C-111/92 - Lange / Finanzamt Fürstenfeldbruck

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EUR-Lex - 61992C0111 - FR

61992C0111

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 1er avril 1993. - Wilfried Lange contre Finanzamt Fürstenfeldbruck. - Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht München - Allemagne. - Taxe sur la valeur ajoutée - Sixième directive - Exonération des opérations d'exportation interdites. - Affaire C-111/92.

Recueil de jurisprudence 1993 page I-04677


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Dans la présente affaire, le Finanzgericht Muenchen demande une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation de la Sixième Directive relative à la TVA (directive 77/388/CEE du Conseil, JO 1977 L 145, p. 1). Il pose deux questions concernant l' assujettissement à la taxe à la valeur ajoutée (TVA) d' exportations illégales, effectuées en violation d' un embargo imposé par tous les États membres. Ses questions sont les suivantes:

"1. L' article 15, point 1, [de la Sixième Directive] doit-il être interprété en ce sens que l' exonération des opérations à l' exportation qu' il prévoit doit être refusée lorsque des livraisons à l' exportation sont effectuées, en violation de dispositions nationales relatives à l' autorisation d' exportation, à destination d' États pour lesquels, par suite de dispositions nationales en matière d' embargo, aucune autorisation n' aurait pu être délivrée, dans aucun des États des Communautés européennes?

2. En cas de réponse affirmative à la première question:

Une violation objective des dispositions nationales d' autorisation suffisent-elles à fonder le refus d' exonération ou bien faut-il prouver pour chaque livraison que l' entrepreneur a eu subjectivement connaissance de cette violation?"

2. Il ressort du dossier que, pendant les années 1985 et 1986, le demandeur a exporté des systèmes informatiques depuis l' Allemagne. Il a déposé des demandes d' autorisation d' exportation en application de l' article 17, paragraphe 1, de l' Aussenwirtschaftsverordnung (règlement relatif au commerce extérieur, ci-après "AWV"), en indiquant soit le Pakistan soit Israël comme destinations finales de ces exportations. A la suite desdites demandes, l' Office fédéral allemand pour les échanges extérieurs lui a accordé les autorisations d' exportation requises. Les marchandises ont été exportées vers Belgrade ou vers Vienne, mais elles ont ensuite été déroutées vers la Bulgarie, la Hongrie, l' Union soviétique et la Tchécoslovaquie au lieu d' être envoyées vers les destinations déclarées. L' ordonnance de renvoi ne précise pas si le demandeur avait connaissance de ces changements de destination.

3. A l' époque pertinente, les exportations de systèmes informatiques tels que ceux dont il s' agit en l' espèce vers les pays de l' ancien bloc de l' Est étaient interdites dans tous les États membres en application d' arrangements conclus dans le cadre du COCOM (Coordinating Committee for Multilateral Export Controls) (1). Tous les États membres appartiennent au COCOM, à l' exception de l' Irlande, qui a néanmoins pour politique de se conformer aux règles convenues dans le cadre du COCOM. En Allemagne, les interdictions pertinentes ont été mises en oeuvre par l' article 5 et par l' annexe AL de l' AWV, qui prévoit que l' exportation des marchandises qu' elle énumère est soumise à une autorisation. A défaut de cette autorisation, l' exportation de ces marchandises vers les destinations précisées est donc interdite et elle est érigée en délit pénal par les articles 33, (1) et (4), et 70(1)(1) de l' AWV.

4. Le demandeur a fait valoir que les opérations en cause étaient exonérées de TVA en application de l' article 4, paragraphe 1, de la loi allemande de 1980 sur le chiffre d' affaires (Umsatzsteuergesetz, ci-après "UStG"), qui met en oeuvre l' article 15, paragraphes 1 et 2, de la Sixième Directive et il a invoqué le droit à la déduction de la taxe "amont" en application de l' article 15, points 1 et 3(1a), de l' UStG, dispositions qui mettent en oeuvre l' article 17, paragraphe 2, et l' article 17, paragraphe 3, point b, de la Sixième Directive. Le Finanzamt défendeur a estimé que, dans la mesure où les exportations litigieuses étaient illégales, le demandeur ne pouvait pas bénéficier de cette exonération et conclu que ces opérations étaient soumises à la TVA. Le demandeur s' est pourvu devant le Finanzgericht contre cette décision.

5. Dans les développements qui suivent, nous présenterons d' abord les dispositions pertinentes de la Sixième Directive et examinerons ensuite les questions déférées. Néanmoins, il y a lieu de relever immédiatement que la présente affaire soulève trois questions distinctes. La première, qui n' est pas déférée par la juridiction nationale, porte sur le point de savoir si des exportations illégales telles que celles en cause entrent dans le champ d' application de la Directive. En second lieu, si ces exportations sont à considérer comme relevant du champ d' application de la Directive, il se pose la question de savoir si elles peuvent néanmoins bénéficier d' une exonération de TVA en application des dispositions de la Directive. Enfin, selon les réponses qui seront apportées aux deux premières questions, il pourra se poser la question de savoir si la connaissance subjective, de la part de l' exportateur, de la violation des interdictions d' exportation constitue un élément pertinent aux fins de la possibilité de bénéficier d' une exonération.

Les dispositions du droit communautaire

6. L' article 2 de la Sixième Directive dispose:

"Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

1 les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l' intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;

2 les importations de biens."

L' article 3 définit l' expression "intérieur du pays". L' article 15 stipule:

"Sans préjudice d' autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu' ils fixent en vue d' assurer l' application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:

1 les livraisons de biens expédiés ou transportés, par le vendeur ou pour son compte, en dehors du territoire visé à l' annexe 3;

2 les livraisons de biens expédiés ou transportés par l' acheteur qui n' est pas établi à l' intérieur du pays, ou pour son compte, en dehors du territoire visé à l' article 3, à l' exception des biens transportés par l' acheteur lui-même et destinées à l' équipement ou à l' avitaillement de bateaux de plaisance et d' avions de tourisme ou de tout autre moyen de transport à usage privé;

..."

Aux termes de l' article 17, paragraphe 2:

"Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l' assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

(a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou seront rendus par un autre assujetti;

(b) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens importés.

..."

et aux termes de l' article 17, paragraphe 3:

"Les États membres accordent également à tout assujetti la déduction ou le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée visée au paragraphe 2 dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins:

...

(b) de ses opérations exonérées conformément à l' article ... 15 ...;

..."

Le champ d' application de la sixième directive

7. La question de savoir si des opérations illégales relèvent du champ d' application de la Sixième Directive a déjà été examinée par la Cour en diverses occasions. Dans l' affaire 294/82, Einberger/Hauptzollamt Freiburg, Rec. 1984, p. 1177, elle a jugé que son article 2 devait être interprété en ce sens que la TVA n' est pas due sur l' importation illégale dans la Communauté de stupéfiants qui ne font pas partie "du circuit économique strictement surveillé par les autorités compétentes en vue d' être utilisés à des fins médicales et scientifiques" (voir point 22 des motifs de l' arrêt). De même, dans l' affaire 269/86, Mol/Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen, Rec. 1988, p. 3627 et dans l' affaire 289/86, Happy Family/Inspecteur der Omzetbelasting, Rec. 1988, p. 3655, elle a déclaré que la livraison illégale de stupéfiants sur le marché intérieur d' un État membre ne donne naissance à aucune dette de taxe sur la valeur ajoutée dans la mesure où ces produits ne sont pas destinés à être utilisés à des fins médicales et scientifiques. Plus récemment, dans l' affaire C-343/89, Witzemann, Rec. 1990, p. I-4477, la Cour a déclaré que les considérations développées dans l' arrêt Einberger s' appliquent à plus forte raison à des importations de fausse monnaie étant donné que la fabrication, la possession, l' importation et la mise en circulation d' une telle monnaie font l' objet d' une interdiction absolue dans tous les États membres: voir points 14 et 20 des motifs de l' arrêt.

8. Le raisonnement suivi par la Cour dans les arrêts Einberger, Mol, Happy Family et Witzemann était essentiellement fondé sur l' idée que la Directive ne pouvait pas être considérée comme applicable à des opérations qui, en raison de la nature même des produits concernés, était illégales dans tous les États membres. Elle déclare ainsi au point 20 des motifs de l' arrêt Einberger:

"... - ainsi que la Cour l' a déjà constaté par rapport aux droits de douane à l' importation - des importations illégales de stupéfiants dans la Communauté, qui ne peuvent donner lieu qu' à des mesures répressives, sont tout à fait étrangères aux dispositions de la sixième directive..."

Dans l' affaire 50/80, Horvath/Hauptzollamt Hamburg-Jonas, Rec. 1981, p. 385, la Cour avait jugé que des droits de douane ne pouvaient être perçus en application du tarif douanier commun lors de l' importation en contrebande d' un produit nuisible tel que l' héroïne, affecté à un usage illicite. Aux points 9 à 11 des motifs de son arrêt, elle a observé:

"Il importe de souligner d' abord que la ... question posée ... ne concerne pas le cas d' une simple importation frauduleuse d' un produit quelconque, mais l' importation en contrebande d' un produit nuisible affecté à un usage illicite et détruit dès sa découverte.

Il convient de rappeler ensuite qu' un produit tel que l' héroïne n' est pas saisi et détruit au seul motif que l' importateur n' a pas observé les formalités douanières, mais surtout parce qu' il s' agit d' un produit stupéfiant dont la nocivité est reconnue et dont l' importation et la commercialisation sont interdites dans tous les États membres, exception faite d' un commerce strictement contrôlé et limité en vue d' une utilisation autorisée à des fins pharmaceutiques et médicales.

[Le tarif douanier commun] ... ne peut que viser l' importation en vue d' une utilisation autorisée. En effet, un droit de douane ad valorem ne peut être déterminé pour des marchandises d' une nature telle qu' elles ne peuvent être mises en circulation dans aucun des États membres mais doivent, par contre, être saisies et mises hors circulation par les autorités compétentes dès leur découverte."

Il est évident que le raisonnement suivi par la Cour au sujet du champ d' application du tarif douanier commun s' applique aussi au champ d' application de la Sixième Directive: voir arrêt Einberger, précité, points 17 à 20 des motifs, et arrêt Witzemann, également cité, point 18 des motifs. Tant dans le cas des droits de douane que dans le cas de la TVA, l' illégalité peut donc éventuellement être insuffisante par elle-même pour exclure une opération du champ d' application de la législation communautaire pertinente. Pour ce qui concerne les importations et le commerce intérieur, une opération n' est apparemment exclue du champ d' application de la Sixième Directive que si elle appartient à une catégorie systématiquement interdite dans tous les États membres pour des raisons liées aux caractéristiques spécifiques des produits en cause: voir arrêt Mol, précédemment cité au paragraphe 7, point 18 des motifs.

9. Les affaires précédentes concernaient des interdictions d' importation ou de commerce intérieur, alors que la présente affaire concerne des exportations. Il se pose donc la question de savoir s' il y a lieu d' établir une distinction entre ces deux catégories de cas. Il est vrai que l' exclusion d' une exportation du champ d' application de la Directive aboutit à des conséquences pratiques différentes. Contrairement aux importations et aux livraisons à l' intérieur du pays, les exportations sont exonérées de TVA à titre de règle générale: voir article 15, paragraphes 1 et 2, de la Sixième Directive, précédemment cité dans le paragraphe 6. On observera qu' il existe une différence importante entre une exportation exonérée en application de l' article 15, d' une part, et, d' autre part, une opération qui ne donne pas lieu à la perception de la TVA parce qu' elle ne relève pas du champ d' application de la Directive. Comme nous l' avons vu, l' article 17, paragraphe 3, point b, prévoit que certaines catégories d' opérations exonérées de TVA donnent néanmoins droit à la déduction de la taxe "amont", c' est-à-dire à la déduction de la TVA due sur les biens et services utilisés pour les besoins de ces opérations. En particulier, les exonérations prévues à l' article 15, paragraphes 1 et 2, de la Sixième Directive donnent droit à cette déduction. Par conséquent, une importation illégale ou une livraison illégale à l' intérieur du pays bénéficient, lorsqu' elles sont exclues du champ d' application de la Sixième Directive, d' une franchise de TVA qui n' est normalement pas accordée pour des importations ou des livraisons légales. En revanche, une exportation illégale qui serait exclue du champ d' application de la Directive ne bénéficierait d' aucun avantage par rapport à une exportation légale: au contraire, elle serait désavantagée puisque, contrairement à la seconde, elle ne donnerait pas à l' exportateur le droit d' opérer une déduction de la taxe "amont" (même si l' exportation proprement dite n' est pas taxée).

10. Il nous semble évident que le principe établi par les précédents jurisprudentiels ayant trait à des opérations illégales ne se limite pas aux importations ou au commerce intérieur. L' exportation illégale de produits n' ayant aucune utilisation autorisée en dehors de certains circuits strictement contrôlés serait tout aussi étrangère aux dispositions de la Sixième Directive que l' importation de tels produits ou leur livraison à l' intérieur du pays. Même si,comme nous l' avons vu, les exportations ne sont pas soumises de manière généralisée à la TVA, celles qui entrent dans le champ d' application de la Directive donnent droit à une déduction de la taxe "amont". Ce droit n' existerait donc pas dans le cas d' une exportation illégale de produits, tels que la fausse monnaie ou les drogues interdites, qui, du fait de leur nature même, ne peuvent faire l' objet d' un commerce légal dans aucun des États membres.

11. Toutefois, selon nous, il n' existe aucune raison impérative d' étendre l' éventail des opérations pouvant être exclues du champ d' application de la Sixième Directive, même s' il s' agit d' exportations, et non d' importations ou de livraisons à l' intérieur du pays. Dans l' un et l' autre cas, il nous semble que le principe fondamental est celui de la neutralité fiscale, en vertu duquel le commerce licite et le commerce illicite doivent, dans la mesure du possible, être traités de la même manière aux fins de la TVA. Ce principe n' est soumis qu' à quelques exceptions limitées qui interviennent dans les cas où, en raison de la nature des produits concernés, il n' existe pas de concurrence entre un secteur licite et un secteur illicite: voir arrêt de la Cour dans l' affaire Mol, précédemment cité dans le paragraphe 7, points 17 et 18 des motifs.

12. Comme l' indique la Commission, on peut établir une distinction entre l' interdiction en cause en l' espèce et celles dont il s' agissait dans les précédentes affaires relatives à des transactions illicites, en ce sens que ces précédents concernaient des produits dont le commerce était intrinsèquement illégal, alors que les produits dont il s' agit en l' espèce, à savoir des matériels et logiciels informatiques, font généralement l' objet de transactions licites. Il n' existe donc pas d' interdiction absolue d' exportation de ces produits vers les pays tiers, même si, comme en l' espèce, leur exportation peut éventuellement être interdite vers certaines destinations précises. Selon nous, rien ne justifie d' étendre l' exception définie par la jurisprudence précédemment citée au cas d' une interdiction d' exporter un produit vers certaines destinations particulières, même si cette interdiction est imposée par tous les États membres agissant de concert. Si des marchandises peuvent, à titre général, faire l' objet d' un commerce licite tant à l' intérieur qu' à l' extérieur de la Communauté, leur exportation vers une destination interdite ne constitue donc pas, nécessairement par elle-même, une transaction qui doit être considérée comme étrangère au système de la Directive.

13. Comme nous l' avons précédemment indiqué, le fait d' admettre que les opérations litigieuses entrent dans le champ d' application de la Sixième Directive aura pour effet de permettre à l' exportateur de déduire un certain montant de la taxe acquittée en amont du montant de TVA dont il est redevable. A première vue, il peut sembler anormal qu' un opérateur ayant procédé à une exportation en violation d' un embargo puisse bénéficier d' un tel droit à déduction. Néanmoins, tout comme l' exonération de TVA dont bénéficient les exportations, ce droit peut s' expliquer par la volonté du législateur communautaire de n' imposer aucune charge de TVA aux consommateurs des États non-membres, cette taxe étant destinée à être exclusivement supportée par les consommateurs de la Communauté. Lorsque la taxe acquittée en amont ne peut pas être déduite pour une opération donnée, elle est normalement répercutée sur le consommateur, en tant qu' élément du prix d' achat. Le droit de déduire la taxe "amont" ne doit pas être considéré comme un avantage conféré à l' exportateur, mais comme une simple conséquence du principe interdisant à un État de taxer les marchandises dont la destination se situe hors de son territoire. Certes, dans le cas d' une exportation illégale, le refus d' autoriser la déduction de la taxe "amont" pourrait aboutir, en pratique, à en faire supporter la charge par l' exportateur. Toutefois, il demeure que la TVA n' est pas destinée à être perçue sur des marchandises qui quittent la Communauté. En tout état de cause, il est possible de sanctionner adéquatement un exportateur qui a agi en violation de restrictions à l' exportation imposées par un État membre en lui infligeant des sanctions dans le cadre des dispositions nationales pertinentes, sans qu' il soit nécessaire d' imposer des sanctions supplémentaires sous forme d' une dette de TVA plus élevée.

14. Nous concluons donc que les opérations en cause en l' espèce entrent dans le champ d' application de la Sixième Directive. De ce fait, il est nécessaire d' examiner la question de savoir si l' exonération prévue par l' article 15, paragraphe 1, de la Sixième Directive s' étend aussi aux exportations ayant lieu en violation d' un embargo à l' échelle de la Communauté.

L' exonération de TVA sur les exportations

15. Comme nous l' avons déjà indiqué, le Finanzamt défendeur a estimé que la TVA devait être perçue sur les opérations litigieuses en dépit de l' exonération des exportations prévue par l' article 15, paragraphe 1, de la Directive. La Commission soutient, en revanche, que l' exonération doit également s' appliquer à de telles opérations. Cette thèse nous paraît exacte. Dès lors qu' il est admis que ces opérations ne peuvent pas être exclues du champ d' application de la Sixième Directive, il devient difficile, compte tenu des dispositions très claires de l' article 15, paragraphe 1, de soutenir qu' elles ne doivent pas être exonérées. Comme le signale la Commission, accorder l' exonération serait conforme au principe de la neutralité fiscale, principe qui, comme nous l' avons vu, n' est soumis qu' à des exceptions très limitées: voir paragraphe 11 supra. Traiter les opérations illégales qui sont en cause en l' espèce comme des opérations exonérées consiste naturellement à les traiter exactement comme des exportations licites. Au surplus, ni le texte, ni les objectifs de la Directive ne fournissent le moindre élément en faveur d' un traitement différencié des exportations illégales.

16. Il nous semble donc qu' en refusant d' autoriser l' exonération de ces opérations, on utiliserait le système de la TVA en vue d' un but qui lui est étranger, à savoir le but de sanctionner la violation d' une restriction à l' exportation imposée par une législation nationale. Sur le plan des principes, il est injustifié d' utiliser un droit fiscal harmonisé par la Communauté aux fins d' infliger de pareilles sanctions, qui relèvent surtout du droit pénal de l' État membre concerné. Dans sa jurisprudence, la Cour a constamment mis l' accent sur le fait que les décisions qu' elle arrête en matière d' application des dispositions fiscales à des opérations illégales ne préjugent en rien de la compétence des États membres pour poursuivre les infractions à leur législation et infliger des sanctions appropriées: voir, par exemple, arrêt Witzemann, précédemment cité au paragraphe 7, point 22 des motifs. Non seulement une utilisation du droit fiscal en vue d' infliger des sanctions pervertit l' application du droit fiscal, mais on peut aussi considérer qu' elle fausse l' application du droit pénal, étant donné qu' elle peut aboutir à des sanctions supplémentaires venant s' ajouter à celles infligées par les juridictions pénales. Au surplus, pareille utilisation est contraire au principe selon lequel aucune sanction ne peut être infligée en l' absence d' une base juridique claire et dépourvue d' ambiguïté: voir affaire 117/83, Koenecke/Balm, Rec. 1984, p. 3291, point 11 des motifs de l' arrêt.

17. Même si la taxation n' est pas considérée comme une sanction, il existe un principe de droit fiscal analogue, en vertu duquel aucun prélèvement fiscal ne peut être imposé en l' absence d' une base légale spécifique. Comme nous l' avons vu, la Sixième Directive ne contient aucune base qui pourrait servir de fondement pour taxer des marchandises exportées hors du territoire de la Communauté; au contraire, il y est clairement affirmé que de telles marchandises sont exonérées.

18. Les livraisons de marchandises relevant de l' article 15, paragraphe 1 ou 2, de la Directive sont donc exonérées de TVA, même si elles ont lieu en violation de mesures nationales de restriction des exportations. Selon nous, il importe peu que l' irrégularité consiste, en l' espèce, dans la violation d' une interdiction d' exportation imposée de concert par tous les États membres, ce dont il résulte que les exportations en cause auraient été illégales dans n' importe quel État membre. Même si l' interdiction reposait sur le droit communautaire, cette seule circonstance ne serait pas suffisante, par elle-même, pour justifier de refuser l' exonération des exportations effectuées en violation de l' interdiction, en l' absence de toute disposition communautaire prévoyant le refus de cette exonération en pareil cas. Il s' ensuit qu' il y a lieu de répondre par la négative à la première question posée par le Finanzgericht.

Connaissance subjective de la violation

19. Compte tenu de la conclusion à laquelle nous somme parvenu, il n' est pas nécessaire d' examiner la question de savoir s' il doit être établi que l' exportateur a agi sciemment. En effet, même s' il suffisait de cette connaissance subjective, de la part de l' exportateur, pour que la violation de l' interdiction d' exportation constitue un délit pénal en droit national, cela ne suffirait pas, selon nous, pour refuser l' exonération de l' opération en vertu de l' article 15, paragraphe 1, de la Directive.

20. Toutefois, en cas de réponse affirmative à la première question, il faudrait examiner le point de savoir si l' exonération peut être refusée même dans l' hypothèse où la violation des restrictions à l' exportation est commise à l' insu de l' exportateur. Pareille situation pourrait par exemple se produire dans l' hypothèse où des marchandises seraient envoyées vers une destination autorisée par le droit national, mais déroutées en cours d' expédition par un tiers. Le délit éventuellement commis dans le cadre du droit national serait alors commis par ledit tiers, et non par l' exportateur éventuellement redevable d' un paiement au titre de la TVA.

21. On voit mal, selon nous, comment l' exonération de la TVA pourrait être refusée en pareil cas. Comme le souligne la Commission, le refus d' accorder l' exonération aurait pour effet d' infliger une sanction pour la violation de l' interdiction d' exportation. Nous avons déjà avancé l' idée que pareille utilisation du système de la TVA n' était pas admissible: voir paragraphes 15 et 16 supra. Même si les dispositions de la Sixième Directive concernant l' exonération pouvaient être utilisées à cette fin, il nous semble, en tout état de cause, que toute sanction de cette sorte devrait respecter le principe de proportionnalité du droit communautaire.

22. Lorsqu' il s' agit de restrictions quantitatives imposées par un État membre sur les échanges intracommunautaires ou sur le transit communautaire en application de l' article 36 du traité, il est constant que tant la mesure de restriction que les sanctions éventuellement infligées pour sa violation doivent être proportionnées au but poursuivi: voir affaire C-367/89, Aimé Richardt, Rec. 1991, p. I-4621, points 22 à 24 des motifs de l' arrêt. Il est vrai que l' arrêt rendu par la Cour dans l' affaire Aimé Richardt concernait le régime du transit communautaire et non le régime des exportations de la Communauté vers des pays tiers (2). Ces exportations sont régies par la politique commerciale commune de la Communauté et en particulier par le règlement (CEE) n 2603/69 du Conseil, du 20 décembre 1969, portant établissement d' un régime commun applicable aux exportations (JO L 324, p. 25), modifié en dernier lieu par le règlement (CEE) n 3981/91 du Conseil (JO 1991 L 372, p. 31). L' article premier du règlement n 2603/69 prévoit que les exportations de la Communauté vers les pays tiers ne peuvent être soumises à aucune restriction quantitative à l' exception de celles que prévoient les dispositions de ce règlement. Au paragraphe 3.1. de ses observations écrites, la Commission semble émettre l' idée qu' un État membre peut néanmoins, dans certains cas, recourir à l' article 36 du traité pour interdire l' exportation de certains produits vers des pays tiers. Toutefois, il est clair que l' article 36 ne peut être invoqué que pour justifier une restriction portant soit sur le commerce intracommunautaire soit sur le transit communautaire. En revanche, l' article 11 du règlement n 2603/69 permet aux États membres de soumettre les exportations à destination de pays tiers à des restrictions quantitatives pour certaines raisons formulées dans les mêmes termes que ceux utilisés à l' article 36, en particulier des raisons d' ordre public et de sécurité publique.

23. Compte tenu de l' arrêt de la Cour dans l' affaire C-62/88, Grèce/Conseil, Rec. 1990, p. I-1527, il ne fait nul doute, selon nous, que le champ de la politique commerciale commune comprend l' ensemble des mesures qui réglementent le commerce entre la Communauté et les pays non membres (à l' exception des domaines exclus par les articles 223 et 224 du traité), même si ces mesures poursuivent un objectif qui n' est pas commercial en lui-même, comme la protection de la santé ou de la sécurité publique: voir points 16 à 18 des motifs de l' arrêt et voir également le règlement (CEE) n 428/89 du Conseil, du 20 février 1989, relatif à l' exportation de certains produits chimiques (JO 1989 L 50 p. 1), mesure fondée sur l' article 113 du traité concernant le contrôle des exportations de produits susceptibles d' être utilisés pour produire des armes chimiques.

24. Il s' ensuit qu' il y a lieu de considérer que, lorsqu' un État membre réglemente les exportations vers des pays non membres pour de tels motifs, il y a lieu de considérer qu' il exerce les pouvoirs qui lui sont attribués par l' article 11 du règlement n 2603/69 et l' Allemagne doit donc être réputée avoir agi en application de cette disposition en adoptant les mesures en cause de restriction des exportations de matériels informatiques vers les pays de l' ancien bloc de l' Est. Comme dans le cas d' une restriction décidée en application de l' article 36 du traité, il faut donc que toute sanction infligée pour la violation desdites restrictions soit proportionnée au but poursuivi (même si, comme nous l' avons mentionné dans nos conclusions dans l' affaire Aimé Richardt, il n' y a pas lieu de penser que le principe de proportionnalité produit les mêmes effets à l' égard de l' article 36 du traité qu' à l' égard de l' article 11 du règlement: voir paragraphe 29 des conclusions). Dans ces conditions, toute décision d' accorder ou de refuser l' exonération de TVA prévue par l' article 15, paragraphe 1, de la Sixième Directive doit tenir compte de tous les facteurs pertinents, notamment la part de responsabilité de l' exportateur, redevable de la taxe, dans la violation commise: voir affaire Aimé Richardt précédemment citée, point 25 des motifs de l' arrêt. Toutefois, si notre thèse est retenue, cette question ne se pose pas puisqu' il n' est pas permis, selon nous, de déroger à l' exonération prévue par l' article 15, paragraphe 1, aux fins d' appliquer des mesures nationales de restriction des exportations vers des pays tiers.

Conclusions

25. Nous vous proposons donc de répondre aux questions posées par le Finanzgericht Muenchen:

L' article 15, paragraphe 1, de la Sixième Directive du Conseil, (77/388/CEE) doit être interprété en ce sens que la taxe sur la valeur ajoutée ne peut pas être perçue sur des marchandises exportées vers un pays tiers par le vendeur, même lorsque cette exportation est effectuée en violation d' une interdiction d' exporter lesdites marchandises à destination de ce pays et qu' une interdiction identique est imposée par le droit national de tous les États membres.

(*) Langue originale: l' anglais.

(1) - En ce qui concerne les interdictions du COCOM et le droit communautaire, voir Inge Govaere et Piet Eeckhout On dual use goods and dualist case law: the Aimé Richardt judgment on export controls , in Common Market Law Review 29 (1992), pp. 941-965.

(2) - En ce qui concerne le rapport entre le régime du transit communautaire et le régime des exportations de la Communauté, voir Govaere et Eeckhout, précédemment cité dans la note 1, pp. 944-53.