C-63/92 - Lubbock Fine / Commissioners of customs and excise

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EUR-Lex - 61992C0063 - FR

61992C0063

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 30 juin 1993. - Lubbock Fine & Co. contre Commissioners of Customs and Excise. - Demande de décision préjudicielle: Value Added Tax Tribunal, London - Royaume-Uni. - Taxe sur la valeur ajoutée - Indemnité versée en raison de la résiliation d'un bail. - Affaire C-63/92.

Recueil de jurisprudence 1993 page I-06665


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. L' indemnité due par le bailleur au preneur à la suite de la résiliation conventionnelle ("surrender") anticipée du bail peut-elle être soumise à TVA, en l' excluant de l' exonération relative à la location de biens immeubles, prescrite par l' article 13 B, sous b), de la sixième directive TVA (1)? Tel est, en substance, le problème posé par le Value Added Tax Tribunal, London Tribunal Centre.

2. Par contrat du 14 avril 1971, Esso Pension Trust Ltd donne à bail au cabinet d' experts comptables Lubbock Fine and Company (ci-après "Lubbock") des bureaux situés à Londres pour une durée de vingt-cinq ans et un trimestre, à compter du 29 septembre 1970, moyennant un loyer initial de 35 300 par an (2).

3. Le 14 février 1990, Guildhall Properties Ltd, devenu propriétaire, conclut avec le locataire un accord intitulé "agreement to surrender" (3) par lequel Lubbock renonce, au profit du propriétaire, à la durée restante du bail et accepte de restituer les locaux ("the tenant agrees that on 1st June 1990 it will surrender all its estate interests and rights in the Premises to the Landlord"), moyennant une compensation de 850 000 , TVA incluse pour un montant de 110 869,56 .

4. L' accord est exécuté et le propriétaire s' acquitte de cette somme. Par acte du 1er juin 1990, il libère Lubbock de tous engagements et prétentions afférents au bail.

5. Au titre de la TVA, les autorités fiscales du Royaume-Uni réclament à Lubbock la somme précitée de 110 869,56 que celui-ci conteste devoir payer devant le Value Added Tax Tribunal, en se prévalant de l' article 13 de la sixième directive.

6. Cet article, sous le titre "Exonérations à l' intérieur du pays", prévoit notamment:

"(...).

B. Autres exonérations

Sans préjudice d' autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu' ils fixent en vue d' assurer l' application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion ou abus éventuels:

(...)

b) l' affermage et la location de biens immeubles, à l' exception:

1. des opérations d' hébergement telles qu' elles sont définies dans la législation des États membres qui sont effectuées dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire (...);

2. des locations d' emplacement pour le stationnement des véhicules;

3. des locations d' outillages et de machines fixés à demeure;

4. des locations de coffres-forts.

Les États membres ont la faculté de prévoir des exclusions supplémentaires au champ d' application de cette exonération;

(...)

g) les livraisons de bâtiments ou d' une fraction de bâtiment et du sol y attenant autres que ceux visés à l' article 4 paragraphe 3 sous a);

(...).

C. Options

Les États membres peuvent accorder à leurs assujettis le droit d' opter pour la taxation:

a) de l' affermage et de la location de biens immeubles;

b) des opérations visées sous B sous (...) (g) (...).

Les États membres peuvent restreindre la portée du droit d' option; ils déterminent les modalités de son exercice".

7. Avant 1989, les opérations exonérées de la TVA figuraient au point 1 du groupe 1 de l' annexe 6 du Value Added Taxes Act britannique de 1983 qui, sauf exceptions, exonérait notamment "l' octroi, le transfert ou la restitution de tout titre ou droit sur un bien immeuble ou de toute autorisation d' occuper un bien immeuble". Jusqu' à cette date, l' indemnité versée à l' occasion de la résiliation d' un bail n' était donc pas soumise à TVA.

8. A la suite de votre arrêt du 21 juin 1988, Commission/Royaume-Uni (4), constatant le manquement de cet État pour avoir maintenu en vigueur l' application du taux zéro de TVA sur un certain nombre de fournitures de biens et de services, la législation britannique a été modifiée par le Finance Act de 1989.

9. Le juge a quo précise que cette modification a eu pour effet d' assujettir à la TVA la résiliation d' un bail au profit du propriétaire, donc l' opération dont s' agit, ce qui n' est pas contesté par Lubbock. Mais il se pose le problème de savoir si cette nouvelle législation est, sur ce point, compatible avec les dispositions communautaires précitées. Il vous en saisit donc par trois questions (5) qui peuvent être résumées ainsi:

1) Les notions d' "affermage" et de "location de biens immeubles" figurant à l' article 13 B, sous b), de la sixième directive incluent-elles la résiliation anticipée d' un bail moyennant indemnisation du locataire?

2) Dans l' affirmative, un État membre peut-il exclure une telle résiliation de l' exonération et donc la taxer, en vertu de la formule finale de l' article 13 B, sous b)?

3) En cas de réponse négative à la première question, la résiliation d' un bail moyennant indemnité est-elle une livraison au sens de l' article 13 B, sous g)?

10. Trois remarques préliminaires nous paraissent devoir être faites.

11. En vertu de l' article 2, paragraphe 1, de la sixième directive, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée "les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l' intérieur du pays par un assujetti en tant que tel".

12. Est en principe considéré comme assujetti, selon l' article 4, paragraphe 1, de la même directive, quiconque accomplit d' une façon indépendante une activité économique, quels qu' en soient les buts ou les résultats.

13. La sixième directive assigne donc un champ d' application très large à la TVA puisqu' il inclut toutes les activités économiques de producteur, de commerçant ou de prestataire de services (6). Le cinquième considérant de la première directive du Conseil du 11 avril 1967 en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires (7) relevait déjà que:

"Un système de taxe sur la valeur ajoutée atteint la plus grande simplicité et la plus grande neutralité lorsque la taxe est perçue d' une manière aussi générale que possible et que son champ d' application englobe tous les stades de la production et de la distribution ainsi que le domaine des prestations de services..." (8).

14. La TVA est donc applicable à toutes les livraisons de biens ou de prestations de services effectuées à titre onéreux, sous la seule réserve des exceptions prévues par la sixième directive elle-même. Celles-ci sont d' ailleurs limitées "pour pouvoir appliquer le système de façon simple et neutre et maintenir le taux normal de la taxe dans des limites raisonnables" (9).

15. Vous interprétez restrictivement ces exonérations. Vous avez ainsi, par exemple, souligné, à propos des fonctions publiques exercées contre rémunération par les notaires et les huissiers de justice:

"Les exonérations de la TVA que l' article 13 de la sixième directive prévoit expressément, entre autres, en faveur d' activités d' intérêt général, et la faculté donnée aux États par l' article 28, paragraphe 3, sous b), combiné avec l' annexe F (...) mettent en évidence que toutes les prestations de services effectuées à titre onéreux par les titulaires des professions libérales et assimilées sont, en principe, assujetties à la TVA" (10).

16. Vous vous refusez à donner une portée extensive aux exonérations prévues par la directive lorsque l' existence d' éléments d' interprétation permettant d' aller au-delà de ce qui résulte du texte des dispositions qui les prévoient, en particulier de l' article 13, n' est pas démontrée (11).

17. A propos de l' exonération au profit des organismes de droit public prévue par l' article 4, paragraphe 5, vous avez jugé que:

"(...) la sixième directive se caractérise par la généralité de son champ d' application et par le fait que toutes les exonérations doivent être expresses et précises" (12).

18. Dans l' arrêt Stichting Uitvoering Financiele Acties (13), vous avez relevé que:

"(...) les termes employés pour désigner les exonérations visées par l' article 13 de la sixième directive sont d' interprétation stricte étant donné qu' elles constituent des dérogations au principe général selon lequel la taxe sur le chiffre d' affaires est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti" (14).

19. C' est donc logiquement qu' à propos d' une exception à l' exonération prévue par l' article 13 B, sous b), de la directive pour l' affermage et la location de biens immeubles - qui avait donc pour effet de placer les opérations qu' elle visait sous le régime général de la directive - vous avez jugé que ladite exception ne pouvait recevoir une interprétation restrictive (15).

20. Les exonérations doivent être entendues d' autant plus restrictivement qu' elles peuvent rompre la chaîne des déductions entre assujettis et occasionner une charge fiscale en raison de l' impossibilité qui en résultera de déduire une taxe payée en amont (16). Ces rémanences de taxes peuvent créer ainsi des distorsions dans le circuit économique, sauf si les assujettis bénéficient d' un droit d' option.

21. Une deuxième remarque préliminaire. Selon le onzième considérant de la sixième directive, "il convient d' établir une liste commune d' exonérations en vue d' une perception comparable des ressources propres dans tous les États membres" (17). Ainsi, même si l' article 13 B de la sixième directive renvoie aux conditions fixées par les États membres ("les États membres exonèrent, dans les conditions qu' ils fixent"), les exonérations figurant à cet article doivent correspondre à des notions autonomes du droit communautaire (18) afin de pouvoir "déterminer de manière uniforme et selon des règles communautaires l' assiette de la taxe sur la valeur ajoutée" (19).

22. Une troisième remarque enfin.

23. Les biens immobiliers posent au regard de la TVA un certain nombre de problèmes spécifiques (20). Ils sont appréhendés à deux niveaux par la sixième directive (21):

1) en tant que produit fini livré, à la fin d' un cycle économique de production, à un consommateur final;

2) comme moyen concourant à la production dont le coût est répercuté sur le prix des biens et des services.

24. Sur le premier point, le cycle de production d' un immeuble, de son achat à sa première vente en passant par les opérations de construction, est normalement assimilé au cycle de production d' une marchandise, donc soumis à TVA.

25. Plus spécifiquement, il peut même l' être s' agissant d' une opération isolée. C' est ainsi que l' article 4, paragraphe 3, de la sixième directive prévoit que "les États membres ont la faculté de considérer également comme assujetti quiconque effectue à titre occasionnel (...)

a) la livraison d' un bâtiment ou d' une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation (...);

b) la livraison d' un terrain à bâtir".

26. En ce cas, la TVA pèse sur le prix final de l' immeuble, quelles que soient les composantes de ce prix. Et c' est la notion de "première occupation" qui permet de déterminer le moment où l' immeuble quitte le processus de production pour devenir un objet de consommation, occupé par son propriétaire ou un locataire.

27. Sur le second point, s' agissant des bâtiments après leur première livraison, une distinction doit être faite.

28. Un immeuble d' habitation est exclu du champ d' application de la TVA puisqu' il a déjà été, si l' on peut dire, "consommé" par l' effet de sa première occupation. Les opérations dont il est l' objet seront donc, en principe, exonérées.

29. S' il doit être vendu ou mis à la disposition d' une personne assujettie poursuivant une activité économique au sens de l' article 4, paragraphe 2, un bien immobilier retourne dans le circuit économique et doit pouvoir donner lieu à des opérations imposables. En effet, comme on l' a rappelé, s' il est exonéré pour une opération donnée, le contribuable assujetti ne doit pas acquitter la taxe sur l' opération en question, mais il ne peut alors déduire la taxe qui lui a été facturée en amont ni répercuter une charge quelconque en aval (22). Une exonération de TVA peut donc conduire à un accroissement de sa charge fiscale. Le contribuable assujetti peut, par conséquent, avoir intérêt à être soumis à TVA.

30. Qu' en est-il en matière de bail? Cette opération est-elle fiscalement "neutre"?

31. L' assujettissement à la TVA peut avoir de profondes incidences sur la situation tant du preneur que du bailleur.

32. La TVA payée sur les loyers sera déductible si la location concourt à des opérations taxables (23), telle une activité commerciale.

33. Cette TVA déductible pourra, dans certains cas, se substituer à des impôts non récupérables, tel le droit d' enregistrement (24).

34. Le bailleur pourra, le cas échéant, déduire la TVA acquittée sur des frais connexes à la location, tels des travaux de remise en état des lieux effectués en vue de la location (25). De même, dans certains cas, la TVA afférente aux frais d' acquisition de l' immeuble loué sera déductible de la taxe due sur les loyers.

35. Inspirée de ces principes, la sixième directive a prévu que 1) l' affermage et la location de biens immeubles sont exonérés de TVA (article 13 B, sous b)); 2) pour ces opérations, les États membres peuvent accorder à leurs assujettis le droit d' opter pour la taxation (article 13 C): c' est pourquoi, si certains baux d' immeubles seront taxables, d' autres ne le seront pas.

36. Qu' en est-il lorsque bailleur et locataire conviennent de résilier le bail par anticipation?

37. La résiliation d' un bail moyennant compensation s' analyse-t-elle en une "location de biens immeubles" au sens de l' article 13 B, sous b)?

38. On l' a vu, les notions utilisées dans les directives communautaires relatives à la TVA doivent recevoir une définition communautaire (26).

39. Il n' est pas contesté que la location est le contrat par lequel le propriétaire cède contre un loyer certains droits sur son bien, tel celui d' en avoir la jouissance, quelles que soient les nuances des droits nationaux sur ce point (27).

40. Il est clair également que la résiliation a pour effet de mettre fin au contrat, de libérer chacune des parties de ses obligations, donc de restituer au propriétaire l' intégralité de ses droits sur le bien.

41. Le bailleur n' acquiert pas du locataire un droit de jouir du bien: il est simplement restitué dans ses droits. D' ailleurs, la compensation versée n' est en rien assimilable à un loyer.

42. Toutefois, nous ne pouvons suivre le gouvernement britannique lorsqu' il soutient que la résiliation a pour résultat "qu' elle ne crée ni n' octroie rien" (28). Le propriétaire verserait-il, en effet, une indemnité - qui peut, au demeurant, être considérable - si l' opération ne devait rien lui rapporter?

43. Pour déterminer si la résiliation conventionnelle avant terme d' un bail est incluse dans la notion de "location de biens immobiliers", il faut interpréter celle-ci en ayant recours "au contexte dans lequel elle s' inscrit, (et) en tenant compte des finalités et de l' économie de la sixième directive" (29).

44. Il faut, ici, procéder à une approche finaliste et mesurer les effets de la TVA sur une résiliation de bail à l' aune du système commun qui vise à introduire,

"sur des bases communes à tous les États membres, un impôt général sur la consommation frappant les livraisons de biens, les prestations de services et les importations de biens d' une taxe professionnelle à leur prix, quel que soit le nombre des transactions effectuées jusqu' au consommateur final, la taxe ne frappant à chaque stade que la valeur ajoutée et étant, en définitive, supportée par le consommateur final" (30).

45. En matière de bail, les personnes physiques ou morales non assujetties qui ne peuvent être rattachées à aucun cas d' imposition sur la TVA en sont normalement exonérées sur les loyers. En revanche les États membres doivent pouvoir offrir aux personnes assujetties une option pour la TVA, faute de quoi celles-ci pourraient avoir à supporter un accroissement de la charge fiscale puisque l' exonération empêche d' opérer la déduction des taxes versées en amont (31).

46. Lorsqu' un immeuble est donné en location, le loyer est la contrepartie de la mise du bien à la disposition du locataire qui en jouit.

47. Lorsque les parties résilient le bail avant terme, le locataire renonce à la jouissance du bien pour la durée du bail restant à courir et donne au propriétaire la possibilité soit d' occuper l' immeuble, soit de le louer à un autre preneur, soit d' en disposer. L' indemnité versée à cette occasion par le bailleur est la contrepartie de cette mise à disposition, et son montant sera fonction de la durée du bail restant à courir.

48. Il n' est pas douteux que le preneur rend un service - économiquement mesurable - au bailleur et que ce qu' il lui restitue est exactement de même nature que ce qu' il pourrait lui-même donner en sous-location à un tiers: la jouissance des locaux pour la durée du bail restant à courir, même si le bailleur a, en outre, le pouvoir, qu' il n' a jamais perdu, de disposer du bien.

49. Dès lors, l' opération de résiliation peut-elle être soumise à un régime fiscal différent de la location elle-même?

50. Prenons deux exemples.

51. Soit un propriétaire assujetti qui consent un bail commercial à un commerçant. Par application de l' article 13 C, sous a), le bail pourra être soumis à TVA et les loyers seront alors taxables.

52. La résiliation pourrait-elle être exonérée alors que 1) elle a des effets symétriques à ceux de la location initiale: mettre le bien loué à la disposition de l' une des parties et 2) cette exonération romprait la chaîne des déductions et introduirait des distorsions dans le circuit économique?

53. Comment, en effet, le locataire pourrait-il récupérer la TVA qui lui a été facturée sur les travaux de grosses réparations ou d' amélioration auxquels il a fait procéder pendant la location si l' indemnité de résiliation n' était pas soumise à cette taxe? De plus, comment concilier pareille exonération avec le fait que, en l' absence de résiliation, si le locataire donnait le bien en sous-location au propriétaire, cette opération serait soumise à TVA (32)?

54. Inversement, soit un propriétaire assujetti donnant un immeuble à bail à un locataire également assujetti mais sans droit à déduction: l' article 13 B, sous b), exonère la location de TVA. Si la résiliation du bail en cours du contrat - qui permettra au propriétaire de disposer librement du bail pour la durée restant à courir - est soumise à TVA, celle-ci ne sera pas toujours récupérable par le bailleur. En outre, il est à noter qu' une sous-location consentie par le locataire au propriétaire - qui aurait le même effet - ne serait pas imposable.

55. Nous considérons donc que le régime fiscal de la résiliation doit être aligné sur celui du bail: la cohérence dans l' application de la sixième directive et le respect du principe de neutralité de la TVA l' exigent.

56. C' est la raison pour laquelle l' opération de résiliation du bail relève, à notre avis, de l' article 13 B, sous b), ou, le cas échéant, de l' article 13 C, sous a).

57. Ajoutons que, contrairement à la Commission, nous ne pensons pas que l' arrêt Henriksen (33) puisse, ici, être utilement invoqué.

58. Invités à interpréter l' exception à l' exonération, prévue par l' article 13 B, sous b), 2 , vous avez pris en considération l' objet matériel du bail et considéré que, quant au régime fiscal applicable, le bail du garage attenant à une maison n' était pas séparable du bail de la maison elle-même, les deux locations formant une "opération économique unique" (34).

59. La location d' un immeuble et la renonciation à ses droits par le locataire sont deux opérations économiquement et juridiquement distinctes. Nous ne voyons donc pas comment le principe de l' "accessorium sequitur principale", appliqué par votre arrêt Henriksen à l' objet du bail, pourrait être étendu aux opérations successives qui trouvent leur origine dans le bail.

60. La solution que nous suggérons nous paraît confortée par deux considérations.

61. En premier lieu, il est remarquable que le droit de plusieurs États membres établit un lien entre la taxation de la location et celle de l' indemnité payée par le bailleur. Tel est le cas du droit italien qui assujettit expressément la résolution d' un bail au même traitement fiscal que le bail lui-même et du droit français qui prévoit que l' indemnité sera taxée lorsqu' elle est reçue par un assujetti à la TVA, qu' elle se rattache à l' activité exercée et surtout qu' elle est perçue dans le cadre des risques et aléas normaux de la profession.

62. En second lieu, nous estimons qu' englober la résiliation anticipée du bail sous la notion de location d' immeubles coïncide avec l' objectif de la sixième directive: fixer des règles simples (35).

63. Examinons dès lors la deuxième question.

64. On l' a vu, l' article 13 B, sous b), exonère de TVA l' affermage et la location de biens immeubles sous réserve de quatre exceptions et précise, dans son dernier alinéa, que "les États membres ont la faculté de prévoir des exclusions supplémentaires au champ d' application de cette exonération" (36).

65. Un État membre a-t-il la faculté d' exclure de l' exonération de l' article 13 B, sous b), la résiliation anticipée du bail moyennant indemnité, donc de la soumettre à TVA?

66. Les exceptions à l' exonération de l' article 13 B, sous b), sont extrêmement restreintes. La première s' explique par le fait que l' hébergement dans un hôtel n' est pas qualifié de location par la législation de plusieurs droits nationaux mais s' apparente à une simple autorisation. La deuxième concerne la location d' un bien immeuble en vue d' une affectation particulière (stationnement d' un véhicule). Les deux dernières sont relatives à la location de biens immeubles par destination.

67. Nous ne pensons pas que, comme le soutient la Commission, le principe d' interprétation "ejusdem generis" limite la faculté des États membres d' édicter des exclusions supplémentaires à l' exonération prévue par l' article 13 B, sous b), à quelques cas apparentés ou similaires aux quatre exceptions énumérées à cet article (37). D' ailleurs, comme on l' a souligné à l' audience, quel serait le "genus"?

68. Dans le cadre de l' article 13, il est laissé toute latitude aux États membres qui fixent les conditions d' exonération, qui peuvent accorder à leurs assujettis le droit d' opter pour la taxation de l' affermage et de la location de biens immeubles et qui peuvent restreindre la portée de ce droit d' option (article 13 C).

69. Nous pensons cependant que, prise isolément, la résiliation conventionnelle anticipée du bail ne doit pas pouvoir faire l' objet d' une exception à l' exonération.

70. Cette opération et la location elle-même, nous l' avons souligné, produisent des effets symétriques. Les locations de biens immeubles sont soumises en principe, et sauf exercice d' un droit d' option, à un régime d' exonération. Est-il, dès lors, envisageable que les États membres puissent soumettre la résiliation conventionnelle à un régime d' imposition alors que 1) s' il n' est pas assujetti, le bailleur qui la paye ne pourra en aucun cas récupérer la TVA et 2) une sous-location consentie par le locataire serait en principe exonérée?

71. La distinction qui existe en matière de baux (exonération/droit d' option) doit également opérer en matière de résiliation conventionnelle.

72. C' est pourquoi, nous vous invitons à répondre négativement à la deuxième question.

73. Compte tenu des réponses que nous vous suggérons de donner aux deux premières questions, la troisième nous apparaît sans objet. Nous ne l' examinerons donc qu' à titre surabondant.

74. La résiliation conventionnelle anticipée d' un bail peut-elle être comprise dans la notion de "livraison de bâtiments ou d' une fraction de bâtiment et du sol y attenant autres que ceux visés à l' article 4, paragraphe 3, sous a)"?

75. Il n' est pas discuté que ce dernier article - qui porte sur la livraison d' un bâtiment avant sa première occupation - est étranger à notre affaire.

76. L' article 13 B, sous g), édicte une exception au principe général posé par l' article 2 de la sixième directive, selon lequel les livraisons de biens sont soumises à TVA.

77. Une opération ne peut, par conséquent, relever de l' exonération de l' article 13 B, sous g), que si elle s' analyse en une livraison de biens au sens générique de l' article 2.

78. Aux termes de l' article 5 de la directive, "est considéré comme 'livraison d' un bien' le transfert du pouvoir de disposer d' un bien corporel comme un propriétaire".

79. Par votre arrêt du 8 février 1990, Staatssecretaris van Financiën/SAFE (38), vous avez jugé qu' une telle notion devait recevoir une définition communautaire, en considérant:

"Il résulte du libellé de cette disposition [article 5, paragraphe 1, de la sixième directive] que la notion de livraison d' un bien ne se réfère pas au transfert de propriété dans les formes prévues par le droit national applicable, mais qu' elle inclut toute opération de transfert d' un bien corporel par une partie qui habilite l' autre à en disposer en fait comme si elle était le propriétaire de ce bien" (39).

80. Or, même par la résiliation, un locataire ne peut transférer au propriétaire le pouvoir de disposer que le premier n' a jamais eu et que le second n' a jamais perdu (40).

81. Dès lors, la résiliation d' un bail ne peut s' analyser en une "livraison de bien" au sens de l' article 2. Elle ne peut donc davantage relever de la définition de l' article 13 B, sous g).

82. La définition communautaire de la "livraison de bien" ne saurait varier, en effet, selon les articles de la sixième directive.

83. Est-il besoin de souligner qu' une résiliation de bail n' est pas assimilable à des "livraisons de bâtiments ou d' une fraction de bâtiment et du sol y attenant"?

84. Comme le note à juste titre le gouvernement britannique, les expressions "sol" ou "immeubles non bâtis" visent les notions "physiques" correspondantes et non les droits sur le sol ou les immeubles non bâtis (41).

85. Nous en concluons que la résiliation conventionnelle anticipée d' un bail ne rentre pas dans le champ d' application de l' article 13 B, sous g).

86. Nous vous proposons, par conséquent, de dire pour droit:

1) La résiliation conventionnelle anticipée d' un bail contre compensation versée au preneur relève de la notion de "location de biens immeubles" figurant à l' article 13 B, sous b), de la sixième directive.

2) Le dernier alinéa de cette disposition ne confère pas aux États membres la possibilité d' exclure une telle opération de l' exonération prévue par le premier alinéa du même texte, sous réserve toutefois du droit d' option prévu par l' article 13 C, sous a), de la même directive.

(*) Langue originale: le français.

(1) - Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO L 145, p. 1), ci-après la sixième directive .

(2) - Voir observations de la partie requérante, annexe C.

(3) - Ibidem.

(4) - 416/85, Rec. p. 3127.

(5) - Leur libellé figure au point C-4 du rapport d' audience.

(6) - Article 4, paragraphe 2. Voir arrêt du 15 juin 1989, Stichting Uitvoering Financiele Acties/Staatssecretaris van Financiën, point 10 (348/87, Rec. p. 1737).

(7) - Directive 67/227/CEE, JO 1967, p. 1301.

(8) - Souligné par nous.

(9) - Quatrième considérant de la deuxième directive (directive 67/228/CEE du Conseil du 11 avril 1967, JO 1967, p. 1303).

(10) - Arrêt du 26 mars 1987, Commission/Pays-Bas, point 11 (235/85, Rec. p. 1471).

(11) - Arrêt du 11 juillet 1985, Commission/Allemagne, point 20 (107/84, Rec. p. 2655).

(12) - Arrêt du 26 mars 1987, précité, point 19.

(13) - Voir références supra note 6.

(14) - Point 13. Voir également le point 19 de l' arrêt du 15 mars 1989, Hamann (51/88, Rec. p. 767), le point 9 de l' arrêt du 21 février 1989, Commission/Italie (203/87, Rec. p. 371), le point 19 de l' arrêt du 26 juin 1990, Velker International Oil Company (C-185/89, Rec. p. I-2561) et les points 13 et 14 de l' arrêt du 25 mai 1993, Mohsche (C-193/91, non encore publié au Recueil).

(15) - Arrêt du 13 juillet 1989, Skatteministeriet/Morten Henriksen, point 12 (173/88, Rec. p. 2763).

(16) - Voir infra, points 29 et suivants.

(17) - Souligné par nous.

(18) - Voir point 11 de l' arrêt Stichting Uitvoering Financiele Acties, précité.

(19) - Arrêt du 14 mai 1985, Van Dijk' s, point 19 (139/84, Rec. p. 1405). Voir également dans le même sens, conclusions de Monsieur Da Cruz Vilaça sous l' arrêt du 24 mai 1988, Commission/Italie (122/87, Rec. p. 2685).

(20) - Tels que, par exemple, celui du cumul des taxes.

(21) - Voir sur ce point l' annexe 1 des observations de la Commission: memorandum explicatif joint à la proposition pour une sixième directive du Conseil sur l' harmonisation de la législation des États membres.

(22) - Arrêts du 19 janvier 1982, Becker, point 44 (8/91, Rec. p. 53) et du 14 juillet 1988, Weissgerber, point 13 (207/87, Rec. p. 4433).

(23) - Voir article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive.

(24) - Voir E. Bours, Rapport sur l' application de la TVA aux opérations immobilières au sein de la Communauté , Études de la Commission des Communautés européennes, série concurrence, 1971, p. 138.

(25) - Ibidem, p. 135.

(26) - Voir supra, point 21.

(27) - A notre sens, sont des baux au sens du droit communautaire, un lease , une licence , un bail ou une convention d' occupation précaire .

(28) - Observations du gouvernement britannique, point 21.

(29) - Point 17 de l' arrêt du 26 juin 1990, Velker International Oil Company, précité.

(30) - Arrêt du 3 mars 1988, Bergandi, point 8, souligné par nous (252/86, Rec. p. 1343).

(31) - Voir supra, point 30 et suivants.

(32) - Il n' est, en effet, pas douteux que la sous-location doit suivre le même régime fiscal que la location.

(33) - Voir références supra note 15.

(34) - Point 15, souligné par nous.

(35) - Voir à cet égard l' article 13 A), 1 .

(36) - Souligné par nous.

(37) - Voir observations de la Commission, point 6.6.

(38) - Arrêt C-320/88, Rec. p. I-285.

(39) - Point 7, souligné par nous.

(40) - Un propriétaire peut vendre un bien alors même que celui-ci est loué.

(41) - Observations du gouvernement britannique, point 37.