C-312/91 - Metalsa

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EUR-Lex - 61991C0312 - FR

61991C0312

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 22 avril 1993. - Saisie à l'encontre de Metalsa Srl, procédure pénale contre Gaetano Lo Presti. - Demande de décision préjudicielle: Tribunale di Milano - Italie. - Accord de libre-échange CEE-Autriche - Non-discrimination fiscale. - Affaire C-312/91.

Recueil de jurisprudence 1993 page I-03751


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Dans la présente espèce, le giudice per le indagini preliminari (juge chargé des enquêtes préliminaires) du Tribunale di Milano demande une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation de l' article 18 de l' accord de libre-échange conclu et approuvé au nom de la Communauté par le règlement du Conseil (CEE) n 2836/72 du 19 décembre 1972 (JO L 300 du 31 décembre 1972, p. 1 ci-après "l' accord").

2. La question déférée à la Cour est la suivante:

"Dans le cadre du traité CEE-Autriche, une réglementation nationale qui sanctionne les infractions à la TVA perçue à l' importation plus sévèrement que celles à la TVA perçue sur les cessions de biens à l' intérieur du pays est-elle compatible avec l' article 18 de ce traité, si ladite différence est disproportionnée par rapport à la dissimilitude des deux catégories d' infractions, compte tenu notamment de la réponse à une question analogue, dans le cadre communautaire, tranchée par l' arrêt du 25 février 1988 (affaire Drexl) au regard de l' article 95 du traité CEE"?

3. Le litige au principal trouve son origine dans une décision du 3 juillet 1991 par laquelle le ministère public italien a ordonné la saisie de pains d' aluminium d' un poids de 205 885 kg, importés d' Autriche par Metalsa S.r.l., au motif que Metalsa avait omis d' acquitter la taxe à la valeur ajoutée perçue à l' importation et, en conséquence, enfreint certaines dispositions de droit italien relatives au paiement de la TVA. La saisie des pains d' aluminium constitue une mesure provisoire. Conformément à l' article 301 du décret du Président de la République n 43 de 1973, les pains d' aluminium seront confisqués s' il est établi définitivement que Metalsa a enfreint les dispositions du droit italien concernant le paiement de la TVA.

4. Par décision du 13 juillet 1991, le ministère public a rejeté la demande de restitution des pains d' aluminium saisis formulée par Metalsa. A la suite de cette décision, Metalsa a demandé leur restitution au bureau du juge chargé des enquêtes préliminaires du Tribunale di Milano. C' est dans ce contexte que la présente demande de décision à titre préjudiciel a été formée.

5. Le droit italien établit une distinction entre les infractions concernant le paiement de la TVA sur les importations et celles concernant le paiement de la TVA sur les transactions internes. En application de l' article 70 du décret du Président de la République n 633 de 1972, les infractions concernant le paiement de taxes, dont la TVA, sur les importations, sont passibles des peines fixées par la législation douanière en matière de droits de douane. L' une de ces peines est la confiscation. En revanche, les infractions relatives au paiement de la TVA sur les transactions internes sont en générale passibles de peines moins sévères que celles résultant de l' application de la législation douanière. La confiscation n' en fait pas partie.

6. Dans l' affaire 299/86 Drexl, Rec. 1988, p. 1213, qui avait trait à des importations en provenance d' autres États membres, la Cour a eu à connaître de ce double système de peines. La Cour a constaté ce qui suit au second paragraphe du dispositif de l' arrêt:

"Une législation nationale qui sanctionne plus sévèrement les infractions à la TVA à l' importation que celles à la TVA afférente aux cessions de biens à l' intérieur du pays est incompatible avec l' article 95 du traité dans la mesure où cette différence est disproportionnée par rapport à la dissimilitude des deux catégories d' infraction."

Il convient de rappeler que l' article 95, premier paragraphe, du traité dispose ce qui suit:

"Aucun État membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres États membres d' impositions intérieures, de quelque nature qu' elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires."

7. Il y a donc lieu de considérer que la jurisprudence Drexl ne concerne que les importations en provenance d' autres États membres (1). Metalsa soutient toutefois qu' il convient d' appliquer une règle similaire aux importations en provenance d' Autriche sur le fondement de l' article 18, premier paragraphe, de l' accord qui dispose ce qui suit:

"Les parties contractantes s' abstiennent de toute mesure ou pratique de nature fiscale interne établissant directement ou indirectement une discrimination entre les produits d' une partie contractante et les produits similaires originaires de l' autre partie contractante."

8. Selon Metalsa, l' esprit et les objectifs de l' accord sont de nature à justifier que la Cour interprète son article 18 de la même manière qu' elle a interprété l' article 95 du traité dans l' affaire Drexl. Metalsa soutient qu' étant donné que l' article 18 couvre toute mesure ou pratique discriminatoire de nature fiscale interne, il couvre aussi des sanctions pénales discriminatoires. La Commission et le gouvernement italien contestent la thèse de Metalsa.

9. Avant de répondre à la question posée, il est utile d' examiner brièvement la nature et la portée de l' accord et de rappeler les critères généraux utilisés par la Cour dans l' interprétation des accords internationaux conclus par la Communauté.

10. Dans ses dispositions essentielles, l' accord présente des analogies partielles avec le traité. Les articles 3 à 7 de l' accord prévoient la suppression des droits de douane et des taxes d' effet équivalent dans le commerce entre la Communauté et l' Autriche. L' article 13 prévoit la suppression des restrictions quantitatives à l' importation et des mesures d' effet équivalent. Ces dispositions sont complétées par l' article 18 qui, ainsi que nous l' avons dit, interdit les mesures ou pratiques fiscales à caractère discriminatoire. L' article 19 prévoit la suppression de toutes les restrictions concernant les paiements afférents aux échanges de marchandises. L' article 22 stipule que les parties contractantes s' abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l' accord et prennent toutes les mesures générales ou particulières propres à assurer l' exécution des obligations de l' accord. Les articles 23 et 25 édictent des règles relatives à la concurrence, aux aides publiques et au dumping.

11. Tant l' article 95 du traité que l' article 18 de l' accord instaurent le principe d' égalité fiscale. En fait, les termes de l' article 18, premier paragraphe, de l' accord, en mentionnant "toute mesure ou pratique de nature fiscale interne", peuvent sembler aller au-delà des termes de l' article 95, premier paragraphe du traité. Ces dispositions n' en sont pas moins fondamentalement semblables en ce qu' elles interdisent toute forme de discrimination fiscale directe ou indirecte.

12. Mais la similitude apparente des deux textes ne doit pas cacher le fait que le traité CEE et l' accord poursuivent des objectifs fondamentalement différents.

13. Selon son préambule, l' objet de l' accord, qui a été conclu sur la base de l' article 113 du traité, est de consolider et d' étendre les relations économiques existant entre la Communauté et l' Autriche et d' assurer, dans le respect des conditions équitables de concurrence, le développement harmonieux de leur commerce. A cet effet, les parties contractantes sont résolues à éliminer progressivement les obstacles pour l' essentiel de leurs échanges, en conformité avec les dispositions de l' Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce concernant l' établissement de zones de libre échange.

14. Au sens de l' article XXIV, paragraphe 8, de l' Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, une zone de libre-échange s' entend comme:

"Un groupe de deux ou plusieurs territoires douaniers entre lesquels les droits de douane et autres réglementations restrictives des échanges commerciaux ... sont éliminés pour l' essentiel des échanges commerciaux portant sur les produits originaires des territoires constitutifs de la zone de libre-échange".

15. Au contraire, le traité CEE ne vise pas seulement à instituer une zone de libre échange au sens qui prévalait dans le cadre de l' Accord, mais à atteindre une intégration économique débouchant sur l' établissement d' un marché intérieur et à contribuer, avec les autres traités communautaires, à faire progresser concrètement l' Union européenne (voir l' avis 1/91 du 14 décembre 1991 sur le projet d' accord entre la Communauté, d' une part, et les pays de l' association européenne de libre échange, d' autre part, portant sur la création de l' Espace économique européen, Rec. p. I-6079, paragraphe 17).

16. Il ressort de la jurisprudence de la Cour qu' une disposition d' un accord international conclu par la Communauté doit être interprétée dans le contexte et à la lumière de ses objectifs (voir l' avis 1/91, paragraphe 14). Donc, le fait qu' un accord de libre-échange conclu par la Communauté utilise des termes similaires à ceux d' un article du traité ne suffit pas à lui seul à transposer la jurisprudence de la Cour relative à cet article aux dispositions de l' accord: voir affaire 270/80 Polidor/Harlequin Record Shops, Rec. 1982 p. 329. En l' espèce, la Cour devait interpréter les articles 14 et 23 de l' accord de libre-échange entre la CEE et le Portugal signé le 22 juillet 1972, alors que le Portugal était encore membre de l' AELE. Les articles 14 et 23 dudit accord étaient semblables aux articles 30 et 36 du traité. En dépit de cette similitude, la Cour a jugé que certaines restrictions à la liberté des échanges pour des motifs de protection de la propriété industrielle et commerciale étaient justifiées dans le cadre des dispositions de libre échange instituées par cet accord et cela bien que de telles restrictions ne soient pas justifiées dans le cadre du traité.

17. Une disposition d' un accord international doit, cependant, être interprétée de la même manière que la disposition équivalente du traité, si les objectifs de l' accord l' exigent: voir affaires 17/81 Pabst & Richarz/Hauptzollamt Oldenburg, Rec. 1982, p. 1331, et C-163/90 Legros Rec. 1992, p. I-4625 (2). Dans l' affaire Pabst & Richarz, la Cour a interprété de la même manière l' article 95 du traité et l' article 53, paragraphe 1, de l' accord d' association entre la Communauté et la Grèce signé en 1961. La Cour a déclaré que l' article 53, paragraphe 1, s' insérait dans un ensemble de dispositions ayant pour objet de préparer l' entrée de la Grèce dans la Communauté et qu' il résultait des termes de l' article 53, paragraphe 1, ainsi que de l' objet et de la nature de l' accord d' association que cette disposition faisait obstacle à ce qu' un régime national de dégrèvement, tel que celui en cause en l' espèce, favorise le traitement fiscal des alcools nationaux par rapport à ceux importés de Grèce.

18. Dans l' affaire Legros, la Cour devait interpréter, entre autres, l' article 6 de l' accord de libre échange conclu entre la Communauté et la Suède en 1972, qui interdit l' imposition de taxe d' effet équivalant à des droits de douane dans le commerce entre les parties contractantes. La Cour a jugé que, eu égard aux circonstances particulières de l' espèce, l' article 6 de l' accord devait être interprété de la même manière que les dispositions équivalentes du traité. La Cour a constaté que, dans le cadre de l' objectif de l' élimination des obstacles aux échanges entre la Communauté et la Suède, la suppression des droits de douane à l' importation jouait un rôle primordial. La Cour a conclu sur ce fondement que l' accord serait privé d' une partie importante de son effet utile si la notion de taxe d' effet équivalent devait être interprétée comme ayant une portée plus restrictive dans le cadre de l' accord que dans celui du traité CEE: voir le paragraphe 26 de l' arrêt.

19. Dans l' affaire 104/81, Hauptzollamt Mainz/Kupferberg, Rec. 1982 p. 3641, la Cour a porté son examen sur le point de savoir si l' article 21, paragraphe 1, de l' accord de libre échange conclu entre la CEE et le Portugal, contenait une interdiction analogue à celle de l' article 95 du traité. Il convient de noter que l' article 21, premier paragraphe, de cet accord est rédigé dans les mêmes termes que l' article 18, premier paragraphe, de l' accord entre la CEE et l' Autriche, qui est en cause dans la présente affaire. La Cour a constaté ce qui suit aux paragraphes 29 à 31 de l' arrêt:

"... il y a lieu de faire remarquer que si l' article 21 de l' accord et l' article 95 du traité CEE ont le même objet, en ce qu' ils visent à l' élimination des discriminations fiscales, chacune de ces deux dispositions, d' ailleurs rédigées en termes différents, doit cependant être envisagée et interprétée dans le cadre qui lui est propre.

Or, comme la Cour l' a déjà dit ... le traité CEE et l' accord de libre-échange poursuivent des objectifs distincts. Il en résulte que les interprétations qui ont été données de l' article 95 du traité ne peuvent pas être transposées, en vertu d' une simple analogie, dans le cadre de l' accord de libre-échange.

Il y a donc lieu de répondre à ... la question qu' il convient d' interpréter l' article 21, premier alinéa, en fonction de ses termes et compte tenu de l' objectif qu' il poursuit dans le cadre du régime de libre-échange institué par l' accord."

20. Il est donc clair que le principe de l' égalité fiscale prévu à l' article 18, paragraphe 1, de l' accord conclu entre la CEE et l' Autriche, doit être interprété à la lumière des objectifs dudit accord. Comme ces objectifs sont plus restreints que ceux du traité CEE, il est possible que certaines formes de discrimination fiscale interdites par l' article 95 ne le soient pas par l' article 18. Il y a donc lieu de considérer l' interprétation de l' article 95 retenue par la Cour dans l' affaire Drexl et de se demander si cette interprétation peut être transposée à l' article 18, paragraphe 1 de l' accord, lu à la lumière de ses objectifs. Il convient de noter dès maintenant que l' article 18, paragraphe 1, doit être considéré comme ayant un effet direct. Dans l' affaire Kupferberg, la Cour a jugé que l' article 21, paragraphe 1, de l' accord de libre-échange entre la CEE et le Portugal contenait une interdiction inconditionnelle de discrimination en matière de taxation et, en conséquence, était d' effet direct dans toute la Communauté. Le même raisonnement s' applique à l' article 18, paragraphe 1, de l' accord conclu entre la CEE et l' Autriche, qui est identique à l' article 21, paragraphe 1 de l' accord en cause dans l' affaire Kupferberg.

21. Dans l' affaire Drexl, la Cour a examiné le point de savoir si un système pénal qui sanctionne plus sévèrement des infractions à la TVA sur les importations que des infractions semblables sur des transactions internes est contraire à l' article 95 du traité, ainsi qu' aux principes d' égalité et de proportionnalité. Aux paragraphes 22 à 25 de l' arrêt, la Cour a constaté ce qui suit:

"Il y a lieu de constater ... que les deux catégories d' infraction en cause se distinguent par différentes circonstances qui concernent aussi bien les éléments constitutifs de l' infraction que la plus ou moins grande facilité à la découvrir. En effet, la TVA à l' importation est perçue à l' occasion de la simple entrée physique du bien sur le territoire de l' État membre concerné, plutôt qu' à celle d' une transaction. Ces différences impliquent notamment que les États membres ne sont pas obligés de prévoir un régime identique pour les deux catégories d' infraction.

Toutefois, lesdites différences ne sauraient justifier un écart manifestement disproportionné dans la sévérité des sanctions prévues pour les deux catégories d' infraction. Une telle disproportion existe lorsque la sanction prévue en cas d' importation comporte, en règle générale, des peines d' emprisonnement et la confiscation de la marchandise en vertu des règles prévues pour la répression de la contrebande alors que des sanctions comparables ne sont pas prévues, ou pas appliquées de façon générale, en cas d' infraction à la TVA afférente aux transactions internes. Une telle situation pourrait effectivement avoir pour effet de compromettre la liberté de faire circuler les marchandises à l' intérieur de la Communauté, et serait ainsi incompatible avec l' article 95 du traité.

En effet, comme la Cour l' a considéré dans son arrêt du 5 mai 1982 (Gaston Schul, 15/81, Rec. p. 1409), l' interprétation de l' article 95 doit tenir compte des finalités du traité telles qu' énoncées aux articles 2 et 3, parmi lesquels figure, en premier lieu, l' établissement d' un marché commun dans lequel toutes les entraves aux échanges seront éliminées en vue de la fusion des marchés nationaux dans un marché unique réalisant les conditions aussi proches que possible de celles d' un véritable marché intérieur...

Dès lors, il y a lieu de répondre à la ... question qu' une législation nationale qui sanctionne plus sévèrement les infractions à la TVA à l' importation que celles à la TVA afférente aux cessions de biens à l' intérieur du pays est incompatible avec l' article 95 du traité dans la mesure où cette différence est disproportionnée par rapport à la dissimilitude des deux catégories d' infraction."

22. Dans l' affaire Drexl, donc, la Cour a admis qu' il existe des différences entre des infractions concernant le paiement de la TVA sur les importations et celles concernant le paiement de la même taxe sur les transactions internes et que, en principe, les États membres sont libres d' infliger des sanctions différentes pour les deux catégories d' infraction. La Cour a cependant jugé que le principe d' égalité fiscale prévu à l' article 95 du traité devait s' interpréter de manière large afin d' interdire que des peines manifestement disproportionnées ne soient infligées pour des infractions comparables. La Cour a interprété largement l' article 95 à la lumière des objectifs du traité, et notamment de l' objectif d' établissement d' un marché interne.

23. Il convient de noter que, dans l' affaire Drexl, la Cour s' est davantage souciée de l' application du principe d' égalité que de celle du principe de proportionnalité. Dans son arrêt, la Cour s' est demandé si une différence disproportionnée entre les sanctions prévues pour des infractions concernant le paiement de la TVA sur les importations et celles prévues pour des infractions concernant le paiement de la TVA sur les transactions internes pouvait avoir pour effet de compromettre la libre circulation des marchandises. La Cour n' a pas cherché à savoir si les sanctions concernant des infractions relatives au paiement de la TVA sur les importations en provenance d' autres États membres étaient en soi si disproportionnées par rapport à la gravité des infractions qu' elles constituaient une entrave aux libertés garanties par le droit communautaire.

24. La Commission et le gouvernement italien soutiennent que l' interprétation de l' article 95 suivie par la Cour dans l' affaire Drexl ne saurait être transposée à l' article 18 de l' accord. Premièrement, la Commission et le gouvernement italien affirment que l' article 18 n' interdit qu' une discrimination fondamentale en matière fiscale et n' affecte pas la compétence des États membres en matière criminelle. Deuxièmement, le gouvernement italien affirme que, même s' il est admis que l' article 18 interdit la discrimination en matière criminelle, il n' y a pas violation de cette interdiction lorsque les infractions en cause sont différentes.

25. En ce qui concerne le premier argument, la Commission soutient que, dans l' affaire Drexl, la Cour a interprété de manière large le principe d' égalité fiscale à la lumière des objectifs du traité. Elle soutient que ce principe ne saurait être interprété de manière aussi large lorsqu' il s' agit d' un accord de libre échange dont la portée et les objectifs sont beaucoup plus limités. La Commission soutient que, à la lumière des objectifs de l' accord, l' objet de l' article 18 est d' interdire la discrimination dans toutes les mesures et pratiques d' imposition et de recouvrement de la TVA. Donc, l' article 18 recouvre l' assiette de la TVA, son taux ainsi que les modalités de paiement et de recouvrement de la taxe qui sont susceptibles d' avoir une incidence sur la libre circulation des marchandises originaires du territoire de l' une des parties contractantes. La Commission conclut que l' encadrement des compétences répressives des États membres ne s' applique que dans le cadre de la Communauté, qui vise à établir un marché interne et une Union européenne, et non pas dans le cadre d' un accord de libre-échange. Le gouvernement italien adopte le même point de vue.

26. En ce qui concerne le second argument, le gouvernement italien déclare que, même s' il était admis que l' interdiction de discrimination fiscale prévue à l' article 18 s' étend aux sanctions pénales, cette interdiction ne concernerait que le cas où des sanctions différentes sont infligées pour des infractions semblables. Or, les infractions concernant la taxe à la valeur ajoutée sur les importations sont des infractions distinctes de celles concernant la taxe à la valeur ajoutée sur les transactions internes. Il s' ensuit que le fait d' infliger des sanctions différentes pour ces deux catégories d' infraction ne constitue pas une discrimination fiscale; partant, le système de sanctions différenciées prévu par le droit italien n' est pas contraire à l' article 18 de l' accord.

27. Selon nous, l' article 18 de l' accord n' impose pas qu' une comparaison soit établie entre des sanctions infligées par les États membres pour des infractions fiscales concernant des importations en provenance d' Autriche et des sanctions pour des infractions fiscales sur des transactions internes ou sur des importations en provenance d' autres États membres. Le droit de libre-échange prévu par l' accord est plus restreint que les droits découlant des dispositions du traité sur la libre circulation des marchandises: à cet égard, les thèses de la Commission et du gouvernement italien me semblent convaincantes. De plus, il ressort clairement de la décision de la Cour dans l' affaire Kupferberg que toutes les formes de discrimination qui sont interdites par l' article 95 du traité ne le sont pas obligatoirement par l' article 18 de l' accord. En fait, même le concept de "produit similaire" de l' article 18 doit être entendu d' une manière relativement étroite à la lumière de l' objet de l' accord: voir les paragraphes 41 et 42 de l' arrêt Kupferberg. Il serait contraire à la jurisprudence de la Cour d' adopter une interprétation large de l' article 18 de nature à imposer qu' une comparaison soit établie entre des sanctions relatives à des importations en provenance d' Autriche et des sanctions relatives à des transactions internes ou intracommunautaires.

28. Nous en concluons que l' interprétation de l' article 95 du traité, suivie par la Cour dans l' affaire Drexl, ne saurait être transposée à l' article 18, paragraphe 1, de l' accord. Nous estimons néanmoins que les États membres sont tenus, lorsqu' ils infligent des sanctions relatives à des importations en provenance d' Autriche, de respecter le principe de proportionnalité. Cette obligation ne découle pas de l' article 18 qui se limite à interdire la discrimination mais plutôt de l' article 13 de l' accord.

29. Il convient de rappeler que l' article 13 de l' accord interdit les restrictions quantitatives sur les importations ou les mesures d' effet équivalent dans les échanges entre les parties contractantes. Cet article est ainsi rédigé:

"1. Aucune nouvelle restriction quantitative à l' importation ni mesure d' effet équivalent ne sont introduites dans les échanges entre la Communauté et l' Autriche.

2. Les restrictions quantitatives à l' importation sont supprimées le 1er janvier 1973 et les mesures d' effet équivalant à des restrictions quantitatives à l' importation le 1er janvier 1975 au plus tard."

Il nous semble qu' une sanction infligée dans le contexte d' importations en provenance d' Autriche qui est si disproportionnée par rapport à la gravité de l' infraction qu' elle est susceptible de constituer une entrave au droit de libre-échange prévu par l' accord serait une mesure d' effet équivalent contraire à l' article 13 de l' accord. L' article 13 doit être considéré comme étant d' effet direct: voir les conclusions de l' avocat général Tesauro dans l' affaire C-207/91 Eurim-Pharm, citée ci-dessus en note 2, au paragraphe 14.

30. Il est vrai que la législation pénale est un domaine qui relève en principe de la compétence des États membres. Cependant, il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que, conformément au principe de proportionnalité, des sanctions infligées par le droit national ne doivent pas, par leur sévérité, constituer une entrave à l' exercice des libertés fondamentales prévues par le traité. Voir par exemple en ce qui concerne la libre circulation des marchandises, les affaires 41/76 Donckerwolcke/Procureur de la République, Rec. 1976, p. 1921 et 52/77, Cayrol/Rivoira, Rec. 1977, p. 2261, et, en ce qui concerne la libre circulation des personnes, l' affaire 157/79 R/Pieck, Rec. 1980, p. 2171. Dans l' affaire 203/80, Casati, Rec. 1981, p. 2595, la Cour a constaté ce qui suit au paragraphe 27 de l' arrêt:

"En principe, la législation pénale et les règles de la procédure pénale restent de la compétence des États membres. Cependant, il résulte d' une jurisprudence constante de la Cour que, également dans ce domaine, le droit communautaire pose des limites en ce qui concerne les mesures de contrôle que ce droit permet aux États membres de maintenir dans le cadre de la libre circulation des marchandises et des personnes. Les mesures administratives ou répressives ne doivent pas dépasser le cadre de ce qui est strictement nécessaire, les modalités de contrôle ne doivent pas être conçues de manière à restreindre la liberté voulue par le traité et il ne faut pas y rattacher une sanction si disproportionnée à la gravité de l' infraction qu' elle deviendrait une entrave à cette liberté."

Ce raisonnement a été confirmé au paragraphe 18 de l' arrêt Drexl, bien que, ainsi que nous l' avons déjà constaté, la Cour se soit souciée en l' espèce de l' application du principe d' égalité et non de celle du principe de proportionnalité en tant que tel.

31. Il est donc clair que, conformément à la jurisprudence de la Cour, un système de sanction infligé par les États membres ne doit pas être si disproportionné par rapport à la gravité de l' infraction qu' il devient une entrave à l' exercice d' une liberté garantie par le traité. Selon nous, des considérations analogues devraient également s' appliquer à l' égard d' accords internationaux conclus par la Communauté.

32. En application de l' article 228, troisième paragraphe du traité, les accords internationaux conclus par la Communauté lient les institutions de celle-ci et les États membres. Ainsi que la Cour l' a constaté dans l' affaire 181/73 Haegeman/État belge, Rec. 1974, p. 449, les dispositions de ces accords font partie intégrante du droit communautaire. De plus, conformément à la jurisprudence de la Cour, ces dispositions sont susceptibles de produire un effet direct (voir par exemple les affaires Kupferberg, citée ci-dessus au paragraphe 19, 12/86 Demirel, Rec. 1987 p. 3719, paragraphe 14 de l' arrêt, C-192/89, S. Z. Sevince/Staatssecretaris van Justitie, Rec. 1990 p. I-3461, paragraphe 15 de l' arrêt). En conséquence, elles sont ass

imilées pour leurs effets juridiques aux dispositions du traité et des autres actes communautaires obligatoires; de plus, la responsabilité de la Communauté peut être engagée en cas de violation de ces dispositions par les États membres. Il s' ensuit que le principe de proportionnalité, qui est un principe général du droit communautaire, s' applique également aux accords internationaux conclus par la Communauté et, partant, peut servir de moyen d' interprétation des dispositions de ces accords. Il convient cependant de souligner que l' application du principe de proportionnalité peut entraîner des résultats différents dans le cas d' un accord international conclu par la Communauté d' une part, et dans celui du traité d' autre part.

33. Nous jugeons irrecevable la thèse de la Commission qui soutient que les limitations de la compétence pénale des États membres ne s' appliquent que dans le cadre de la Communauté et non pas dans le cadre d' un accord de libre-échange.

34. Si le point de vue de la Commission était retenu, les États membres seraient libres d' infliger toutes sortes de sanctions concernant des infractions relatives au paiement de la TVA sur les importations de marchandises en provenance d' Autriche bien que lesdites sanctions soient susceptibles de constituer une entrave disproportionnée à l' exercice du libre-échange et d' aller à l' encontre des objectifs de l' accord. Tel serait le cas, par exemple, si un État membre sanctionnait un défaut de paiement, même involontaire, de la TVA au taux plein sur l' importation de marchandises en provenance d' Autriche en infligeant à la fois la sanction de la confiscation et une amende égale à dix fois la valeur des marchandises. Selon nous, il serait contraire à l' article 13 de l' accord d' infliger de telles sanctions étant donné que le risque de ne pas satisfaire à la réglementation en vigueur et, partant, de se voir infliger ces sanctions serait de nature à décourager l' importation de marchandises en provenance d' Autriche et donc contraire aux objectifs de l' accord. S' il était admis que le principe de proportionnalité ne s' applique pas dans ces circonstances, les personnes qui ont acquis un droit en vertu d' un accord conclu entre la Communauté et un État tiers, tel que le droit d' importer sans restrictions autres que celles autorisées par l' accord, se verraient privées de la protection découlant des principes généraux du droit communautaire. Nous ne voyons aucune raison pour qu' il en soit ainsi.

35. Le principe de proportionnalité s' applique en règle générale, selon nous, à toute disposition régissant les échanges entre la Communauté et les États tiers. Donc, des restrictions quantitatives aux exportations à destination d' États tiers autorisées par le droit communautaire dans les mêmes termes que ceux de l' article 36 du traité, ainsi que les sanctions infligées en cas de violation desdites restrictions, doivent être proportionnées aux buts poursuivis (voir mes conclusions dans l' affaire

C-367/89 Aimé Richardt, Rec. 1991 p. I-4621 et dans l' affaire C-111/92 Lange, présentées le 1er avril 1993, paragraphes 21 à 24). De plus, la Cour a admis que les mesures de sauvegarde restreignant les échanges avec des États tiers prévues par des règlements communautaires soient soumises au principe de proportionnalité: voir affaires C-26/90 Wuensche, Rec. 1991 p. I-4961, paragraphes 12 et 13 de l' arrêt; 112/80 Duerbeck/Hauptzollamt Frankfurt am Main-Flughafen, Rec. 1981, p. 1095, paragraphe 40 de l' arrêt. Étant donné que le principe de proportionnalité s' applique en général aux échanges avec les États tiers, il doit également s' appliquer a fortiori à un accord conclu par la Communauté instituant une zone de libre-échange.

36. Il est donc selon nous contraire à l' accord qu' un État membre inflige une sanction pour une infraction relative au paiement de la TVA sur des importations en provenance d' Autriche qui soit si disproportionnée à la gravité de l' infraction qu' elle constitue une entrave au droit de libre-échange prévu par l' accord. C' est à la juridiction nationale qu' il appartient de décider dans un cas précis si une sanction est à ce point disproportionnée. Il est cependant possible de poser deux principes dans ce domaine. Premièrement, il est clair que le droit de libre-échange prévu par un accord conclu entre la Communauté et un État tiers est plus limité que les libertés garanties par le traité. Il s' ensuit qu' un système national de sanctions qui est si disproportionné qu' il constitue une entrave à la réalisation du marché commun n' est pas obligatoirement si disproportionné qu' il constitue une entrave à l' exercice du droit de libre-échange. Le pouvoir des États membres peut donc être plus large dans le cas d' un accord international que dans celui du traité. Deuxièmement, lorsque la sanction consiste en la confiscation des marchandises importées, il y aurait lieu, à mon avis de tenir compte de points tels que l' état d' esprit du propriétaire des marchandises saisies et la valeur de celles-ci: voir l' affaire Aimé Richardt, paragraphe 25 de l' arrêt.

CONCLUSIONS

37. Nous estimons en conséquence qu' il y a lieu de répondre de la manière suivante à la question déférée par la juridiction nationale:

L' article 18, paragraphe 1, de l' accord de libre-échange entre la CEE et l' Autriche n' exige pas qu' une comparaison soit établie entre les sanctions infligées par les États membres en cas d' infraction fiscale sur les importations en provenance d' Autriche et les sanctions en cas d' infraction fiscale sur les transactions internes ou sur les importations en provenance d' autres États membres. Cependant, un État membre ne peut pas infliger une sanction pour une infraction relative au paiement de la TVA sur les importations en provenance d' Autriche qui soit si disproportionnée à la gravité de l' infraction qu' elle constitue une entrave à l' exercice du droit de libre-échange prévu par l' accord.

(*) Langue originale: l' anglais.

(1) - Voir également les conclusions de l' avocat général M. Lenz dans l' affaire C-276/91 Commission/France, présentées le 17 février 1993. Il convient de remarquer qu' un nouveau régime concernant le paiement de la TVA a été introduit avec effet du 1er janvier 1993. En application de ce régime, la TVA n' est plus perçue sur les importations intracommunautaires mais sur les acquisitions intracommunautaires de marchandises. Voir la directive 91/680 du Conseil complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l' abolition des frontières fiscales, la directive 77/388 (JO L 376 de 1991, p. 1) et, notamment, le nouvel article 28a de la directive 77/388 telle que modifiée par la directive du Conseil 92/111 (JO L 384 de 1992, p. 47).

(2) - Voir également les conclusions de l' avocat général M. Tesauro dans l' affaire C-207/91 EurimPharm, présentées le 18 février 1993. Cette affaire porte sur l' interprétation des articles 13 et 20 de l' accord de libre-échange conclu entre la Communauté et l' Autriche, qui sont respectivement semblables aux articles 30 et 36 du traité. Voir également l' affaire 65/79 Procureur de la République/Chatain, Rec. 1980, p. 1345.