C-193/91 - Finanzamt München III / Mohsche

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EUR-Lex - 61991C0193 - FR

61991C0193

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 10 novembre 1992. - Finanzamt München III contre Gerhard Mohsche. - Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne. - TVA - Imposition de l'utilisation privée d'une voiture d'entreprise. - Affaire C-193/91.

Recueil de jurisprudence 1993 page I-02615


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Dans la présente affaire, le Bundesfinanzhof a demandé à la Cour de se prononcer sur l' interprétation de la sixième directive en matière de taxe sur la valeur ajoutée (directive 77/388/CEE du Conseil; JO 1977 L 145, p. 1), et notamment de l' article 6, paragraphe 2 de cette directive. Le point essentiel en l' espèce est de savoir si un entrepreneur qui utilise à des fins privées un véhicule de tourisme affecté à son entreprise est redevable, au titre de l' utilisation privée, d' une taxe grevant le montant de différents chefs de dépenses non imposées ou exonérées, qui ont été exposées pour l' entretien ou l' exploitation du véhicule (notamment la location d' un garage, les impôts et taxes, l' assurance et les droits de stationnement).

Les dispositions communautaires pertinentes

2. L' article 6, paragraphe 2 de la sixième directive est ainsi libellé:

"Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux:

a) l' utilisation d' un bien affecté à l' entreprise pour les besoins privés de l' assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée;

b) les prestations de services à titre gratuit effectuées par l' assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise.

Les États membres ont la faculté de déroger aux dispositions de ce paragraphe à condition que cette dérogation ne conduise pas à des distorsions de concurrence."

3. L' article 11, partie A, paragraphe 1, de la directive dispose:

"La base d' imposition est constituée:

a) ...

b) ...

c) Pour les opérations visées à l' article 6, paragraphe 2, par le montant des dépenses engagées par l' assujetti pour l' exécution de la prestation de services;

..."

4. En conséquence, selon ces dispositions, lorsqu' un assujetti (c' est-à-dire une personne accomplissant une activité économique au sens de l' article 4 de la directive) utilise un bien de son entreprise à des fins privées ou reçoit des prestations de services de son entreprise pour ses besoins privés, il est considéré comme effectuant une prestation de services à lui-même à titre onéreux, la base d' imposition étant le montant des dépenses pour l' exécution de la prestation de services. L' article 6, paragraphe 2, sous a), vise à éviter qu' un assujetti puisse bénéficier de l' utilisation d' un bien en franchise de taxe en utilisant à des fins privées un bien d' entreprise pour lequel il a déduit la taxe sur la valeur ajoutée conformément à l' article 17 de la directive (c' est-à-dire pour lequel l' assujetti a récupéré auprès de l' administration fiscale la taxe sur la valeur ajoutée facturée par son fournisseur en la déduisant de la taxe sur la valeur ajoutée dont il était redevable pour ses propres prestations à des clients). Cette disposition n' est donc applicable que si l' assujetti a déduit au moins une partie de la taxe sur la valeur ajoutée qu' il a acquittée pour le bien. L' article 6, paragraphe 2, sous b), est destiné plus généralement à éviter qu' un assujetti bénéficie de prestations de son entreprise en franchise de taxe.

Les faits et les questions posées par la juridiction nationale

5. M. Mohsche, qui exerce en République fédérale d' Allemagne l' activité de fabricant d' outillage, utilise à des fins privées un véhicule de tourisme affecté à son entreprise. Lors de l' évaluation de la taxe sur la valeur ajoutée due pour l' exercice 1983 par M. Mohsche au titre de l' utilisation du véhicule à des fins privées, l' administration fiscale allemande a inclus dans la base d' imposition un montant correspondant à l' amortissement du véhicule et un certain pourcentage de différentes dépenses exposées pour l' exploitation et l' entretien de ce véhicule. M. Mohsche a formé devant le Finanzgericht un recours dirigé contre la décision de l' administration fiscale. Le Finanzgericht a jugé que l' administration fiscale avait à juste titre inclus l' amortissement du véhicule dans l' assiette (le Bundesfinanzhof relève que c' est sans doute parce que - sans que cela soit expressément mentionné par le Finanzgericht - M. Mohsche avait déduit la taxe sur la valeur ajoutée lors de l' acquisition du véhicule). Le Finanzgericht a cependant décidé qu' en application de l' article 1er, paragraphe 1, point 2, sous b) de l' Umsatzsteuergesetz (loi allemande relative à la taxe sur le chiffre d' affaires) de 1980, interprété conformément aux dispositions communautaires, l' assiette n' aurait pas dû comprendre certaines des dépenses engagées pour l' entretien ou l' exploitation du véhicule (notamment la location de garage, la taxe sur les véhicules à moteur, l' assurance et les droits de stationnement) puisque, pour ces prestations, M. Mohsche n' avait pas été taxé et n' avait pas non plus déduit la taxe sur la valeur ajoutée. L' administration fiscale a formé un recours en "Revision" devant le Bundesfinanzhof, lequel tient pour illégale l' interprétation qui a été donnée par le Finanzgericht de la législation allemande. Toutefois, le Bundesfinanzhof émet certains doutes quant au point de savoir si la législation allemande met en oeuvre correctement l' article 6, paragraphe 2, de la sixième directive, et demande par conséquent à la Cour une décision préjudicielle sur les questions suivantes:

"1. L' article 6, paragraphe 2 de la sixième directive 77/388/CEE interdit-il de taxer l' utilisation pour des besoins privés d' un bien affecté à l' entreprise à la livraison duquel l' assujetti a pu déduire la taxe sur le chiffre d' affaires, dans la mesure où cette utilisation inclut des prestations de services fournies par des tiers en vue de l' entretien ou de l' exploitation du bien sans possibilité de déduction par l' assujetti de la taxe versée en amont?

2. En cas de réponse affirmative à la première question: un assujetti peut-il se prévaloir de cette interdiction devant les juridictions nationales?"

La première question

6. Dans leurs observations écrites, tant le gouvernement allemand que la Commission soutiennent que l' article 6, paragraphe 2, doit être interprété à la lumière du principe de neutralité fiscale qui est à la base du système commun de taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, leurs points de vue divergent quant à la nature précise de cette neutralité et aux conséquences pour l' interprétation de l' article 6, paragraphe 2. Le gouvernement allemand estime qu' un assujetti se trouvant dans la position de M. Mohsche doit être assimilé à un consommateur ordinaire qui loue un véhicule de tourisme auprès d' un assujetti assurant la location de voitures. En pareil cas, la taxe sur la valeur ajoutée serait due pour l' ensemble des paiements relatifs à la location, indépendamment du point de savoir si le loueur a bénéficié d' un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée grevant l' assurance ou d' autres postes. En conséquence, de l' avis du gouvernement allemand, l' utilisation à des fins privées au sens de l' article 6, paragraphe 2, sous a), doit inclure les dépenses engagées par l' assujetti en liaison avec cette utilisation, indépendamment du point de savoir si elles ont donné lieu à une déduction de la taxe sur la valeur ajoutée.

7. La Commission estime, en revanche, qu' il convient d' assimiler M. Mohsche à une personne privée qui achète un véhicule plutôt qu' à un locataire. Le fait que des dépenses exonérées ou non taxées, qui ont été exposées par le loueur d' une voiture, soient incluses dans le montant du loyer imposable est une anomalie du système de la taxe sur la valeur ajoutée. Bien que l' article 6, paragraphe 2, sous a), couvre en principe des prestations de services ou d' autres dépenses afférentes à l' utilisation d' un véhicule de tourisme, il devrait être interprété en ce sens qu' il exclut les dépenses exonérées ou non taxées de l' imposition au titre de l' utilisation privée, même lorsque les biens ont ouvert droit à une déduction de la taxe sur la valeur ajoutée.

8. Tant le gouvernement allemand que la Commission ont fait référence à l' arrêt de la Cour dans l' affaire Kuehne (50/88, Rec. 1989, p. 1925). Cette affaire portait également sur l' interprétation de l' article 6, paragraphe 2, sous a), et présentait même, du point de vue des faits, certaines similitudes avec le présent cas d' espèce. Me Kuehne, qui exerçait la profession d' avocat, avait été également assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de l' utilisation privée d' une voiture affectée à son entreprise. L' imposition de l' utilisation privée était également fondée en partie sur l' amortissement de la voiture d' entreprise et en partie sur les frais afférents à l' entretien et à l' exploitation du véhicule. Mais la similitude entre les deux affaires s' arrête là. D' une part, à la différence de M. Mohsche, Me Kuehne n' avait pas déduit la taxe sur la valeur ajoutée à la livraison du véhicule, puisqu' il l' avait acheté d' occasion à un particulier. D' autre part, contrairement aux frais visés en l' espèce, les dépenses engagées par Me Kuehne aux fins de l' entretien et de l' exploitation du véhicule concernaient des prestations de services imposables (réparations, services d' entretien, lubrifiants, etc.) pour lesquelles il avait déduit la taxe sur la valeur ajoutée. En conséquence, dans l' affaire Kuehne, la situation était en fait l' inverse de celle considérée en l' espèce. La question était de savoir si l' article 6, paragraphe 2, sous a), s' opposait à ce que les autorités allemandes taxent l' amortissement du véhicule bien que les dépenses exposées en vue de l' entretien et de l' exploitation du véhicule aient ouvert droit à une déduction de la taxe sur la valeur ajoutée.

9. La Cour a jugé que dès lors que l' assujetti n' est pas autorisé à déduire la taxe résiduelle grevant le bien acheté d' occasion à une personne privée, ce bien n' ouvre pas droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée au sens de l' article 6, paragraphe 2, sous a); en conséquence, cette disposition ne permet pas une imposition de l' amortissement du bien au titre de son utilisation privée. Et ce nonobstant le fait que l' assujetti a pu déduire la taxe sur la valeur ajoutée grevant les différentes prestations reçues aux fins de l' exploitation et de l' entretien du bien.

10. A notre avis, l' exclusion de l' imposition de l' utilisation privée que la Cour a admise dans cette affaire devrait être applicable également aux dépenses exonérées ou non taxées qui ont été exposées par un assujetti en vue de l' exploitation et de l' entretien d' un bien. Certes, une interprétation littérale de l' expression "l' utilisation d' un bien" utilisée à l' article 6, paragraphe 2, sous a), n' est guère concluante. Ces termes peuvent être compris dans un sens strict, ne visant que l' utilisation d' un bien proprement dite, ou dans un sens plus large comprenant les prestations de services et d' autres dépenses afférentes à cette utilisation; il découlerait de cette dernière conception que de telles prestations devraient être incluses dans l' imposition au titre de l' utilisation privée, qu' elles aient ou non ouvert droit à une déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, l' article 6, paragraphe 2, sous a), exigeant simplement que le bien ait ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée.

11. Toutefois, la conception plus large, défendue par le gouvernement allemand, est incompatible avec la finalité de l' article 6, paragraphe 2, sous a). A la différence de prestations normales qui sont en principe imposables, que les biens et services utilisés pour leur exécution aient ou non ouvert droit à une déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, l' utilisation privée d' un bien n' est imposable conformément à l' article 6, paragraphe 2, sous a), que si le bien a ouvert droit à une déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. Il en résulte que cette disposition a pour but de placer un assujetti, dans la mesure où celui-ci utilise un bien d' entreprise à des fins privées, dans la position dans laquelle il se serait trouvé s' il avait acheté le bien à une personne privée sans bénéficier d' aucun droit à déduction.

12. Cette analyse est conforme à l' arrêt de la Cour dans l' affaire Kuehne, où la Cour a jugé (au point 8):

"Il résulte du système de la sixième directive que la disposition précitée entend éviter la non-imposition d' un bien d' entreprise utilisé à des fins privées et n' exige, en conséquence, la taxation de l' utilisation privée de ce bien que si celui-ci a ouvert droit à déduction de la taxe qui en a grevé l' acquisition."

13. Si dans le cas d' espèce, M. Mohsche, qui est un assujetti, avait acheté le véhicule exclusivement à des fins privées, il aurait été traité comme un acheteur privé (voir l' arrêt Lennartz, C-97/90, Rec. 1991, p. I-3795, points 8 à 11; voir également l' arrêt du 6 mai 1992, De Jong, C-20/91, en particulier le point 17). Un acheteur à titre privé n' acquittera pas de taxe sur la valeur ajoutée sur des dépenses non taxées telles que la taxe sur les véhicules à moteur et sa charge fiscale pour une dépense exonérée telle que l' assurance automobile se limitera à la taxe sur la valeur ajoutée que la compagnie d' assurance, en tant que fournisseur de prestations d' assurance exonérées, n' était pas autorisée à récupérer sur ses achats en application de l' article 17, paragraphe 2, de la directive et qu' elle a donc été obligée de répercuter sur lui dans les primes d' assurance. Il semble absurde que M. Mohsche, s' il acquiert un véhicule en partie pour les besoins de son entreprise, doive supporter une charge fiscale plus lourde à raison de l' utilisation privée de ce véhicule. Ainsi que la Commission l' a relevé à l' audience, M. Mohsche n' a pas loué le véhicule à un loueur de voitures ni pris un taxi. Sa profession ne consiste pas non plus à louer des voitures. Il est fabricant d' outillage et a acquis le véhicule en partie en tant qu' entrepreneur et en partie en tant que particulier.

14. L' ordonnance de renvoi laisse entendre que l' article 6, paragraphe 2, sous a), pourrait être lu en combinaison avec l' article 13, partie B, sous c), qui exonère les livraisons de biens lorsque pour certaines raisons déterminées, l' acquisition de ces biens avait fait l' objet de l' exclusion du droit à déduction. Dans le cadre d' une telle interprétation, l' imposition de l' utilisation à des fins privées conformément à l' article 6, paragraphe 2, sous a), ne serait interdite qu' en cas d' exclusion du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée pour l' une des raisons spécifiées à l' article 13, partie B, sous c). Or, cette conception ne paraît guère défendable, puisque l' exonération visée à l' article 13, partie B, sous c), ne concerne que les livraisons de biens. Si on avait voulu que l' article 6, paragraphe 2, sous a), fût lu en combinaison avec l' article 13, ce dernier aurait assurément prévu une exonération équivalente pour les prestations de services consistant en l' utilisation d' un bien. En outre, il aurait été raisonnable que l' article 6, paragraphe 2, sous a), fasse explicitement référence à l' article 13.

15. Nous souscrivons, par conséquent, à la conclusion de la Commission selon laquelle les dépenses non taxées et exonérées qui n' ont pas ouvert droit à une déduction de la taxe sur la valeur ajoutée devraient être exclues du champ d' application de l' article 6, paragraphe 2. Toutefois, l' analyse sur laquelle la Commission fonde cette conclusion est en contradiction avec le libellé de l' article 6, paragraphe 2, sous a). Si nous admettons, à l' instar de la Commission, que l' expression "utilisation d' un bien" inclut les prestations de services et autres dépenses liées à cette utilisation, alors la lettre de l' article 6, paragraphe 2, sous a), commande qu' elles soient incluses dans l' imposition de l' utilisation à des fins privées, puisque l' application de la disposition est subordonnée uniquement à la condition que le bien ait ouvert droit à une déduction de la taxe sur la valeur ajoutée.

16. A notre avis, on peut à bon droit arriver à la conclusion défendue par la Commission en interprétant l' expression "utilisation d' un bien" dans un sens strict comprenant uniquement l' utilisation du bien lui-même. L' utilisation à des fins privées de prestations accessoires afférentes à cette utilisation ne relèverait pas, en ce cas, de la prestation imposable qui est censée naître conformément à l' article 6, paragraphe 2, sous a). Le montant des dépenses pour cette prestation de services au sens de l' article 11, partie A, paragraphe 1, sous c), serait donc limité à la seule dépense exposée pour rendre le bien disponible. En conséquence, une imposition en ce qui concerne les dépenses d' entretien et d' exploitation exonérées ou non taxées, telles que celles visées en l' espèce, n' entrerait pas en ligne de compte.

17. On pourrait objecter que cette interprétation est susceptible de conduire à une évasion fiscale en ce qui concerne les prestations de services et les dépenses imposables. Toutefois, puisqu' en vertu de l' article 17, paragraphe 2, de la directive, un assujetti n' est autorisé à déduire la taxe sur la valeur ajoutée grevant ses achats de biens et de services que dans la mesure où ceux-ci sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, il ne pourra pas déduire la taxe sur la valeur ajoutée grevant les prestations de services utilisées à des fins privées. Lorsqu' une voiture est utilisée en partie à des fins privées, il faudrait ventiler la taxe sur la valeur ajoutée frappant les dépenses d' entretien et d' exploitation au prorata de l' utilisation privée. La taxe sur la valeur ajoutée ne serait donc déductible que dans la mesure où le véhicule a été utilisé pour les besoins de l' entreprise.

18. Cette conception est conforme au libellé de l' article 6, paragraphe 2, sous a), ainsi qu' à la ratio de cette disposition. Il nous semble que le recours au mécanisme consistant en une prestation par assimilation pour effectuer des régularisations en fonction de l' utilisation privée d' un bien, au lieu de la solution plus évidente consistant à limiter le droit à déduction de la taxe en amont, grevant l' acquisition de ce bien, avait pour objectif de permettre la prise en compte de changements susceptibles d' intervenir d' une année à l' autre dans la proportion d' utilisation privée. La même considération ne s' applique pas aux prestations de services reçues par une entreprise, puisqu' en règle générale elles sont consommées immédiatement ou à brève échéance.

19. En outre, cette interprétation des articles 6, paragraphe 2, sous a), et 17, paragraphe 2, aboutit à traiter de manière cohérente les différentes catégories d' utilisation privée. Plus particulièrement, les prestations de services qu' un assujetti a obtenues de tiers et qui sont utilisées à des fins privées seraient traitées conformément aux objectifs de la directive, indépendamment du point de savoir si elles concernent l' utilisation de biens et, dans l' affirmative, si ces biens ont éventuellement ouvert droit à une déduction de la taxe sur la valeur ajoutée.

20. Certes, au point 29 des motifs de l' arrêt Kuehne, la Cour a laissé entendre, en ce qui concerne la base d' imposition au sens de l' article 11, partie A, paragraphe 1, sous c), que les dépenses d' entretien et d' exploitation ayant ouvert droit à une déduction de la taxe sur la valeur ajoutée devraient être imposées. Toutefois, dans l' affaire Kuehne, il s' agissait non pas de l' imposition des dépenses d' entretien et d' exploitation du véhicule mais de l' imposition de l' amortissement du véhicule lui-même. La Cour a voulu préciser qu' il était compatible avec les objectifs du système commun de taxe sur la valeur ajoutée de s' abstenir de taxer l' amortissement du véhicule tout en imposant les dépenses d' entretien et d' exploitation. Pour les motifs exposés ci-dessus, nous estimons qu' il serait plus conforme au libellé et au système de la directive de réaliser l' imposition des dépenses d' entretien et d' exploitation en refusant à un assujetti le droit à déduction dans la mesure où le véhicule est utilisé à des fins privées. Ajoutons toutefois que, puisque le même résultat peut être atteint grâce à la méthode allemande consistant à autoriser la déduction complète de ces dépenses et à taxer ensuite la proportion d' utilisation privée, rien ne s' oppose, semble-t-il, à l' application de cette méthode, à condition qu' elle soit limitée aux dépenses d' entretien et d' exploitation pour lesquelles la taxe sur la valeur ajoutée a été déduite.

21. Nous examinerons finalement deux points particuliers qui ont été soulevés. En premier lieu, le gouvernement allemand a fait observer que, pour des raisons pratiques, la possibilité d' une imposition partielle de l' utilisation d' un bien au prorata des déductions de la taxe en amont a été rejetée au cours des délibérations qui ont précédé l' adoption de la sixième directive. Si cette observation paraît fondée dans le cas où le bien lui-même n' a ouvert droit qu' à une déduction partielle de la taxe sur la valeur ajoutée, nous ne voyons pas pourquoi le fait de distinguer entre les biens et les dépenses engagées pour l' exploitation et l' entretien de ces biens devrait susciter des difficultés pratiques.

22. En second lieu, les intéressés qui ont déposé des observations en l' espèce, ont fait valoir à juste titre que l' article 6, paragraphe 2, sous b), n' est pas applicable dans le cas qui nous occupe. Cette disposition semble s' appliquer aux prestations de services fournies à des fins privées par l' entreprise de l' assujetti. L' absence de toute exigence quant à la déduction de taxe confirme cette analyse. A la différence du point a) de l' article 6, paragraphe 2, le point b) n' est pas destiné simplement à éliminer la proportion pertinente de la taxe en amont déduite pour les biens utilisés à des fins privées. Son objectif consiste à éviter qu' un assujetti obtienne en franchise de taxe des prestations commerciales de son entreprise, pour lesquelles une personne privée aurait dû acquitter la taxe sur la valeur ajoutée.

La deuxième question

23. Par sa deuxième question, le Bundesfinanzhof demande si un assujetti peut invoquer l' article 6, paragraphe 2 devant les juridictions nationales.

24. Dans l' arrêt Kuehne, la Cour a jugé (au point 26) que l' interdiction d' assujettir à la taxe sur la valeur ajoutée l' utilisation privée d' un bien d' entreprise qui n' a pas ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée est susceptible de produire des effets directs dans les relations juridiques entre les États membres et leurs justiciables. Selon nous, l' interdiction d' imposer des prestations de services et des dépenses exonérées ou non taxées qui ont été engagées en vue de l' entretien et de l' exploitation d' un bien d' entreprise satisfait également aux critères relatifs à l' effet direct.

25. En conséquence, nous sommes d' avis qu' il convient de répondre comme suit aux questions posées par le Bundesfinanzhof:

1) L' article 6, paragraphe 2, de la sixième directive en matière de taxe sur la valeur ajoutée (77/388/CEE) interdit de taxer l' utilisation pour des besoins privés de prestations de services fournies à un assujetti par des tiers en vue de l' entretien ou de l' exploitation d' un bien utilisé à des fins privées sans possibilité de déduction par l' assujetti de la taxe versée en amont.

2) Un assujetti peut se prévaloir de cette interdiction devant les juridictions nationales.

(*) Langue originale: l' anglais.