C-333/91 - Sofitam / Ministre chargé du Budget

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EUR-Lex - 61991C0333 - FR

61991C0333

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 20 janvier 1993. - Sofitam SA (anciennement Satam SA) contre Ministre chargé du Budget. - Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - France. - Interprétation de l'article 19 de la sixième directive - Calcul du prorata de déduction - Dividende d'action. - Affaire C-333/91.

Recueil de jurisprudence 1993 page I-03513


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Le Conseil d' État français a demandé à la Cour de se prononcer sur le système de déduction au prorata institué par la sixième directive TVA (1) tel qu' il est appliqué aux dividendes des participations financières des sociétés "holding mixtes". Les holdings mixtes sont des sociétés qui, en plus de leur activité de sociétés holding consistant à détenir des participations dans d' autres sociétés, exercent en même temps une activité économique. La procédure préjudicielle entamée par le Conseil d' État français trouve son origine dans un litige opposant la société anonyme de droit français Sofitam (anciennement: Satam) au ministre français chargé du budget.

Contexte du litige

2. La société Sofitam a pour objet la gestion d' un patrimoine mobilier et immobilier. En tant que société mère d' un groupe de sociétés du même nom qui fabriquent et vendent des pompes à essence, son activité principale consiste à gérer un portefeuille de participations. En plus de cette activité, elle donne des biens immobiliers en location, activité qui est soumise à la TVA.

Pour sa participation dans le capital de ses filiales, la Sofitam perçoit des dividendes. Elle fournit également aux sociétés de son groupe un certain nombre de services en échange desquels elle reçoit des commissions et des rémunérations en plus du remboursement de certains frais de personnel. Selon l' ordonnance de renvoi, elle n' intervient pas dans la gestion de ses filiales et se contente d' exercer les droits dont elle dispose en tant qu' actionnaire.

3. Sofitam a déduit de la TVA dont elle était redevable pour la période du 1er janvier 1976 au 31 décembre 1979 la totalité du montant de la TVA qui, pour la même période, avait frappé les biens et les services dont elle avait bénéficié mais sans toutefois tenir compte, pour le calcul de la déduction, des dividendes qu' elle avait perçus. L' administration fiscale française a procédé pour cette période à une vérification des livres comptables de la Sofitam et a constaté que ses sources de revenu comportent, d' une part, la location de biens immobiliers et d' autres activités soumises à la TVA et, d' autre part, des dividendes (non soumis à la TVA) provenant de sa participation dans le capital de ses sociétés filiales.

Selon l' administration, la déduction de la TVA devait être calculée conformément aux règles énoncées dans les articles 212, 214 et 219 c) de l' annexe II au Code général des impôts de la République française (ci-après la "loi française") qui sont applicables aux entreprises qui ne sont pas assujetties à la TVA pour l' ensemble de leurs activités. Cela signifie que la Sofitam ne pouvait déduire la TVA acquittée pour les biens et les services qui lui avaient été fournis qu' au prorata, c' est-à-dire dans les limites des pourcentages résultant du rapport entre le montant annuel du chiffre d' affaires soumis à la TVA et le montant annuel du chiffre d' affaires total, en ce compris les dividendes perçus par la société Sofitam. C' est sur la base de ce mode de calcul que l' administration a imposé à Sofitam un redressement fiscal.

4. Sofitam a introduit une réclamation contre ce redressement en arguant du fait que même lorsqu' ils sont perçus par une entreprise qui, comme elle-même, n' est pas assujettie à la TVA pour l' ensemble de ses activités, les dividendes d' actions ne font pas partie des éléments qui doivent être pris en considération pour le calcul de la déduction au prorata tel qu' il est prévu par l' article 212 de la loi française. De tels dividendes ne seraient pas des "recettes" au sens de la disposition précitée dès lors qu' il ne s' agit pas de produits financiers procédant d' une activité de production ou de prestation de services de caractère industriel ou commercial mais bien d' opérations en capital qui n' impliquent, de la part de l' actionnaire, l' accomplissement d' aucune activité se traduisant par la réalisation d' un "chiffre d' affaires" au sens de l' article 19 de la sixième directive TVA. Toute autre application de l' article 212 serait contraire à l' article 19 de la sixième directive TVA.

5. Sa demande en décharge des suppléments de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier 1976 au 31 décembre 1979 ayant été rejetée par le tribunal administratif de Paris, Sofitam a saisi le Conseil d' État d' une demande d' annulation de ce jugement et de retrait de l' avis de redressement litigieux.

Le Conseil d' État a estimé qu' il était déterminant pour la solution du litige principal de répondre à la question de savoir si l' exception d' illégalité soulevée par Sofitam à l' encontre de l' article 212 de la loi française est fondée ou non. C' est la raison pour laquelle le Conseil d' État a saisi la Cour à titre préjudiciel de la question de savoir

"Si, eu égard à la rédaction qui leur a été donnée, les dispositions précitées de l' article 19 de la sixième directive doivent être interprétées en ce sens que les dividendes d' actions perçus par une entreprise qui n' est pas assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée pour l' ensemble de ses opérations, sont à exclure du dénominateur de la fraction servant au calcul du prorata de déduction, ou si, eu égard à la finalité et à l' économie du système de déductions qui a été établi par la directive et découle, notamment, de la combinaison de ses articles 17 et 19, les dispositions de ce dernier article sont, au contraire, à interpréter en ce sens que les dividendes dont il s' agit doivent, comme les produits exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée, être compris dans ce dénominateur".

6. Avant de répondre à la question déférée par le Conseil d' État, il nous paraît indiqué de rappeler deux éléments importants, à savoir la finalité et l' économie du système de déductions institué par la sixième directive TVA ainsi que la signification des notions d' "assujetti" et d' "activités économiques" au sens de cette directive.

Finalité et économie du système de déductions institué par la sixième directive TVA

7. Comme la Cour l' a déjà rappelé itérativement,

"Un élément de base du système de la TVA consiste en ce qu' à chaque transaction la TVA n' est exigible que déduction faite du montant de la TVA qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs des prix des biens et des services et que le mécanisme des déductions est aménagé de telle sorte que seuls les assujettis sont autorisés à déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA qui a déjà grevé les biens et services en amont" (2).

Le régime de déductions mis en place par la sixième directive TVA vise donc

"à soulager entièrement l' entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de taxe sur la valeur ajoutée garantit, par conséquent, la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient elles-mêmes soumises à la TVA" (3).

Les règles de déduction qui figurent aux articles 17 à 20 inclus de la sixième directive TVA doivent être lues à la lumière de cet objectif.

8. La règle énonçant le principe de la déduction est inscrite à l' article 17 de la directive. Aux termes du paragraphe 2 de cette disposition, l' assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti "dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées" (4). Ainsi qu' elle l' a indiqué dans l' arrêt Leesportefeuille Intiem, la Cour voit dans ce dernier élément l' exigence d' un lien professionnel: le droit à déduction ne concerne que "les biens et services afférents à l' exercice des activités professionnelles par l' assujetti" (5). C' est la raison pour laquelle l' article 17, paragraphe 6 dispose que "seront exclues du droit à déduction les dépenses n' ayant pas un caractère strictement professionnel". C' est ce qui amène la Cour à conclure dans l' arrêt Leesportefeuille Intiem que

"ce mécanisme de déductions doit s' appliquer de telle façon que son champ d' application corresponde, dans la mesure du possible, au domaine des activités professionnelles de l' assujetti" (6).

9. En ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction (sur la base de l' article 17, paragraphes 2 et 3) et des opérations n' ouvrant pas droit à déduction, l' article 17, paragraphe 5 de la sixième directive TVA dispose que la déduction n' est admise que "pour la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations".

L' article 19, paragraphe 1 dispose que ce prorata de déduction résulte d' une fraction comportant:

"- au numérateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d' affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations ouvrant droit à déduction conformément à l' article 17, paragraphes 2 et 3

- au dénominateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d' affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations figurant au numérateur ainsi qu' aux opérations qui n' ouvrent pas droit à déduction..."

10. L' article 17, paragraphe 5 et l' article 19, paragraphe 1 ne précisent pas davantage ce qu' il y a lieu d' entendre par "chiffre d' affaires" ni, en particulier, ce que recouvre le "chiffre d' affaires afférent aux opérations qui n' ouvrent pas droit à déduction" qui doit être pris en compte dans le dénominateur de la fraction permettant de calculer la déduction au prorata, fraction définie à l' article 19, paragraphe 1. Nous reviendrons ultérieurement à la première notion (au point 15 des présentes conclusions). En ce qui concerne la deuxième notion, nous pouvons d' ores et déjà observer qu' il résulte du régime lui-même institué par la directive que cette deuxième expression vise en tout cas le chiffre d' affaires afférent aux activités exonérées de la TVA. Il serait en effet incompatible avec la préoccupation de neutralité qui a animé le législateur communautaire qu' un assujetti puisse déduire la TVA qui a grevé des biens et des services qu' il utilise pour des activités économiques qui sont elles-mêmes exonérées de la TVA par la directive. Ceci a été confirmé par la Cour dans l' arrêt Becker dans lequel elle a dit pour droit "qu' il découle du système de la directive ... que les bénéficiaires de l' exonération, du fait qu' ils font usage de celle-ci, renoncent nécessairement au droit de faire valoir la déduction de taxes versées en amont" (7).

La question déférée par le Conseil d' État est cependant celle de savoir si des dividendes provenant de participations dans des sociétés constituent également un "chiffre d' affaires" résultant d' opérations économiques qui, à l' instar du chiffre d' affaires résultant d' opérations exonérées de la TVA, doit être inclus dans le dénominateur de la fraction de proportionnalité définie à l' article 19, paragraphe 1.

Les notions d' "assujetti" et d' "activités économiques" au sens de la sixième directive TVA

11. Comme nous l' avons dit au point 7 plus haut, le droit à déduction institué par la sixième directive TVA est subordonné à la qualité d' assujetti. L' article 4, paragraphe 1 de la directive désigne comme assujetti "quiconque accomplit, d' une façon indépendante et quel qu' en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité". L' article 4, paragraphe 2 précise que lesdites activités économiques comprennent toutes les activités de producteur, de commerçant ou de fournisseur de services, et notamment l' exploitation d' un bien corporel ou incorporel en vue d' en retirer des recettes ayant un caractère de permanence. La Cour donne de la notion d' "exploitation" une interprétation large pouvant recouvrir toutes les opérations, quelle que soit leur forme juridique, qui visent à retirer du bien en question des recettes ayant un caractère de permanence (8).

L' affaire Polysar a donné à la Cour l' occasion de préciser les notions d' "activités économiques" et d' "exploitation" - et, en conséquence, la notion d' "assujetti" - dans un contexte où il s' agissait de sociétés holding pures, c' est-à-dire de sociétés holding dont la seule et unique activité consiste dans la détention de participations dans des sociétés filiales. La Cour a abouti à la conclusion que la simple prise de participations et la détention de celles-ci ne doivent pas être considérées comme des activités économiques au sens de la sixième directive TVA, activités qui confèrent à celui qui les exerce la qualité d' assujetti. En effet,

"la simple prise de participations financières dans d' autres entreprises ne constitue pas une exploitation d' un bien visant à produire des recettes ayant un caractère de permanence parce que l' éventuel dividende, fruit de cette participation, résulte de la simple propriété du bien" (9).

La Cour a cependant immédiatement ajouté qu' il en va différemment

"lorsque la participation est accompagnée d' une immixtion directe ou indirecte dans la gestion des sociétés où s' est opérée la prise de participation, sans préjudice des droits que détient l' auteur des participations en sa qualité d' actionnaire ou d' associé" (10).

12. L' arrêt Polysar, nous l' avons dit, concernait une société holding pure. Comme on a pu le déduire de la dernière citation, il est admis que même une telle société holding possède la qualité d' assujetti au sens de la sixième directive TVA lorsqu' elle s' immisce dans la gestion des sociétés dans lesquelles elle a pris des participations.

Dans le cas qui nous occupe aujourd' hui, il s' agit en revanche d' une société holding mixte. Les données dont nous disposons indiquent en effet qu' en plus de la gestion de son portefeuille, Sofitam exerce des activités annexes soumises à la TVA. Cette raison suffit déjà en elle-même pour conférer à Sofitam la qualité d' assujetti au sens de la directive et lui confère également le droit à déduction sous réserve des modalités que nous avons indiquées plus haut (aux points 8 et 9). Le fait que Sofitam ne s' immisce pas dans la gestion des sociétés dans lesquelles elle a pris des participations ne fait pas obstacle à la possession de cette qualité d' assujetti.

La prise en considération des dividendes pour le calcul de la déduction au prorata

13. Si l' arrêt Polysar n' est pas pertinent en l' espèce pour la constatation de la qualité d' assujetti, il l' est en revanche pour répondre à la question de savoir si des dividendes doivent être pris en considération pour le calcul de la déduction proportionnelle. Deux points de vue ont été défendus devant la Cour à cet égard: Sofitam et la Commission estiment qu' il n' y a pas lieu de tenir compte des dividendes pour le calcul de la déduction proportionnelle tandis que la République française, la République hellénique et - sous certaines réserves - le gouvernement néerlandais estiment qu' il faut les prendre en considération.

A l' instar du point de vue qu' elle avait défendu dans la procédure au fond (voir le point 4 plus haut), Sofitam affirme que le chiffre d' affaires à prendre en considération dans le dénominateur de la fraction de prorata prévue par l' article 19, paragraphe 1 de la sixième directive TVA ne comprend pas les dividendes perçus par un assujetti. Se référant au point 13 de l' arrêt Polysar que nous avons cité plus haut, elle déclare que la perception de dividendes n' est pas une activité économique au sens des règles communautaires de la TVA et qu' en conséquence elle demeure totalement en dehors du champ d' application de celles-ci. Lorsqu' elle parle de "chiffre d' affaires" afférent à des opérations ouvrant droit à déduction ou afférent à des opérations n' ouvrant pas un tel droit, la sixième directive TVA viserait le montant total des contre-prestations que l' assujetti reçoit pour les activités économiques qu' il exerce, c' est-à-dire le prix total des biens et services fournis par lui, indépendamment du point de savoir si ces opérations ouvrent ou non un droit à déduction.

La Commission estime elle aussi qu' à l' instar d' autres produits financiers d' une entreprise, tels que les plus-values résultant de la vente d' actions, les dividendes ne sont pas une contre-prestation d' une activité soumise à la TVA et encore moins d' une activité exonérée de celle-ci. Compte tenu du fait qu' il s' agit de la rémunération d' un investissement, cette opération se situe, selon la Commission, en dehors du champ d' application de la TVA. Elle aussi conclut que le produit de telles transactions financières ne constitue pas un "chiffre d' affaires" pour l' entreprise qui en perçoit le montant et qu' en conséquence il ne doit pas être repris dans la fraction de prorata définie par l' article 19, paragraphe 1.

14. Le gouvernement français et le gouvernement grec estiment en revanche que la notion de "chiffre d' affaires" au sens de l' article 19, paragraphe 1, de la sixième directive TVA vise l' ensemble des revenus acquis dans le cadre de l' activité d' une entreprise, indépendamment du point de savoir s' ils résultent ou non d' opérations qui relèvent du champ d' application de la TVA. Lorsque l' article 19, paragraphe 1 mentionne le chiffre d' affaires afférent aux opérations qui n' ouvrent pas droit à déduction, cette disposition couvre aussi bien les opérations exonérées de la TVA que les opérations qui se situent en dehors du champ d' application de la TVA. Le gouvernement français estime que tout autre interprétation viderait de son sens le système des déductions au prorata et entraînerait des disparités injustifiées dans le traitement fiscal des sociétés holding.

Le gouvernement néerlandais estime lui aussi que les dividendes doivent être repris dans le dénominateur de la fraction de prorata comme s' il s' agissait de revenus d' activités exonérées de la TVA. Il n' en serait autrement que dans l' hypothèse où la détention de participations se situerait dans le cadre de l' entreprise de l' assujetti. Selon le gouvernement néerlandais, cette dernière situation se présenterait lorsque l' activité de détention des participations est indissociablement liée à l' ensemble des activités que la société exerce en tant qu' entreprise (par exemple le placement temporaire de liquidités excédentaires) ou bien lorsque cette activité de détention de participations, si elle s' accompagne d' une intervention active dans la gestion des sociétés filiales, au sens de l' arrêt Polysar, constitue en soi une entreprise imposable. Le fait que la détention de participations se situe ainsi dans le cadre de l' entreprise de l' assujetti ne devrait alors pas entraîner de conséquence pour le droit à déduction dont bénéficie cet assujetti et, si l' on part du principe que les dividendes ne sont pas soumis en soi à la TVA, ces derniers ne devraient pas être repris dans le dénominateur de la fraction servant au calcul du prorata de déduction.

15. Nous ne saurions souscrire à l' argumentation du gouvernement français et du gouvernement grec ni à celle du gouvernement néerlandais dans la mesure où celui-ci rejoint le point de vue des deux précédents. Les raisons en sont les suivantes. Dans l' arrêt Polysar (que nous avons déjà cité au point 11 plus haut), la Cour a confirmé sans équivoque possible que de simples prises de participations financières dans d' autres entreprises ne constituent pas des activités économiques au sens de la sixième directive TVA. Dans le même arrêt, la Cour a encore confirmé que le bénéfice qui résulte de ces participations, sous la forme de dividendes, n' est que le résultat "de la simple propriété du bien". C' est la raison pour laquelle de tels dividendes ne peuvent nullement être considérés comme la contre-prestation d' un acte ou opération (économique) déterminé de l' actionnaire (11).

Ce point de vue est également étayé par le fait qu' en l' absence d' une définition spécifique dans la sixième directive TVA, la notion de "chiffre d' affaires" qui figure à l' article 19, paragraphe 2 de la directive doit être interprétée conformément à sa signification économique générale telle qu' elle est habituellement entendue dans l' usage linguistique courant (12). Or, dans le langage courant, cette notion se réfère à la valeur totale des ventes de biens et de services qu' une entreprise a effectuées au cours d' une période déterminée. Il est clair, selon nous, que la perception de dividendes ne peut pas être rangée dans cette notion. C' est dans ce sens-là également que le législateur communautaire utilise la notion de "chiffre d' affaires" dans la directive 78/660/CEE concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés (directive qu' il est convenu d' appeler la "quatrième directive sur le droit des sociétés"). L' article 28 de cette directive définit la notion de "chiffre d' affaires net" en vue de l' établissement du compte des pertes et profits comme étant

"les montants résultant de la vente des produits et de la prestation des services correspondant aux activités ordinaires de la société, déduction faite des réductions sur ventes ainsi que de la taxe sur la valeur ajoutée et d' autres impôts directement liés au chiffre d' affaires" (13).

La différence entre le chiffre d' affaires d' une entreprise et les dividendes qui résultent pour elle des participations financières qu' elle possède dans d' autres entreprises ressort d' ailleurs des schémas prescrits par la quatrième directive sur le droit des sociétés en ce qui concerne la répartition du compte des pertes et profits: le poste "montant net du chiffre d' affaires" y est toujours distingué du poste "produits provenant de participations" (14).

16. Inclure les dividendes résultant de participations dans le dénominateur de la fraction permettant de calculer la déduction au prorata conformément à l' article 19, paragraphe 1 nous semble d' ailleurs difficile à concilier avec l' objectif du régime des déductions institué par la sixième directive TVA. Comme nous l' avons dit plus haut (au point 7), ce régime de déductions vise à imposer les activités économiques de l' entrepreneur d' une manière parfaitement neutre. Le point de vue défendu par le gouvernement français et par le gouvernement grec aurait pour résultat de supprimer cette neutralité. En effet, en incluant les dividendes dans le dénominateur de la fraction permettant le calcul de la déduction au prorata, le droit d' une entreprise à déduire la TVA qu' elle doit ou qu' elle a acquittée dans le cadre de ses activités économiques diminuerait proportionnellement à l' importance des revenus qu' elle retire de la perception de dividendes. En d' autres termes, la simple détention de participations financières revêt, à nos yeux, un caractère à ce point passif que cette "activité" n' implique en principe aucun emploi de biens ou de services pour lesquels la TVA est due ou, du moins, n' en implique qu' une utilisation très limitée. Il serait donc totalement contraire au caractère de proportionnalité de la déduction au prorata - caractère qui résulte de la préoccupation de neutralité qui anime le législateur communautaire - d' inclure la totalité du montant des dividendes perçus dans le dénominateur de la fraction permettant de calculer la déduction au prorata étant donné que les biens et les services soumis à la TVA ne sont, à strictement parler, pas utilisés par l' assujetti pour la détention de participations financières ou ne le sont que dans une mesure mineure.

Conclusion

17. Pour les raisons que nous venons d' exposer, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante à la question posée par le Conseil d' État:

"L' article 19 de la sixième directive TVA doit être interprété en ce sens que les dividendes perçus par l' assujetti sur la base d' une simple participation financière dans d' autres entreprises ne constituent pas, en vue du calcul du prorata pour l' application de la déduction TVA, un chiffre d' affaires afférent à des opérations n' ouvrant pas droit à déduction."

(*) Langue originale: le néerlandais.

(1) - Directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, JO 1977, L 145, p. 1.

(2) - Arrêt du 14 février 1985, affaire 268/83, Rompelman, Rec. 1985, p. 655, point 16; voir également l' arrêt du 5 mai 1982, affaire 15/81, Schul, Rec. 1982, p. 1409, point 10.

(3) - Arrêt Rompelman, point 19; arrêt du 21 septembre 1988, affaire 50/87, Commission/République française, Rec. 1988, p. 4797, point 15.

(4) - Voir à propos du mécanisme de déductions réglé par cette disposition, arrêt du 10 juillet 1984, affaire 42/83, Dansk Denkavit, Rec. 1984, p. 2649, point 13; arrêt du 27 novembre 1985, affaire 295/84, Rousseau Wilmot, Rec. 1985, p. 3759, point 15.

(5) - Arrêt du 8 mars 1988, affaire 165/86, Rec. 1988, p. 1471, point 13.

(6) - Arrêt Leesportefeuille Intiem, point 14.

(7) - Arrêt du 19 janvier 1982, affaire 8/81, Rec. 1982, p. 53, point 44.

(8) - Voir notamment l' arrêt du 4 décembre 1990, affaire C-186/89, Van Tiem, Rec. 1990, p. I-4363, point 18; arrêt du 20 juin 1991, affaire C-60/90, Polysar, Rec. 1991, p. I-3111, point 12.

(9) - Arrêt Polysar, point 13.

(10) - Arrêt Polysar, point 14.

(11) - En ce qui concerne l' exigence d' un lien direct entre une prestation de services et la contre-valeur perçue pour celui-ci, condition pour qu' il puisse y avoir opération imposable, voir l' arrêt du 8 mars 1988, affaire 102/86, Apple and Pear Development Council, Rec. 1988, p. 1443, points 11-17; voir, sous le régime de la deuxième directive TVA, l' arrêt que la Cour avait déjà rendu le 5 février 1981 dans l' affaire 154/80, Cooeperatieve Aardappelenbewaarplaats, Rec 1981, p. 445, points 12-15.

(12) - Ce principe d' interprétation a été appliqué par la Cour dans d' autres affaires de TVA également: voir notamment l' arrêt du 14 mai 1985, affaire 139/84, Van Dijk' s Boekhuis, Rec. 1985, p. 1405, point 20.

(13) - Quatrième directive du Conseil, du 25 juillet 1978, fondée sur l' article 54, paragraphe 3, sous g) du traité et concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés (78/660/CEE), JO 1978, L 222, p. 11.

(14) - Voir les articles 23 à 26 inclus de la quatrième directive sur le droit des sociétés.