C-291/92 - Finanzamt Uelzen / Armbrecht

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EUR-Lex - 61992C0291 - FR

61992C0291

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 15 septembre 1993. - Finanzamt Uelzen contre Dieter Armbrecht. - Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne. - TVA - Opérations imposables. - Affaire C-291/92.

Recueil de jurisprudence 1995 page I-02775


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. La présente affaire concerne une demande de décision préjudicielle, présentée par le Bundesfinanzhof allemand et relative à l' interprétation des articles 5, paragraphe 1, 17, paragraphe 2, et 20, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (1) (ci-après "la directive"). Les questions préjudicielles ont été soulevées dans le cadre d' un litige opposant le Finanzamt Uelzen (ci-après "le Finanzamt") à M. Dieter Armbrecht.

Les faits

2. En tant qu' hôtelier, M. Armbrecht était propriétaire d' un immeuble comprenant une pension de famille, un restaurant et un appartement à usage privé. En 1981, il a vendu cet immeuble pour 1 150 000 DM. En vertu de la "Umsatzsteuergesetz" (loi relative à la taxe sur le chiffre d' affaires) allemande de 1980 (ci-après aussi "UStG 1980"), une telle vente est en principe exonérée de la taxe sur le chiffre d' affaires (2). Toutefois, si la vente est une opération qui "est effectuée pour le compte d' un autre chef d' entreprise", le chef d' entreprise peut la traiter comme une opération soumise à l' impôt (3). M. Armbrecht a volontairement opté pour la taxation de la vente de son immeuble conformément à cette dernière disposition.

Toutefois, dans sa déclaration de la taxe sur le chiffre d' affaires pour 1981, M. Armbrecht n' a considéré comme soumis à la taxe sur le chiffre d' affaires que la vente de la partie à usage professionnel de son immeuble. En revanche, il a considéré comme exonéré de la taxe sur le chiffre d' affaires le prix de 157 705 DM au titre de l' appartement à usage privé. Il soutient du reste qu' il a seulement facturé à l' acheteur de son immeuble la taxe sur le chiffre d' affaires afférente à la partie à usage professionnel de cet immeuble, et non celle afférente à la partie à usage privé (4).

3. A la suite d' une enquête sur place, le Finanzamt a rejeté cette qualification et aussi soumis la vente de l' habitation privée à la taxe sur le chiffre d' affaires. Il estime plus particulièrement qu' il est matériellement impossible de fractionner l' immeuble de M. Armbrecht en une partie à usage professionnel et une partie à usage privé. En effet, certaines parties de l' immeuble auraient à la fois un caractère professionnel et un caractère privé (5). Etant donné que le terrain et le bâtiment constituent ensemble un seul et même bien au sens du droit civil allemand (6), ils constituent aussi nécessairement un tout au sens du droit fiscal (7).

M. Arbrecht a formé un recours contre la décision du Finanzamt auprès du Finanzgericht, qui s' est rallié à sa thèse. Le Finanzgericht estimait qu' un immeuble qui est affecté en partie à un usage professionnel et en partie à un usage d' habitation constitue, au regard du droit fiscal - et par dérogation au droit civil -, deux biens économiques distincts. Etant donné que M. Armbrecht n' a pas facturé la taxe sur le chiffre d' affaires à l' acheteur pour l' appartement privé, il ne devrait pas non plus acquitter lui-même cette taxe.

4. Le Finanzamt a formé un recours en Revision contre la décision du Finanzgericht auprès du Bundesfinanzhof. Ce recours a conduit au renvoi de trois questions préjudicielles, qui visent en substance toutes les trois à savoir si, en vertu de la directive - et donc aussi en vertu de la législation allemande de mise en oeuvre de celle-ci -, un statut fiscal distinct peut être conféré à la partie à usage privé d' un immeuble tel que celui de M. Armbrecht. Du fait de leur caractère technique, nous situerons brièvement chacune des questions, dont le texte est reproduit in extenso dans le rapport d' audience, dans le contexte du droit européen et du droit allemand en matière de taxe sur le chiffre d' affaires.

La première question préjudicielle

5. En vertu de l' article 2, paragraphe 1, de la directive, qui a été transposé dans le droit allemand par l' article 1er, paragraphe 1, sous 1, de la UStG 1980, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

"les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l' intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel".

En vertu de l' article 5, paragraphe 1, de la directive, qui a été transposé par l' article 3, paragraphe 1, de la UStG 1980, est considéré comme "livraison d' un bien":

"le transfert du pouvoir de disposer d' un bien corporel comme un propriétaire".

Le Bundesfinanzhof demande maintenant si "lors de la vente d' un immeuble, la partie utilisée pour les besoins d' une entreprise constitue un bien indépendant, faisant l' objet d' une livraison au sens de l' article 5, paragraphe 1, de la directive", ou si - c' est ainsi que nous comprenons la question - seule la vente de la partie à usage privé et de la partie à usage professionnel peut être qualifiée, conjointement, de livraison au sens de l' article 5, paragraphe 1. Dans la première hypothèse, la partie à usage privé de l' immeuble n' est pas soumise à la taxe sur le chiffre d' affaires, parce que, et dans la mesure où (voir plus loin le paragraphe 13), le vendeur n' agit pas en tant qu' assujetti au sens de l' article 2, paragraphe 1, de la directive.

6. L' argument du Finanzamt et du gouvernement allemand, selon lequel un immeuble tel que celui de M. Armbrecht constitue un seul et même bien au regard du droit civil allemand et doit de ce fait aussi être considéré comme un tout au regard du droit fiscal, n' est, selon nous, pas fondé (8). Indépendamment de la question de savoir s' il est opportun que le droit fiscal et le droit civil doivent être interprétés par analogie, on ne saurait faire dépendre l' interprétation du droit communautaire - à savoir la directive, qui est mise en oeuvre par la Umsatzsteuergesetz allemande - de l' interprétation du droit interne d' un seul Etat membre.

En effet, la Cour a toujours jugé dans le passé qu' un sens communautaire doit être attribué aux concepts utilisés dans les directives TVA, sauf si les directives elles-mêmes laissent aux Etats membres le soin de déterminer le contenu d' un concept (9). En ce qui concerne plus particulièrement la définition du concept de "livraison", visé à l' article 5, paragraphe 1, de la directive, les définitions de droit interne des Etats membres doivent, selon la Cour, céder devant une approche cohérente de droit communautaire:

"Cette conception est conforme à la finalité de la directive, qui vise, entre autres, à fonder le système commun de TVA sur une définition uniforme des opérations taxables. Or, cet objectif pourrait être compromis si la constatation d' une livraison de biens [...] était soumise à la réalisation de conditions qui varient d' un Etat membre à l' autre, comme c' est le cas de celles relatives au transfert de propriété en droit civil." (10)

7. Du reste, il convient d' observer, en tant que de besoin, qu' il n' est pas du tout certain que le droit civil allemand s' oppose à un fractionnement d' un bien immeuble en entités économiques indépendantes. En effet, la Commission indique dans ses observations devant la Cour que le code civil allemand ("buergerliches Gesetzbuch", ci-après "BGB") connaît la possession partielle ("Teilbesitz") d' un bien (11) et que la loi allemande relative à la propriété d' appartements (la "Wohnungseigentumsgesetz" ou WEG) prévoit certaines formes de propriété juridique ou économique partielle (12). Ensuite, toujours selon la Commission, l' article 93 du BGB dispose, uniquement à l' égard des "parties constitutives essentielles" d' un bien - c' est-à-dire les parties "qui ne peuvent pas être séparées les unes des autres sans que l' une ou l' autre soit détruite ou modifiée dans sa nature" - qu' elles ne peuvent pas être l' objet de droits particuliers. Or, on peut difficilement admettre (et, du reste, aucune des parties au litige ne le prétend) que les parties à usage professionnel et les parties à usage privé d' un seul et même immeuble sont comme telles des parties constitutives essentielles de cet immeuble au sens de la disposition précitée.

Enfin, il est apparu à l' audience que la législation allemande relative à la taxation de biens immeubles à usage professionnel prévoit, elle aussi, le fractionnement - obligatoire - en différentes entités d' un immeuble à usages multiples. Pourquoi un fractionnement similaire ne serait-il pas alors aussi possible dans le cas de la taxe sur le chiffre d' affaires?

8. Ainsi que nous l' avons dit, nous estimons dès lors que le droit civil allemand ne peut pas être déterminant pour l' interprétation de l' article 5, paragraphe 1, de la directive, tel qu' il a été transposé par l' article 3, paragraphe 1, de la UStG 1980. Au contraire, la manière dont ces articles doivent être interprétés doit être déduite de l' arrêt de la Cour, du 6 mai 1992, dans l' affaire de Jong (13).

Cet arrêt, qui a été rendu peu de temps après que le Bundesfinanzhof eut décidé, le 28 avril 1992, de déférer des questions préjudicielles dans le présent cas d' espèce, concerne l' article 5, paragraphe 6, de la directive. Cet article assimile à une livraison effectuée à titre onéreux, et imposable,

"le prélèvement par un assujetti d' un bien de son entreprise pour ses besoins privés ou ceux de son personnel ou qu' il transmet à titre gratuit ou, plus généralement, qu' il affecte à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien ou les éléments le composant ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée" (...).

9. L' entrepreneur de Jong avait acheté un terrain, sur lequel se trouvait un bâtiment, pour son usage privé et, partant, avec exonération de la taxe sur le chiffre d' affaires. Il a ensuite revendu la moitié du terrain sans facturer la taxe sur le chiffre d' affaires. Il a ensuite démoli l' édifice et construit, dans le cadre de son entreprise, deux maisons d' habitation, l' une pour le compte de l' acheteur précité, qui avait acheté la moitié du terrain, et l' autre pour lui-même. Il n' a alors utilisé cette dernière maison que pour son usage privé. Dans sa déclaration de la taxe sur le chiffre d' affaires, il a considéré comme imposables les biens et les services qu' il avait soustraits à son entreprise pour la construction de sa maison privée, et cela en vertu de l' article 5, paragraphe 6, précité. En revanche, il a estimé que le terrain était exonéré de la taxe, parce qu' il avait toujours fait partie de son patrimoine privé.

Or, l' administration fiscale néerlandaise avait décidé que le terrain, sur lequel la maison d' habitation avait été construite, devait également être considéré comme soumis à la taxe, et cela parce que

"la construction d' une maison d' habitation sur un terrain mis à la disposition de l' entreprise à cette fin avait donné naissance, au regard de la taxe sur le chiffre d' affaires, à un nouveau bien immeuble constitué par le bâtiment et le terrain attenant" (point 13).

La Cour a rejeté cette thèse et expressément affirmé que:

"il faut, indépendamment du point de savoir si le terrain et le bâtiment sont indissociables en vertu de la législation nationale, (...), distinguer, aux fins de l' application de l' article 5, paragraphe 6, de la sixième directive TVA, entre l' imposition d' un terrain qu' un assujetti détient à titre privé et l' imposition d' un bâtiment que l' assujetti a construit sur ce terrain dans le cadre de son activité professionnelle" (point 19).

10. La question préjudicielle, à laquelle la Cour a répondu dans l' affaire de Jong, n' est pas fondamentalement différente de la question qui nous occupe ici. Dans les deux cas, il s' agissait essentiellement de savoir si l' article 5 de la directive exige que deux éléments d' un seul et même ensemble immobilier (respectivement, un terrain et un bâtiment, ou la partie à usage professionnel et la partie à usage privé d' un bâtiment), qui peuvent être distingués entre eux du point de vue économique, mais qui sont apparemment indissolublement liés entre eux ou doivent être considérés comme un tout au regard du droit interne d' un Etat membre, ne peuvent donner lieu qu' à une opération imposable unique.

Or, il ressort clairement de l' arrêt de Jong qu' un terrain à bâtir, qui est et reste la propriété privative d' un assujetti, est soumis, en ce qui concerne la taxe sur le chiffre d' affaires, à un autre régime qu' un bâtiment que l' assujetti a construit sur ce terrain pour les besoins de son entreprise et qui fait dès lors partie de son patrimoine professionnel. La circonstance que, selon le droit national applicable, un bâtiment construit pour les besoins d' une entreprise forme un tout avec le terrain sur lequel ce bâtiment est construit et qui est détenu à titre privé n' a - contrairement à ce que le gouvernement néerlandais (mais pas le gouvernement allemand (14)) avait prétendu dans l' affaire de Jong (15) - pas pour effet qu' aux fins de l' application de la directive, le terrain et le bâtiment acquièrent le statut d' un bien unique, faisant partie du patrimoine professionnel de l' assujetti.

11. La présente affaire concerne, elle aussi, deux parties d' un seul et même ensemble immobilier, en l' espèce la partie à usage professionnel et la partie à usage privé d' un bâtiment, dont la partie à usage privé était déjà affectée à un usage privé avant le transfert et a apparemment aussi été transférée en tant que telle par l' assujetti. Tout comme dans l' affaire de Jong, il faut admettre qu' aux fins de l' application de la directive, les deux parties peuvent faire séparément l' objet d' un transfert. Il s' ensuit plus particulièrement que la partie à usage professionnel de l' immeuble peut faire comme telle l' objet d' une livraison au sens de l' article 5, paragraphe 1, de la directive. Cela n' est pas contredit par l' argument du Finanzamt, selon lequel le fait que l' immeuble contient un certain nombre de parties affectées à un usage privé et professionnel mixte rend impossible le fractionnement de ce bien en une partie à usage professionnel et une partie à usage privé (voir plus haut le paragraphe 3). En effet, il reste toujours possible de déterminer sous forme de pourcentage dans quelle mesure les parties communes sont affectées à un usage professionnel ou à un usage privé. Du reste, l' administration fiscale allemande (de la taxe sur le chiffre d' affaires) semble très familiarisée avec ce genre de calculs (16).

12. Par ailleurs, le raisonnement que nous avons développé ci-dessus et qui est déduit de l' arrêt de Jong nous semble être le plus en conformité avec l' article 5, paragraphe 1, de la directive. Selon cet article (voir plus haut le paragraphe 5), il faut considérer comme "livraison d' un bien" "le transfert du pouvoir de disposer d' un bien corporel comme un propriétaire". Nous déduisons de cette définition que c' est la fonction économique, que le cédant, en tant que titulaire du droit de disposition, a attribuée au bien ou à certaines parties de celui-ci, qui est déterminante. Or, il n' est pas contesté que M. Armbrecht avait déjà affecté certaines parties de son bien à un usage professionnel et d' autres à un usage privé avant le transfert.

Cela réfute d' emblée l' argument, avancé à l' audience, selon lequel un fractionnement en fonction de l' usage de biens immobiliers à vendre pourrait entraîner une soudaine modification dans l' objet de la transaction (17). En effet, ainsi qu' il ressort, selon nous, de l' article 5, paragraphe 1, l' élément déterminant est la situation du bien cédé au moment de la cession, c' est-à-dire le moment où le possesseur du bien a le "pouvoir de disposer (du bien) comme un propriétaire". C' est dès lors la manière dont le bien est fractionné au moment du transfert qui détermine le statut fiscal au regard de la directive; des modifications, effectuées après le transfert, ne peuvent rien y changer (18).

13. Nous tenons encore à préciser comme suit ce qui précède. Pour qu' il y ait exonération de la taxe sur le chiffre d' affaires, il faut que l' immeuble d' habitation à vendre soit resté en dehors du champ d' application du système de taxe sur le chiffre d' affaires ou en ait été soustrait. La partie d' un bien immeuble qui est affectée à un usage professionnel ne pourra dès lors faire l' objet d' une livraison imposable distincte - ou, en d' autres termes, la vente de la partie de ce bien qui est affectée à des fins privées ne sera exonérée de la taxe sur le chiffre d' affaires - que si la partie affectée à un usage privé fait aussi effectivement partie, au moment de la vente, du patrimoine privé du vendeur.

Tel n' est par exemple pas le cas, comme la Commission l' observe à juste titre, lorsqu' un vendeur a acquitté et déduit lui-même la taxe sur le chiffre d' affaires au moment où il a acheté l' immeuble. Dans ce cas, l' immeuble n' est pas entré dans le patrimoine privé de ce vendeur, bien qu' il ait été uniquement utilisé à des fins privées. La vente d' un immeuble utilisé à des fins privées ne sera pas non plus exonérée de la taxe sur le chiffre d' affaires dans le chef du vendeur si ce vendeur facture la taxe sur le chiffre d' affaires à son acheteur (19). En effet, le vendeur a fait implicitement savoir dans les deux cas que le bien immeuble entrait dans le champ d' application du système de la taxe sur le chiffre d' affaires.

Inversement, un vendeur qui n' avait pas lui-même acquitté et déduit la taxe sur le chiffre d' affaires au moment de l' achat et qui n' a ensuite rien fait pour faire entrer son habitation privée dans le champ d' application de cette taxe doit, selon nous, bénéficier d' une exonération de cette taxe en cas de vente de la partie privée de son immeuble.

14. Nous concluons dès lors, en réponse à la première question préjudicielle, que la partie d' un immeuble qui est utilisée à des fins professionnelles fait, au moment de la vente de ce bien, comme telle l' objet d' une livraison au sens de l' article 5, paragraphe 1, de la directive et que la partie du bien qui fait partie du patrimoine privé du vendeur - à condition qu' elle ait été maintenue par le vendeur en dehors du champ d' application de la taxe sur le chiffre d' affaires -, ne fait pas, avec la partie utilisée à des fins professionnelles, l' objet d' une livraison unique, imposable, au sens de la disposition précitée.

La deuxième question préjudicielle

15. Cette question concerne la déduction de la taxe payée en amont. Cette déduction, qui est traitée au chapitre XI (articles 17 à 20) de la directive, vise à empêcher que la taxe sur le chiffre d' affaires soit acquittée sur le prix intégral d' un bien ou d' un service, alors que les parties constitutives de ce bien ou de ce service avaient déjà été soumises antérieurement à cette taxe. Le système de la taxe payée en amont cherche ainsi à garantir la neutralité de la taxe sur le chiffre d' affaires, ainsi qu' il ressortait déjà de l' article 2 de la première directive TVA (20):

"Le principe du système commun de taxe sur la valeur ajoutée, est d' appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d' imposition.

A chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix. (...)" (les passages mis en italique le sont par nous).

16. L' article 17, paragraphe 2, de la sixième directive (qui est en cause en l' espèce), qui met ce principe en oeuvre (21), dispose que la taxe payée en amont peut être déduite "(d)ans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées". Le Bundesfinanzhof demande à la Cour si c' est tout le bien ou seulement la partie affectée à l' activité professionnelle d' un bien tel que celui de M. Armbrecht qui est utilisée pour les besoins des opérations taxées au sens de l' article précité.

Si, dans la réponse à la première question préjudicielle, la Cour n' était pas de notre avis et estimait qu' un chef d' entreprise tel que M. Armbrecht est aussi redevable de la taxe sur le chiffre d' affaires sur le prix de vente de la partie de l' immeuble qui est utilisée à des fins privées, aucun problème ne se pose. Dans ce cas, il est évident qu' il peut également déduire la taxe payée en amont sur cette partie du prix de vente. En revanche, un problème se pose si, comme nous le proposons, la Cour répond par l' affirmative à la première question préjudicielle. En effet, il faut se demander dans ce cas si un chef d' entreprise, qui n' est pas redevable de la taxe sur le chiffre d' affaires sur un montant déterminé, peut ou non déduire la taxe payée en amont sur ce montant.

17. Dans l' arrêt du 11 juillet 1991 dans l' affaire Lennartz, que nous avons déjà cité, la Cour a jugé qu' un assujetti, qui utilise un bien tant à des fins professionnelles qu' à des fins privées, a en principe un droit absolu à la déduction de la taxe payée en amont, "si réduite que soit la proportion de l' utilisation à des fins professionnelles" (22).

Toutefois, ainsi que le Bundesfinanzhof l' indique avec raison, il existe une différence importante entre la situation dans l' affaire Lennartz et la situation qui est en cause en l' espèce. L' affaire Lennartz concernait une voiture au sujet de laquelle on ne pouvait pas déterminer avec précision les parties qui étaient destinées à un usage privé et celles qui étaient destinées à un usage professionnel. En revanche, la présente affaire concerne un bien immobilier dans lequel on peut distinguer avec précision une partie à usage privé et une partie à usage professionnel. En d' autres termes, l' affaire Lennartz concernait un bien économique unique, imposable en tant que tel, et utilisé tant pour les besoins professionnels que pour les besoins privés. La présente affaire concerne deux parties d' un bien immobilier, qui doivent être considérées comme des biens économiques distincts (voir plus haut le paragraphe 10) et dont l' une est utilisée pour des besoins professionnels et est de ce fait imposable, et l' autre est utilisée pour des besoins privés et n' est donc pas imposable.

18. Selon nous, la partie non imposable n' entre pas en considération pour la déduction de la taxe payée en amont. En effet, la neutralité de principe du système de la taxe sur le chiffre d' affaires (voir plus haut le paragraphe 14) exige qu' il y ait un lien logique entre la mesure dans laquelle un bien est imposable et la mesure dans laquelle ce bien peut entraîner la déduction de la taxe payée en amont.

Ce lien est inscrit dans la directive elle-même, qui ne permet la déduction de la taxe payée en amont que "dans la mesure où" les biens et les services sont destinés à un usage imposable (voir plus haut le paragraphe 16). Il constitue également le point de départ de la jurisprudence de la Cour relative à la taxe sur le chiffre d' affaires frappant les biens immobiliers:

"Comme la Cour l' a relevé dans son arrêt du 5 mai 1982 (Schul, 15/81, Rec. p. 1409), un élément de base du système de la TVA consiste en ce qu' à chaque transaction la TVA n' est exigible que déduction faite du montant de la TVA qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix des biens et des services (...)" (le mot mis en italique l' est par nous) (23).

Le lien étroit entre l' imposabilité et la déductibilité de la taxe payée en amont serait mis en échec s' il était admis que la partie exonérée d' un bien immobilier peut néanmoins donner lieu à la déductibilité de la taxe payée en amont, et qui serait ainsi déduite de la taxe frappant la partie imposable du même bien.

19. En réponse à la deuxième question préjudicielle, nous concluons dès lors que la partie utilisée à des fins privées d' un bien immobilier, exonérée de la taxe sur le chiffre d' affaires en vertu de l' interprétation de l' article 5, paragraphe 1, qui est proposée plus haut (paragraphe 13), n' est pas utilisée pour les besoins d' opérations taxées au sens de l' article 17, paragraphe 2, de la directive, et ne peut dès lors pas donner lieu à la déduction de la taxe payée en amont. Du reste, nous tenons à souligner que cette conclusion est en conformité avec l' arrêt Lennartz. Dans cet arrêt, la Cour a jugé qu' une voiture, qui avait été intégralement soumise à la taxe sur le chiffre d' affaires au moment de sa vente, devait aussi donner lieu, intégralement et sans restrictions, à la déduction de la taxe payée en amont. D' une manière tout à fait analogue, nous proposons maintenant à la Cour de dire pour droit qu' un bien immobilier, qui n' est soumis qu' en partie à la taxe sur le chiffre d' affaires au moment de sa vente, ne peut aussi entraîner que la déduction partielle de la taxe payée en amont. Le raisonnement sous-jacent est le même.

La troisième question préjudicielle

20. Par sa troisième question, le Bundesfinanzhof souhaite savoir si une régularisation éventuelle de la déduction de la taxe payée en amont peut être limitée à la partie d' un bien immobilier qui est utilisée à des fins professionnelles. Une telle régularisation, qui est réglée en Allemagne par l' article 15a de la UStG 1980, fait l' objet de l' article 20 de la directive. Celui-ci dispose entre autres:

"1. La déduction initialement opérée est régularisée suivant les modalités fixées par les Etats membres, notamment:

a) lorsque la déduction est supérieure ou inférieure à celle que l' assujetti était en droit d' opérer;

b) lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration (...).

2. En ce qui concerne les biens d' investissements, une régularisation est opérée pendant une période de cinq années, dont celle au cours de laquelle le bien a été acquis ou fabriqué. (...)

En ce qui concerne les biens d' investissements immobiliers, la durée de la période servant de base au calcul des régularisations peut être portée jusqu' à dix ans."

21. De même que la réponse à la deuxième question préjudicielle résulte logiquement de la réponse à la première question, la réponse à la troisième question préjudicielle est comprise dans la réponse à la deuxième question. En réponse à cette question (voir plus haut le paragraphe 19), nous avons dit qu' une partie d' un bien immobilier, qui est utilisée à des fins privées et est exonérée de la taxe sur le chiffre d' affaires, n' est pas utilisée pour les besoins d' opérations taxées au sens de l' article 17, paragraphe 2, de la directive et ne peut donc pas donner lieu à la déduction de la taxe payée en amont. Or, lorsqu' il n' y a pas lieu d' opérer la déduction de la taxe payée en amont, il ne peut pas non plus y avoir régularisation d' une telle déduction.

22. La régularisation de la déduction de la taxe payée en amont au titre de l' article 20, paragraphe 2, de la directive peut donc certainement être limitée à la partie d' un bien immobilier qui est utilisée à des fins professionnelles, ce qui fait qu' il faut répondre par l' affirmative à la troisième question préjudicielle. Qui plus est, étant donné qu' il ne peut y avoir régularisation de la déduction que dans la mesure où la déduction elle-même est possible, la régularisation ne peut pas concerner la partie du bien immobilier qui fait partie du patrimoine privé du vendeur.

Conclusion

23. En conclusion, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions posées:

"1. La partie d' un bien immobilier qui est utilisée à des fins professionnelles fait, au moment de la vente de ce bien, comme telle l' objet d' une livraison au sens de l' article 5, paragraphe 1, de la directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, du moins pour autant que la partie à usage privé de ce bien immobilier fait, au moment de la vente, partie du patrimoine privé du vendeur et a été tenue par lui en dehors du champ d' application de la taxe sur le chiffre d' affaires.

2. Dans la mesure où la partie d' un bien immobilier qui est utilisée à des fins privées est, sur la base de ce qui précède, exonérée de la taxe sur le chiffre d' affaires, cette partie est réputée ne pas être utilisée pour les besoins d' opérations taxées au sens de l' article 17, paragraphe 2, de la directive 77/388/CEE.

3. La régularisation de la déduction de la taxe payée en amont en vertu de l' article 20, paragraphe 2, de la directive 77/388/CEE peut être limitée à la partie d' un bien immobilier qui est utilisée à des fins professionnelles. Du reste, cette régularisation ne peut pas concerner la partie d' un bien immobilier qui est utilisée à des fins privées et qui est exonérée de la taxe sur le chiffre d' affaires sur la base de ce qui est dit dans la réponse à la première question."

W. Van Gerven

(*) Langue originale: le néerlandais.

(1) - JO n L 145, du 13 juin 1977, p. 1.

(2) - Cela s' explique par la circonstance qu' une telle vente relève déjà de la Grunderwerbsteuergesetz , loi allemande relative à la taxe frappant les mutations en cas d' achat de terrains. Voir l' article 4, paragraphe 9, sous a), de la UStG 1980, qui correspond à l' article 13 B, sous g), de la directive.

(3) - Voir l' article 9 de la UStG 1980, qui correspond à l' article 13 C de la directive. Choisir la taxation peut être financièrement plus intéressant, parce que cela permet de déduire la taxe payée en amont (voir plus loin le paragraphe 15) (voir l' article 15, paragraphe 2, de la UStG 1980).

(4) - S' il est vrai que le prix d' achat, convenu dans l' acte notarié, s' élevait à 1 150 000 DM majoré de 13% de TVA , toutefois, la référence à la TVA n' aurait concerné que les parties à usage professionnel de l' immeuble.

(5) - Le Bundesfinanzhof cite à titre d' exemple l' installation de chauffage, le toit, la cage d' escalier et les parties essentielles pour la stabilité de la maison .

(6) - Plus particulièrement au sens de l' article 90 du Buergerliches Gesetzbuch (BGB).

(7) - Plus particulièrement au sens de l' article 3, paragraphe 1, de la UStG 1980.

(8) - Du reste, la Cour a déjà rejeté un raisonnement similaire dans un arrêt du 8 juillet 1986 (affaire 73/85, Kerrutt, Rec. 1986, p. 2219), qui concernait également la perception d' une taxe sur le chiffre d' affaires sur un immeuble. L' arrêt concernait la construction d' un immeuble dans le cadre d' un montage juridique dénommé Bauherrenmodell , par lequel des copropriétaires achètent un terrain et concluent un contrat d' entreprise pour la construction d' un immeuble sur ce terrain. En dépit de la jurisprudence du Bundesfinanzhof, selon laquelle le contrat d' achat et le contrat d' entreprise devaient être considérés comme une opération unique au regard de la Grunderwerbsteuer (voir plus haut la note 2), pour autant que l' existence de chacun des contrats partiels dépend de celle de l' autre (point 4), la Cour a affirmé que des prestations de services effectuées dans le cadre d' un contrat d' entreprise ne peuvent pas être considérées comme formant une unité avec la livraison d' un terrain par un entrepreneur autre que l' entrepreneur en cause (point 15).

(9) - Arrêt du 1er février 1977, affaire 51/76, Verbond van Nederlandse Ondernemingen, Rec. 1977, p. 113, points 10 et 11.

(10) - Arrêt du 8 février 1990, affaire C-320/88, Safe, Rec. 1990, p. I-285, point 8. Voir également le paragraphe 11 de nos conclusions dans le cadre de l' arrêt du 4 décembre 1990, affaire C-186/89, van Tiem, Rec. 1990, p. I-4363, à la page 4377.

(11) - L' article 865 du BGB est relatif à la possession d' une partie d' un bien, insbesondere abgesonderte Wohnraeume oder andere Raeume (en particulier des pièces séparées ou d' autres pièces).

(12) - La Commission cite le droit de propriété privatif ( Sondereigentum ), qui peut s' appliquer à un appartement ou à quelques pièces (article 3 de la WEG), ainsi que les concepts de bail perpétuel ou de bail commercial perpétuel (article 31 de la WEG).

(13) - Affaire C-20/91, Rec. 1992, p. I-2847.

(14) - Il convient de comparer succinctement le point de vue du gouvernement allemand dans l' affaire de Jong et dans la présente affaire. En vertu de l' article 94, paragraphe 1, du BGB, un terrain et un bâtiment construit sur celui-ci sont des parties constitutives essentielles , inséparables les unes des autres, d' un seul et même bien. Or, le gouvernement allemand a soutenu dans l' affaire de Jong, en même temps que la Commission, le point de vue selon lequel le terrain et le bâtiment peuvent être soumis à un statut séparé aux fins de la perception de la taxe sur le chiffre d' affaires. Nous ne comprenons pas pourquoi ce même gouvernement adopte maintenant un point de vue contraire, d' autant qu' il n' est maintenant pas clairement établi que les parties en question sont, selon le droit allemand, des parties constitutives essentielles d' un seul et même bien (voir plus haut le paragraphe 7).

(15) - Voir les points 13 et 14 de l' arrêt.

(16) - Voir à cet égard l' arrêt du 11 juillet 1991 dans l' affaire C-97/90, Lennartz, Rec. 1991, p. I-3795, qui mettait en cause une pratique administrative allemande prévoyant qu' il n' était pas tenu compte de l' usage professionnel de biens économiques lorsque cet usage représentait moins de 10 % de l' usage total.

(17) - La représentante du Finanzamt citait l' exemple de la vente d' un immeuble comprenant dix pièces. Le vendeur utilise trois pièces pour les besoins de son entreprise et les sept autres pièces à des fins privées. Or, l' acheteur souhaite utiliser cinq pièces à des fins professionnelles et cinq pièces à des fins privées. Si on admet que les parties à usage professionnel et les parties à usage privé sont des biens qui doivent être distinguées entre elles, ces biens changent de nature au moment de la vente. Trois pièces à usage professionnel sont livrées, mais cinq sont acquises, tandis que sur les sept pièces à usage privé qui sont livrées, cinq seulement sont obtenues.

(18) - Du reste, des modifications effectuées après le transfert peuvent aussi fondamentalement modifier l' objet de la transaction de vente dans le cas où le bien n' a pas été fractionné, par exemple parce qu' un commerçant vend son immeuble à usage professionnel à quelqu' un qui veut en faire un immeuble d' habitation.

(19) - Il incombe au juge national de déterminer si M. Armbrecht a ou non facturé la taxe sur le chiffre d' affaires pour l' habitation privée: voir plus haut la note 4.

(20) - Directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d' harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires (JO 1967, p. 1301). Pour l' évolution ultérieure de cet article, voir les conclusions de l' avocat général Jacobs se rapportant à l' arrêt Lennartz, Rec. 1991, p. I-3815.

(21) - Voir l' arrêt du 21 septembre 1988, affaire 50/87, Commission/France, Rec. 1988, p. 4797, point 23.

(22) - Arrêt Lennartz, déjà cité dans la note 16, point 35. Voir aussi les paragraphes 58 et 59 des conclusions de l' avocat général Jacobs, Rec. 1991, pp. I-3826 et I-3827.

(23) - Arrêt du 14 février 1985, affaire 268/83, Rompelman, Rec. 1985, p. 655, point 16. Cette affaire concernait l' acquisition (future) et la location d' un droit sur un appartement.