que possible de tous les stades de la production, de la distribution et de la prestation de services; le concept d' "activité économique" doit, dès lors, être interprété largement, eu égard à ce principe de neutralité ( 4 ).

La dernière phrase de l' article 4, paragraphe 2, qui cite comme exemple d' activité économique l' "exploitation d' un bien corporel ou incorporel en vue d' en retirer des recettes ayant un caractère de permanence", doit également être lue à la lumière de ces constatations . L' arrêt Rompelman ( 5 ), dans lequel les faits présentaient une certaine similitude avec ceux de la présente affaire, contient certaines indications intéressantes pour l' interprétation de cette expression .

8 . L' arrêt Rompelman concernait l' acquisition d' un droit de créance concernant le transfert futur du droit de propriété sur une partie d' un immeuble encore à construire avec l' intention de le donner en location . De même que dans le litige principal dans la présente affaire, la taxe sur le chiffre d' affaires avait été acquittée à la livraison du bien immeuble et l' administration fiscale avait ensuite refusé la compensation de la taxe . La Cour avait été invitée à dire si l' acquisition d' un tel droit de créance pouvait être considérée comme une activité économique ( plus exactement comme l' exploitation d' un bien immeuble ) au sens de l' article 4, paragraphe 1, de la sixième directive, ouvrant un droit à déduction ( et à compensation ). Après avoir analysé les caractéristiques fondamentales du système de la TVA, la Cour a répondu à cette question par l' affirmative .

Elle a rappelé dans son arrêt que le régime des déductions visait à soulager entièrement l' opérateur économique du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques; cela permet de garantir la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités ( 6 ). En ce qui concerne plus précisément la question de savoir à quel moment débute l' exploitation d' un bien immeuble, la Cour a souligné que les activités économiques, visées à l' article 4, paragraphe 1, de la sixième directive, peuvent consister en plusieurs actes consécutifs, tels que l' achat d' un bien immeuble; pareilles activités préparatoires doivent déjà être considérées comme des activités économiques ( 7 ). Ce point de vue a été précisé comme suit :

"... Le principe de la neutralité de la TVA quant à la charge fiscale de l' entreprise exige que les premières dépenses d' investissement effectuées pour les besoins et en vue d' une entreprise soient considérées comme des activités économiques . Il serait contraire à ce principe que lesdites activités ne débutent qu' au moment où un bien immeuble est effectivement exploité, c' est-à-dire où le revenu taxable prend naissance . Toute autre interprétation de l' article 4 de la sixième directive chargerait l' opérateur économique du coût de la TVA dans le cadre de son activité économique sans lui donner la possibilité de la déduire ... et distinguerait arbitrairement entre des dépenses d' investissement avant et pendant l' exploitation effective d' un bien immeuble . Même dans les circonstances où, après exploitation effective d' un bien immeuble, une restitution de la taxe payée en amont pour les actes préparatoires serait prévue, une charge financière grèverait le bien pendant le délai parfois considérable entre les premières dépenses d' investissement et l' exploitation effective . Quiconque accomplit de tels actes d' investissement étroitement liés et nécessaires pour l' exploitation future d' un bien immeuble doit, par conséquent, être considéré comme assujetti au sens de l' article 4" ( 8 ).

9 . Pour la présente affaire, les éléments suivants sont à retenir de l' arrêt Rompelman . Premièrement : l' achat d' un bien immeuble en vue de l' exploiter ultérieurement ( par exemple, en le louant ) doit déjà être considéré comme une activité économique, de sorte que l' achat confère déjà à l' acheteur la qualité d' assujetti et le droit de déduire la taxe acquittée au moment de la livraison du bien . Deuxièmement : le principe de la neutralité de la TVA a pour effet que les activités économiques, visées à l' article 4, paragraphe 1, de la sixième directive, peuvent comprendre différentes opérations successives . Il s' ensuit que l' acte d' investissement ( l' achat du bien ) et l' exploitation ultérieure ne peuvent pas être considérés séparément, ce qui fait que, dans le cadre de l' exploitation, l' intéressé peut prétendre à la compensation de la taxe acquittée au titre de l' acte d' investissement .

10 . L' arrêt Rompelman ne dit pas expressément ce qu' il faut entendre par l' "exploitation" d' un bien immeuble . Il ne laisse cependant pas subsister de doute sur le fait que la location d' un bien immeuble doit être considérée comme l' exploitation de ce bien . En effet, le dispositif de l' arrêt dit que l' acquisition d' un droit de créance concernant le transfert futur du droit de propriété sur une partie d' un immeuble avec l' intention de la donner en location au moment opportun peut être considérée comme activité économique au sens de l' article 4, paragraphe 1, et ce dès le moment de l' achat du bien . Le fait que la location est considérée implicitement, mais de façon certaine, comme une exploitation ressort aussi du passage de l' arrêt relatif à l' exonération de la TVA frappant la location, prévue par l' article 13 B, sous b ), de la sixième directive . L' arrêt Rompelman précise que le bailleur avait fait usage de son droit d' opter pour la taxation de la location de biens immeubles, prévu par l' article 13 C, et il en déduit que l' acheteur d' un bien immeuble, qui met par la suite ce bien en location, doit être considéré comme un assujetti dès le moment de l' achat ( 9 ).

Le litige au principal dans la présente affaire concerne non pas la location d' un bien immeuble, mais l' octroi d' un droit de superficie sur un tel bien . Or, il n' y a aucune raison de ne pas considérer aussi l' octroi d' un tel pouvoir d' utilisation comme une exploitation de ce bien . Comme dans le cas de la location, le propriétaire cherche, par l' octroi d' un droit de superficie, à retirer des recettes de son bien . Il serait, dès lors, contraire au principe de la neutralité de l' impôt de restreindre le concept d' "exploitation" d' un bien à la location de ce bien et d' avantager ainsi un concept juridique déterminé par rapport à d' autres opérations juridiques ( 10 ). Ainsi que les gouvernements néerlandais et britannique l' ont observé avec raison, le concept d' "exploitation" doit, dès lors, être considéré comme se référant à toutes les opérations, quelle que soit leur forme juridique, qui visent à retirer des recettes du bien en question . L' octroi d' un droit de superficie sur un terrain à bâtir pour une durée de dix-huit ans a incontestablement aussi pour but d' en retirer des recettes "ayant un caractère de permanence" au sens de l' article 4, paragraphe 2, de la sixième directive .

11 . L' arrêt du gerechtshof d' Arnhem, que van Tiem a attaqué devant le Hoge Raad, disait cependant que l' octroi d' un droit de superficie ne pouvait pas être considéré comme l' "exploitation" d' un bien par son propriétaire, parce qu' en droit néerlandais celui à qui le droit de superficie est accordé acquiert le pouvoir de disposer de ce bien, de sorte que c' est le titulaire du droit de superficie, et non le propriétaire, qui exploite le bien . En droit communautaire, cette thèse ne nous paraît pas exacte . Le fait que le titulaire du droit de superficie peut ( en droit national ) "disposer" du bien immeuble, par exemple en y érigeant des constructions, n' empêche pas que, par l' octroi d' un droit de superficie, le propriétaire du bien immeuble exploite ce bien au sens de l' article 4 de la sixième directive : en effet, le propriétaire cède pour un certain temps son pouvoir de disposition sur le bien moyennant une indemnité périodique . En ce sens, il "exploite" son bien . En d' autres termes, le mot "exploitation" est un concept communautaire, ce qui veut dire que, pour l' application de la TVA, le droit ( civil ) national ne peut pas avoir pour effet qu' en fonction de la nature du droit de disposer du bien, que le titulaire du pouvoir de disposition acquiert en vertu du droit national, certaines formes d' exploitation sont considérées comme activité économique, et non d' autres . Le point de vue du gerechtshof aurait précisément pour effet de rattacher le concept communautaire d' "exploitation" à un concept de droit national, qui est différent par son but et son contenu, et de porter ainsi atteinte au principe de neutralité de la TVA ( 11 ).

12 . Enfin, il faut encore examiner un point soulevé par la Commission dans le cadre de la première question préjudicielle : la qualité d' assujetti est-elle subordonnée à l' exercice à titre habituel de l' activité économique? Cette condition était prévue par la deuxième directive ( 12 ), mais ne figure pas à l' article 4, paragraphe 1, de la sixième directive . Or, ainsi que la Commission l' observe avec raison, il faut admettre que cette condition est, en principe, encore applicable . En effet, l' article 4, paragraphe 3, permet aux États membres de considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités économiques visées au paragraphe 2 . Une telle disposition n' aurait aucun sens si la règle du paragraphe 1 était déjà applicable aux activités économiques effectuées à titre occasionnel .

La Commission observe aussi avec raison que, par l' article 4, paragraphe 3, le législateur communautaire a cherché à garantir une meilleure neutralité de l' impôt en étendant la qualité d' assujetti aux personnes exerçant des activités économiques à titre occasionnel . Le même but préside aussi à la dernière phrase de l' article 4, paragraphe 2 : l' exploitation d' un bien en vue d' en retirer des recettes ayant un caractère de permanence doit être considérée comme une "activité économique" qui confère la qualité d' assujetti . Nous partageons le point de vue de la Commission selon lequel le caractère habituel de l' activité peut, dans un tel cas, être déduit de l' intention de retirer d' un bien des recettes ayant un caractère de permanence, en d' autres termes que l' élément de la permanence inclut aussi celui du caractère habituel .

Les deuxième et troisième questions

13 . Ainsi qu' il a déjà été dit, le concept d' "opération imposable" est défini plus en détail aux articles 5 à 7 de la sixième directive . Le premier type d' opérations imposables est la livraison d' un bien, qui est définie comme suit à l' article 5, paragraphe 1 :

"le transfert du pouvoir de disposer d' un bien corporel comme un propriétaire ".

Le paragraphe 3, sous b ), du même article permet aux États membres de considérer comme biens corporels :

"les droits réels donnant à leur titulaire un pouvoir d' utilisation sur les biens immeubles ".

Le législateur néerlandais a fait usage de cette faculté à l' article 3, paragraphe 2, de la Wet op de omzetbelasting . A cet égard, le Hoge Raad cherche à savoir par la deuxième question si l' article 5, paragraphe 1, doit être interprété en ce sens que le concept de "livraison d' un bien", qui y est utilisé, comprend également la constitution d' un pouvoir d' utilisation sur ce bien, en tant que droit réel .

14 . Le récent arrêt Safe ( 13 ) était relatif au concept de livraison; dans cet arrêt, la Cour a précisé que la notion de "livraison" d' un bien ne se réfère pas au transfert de propriété dans les formes prévues par le droit national, mais qu' elle inclut toute opération de transfert d' un bien corporel par une partie qui habilite l' autre partie à en disposer en fait comme si elle était le propriétaire de ce bien ( 14 ). Il appartient au juge national d' établir, dans chaque cas particulier et sur la base des circonstances du cas d' espèce, s' il y a transfert du pouvoir de disposer d' un bien corporel comme un propriétaire ( il s' agit d' un pouvoir de disposition matériel, qui peut avoir un sens plus large que la propriété juridique ) ( 15 ).

Dans le cas de la constitution d' un pouvoir d' utilisation, droit réel, sur un bien immeuble, la situation est un peu différente lorsqu' un État membre a utilisé la possibilité de choisir, laissée par l' article 5, paragraphe 3, sous b ). Si les États membres optent pour l' assimilation ( facultative ) des pouvoirs d' utilisation, droit réel, sur des biens immeubles à des biens corporels, cette assimilation vise à considérer, pour la perception de la taxe sur le chiffre d' affaires, des opérations ( à savoir la constitution d' un pouvoir d' utilisation, droit réel, sur un bien immeuble ), qui sont économiquement similaires à la livraison d' un bien immeuble, comme une telle livraison . A cet égard, l' article 5 n' établit aucune distinction selon la nature du pouvoir d' utilisation ( dès lors qu' il s' agit d' un pouvoir d' utilisation en tant que droit réel ) ou selon l' étendue des pouvoirs conférés par le droit sur le bien immeuble . En d' autres termes, du fait de l' assimilation ( facultative ), la constitution du pouvoir d' utilisation, droit réel, est qualifiée d' emblée de livraison, sans qu' il soit nécessaire de prendre en considération, en appliquant les indications contenues dans l' arrêt Safe, les prérogatives conférées par le pouvoir d' utilisation sur le bien concerné .

Pour être complet, nous ajouterons que, lorsque le droit réel qui a été constitué est un droit réel sur un autre droit réel, par exemple un usufruit ou une hypothèque sur un droit de superficie, en vertu duquel le titulaire du droit ne pourrait pas disposer du droit cité en second lieu comme un propriétaire, il faut appliquer les indications contenues dans l' arrêt Safe . En effet, dans une situation de ce genre - il ne semble pas que cette situation existe dans le litige principal -, le titulaire ne pourrait pas, conformément à l' article 5 de la directive, avoir un pouvoir de disposition, droit réel, assimilé à un bien corporel, comme un propriétaire .

15 . Par la troisième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, à supposer qu' en réponse à la deuxième question la constitution d' un droit de superficie doive être considérée comme une livraison, le propriétaire du bien peut encore être réputé exploiter le bien immeuble en question et donc être considéré comme un assujetti au sens de l' article 4 de la sixième directive . La Commission et le gouvernement néerlandais soutiennent que la question de savoir si la constitution d' un droit de superficie doit être considérée comme une "livraison" au sens de l' article 5 est indépendante de la question de savoir si une personne doit être considérée comme un assujetti selon les critères énumérés à l' article 4 . Nous sommes également d' avis qu' il faut répondre séparément aux deux questions, et ce pour les raisons suivantes .

La qualité d' "assujetti" doit être appréciée exclusivement sur la base des critères énoncés à l' article 4 . L' examen de la première question a fait apparaître que l' octroi d' un droit de superficie pouvait très bien être considéré comme une activité économique au sens de l' article 4 ( conférant, par conséquent, la qualité d' assujetti ). Cette affirmation ne peut pas être modifiée, bien au contraire, par la circonstance qu' un État membre aurait fait usage de la possibilité, offerte par l' article 5, paragraphe 3, de considérer la constitution de certains droits réels comme un bien corporel ( ce qui aura pour effet que la constitution d' un droit de superficie doit être considérée comme la livraison d' un bien au sens de l' article 5, paragraphe 1 ). S' il est vrai que cette possibilité de choisir est importante pour définir le concept d' "opération imposable" et qu' elle peut aussi avoir de l' importance pour la taxation de l' opération, parce que les règles applicables à la livraison de biens s' écartent de celles applicables à la prestation de services ( 16 ), toutefois, elle n' est pas destinée à influencer la définition du concept d' "assujetti ". En effet, l' harmonisation que la sixième directive cherche à atteindre serait compromise si le champ d' application de l' article 4 pouvait varier d' un État membre à l' autre selon qu' il est fait ou non usage de la possibilité de choisir, offerte par l' article 5, paragraphe 3 .

Conclusion

16 . Eu égard aux considérations développées ci-dessus, nous vous proposons de répondre dans les termes suivants aux questions posées à titre préjudiciel par le Hoge Raad :

"1 ) La cession par le propriétaire d' un bien immeuble de l' usage de ce bien à une autre personne, pendant une période de dix-huit ans et moyennant une somme payable périodiquement, doit être considérée comme l' exploitation d' un bien corporel en vue d' en retirer des recettes ayant un caractère de permanence au sens de l' article 4, paragraphe 2, dernière phrase, de la sixième directive .

2 ) Lorsqu' un État membre a fait usage de la possibilité, offerte par l' article 5, paragraphe 3, sous b ), de la sixième directive, de considérer comme biens corporels certains droits réels d' utilisation, la constitution d' un tel droit d' utilisation doit être taxée comme la livraison d' un bien immeuble .

3 ) La réponse à la deuxième question n' influence pas la réponse à la première question ."

(*) Langue originale : le néerlandais .

( 1 ) Sixième directive ( 77/388/CEE ) du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxes sur la valeur ajoutée : assiette uniforme ( JO L 145, p . 1, ci-après "sixième directive ").

( 2 ) Par cette demande, van Tiem voulait manifestement acquérir la qualité d' "assujetti" ( nous reviendrons sur cette qualité plus loin ) au titre de ladite transaction, et donc obtenir le droit de compenser la taxe sur le chiffre d' affaires, acquittée au moment de l' achat .

( 3 ) Voir, par exemple, l' arrêt du 26 mars 1987, Commission/Pays-Bas, points 6 à 8 ( 235/85, Rec . p . 1471 ).

( 4 ) Voir l' arrêt cité dans la note précédente et les conclusions de l' avocat général M . C . O . Lenz dans cette affaire, en particulier les paragraphes 19 à 21 . Voir, aussi, l' arrêt du 15 juin 1989, Stichting Uitvoering Financiële Acties, points 10 à 13 ( 348/87, Rec . p . 1737 ).

( 5 ) Arrêt du 14 février 1985, Rompelman/Minister van Financiën ( 268/83, Rec . p . 655 ).

( 6 ) Point 19 .

( 7 ) Point 22 .

( 8 ) Point 23 .

( 9 ) Point 21 .

( 10 ) Il faut observer du reste que l' administration fiscale néerlandaise a accédé à la demande de van Tiem tendant à l' exclusion du bénéfice de l' exonération de la taxe sur le chiffre d' affaires pour l' octroi d' un droit de superficie, au motif que cette demande se rapportait à la location d' un bien immeuble ( voir, plus haut, le paragraphe 2 ).

( 11 ) La Cour a suivi un même raisonnement en ce qui concerne la notion de "travail à façon", figurant à l' article 5 des deuxième et sixième directives ( voir l' arrêt du 14 mai 1985, Van Dijk' s Boekhuis, en particulier les points 15 à 17, 139/84, Rec . p . 1405 ), et en ce qui concerne la notion de "livraison", figurant à l' article 5, paragraphe 1, de la sixième directive ( arrêt du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe BV, en particulier les points 6 à 9, C-320/88, Rec . p . I-285 ); nous reviendrons sur cette notion au paragraphe 14 .

( 12 ) Voir l' article 4 de la directive 67/228/CEE, du 11 avril 1967 ( JO 1967, p . 1303 ).

( 13 ) Arrêt du 8 février 1990, déjà cité dans la note 11 .

( 14 ) Point 7 .

( 15 ) Points 10 à 12 .

( 16 ) Voir, par exemple, les articles 8 et 9 ( lieu des opérations imposables ) et 11 ( base d' imposition ).