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Aviso jurídico importante

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61997C0391

Conclusiones del Abogado General Ruiz-Jarabo Colomer presentadas el 11 de marzo de 1999. - Frans Gschwind contra Finanzamt Aachen-Außenstadt. - Petición de decisión prejudicial: Finanzgericht Köln - Alemania. - Artículo 48 del Tratado CE (actualmente artículo 39 CE, tras su modificación) - Igualdad de trato - No residentes - Impuesto sobre la renta - Baremo de imposición para las parejas casadas. - Asunto C-391/97.

Recopilación de Jurisprudencia 1999 página I-05451


Conclusiones del abogado general


1 La présente affaire a pour origine une demande introduite en Allemagne par un travailleur employé dans cet État, de nationalité néerlandaise et résidant avec son épouse aux Pays-Bas; ce travailleur souhaite obtenir le droit d'opter pour la méthode et le barème d'imposition du «splitting», aux fins de l'assujettissement à l'impôt sur le revenu des personnes physiques. Le Finanzgericht Köln (Allemagne) pose à cet égard, conformément à l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle visant à savoir si les dispositions du droit communautaire qui régissent la libre circulation des travailleurs s'opposent à ce que ledit droit d'option, dont bénéficient dans tous les cas les couples résidant en Allemagne, soit subordonné, pour les couples non-résidents, à la condition que le revenu mondial du couple soit imposé en Allemagne à concurrence de 90 % au moins ou, à défaut, que le revenu du foyer perçu à l'étranger et non soumis à l'impôt dans cet État membre ne dépasse pas 24 000 DM par exercice fiscal.

I - La législation allemande en matière d'impôt sur le revenu

2 En vertu de l'article 1er, paragraphe 1, de l'Einkommensteuergesetz (loi allemande relative à l'impôt sur le revenu), les personnes physiques qui ont leur domicile ou leur résidence habituelle sur le territoire allemand sont intégralement assujetties à l'impôt (quel que soit le lieu de perception de leurs revenus). Conformément au paragraphe 4 du même article, les personnes physiques qui n'ont pas de domicile ni de résidence habituelle en Allemagne sont partiellement assujetties (uniquement sur les revenus perçus dans cet État).

3 En règle générale, les revenus du travail font l'objet d'une retenue à la source opérée par la personne qui verse le salaire. Pour l'application de cette retenue, les contribuables intégralement assujettis sont répartis en plusieurs classes d'imposition. Les célibataires relèvent de la classe I. Les personnes mariées non séparées relèvent de la classe III et ont le droit d'opter pour l'imposition conjointe avec application de la méthode et du barème d'imposition du «splitting» s'ils résident l'un et l'autre en Allemagne. Les contribuables partiellement assujettis relèvent, indépendamment de leur situation de famille, de la classe I.

4 Par suite de la modification législative intervenue en 1996 en vue d'adapter le régime de l'impôt sur le revenu des assujettis non-résidents à la jurisprudence développée par la Cour dans ses arrêts Schumacker (1) et Wielockx (2), l'assujetti marié qui ne possède ni domicile ni résidence habituelle en Allemagne peut, indépendamment de sa nationalité, être traité, à sa demande, comme intégralement assujetti à condition qu'au moins 90 % de son revenu mondial perçu au cours de l'exercice fiscal soient imposés en Allemagne ou que le revenu perçu à l'étranger, non soumis à l'impôt dans cet État, ne dépasse pas la somme de 12 000 DM.

5 Toutefois, l'assujetti ressortissant d'un État membre de l'Union européenne ou d'un État auquel s'applique l'accord sur l'Espace économique européen (3), domicilié dans l'un de ces États, peut être assimilé au contribuable intégralement assujetti et, comme tel, avoir le droit d'opter pour l'imposition conjointe et de relever de la classe III aux fins de la retenue à la source, sous réserve que soient remplies les conditions suivantes:

- que son conjoint ait son domicile ou sa résidence habituelle sur le territoire d'un autre État membre de l'Union européenne ou d'un État auquel s'applique l'accord sur l'Espace économique européen;

- et qu'au moins 90 % du revenu mondial du couple perçu au cours de l'exercice fiscal soient soumis à l'impôt en Allemagne ou, à défaut, que le revenu perçu à l'étranger, non soumis à l'impôt dans cet État, ne dépasse pas, au cours de la même période, la somme de 24 000 DM.

Dans ce cas, le conjoint est lui aussi traité comme intégralement assujetti, avec application de la méthode et du barème d'imposition du «splitting» pour déterminer le montant de l'impôt. Cette méthode, dont l'application est limitée aux couples mariés, se fonde sur la fiction que chacun des conjoints a contribué pour moitié au revenu global soumis à l'impôt. Pour déterminer le montant de l'impôt, on additionne les bases imposables des deux époux, la somme ainsi obtenue est divisée par deux, la formule mathématique fixée par la loi est appliquée à la moitié et le résultat est multiplié par deux. Le total représente la somme que doivent verser les conjoints.

L'application de cette méthode entraîne la reconnaissance de certains avantages fiscaux relatifs à la déduction de frais liés à la situation personnelle et familiale du couple (par exemple, la déduction du double de la somme forfaitaire prévue au titre des dépenses de prévoyance sociale, la déduction des frais de consultation de conseils fiscaux et celle des frais de formation professionnelle), quel que soit le conjoint en ayant bénéficié ou les ayant supportés.

Lorsque seul l'un des conjoints perçoit des revenus ou qu'il existe une grande différence entre les revenus de l'un et de l'autre, cette méthode permet d'atténuer la progressivité des taux. En revanche, ses avantages sont pratiquement neutralisés lorsque les revenus des deux conjoints sont plus ou moins équivalents.

6 Cette méthode a été adoptée à la suite d'un arrêt du Bundesverfassungsgericht rendu en 1957 et se fonde sur la règle fondamentale énoncée à l'article 6 de la Grundgesetz (constitution allemande), qui place la famille sous la protection spéciale de l'État. Cet arrêt a jugé que les époux ne pouvaient être soumis, du seul fait du mariage, à une charge fiscale plus lourde que les célibataires. Étant donné que l'imposition conjointe implique que les revenus des époux soient additionnés, qu'ils fassent l'objet d'une imputation commune et qu'ils soient considérés comme soumis à l'impôt à titre d'entité fiscale, le caractère progressif du barème d'imposition aurait pour conséquence, à défaut d'application de la méthode du «splitting» - qui permet d'atténuer la progressivité des taux -, que la charge fiscale serait plus élevée que si les conjoints avaient fait l'objet d'une imposition séparée. C'est la raison pour laquelle le législateur allemand a reconnu aux époux un droit d'option entre l'imposition individuelle et l'imposition conjointe (4).

II - Les faits du litige au principal

7 M. Gschwind, demandeur au principal, a la nationalité néerlandaise et réside aux Pays-Bas, dans une commune proche de la frontière allemande, avec son épouse et un enfant né en 1992. En 1991 et en 1992, qui sont les exercices fiscaux pour lesquels il attaque la liquidation de l'impôt sur le revenu que lui réclame l'administration défenderesse, le demandeur se rendait tous les jours ouvrables dans la ville d'Aix-la-Chapelle pour y travailler. Les revenus provenant de cette activité salariée, qui constituaient le seul revenu perçu à titre individuel par le demandeur au cours de ces deux exercices, ont été soumis à l'impôt en Allemagne en application de l'article 10, paragraphe 1, de la convention de double imposition conclue entre la République fédérale d'Allemagne et le royaume des Pays-Bas. Au cours de cette période, son épouse était employée aux Pays-Bas, où elle était intégralement assujettie.

8 Étant donné que les dispositions adoptées en 1996 sont applicables avec effet rétroactif aux liquidations en cours et permettent, à la demande de l'intéressé et dans certaines circonstances, que les contribuables mariés non-résidents soient traités comme intégralement assujettis, M. Gschwind a demandé à l'administration fiscale défenderesse d'imposer ses revenus conjointement avec ceux de son épouse en Allemagne pour les exercices 1991 et 1992, avec application de la méthode et du barème d'imposition du «splitting». Sa demande a été rejetée et il s'est vu appliquer le barème d'imposition de base au motif qu'il ne remplissait pas les conditions exigées par ces dispositions, à savoir qu'au moins 90 % du revenu mondial du couple soient soumis à l'impôt en Allemagne ou, à défaut, que le revenu global du couple de source étrangère, non soumis à l'impôt en Allemagne, ne dépasse pas le seuil absolu fixé à 24 000 DM par an.

9 Les réclamations formées par M. Gschwind ont été rejetées comme mal fondées par l'administration défenderesse, laquelle a déclaré que le texte de la loi s'opposait à ce que M. Gschwind et son épouse se voient reconnaître le droit d'opter pour la méthode et le barème d'imposition du «splitting». Par son recours devant le Finanzgericht Köln, le demandeur a repris sa demande (5).

III - La question préjudicielle

10 En vue de résoudre ce litige, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour, à titre préjudiciel, la question suivante:

«L'article 48 du traité CE s'oppose-t-il à ce que, en application des dispositions combinées de l'article 1er, paragraphe 3, deuxième phrase, et de l'article 1a, paragraphe 1, point 2, de l'Einkommensteuergesetz (loi allemande relative à l'impôt sur le revenu), un ressortissant néerlandais qui perçoit sur le territoire allemand des revenus salariaux imposables sans y posséder ni domicile ni résidence habituelle ainsi que son épouse non durablement séparée de lui, qui ne possède pas davantage de domicile ni de résidence habituelle sur le territoire fédéral et perçoit des revenus à l'étranger, ne soient pas traités, pour l'application de l'article 26, paragraphe 1, première phrase, de l'Einkommensteuergesetz (c'est-à-dire l'établissement de l'assiette commune de l'impôt), comme des contribuables intégralement assujettis au motif que le revenu global des époux pour l'année civile n'a pas été soumis à l'impôt allemand sur le revenu à concurrence de 90 % au moins et que leurs revenus non soumis à l'impôt allemand sur le revenu ont excédé 24 000 DM?»

IV - La législation communautaire

11 La juridiction nationale sollicite l'interprétation de l'article 48 du traité, lequel, pour ce qui intéresse le présent litige, dispose ce qui suit:

«...

2. [La libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté] implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

...»

V - Les observations présentées dans le cadre de la procédure préjudicielle

12 Des observations écrites ont été présentées, dans le délai fixé à cet effet par l'article 20 du statut CE de la Cour de justice, par le demandeur et l'administration fiscale défenderesse au principal, les gouvernements belge et allemand et la Commission. Lors de l'audience, qui a eu lieu le 26 janvier 1999, des observations orales ont été présentées par les représentants des parties au principal, du gouvernement allemand, du gouvernement néerlandais et de la Commission.

13 Le demandeur au principal soutient que les seuils dont la législation allemande assortit l'application de la méthode du «splitting», avec son barème d'imposition, aux ressortissants communautaires mariés ne résidant pas en Allemagne sont dépourvus de justification. Il estime logique que, lorsque le contribuable non-résident perçoit la quasi-totalité de son revenu dans l'État d'emploi, les déductions liées à sa situation personnelle lui soient accordées par ce dernier. Toutefois, cela ne vaut pas pour ce qui est du choix de la méthode du «splitting». La possibilité de voir prendre en considération la situation personnelle de l'assujetti à la fois dans l'État où il travaille et dans l'État où il réside n'existe pas si l'on applique cette méthode, puisque les revenus soumis à l'impôt dans l'État d'emploi n'y sont pas soumis dans l'État de résidence et ne peuvent donner lieu à l'octroi d'avantages liés à la situation familiale dans cet État, quel que soit leur pourcentage du revenu global.

14 Outre qu'il estime la question préjudicielle irrecevable, le Finanzamt Aachen-Außenstadt, administration fiscale défenderesse au principal, affirme que, en matière d'impôts directs, les conjoints résidant en Allemagne sont imposés dans cet État sur leur revenu mondial et que la situation des conjoints non-résidents n'est assimilée à celle des résidents que lorsque la quasi-totalité du revenu du foyer fiscal est soumise à l'impôt en Allemagne. C'est la raison pour laquelle on a subordonné à des conditions déterminées la prise en compte des revenus étrangers du couple pour la détermination du taux d'imposition aux fins de l'application de la règle de progressivité.

Par ailleurs, l'imposition conjointe des époux affecte la détermination de la base imposable; or, si elle s'appliquait aux non-résidents indépendamment du revenu perçu dans l'État de résidence, il pourrait se produire un cumul d'avantages fiscaux. Lorsque les époux sont imposés conjointement, la déduction forfaitaire au titre des dépenses de prévoyance sociale est doublée et les dépenses exceptionnelles ainsi que les charges extraordinaires sont considérées comme déductibles, quel que soit le conjoint en ayant bénéficié ou les ayant supportées. S'il y avait lieu de prendre en compte globalement les revenus d'un couple de non-résidents, sans assortir d'aucun seuil le revenu perçu par l'un des conjoints dans l'État de résidence, ses dépenses exceptionnelles et ses charges extraordinaires pourraient être prises en compte tant pour l'imposition dans cet État que pour l'imposition conjointe en Allemagne. A titre d'exemple, il ajoute que, dans le cas de M. Gschwind, si celui-ci pouvait opter en Allemagne pour la prise en compte conjointe de ses revenus et de ceux de son épouse, sa base imposable pourrait se trouver réduite de 3 510 DM pour les années 1991 et 1992, puisque la déduction pour dépenses de prévoyance sociale pourrait s'appliquer deux fois.

15 Le gouvernement belge estime que la méthode du «splitting» constitue un mode de détermination du taux d'imposition basé sur la capacité contributive de l'entité économique formée par le couple. Il considère qu'elle doit être appliquée dans les mêmes conditions aux résidents et aux non-résidents puisque, n'ayant pas pour finalité l'octroi d'un avantage fiscal lié à la situation personnelle ou familiale du contribuable, il n'y a pas lieu de craindre qu'elle puisse être cumulée avec des avantages fiscaux accordés dans l'État de résidence. Il propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle par l'affirmative, étant donné que l'article 1er, paragraphe 3, de la loi allemande litigieuse pénalise les contribuables non-résidents qui perçoivent en Allemagne la totalité ou la quasi-totalité de leurs revenus, sans qu'il existe aucune différence entre la situation objective de ces non-résidents et celle des personnes résidant en Allemagne.

16 Le gouvernement allemand affirme que, en 1991 et en 1992, M. Gschwind a été traité comme un résident. Pour la détermination de son revenu net, il a été procédé à une déduction pour frais professionnels puis à une déduction pour frais de formation et pour dépenses de prévoyance sociale. En outre, en 1992, année de naissance de son enfant, il a eu droit à la déduction pour enfant à charge.

Il indique que, aux Pays-Bas, les couples mariés font l'objet d'une imposition individuelle, de sorte que la situation personnelle et familiale de l'épouse du demandeur est prise en compte conformément à la législation de cet État. Le demandeur ne perçoit pas de revenus aux Pays-Bas et ceux qu'il perçoit en Allemagne ne sont pas soumis à l'impôt dans cet État, conformément à l'article 10 de la convention entre la République fédérale d'Allemagne et le royaume des Pays-Bas visant à éviter la double imposition. Il n'aura donc pas de revenu imposable dans l'État de résidence et le revenu perçu en Allemagne ne sera pas pris en compte conjointement avec celui de son épouse aux fins de l'application de la règle de progressivité, puisque, aux Pays-Bas, la possibilité d'imposition conjointe des couples n'existe pas.

Il ajoute que, s'il y avait lieu de faire droit aux conclusions du demandeur, son épouse et lui-même se trouveraient dans une situation fiscale plus avantageuse que celle des époux résidant en Allemagne. Si l'on appliquait aux revenus perçus par l'épouse aux Pays-Bas la règle de progressivité, on aboutirait au calcul d'une base imposable commune par la méthode du «splitting» et les époux Gschwind obtiendraient que chacun d'eux soit imposé sur la moitié des revenus communs en tant que célibataire, avec pour conséquence le droit à deux déductions pratiquées sur l'ensemble des revenus. Or, par rapport à l'imposition individuelle, cette méthode a pour effet d'appliquer au conjoint qui perçoit des revenus plus élevés un taux d'imposition plus faible que le taux correspondant normalement à sa situation et au conjoint qui perçoit des revenus moins élevés un taux d'imposition supérieur. Comme le demandeur au principal perçoit les revenus les plus élevés du couple, il serait globalement soumis à un taux d'imposition plus faible s'il y avait lieu de prendre en compte les revenus de son épouse et si l'on effectuait deux déductions sur l'ensemble des revenus au lieu d'une, alors que l'épouse ne se verrait pas appliquer un taux d'imposition supérieur, étant donné que les revenus de l'époux ne s'ajouteraient pas à ceux de l'épouse aux Pays-Bas, celle-ci y étant imposée à titre individuel.

17 Le gouvernement néerlandais a confirmé à l'audience que le revenu perçu par M. Gschwind en Allemagne n'était pas soumis à l'impôt aux Pays-Bas et que, dès lors, il n'avait droit à aucune déduction. La législation néerlandaise dispose que, dans un tel cas, le droit de procéder à des déductions en raison du mariage, qui appartient, en principe, au conjoint ayant les revenus les plus élevés, est transféré à l'autre conjoint, de sorte que le mariage est pris en considération dans l'État de résidence du couple au moyen des déductions dont peut bénéficier Mme Gschwind.

18 La Commission estime que la méthode du «splitting» avec progressivité répond à l'objectif d'imposer l'assujetti en fonction de sa capacité contributive et qu'elle peut être appliquée indépendamment des seuils fixés actuellement par la loi allemande. En effet, le taux résultant du barème d'imposition du «splitting» ne s'appliquerait pas directement à la base imposable commune des époux, qui se compose des revenus bruts de M. Gschwind diminués des déductions auxquelles il a droit; à cette base imposable seraient ajoutés les revenus perçus par son épouse aux Pays-Bas, non soumis à l'impôt en Allemagne, afin de tenir compte de la progressivité de l'impôt. On appliquerait ensuite le «splitting» à la somme ainsi obtenue, comme s'il s'agissait de la base imposable commune des époux, ce qui permet d'obtenir le taux moyen d'imposition; celui-ci sera plus élevé que si le «splitting» concernait uniquement les revenus de M. Gschwind, mais plus faible que celui qui s'appliquerait aux célibataires en vertu du barème d'imposition de base.

Elle affirme que le refus d'appliquer le «splitting» avec progressivité aux revenus du demandeur est contraire à l'article 48 du traité. Le demandeur est un ressortissant d'un État membre ayant exercé son droit de libre circulation en se rendant des Pays-Bas en Allemagne pour y exercer une activité salariée et il ne saurait être traité de façon moins favorable que les nationaux se trouvant dans la même situation.

En ce qui concerne le taux d'imposition, elle soutient que les résidents et les non-résidents se trouvent dans une situation comparable à condition que les non-résidents n'échappent pas à la progressivité de l'impôt du fait que leur obligation fiscale est limitée aux revenus perçus dans l'État d'emploi. M. Gschwind remplirait cette exigence puisque le «splitting» lui serait appliqué en combinaison avec la progressivité du barème d'imposition.

A titre subsidiaire, elle indique qu'il ne lui semble pas cohérent que la loi allemande prenne en compte les revenus des deux conjoints pour décider que le seuil relatif des revenus imposables en Allemagne se situe à 90 % alors que seul le revenu de l'un des conjoints est soumis à l'impôt dans cet État.

VI - Examen de la question préjudicielle

A - Sur la recevabilité

19 L'administration fiscale défenderesse au principal estime que la question préjudicielle est irrecevable au motif que la juridiction qui l'a posée n'a pas défini clairement son objet et que la question relative à une éventuelle discrimination au détriment du demandeur, qui sollicite d'être imposé selon une modalité non envisagée par la loi relative à l'impôt sur le revenu, même pour les contribuables résidents, constitue une question hypothétique.

Je ne partage pas ce point de vue. En premier lieu, l'objet de la question préjudicielle a été bien défini dans l'ordonnance de renvoi. En second lieu, on ne saurait considérer qu'une question posée au titre de l'article 177 du traité par une juridiction nationale est hypothétique au sens de la jurisprudence de la Cour (6) au motif que la législation litigieuse n'envisage pas l'octroi au demandeur de ce qu'il sollicite, puisque, dans une procédure préjudicielle, il ne s'agit pas de statuer sur une loi nationale, mais d'interpréter le droit communautaire applicable à une situation déterminée. Comme je l'exposerai plus loin, la loi allemande qui s'appliquait à M. Schumacker n'envisageait pas non plus le droit d'un travailleur se trouvant dans son cas à ce que sa situation personnelle et familiale soit prise en considération dans l'État d'emploi; cela n'a pas empêché la Cour de rendre l'un des arrêts les plus importants de ces dernières années en matière de fiscalité directe et de libre circulation des travailleurs (7). Les spécialistes du droit communautaire savent fort bien que, si la Cour avait considéré comme hypothétiques les questions posées par les juridictions nationales dans de tels cas, la construction européenne aurait très peu avancé.

B - Sur le fond

20 Par sa question préjudicielle, le Finanzgericht Köln souhaite savoir si l'article 48 du traité s'oppose à ce que la législation allemande en matière d'impôt sur le revenu, qui reconnaît aux couples mariés résidents le droit d'opter pour la méthode et le barème d'imposition du «splitting», exige des couples mariés non-résidents, pour pouvoir bénéficier de cet avantage fiscal, qu'au moins 90 % de leur revenu mondial soient soumis à l'impôt en Allemagne ou, à défaut, que les revenus de source étrangère, non soumis à l'impôt en Allemagne, ne dépassent pas 24 000 DM.

21 Les participants à la présente procédure qui ont présenté des observations sont d'accord pour affirmer que la modification législative intervenue en 1996 en Allemagne découle de la jurisprudence de la Cour et, en particulier, de l'arrêt Schumacker. Avant de proposer une réponse à la question préjudicielle, j'examinerai de plus près cette jurisprudence.

a) Les limites que l'article 48 du traité impose aux États membres dans l'exercice de leurs prérogatives fiscales en matière d'impôts directs

22 En avril 1991, le Finanzgericht Köln a déféré à la Cour une série de questions préjudicielles dans le cadre d'un recours engagé par M. Werner, ressortissant allemand qui résidait aux Pays-Bas depuis 1961. Il a obtenu ses titres professionnels en Allemagne et a travaillé pendant vingt ans comme dentiste salarié dans un cabinet situé à Aix-la-Chapelle. A la fin 1981, il s'est établi à son compte dans cette ville et a engagé comme salariée son épouse, de nationalité néerlandaise et résidant, comme lui, aux Pays-Bas. C'est à l'Allemagne qu'il revenait d'imposer les revenus tirés par M. Werner dans cet État de son activité non salariée; quant au salaire de Mme Werner, il faisait l'objet d'un impôt forfaitaire, retenu à la source par son mari en sa qualité d'employeur. Aucun des deux époux ne percevait de revenus aux Pays-Bas. Le litige au principal avait pour origine la demande présentée par M. Werner aux autorités fiscales allemandes et visant à ce que celles-ci le considèrent comme intégralement assujetti, afin qu'il puisse bénéficier de la méthode et du barème d'imposition du «splitting». L'administration fiscale a rejeté cette demande et a estimé qu'il y avait lieu de le considérer comme partiellement assujetti à l'impôt sur le revenu.

La juridiction nationale s'est demandé si les articles 7 et 52 du traité CE s'opposaient à ce qu'une personne résidant dans un État membre qui percevait l'essentiel de ses revenus dans un autre État membre ne puisse bénéficier dans ce dernier État d'avantages tels que la méthode et le barème d'imposition du «splitting» ou de la déduction de certaines dépenses, dont pouvaient bénéficier les assujettis résidant dans cet État.

23 Dans son arrêt (8), la Cour, à l'instar de son avocat général (9), a estimé qu'il n'y avait pas lieu de répondre à cette question, au motif que l'on se trouvait en présence d'une situation purement interne, à laquelle le droit communautaire n'était pas applicable. En effet, M. Werner, qui avait la nationalité allemande et avait acquis en Allemagne sa qualification professionnelle, avait toujours exercé son activité professionnelle dans ce pays et se voyait appliquer la législation fiscale allemande, le seul élément qui sortait du cadre purement national étant le fait qu'il résidait dans un autre État membre, sans avoir fait usage de son droit de libre circulation pour s'établir ailleurs dans la Communauté. Pour cette raison, la Cour a accepté, dans cet arrêt, qu'un État membre frappe l'un de ses ressortissants d'une charge fiscale plus lourde lorsqu'il ne résidait pas sur son territoire (10) .

24 En avril 1993, trois mois à peine après avoir rendu cet arrêt, la Cour a été saisie des questions posées par le Bundesfinanzhof, dans le cadre d'un litige entre le Finanzamt Köln et M. Schumacker, de nationalité belge et résidant en Belgique, sur les conditions d'assujettissement à l'impôt sur les revenus du travail salarié perçus par lui en Allemagne. Cette fois-ci, les questions ont reçu une réponse.

25 En statuant sur cette affaire, la Cour a posé différents principes qui seront d'une grande utilité pour la solution de la présente affaire. Elle a déclaré, en premier lieu, que l'article 48 du traité était susceptible de limiter le droit pour un État membre de prévoir les conditions d'assujettissement et les modalités d'imposition des revenus perçus sur son territoire par un ressortissant d'un autre État membre, dans la mesure où cet article, en matière de perception des impôts directs, ne permet pas à un État membre de traiter un ressortissant d'un autre État membre qui, ayant fait usage de son droit de libre circulation, exerce une activité salariée sur le territoire du premier État de façon moins favorable qu'un ressortissant national se trouvant dans la même situation (11).

26 En second lieu, elle a estimé qu'une réglementation qui s'applique indépendamment de la nationalité du contribuable concerné, mais qui prévoit une distinction fondée sur le critère de la résidence en ce sens qu'elle refuse aux non-résidents certains avantages accordés aux résidents, était susceptible de constituer une discrimination indirecte selon la nationalité puisque, les non-résidents étant le plus souvent des non-nationaux, ce sont principalement les ressortissants d'autres États membres qui seront défavorisés (12).

Cependant, en matière d'impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont, en général, pas comparables, de sorte que le fait pour un État membre de ne pas faire bénéficier un non-résident de certains avantages fiscaux qu'il accorde à un résident n'est, en règle générale, pas discriminatoire et l'article 48 du traité ne s'oppose pas, en principe, à ce qu'un État membre impose un non-résident occupant un emploi salarié sur son territoire plus lourdement sur ses revenus qu'un résident occupant le même emploi (13).

27 Pour parvenir à cette conclusion, la Cour avait tenu compte du fait que les revenus perçus sur le territoire d'un État par un non-résident ne constituent le plus souvent qu'une partie de ses revenus globaux, centralisés dans l'État où il réside, et que la capacité contributive personnelle d'un non-résident, résultant de la prise en compte de l'ensemble de ses revenus et de sa situation personnelle et familiale, peut s'apprécier le plus aisément à l'endroit où il a le centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux, qui correspond en général à sa résidence habituelle. Cette situation est différente de celle du contribuable résident qui perçoit normalement l'essentiel de ses revenus dans l'État de résidence, qui dispose généralement de toutes les informations nécessaires pour apprécier sa capacité contributive globale, compte tenu de sa situation personnelle et familiale (14).

La distinction entre assujettis résidents et assujettis non-résidents est objective. La résidence est le critère d'assujettissement à l'impôt sur lequel, aujourd'hui encore, se fonde le droit fiscal international, qui trouve son expression dans le modèle de convention de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière de double imposition (15).

28 Toutefois, la situation de M. Schumacker ne correspondait pas à ce schéma général, dans la mesure où il tirait l'essentiel de ses ressources imposables d'une activité exercée en Allemagne et où, tout en résidant en Belgique, il ne percevait pas de revenus significatifs dans cet État, de sorte que celui-ci n'était pas en mesure de lui accorder les avantages résultant de sa situation personnelle et familiale.

La Cour a estimé qu'il n'existait entre un tel non-résident et un résident exerçant une activité salariée comparable aucune différence de situation objective de nature à fonder une différence de traitement en ce qui concerne la prise en considération, aux fins de l'impôt sur le revenu, de la situation personnelle et familiale du contribuable et que, s'agissant d'un non-résident qui perçoit, dans un État membre autre que celui de sa résidence, l'essentiel de ses revenus et la quasi-totalité de ses revenus familiaux (16), la discrimination consistait en ce que la situation personnelle et familiale de ce non-résident n'était prise en compte ni dans l'État de résidence ni dans l'État d'emploi (17).

29 La Cour n'a admis, comme justification de cette discrimination, ni la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal applicable en évitant que la situation personnelle et familiale du non-résident soit prise en compte doublement, puisque, dans le cas de M. Schumacker, la charge fiscale dans l'État de résidence était insuffisante à cet effet, ni les difficultés d'ordre administratif que rencontrerait l'État membre d'emploi pour appréhender les revenus perçus, dans leur État de résidence, par les non-résidents travaillant sur son territoire, puisque la directive 77/799/CEE (18) offre des possibilités d'obtenir des informations comparables à celles existant entre les services fiscaux sur le plan interne.

30 La Cour s'est prononcée dans le même sens dans l'arrêt Wielockx, rendu quelques mois après (19). M. Wielockx était un ressortissant belge résidant dans son pays qui exerçait, en qualité d'associé indépendant, la profession de physiothérapeute aux Pays-Bas, où il percevait la totalité de ses revenus et où ceux-ci étaient imposés en vertu de la convention conclue entre les deux États pour éviter la double imposition. Alors que la loi relative à l'impôt sur le revenu autorisait les contribuables non-résidents qui percevaient 90 % de leur revenu mondial aux Pays-Bas à procéder à des déductions au titre des engagements personnels et des charges extraordinaires, il ne leur était pas permis de déduire la dotation à la réserve-vieillesse (20). En revanche, les contribuables résidents pouvaient déduire du revenu qu'ils tiraient de leur entreprise les dotations à la réserve-vieillesse et ce revenu était augmenté des sommes prélevées sur la réserve. Lorsque l'intéressé atteignait l'âge de 65 ans, la réserve-vieillesse était supprimée; elle était alors qualifiée de revenu et soumise au paiement de l'impôt, soit en une seule fois sur le capital total, soit de façon différée sur les revenus de ce capital versés périodiquement.

31 Dans cet arrêt, la Cour s'est prononcée dans le sens suivant: si, pour ce qui concerne les déductions de son revenu imposable, le contribuable non-résident n'est pas soumis au même traitement fiscal que son homologue résident, sa situation personnelle ne sera prise en compte ni par l'administration fiscale de l'État où il exerce ses activités professionnelles, parce qu'il n'y réside pas, ni par l'État de résidence, parce qu'il n'y perçoit aucun revenu, de sorte qu'il subira une imposition globale plus importante et sera désavantagé par rapport à son homologue résident. La discrimination s'est produite, dans ce cas, parce que le contribuable non-résident, qui percevait la totalité de ses revenus dans l'État où il exerçait ses activités professionnelles, n'avait pas le droit de constituer une réserve-vieillesse déductible dans les mêmes conditions fiscales que le contribuable résident.

32 Toutefois, dans cette affaire, où le contribuable demandait le droit de procéder à une déduction au titre de sa situation personnelle, le point de savoir si celui-ci percevait également la totalité ou la quasi-totalité du revenu de son foyer fiscal dans l'État membre où il exerçait ses activités professionnelles n'a été ni constaté ni discuté.

b) La réponse à la question préjudicielle

33 Comme je l'ai indiqué en exposant la législation allemande en vigueur, les ressortissants communautaires mariés qui résident avec leur conjoint dans un autre État membre et qui remplissent les conditions requises ont actuellement la possibilité d'être considérés comme intégralement assujettis, les revenus de source étrangère étant pris en compte pour l'application de la progressivité de l'impôt, et ont le droit de procéder à des déductions au titre de leur situation personnelle et familiale, telles que les déductions pour frais professionnels, pour dépenses de prévoyance sociale et pour enfants à charge; de même, ils bénéficient du droit d'opter pour la méthode et le barème d'imposition du «splitting».

34 Le demandeur au principal reconnaît que les nouvelles dispositions permettent de traiter les ressortissants communautaires non-résidents qui perçoivent des revenus soumis à l'impôt sur le revenu en Allemagne de façon équitable et conforme au droit communautaire. Il affirme toutefois que les travailleurs communautaires mariés ne résidant pas en Allemagne et ne remplissant pas les conditions prescrites par la loi pour faire l'objet d'une imposition conjointe subissent des désavantages considérables par rapport aux contribuables mariés résidents. Ces désavantages consistent dans l'impossibilité de déduire deux fois de la base imposable le forfait au titre des dépenses de prévoyance sociale et, surtout, dans le refus qui leur est opposé d'opter pour la méthode et le barème d'imposition du «splitting». A son avis, étant donné que les couples résidant en Allemagne disposent de ce droit d'option, même s'ils perçoivent des revenus de source étrangère non soumis à l'impôt en Allemagne, les travailleurs non-résidents qui se trouvent dans une situation semblable doivent disposer du même droit d'option.

35 Il résulte des documents figurant au dossier que les revenus professionnels perçus par M. Gschwind en Allemagne se sont élevés en 1992 à 84 047 DM et ont représenté la totalité de son propre revenu et 58,32 % du revenu du couple, tandis que les revenus de son épouse aux Pays-Bas se sont élevés, au cours du même exercice, à 55 209 DM et ont représenté également la totalité de son propre revenu et 41,68 % du revenu du couple. Conformément à la loi allemande, dans ces circonstances, la seule manière leur permettant d'opter pour une imposition conjointe aurait consisté à ce que l'un et l'autre établissent une résidence effective, fût-elle secondaire, sur le territoire allemand, la possession d'une telle résidence par le seul M. Gschwind étant insuffisante.

36 La thèse de M. Gschwind consiste à soutenir que, bien qu'il ne réside pas avec son épouse en Allemagne, que les revenus perçus par le couple ne sont soumis à l'impôt dans cet État qu'à concurrence de 58,32 % et que les revenus de source étrangère représentent plus du double du seuil absolu fixé à 24 000 DM, il doit, en vertu du droit communautaire, recevoir le même traitement fiscal que si lui et son épouse remplissaient la condition de résidence commune dans cet État.

37 Je ne partage pas ce point de vue, pour les raisons que j'exposerai ci-après.

38 Selon la jurisprudence de la Cour, les règles d'égalité de traitement prohibent non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (21).

39 Comme dans l'affaire Schumacker, la réglementation litigieuse s'applique indépendamment de la nationalité de l'assujetti. Toutefois, lorsque, pour apprécier du point de vue fiscal la situation matrimoniale de l'assujetti, une réglementation opère une distinction fondée sur la résidence ou sur l'importance du revenu de source étrangère du couple et impose des conditions qui peuvent être plus aisément remplies par les résidents que par les non-résidents, on peut craindre que les ressortissants des autres États membres soient pénalisés dans une plus large mesure, puisque les non-résidents sont plus souvent des non-nationaux. Dans ces conditions, il est exact qu'une réglementation présentant de telles caractéristiques est susceptible de produire une discrimination indirecte fondée sur la nationalité.

40 Cependant, toujours selon la jurisprudence de la Cour, une discrimination ne peut consister que dans l'application de règles différentes à des situations comparables ou bien dans l'application de la même règle à des situations différentes (22).

41 Pour déterminer s'il y a une telle discrimination indirecte fondée sur la nationalité, il y a lieu de rechercher si, au regard de l'application à M. Gschwind d'une règle différente de celle appliquée aux assujettis résidents, celui-là et ceux-ci se trouvent dans une situation comparable, auquel cas la réponse sera affirmative, ou si, au contraire, ils sont dans une situation différente, auquel cas la réponse devra être négative.

42 A cet égard, il faut attacher une importance particulière à l'affirmation de la Cour selon laquelle, en matière d'impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont pas comparables. Je crois que cette appréciation doit toujours servir de point de départ lorsqu'il s'agit de concilier le principe d'égalité de traitement en faveur des travailleurs faisant usage de leur droit de libre circulation et les prérogatives fiscales des États membres en matière d'impôts directs. A mon avis, lorsqu'elle a rendu les arrêts Schumacker et Wielockx, la Cour n'a pas entendu en finir avec le principe généralement admis par le droit fiscal international, incorporé dans le droit des États membres par le biais du modèle de convention de l'OCDE en matière de double imposition, et selon lequel il appartient à l'État de résidence d'imposer l'assujetti de façon globale, en tenant compte des éléments relevant de sa situation personnelle et familiale.

43 La situation de M. Schumacker et celle de M. Gschwind ont seulement en commun, d'une part, le fait que ni eux ni leurs conjoints ne résidaient en Allemagne et, d'autre part, que, au cours d'un exercice fiscal déterminé, l'un et l'autre percevaient la totalité de leurs revenus en Allemagne.

Les différences qui les séparent sont, en revanche, déterminantes. En premier lieu, pour M. Schumacker, ses revenus constituaient également la quasi-totalité des revenus de son foyer fiscal alors que, dans le cas de M. Gschwind, ils représentent un peu plus de la moitié du revenu familial, plus exactement 58,38 % en 1991 et 58,32 % en 1992. En second lieu, ni M. Schumacker ni son épouse n'avaient dans leur État de résidence des revenus significatifs permettant la prise en compte de leur situation personnelle et familiale, alors que, même si M. Gschwind n'avait pas de revenus dans l'État de résidence, son épouse y percevait 41,62 % du revenu du foyer fiscal en 1991 et 41,68 % en 1992. En outre, la République fédérale d'Allemagne a modifié sa législation de sorte à accorder à un travailleur comme M. Gschwind les mêmes déductions liées à sa situation personnelle et familiale que celles dont bénéficie un résident. La seule exception que l'on constate réside dans le fait qu'on lui refuse le droit d'opter pour l'imposition conjointe de ses revenus avec ceux de son épouse au motif que, puisque plus de 41 % du revenu mondial du couple sont perçus dans l'État de résidence, ce revenu est suffisamment significatif pour permettre à cet État de prendre en compte la situation familiale de l'assujetti.

44 J'ai rappelé le cas de M. Schumacker, qui était victime d'une discrimination parce que, alors qu'il se trouvait dans une situation comparable aux fins de l'impôt sur le revenu à celle d'un résident occupant le même emploi, sa situation personnelle et familiale n'était prise en compte ni dans l'État d'emploi ni dans l'État de résidence. J'ai également démontré que la situation de M. Gschwind se différenciait nettement de celle de M. Schumacker.

Il me reste à examiner s'il existe des différences objectives entre la situation de M. Gschwind en tant qu'assujetti à l'impôt sur le revenu en Allemagne et celle d'un assujetti résident occupant le même emploi.

45 Pour rechercher si M. Gschwind fait l'objet d'une discrimination dissimulée fondée sur la nationalité, il est inutile de le comparer à un contribuable résidant en Allemagne dont l'épouse réside dans un autre État membre, puisque le droit d'opter pour l'application de la méthode et du barème d'imposition du «splitting», qu'il sollicite, est lié au mariage et n'est accordé sans conditions qu'aux personnes mariées non séparées qui sont l'une et l'autre résidentes. A mon avis, la comparaison doit être effectuée avec un couple résidant en Allemagne dont l'un des conjoints travaille aux Pays-Bas.

46 Il existe des différences objectives considérables entre la situation d'un couple marié résidant en Allemagne dont l'un des conjoints travaille aux Pays-Bas et celle de M. et Mme Gschwind: dans le cas du couple de résidents, l'un des conjoints sera partiellement assujetti aux Pays-Bas, mais le couple restera soumis à l'impôt en Allemagne à raison de la totalité de son revenu, avec pour conséquence qu'il pourra opter pour l'imposition conjointe puisque c'est dans cet État que sera prise en compte sa situation personnelle et familiale. En revanche, dans le cas de M. et Mme Gschwind, l'épouse est une travailleuse sédentaire intégralement assujettie aux Pays-Bas, où est prise en compte sa situation personnelle et où elle bénéficie des déductions reconnues en faveur des couples mariés. En outre, ni elle ni les revenus qu'elle perçoit, qui représentent plus de 41 % du total gagné par le couple, n'ont aucun lien matériel ou personnel avec le territoire allemand justifiant que ces revenus soient pris en compte dans cet État aux fins de réduire la charge fiscale de son époux.

Comme l'indique le gouvernement allemand, il est constant que, M. Gschwind percevant les revenus les plus élevés du couple, il serait globalement soumis à un taux d'imposition plus faible s'il y avait lieu de prendre en compte les revenus de son épouse et si l'on effectuait deux déductions au lieu d'une sur l'ensemble des revenus, tandis que l'épouse ne se verrait pas appliquer un taux d'imposition plus élevé, puisque les revenus des deux époux ne seraient pas additionnés aux Pays-Bas, Mme Gschwind étant imposée à titre individuel.

En outre, le revenu de Mme Gschwind ne doit être imposé qu'aux Pays-Bas. Dans le cas contraire, le même fait générateur serait soumis deux fois à l'impôt, sans possibilité d'appliquer, aux Pays-Bas, ni la méthode de l'exonération ni celle de l'imputation; il y aurait alors deux États qui imposeraient le revenu mondial de Mme Gschwind comme États de résidence (23).

47 A mon avis, la thèse de M. Gschwind ne pourrait être accueillie, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, que si, du fait qu'il a exercé son droit de libre circulation, sa situation personnelle et familiale ne pouvait être prise en compte ni dans l'État d'emploi ni dans l'État de résidence.

Or, l'État d'emploi lui accorde toutes les déductions personnelles et familiales qu'il reconnaît aux résidents, à l'exception des avantages inhérents à la méthode du «splitting» tels que la double déduction du forfait pour dépenses de prévoyance sociale ou la déduction des dépenses pour la consultation de conseils fiscaux, quel que soit le conjoint qui en a bénéficié ou qui les a supportées. Cela s'explique, à mon avis, par le fait que le conjoint en faveur duquel s'opérerait la deuxième déduction est non-résident, travaille dans un autre État membre et tire de son travail des revenus suffisants non seulement pour être affilié à la sécurité sociale de cet État, mais également pour y être assujetti à l'impôt, de sorte que sa situation personnelle et familiale sera prise en compte dans cet État conformément à sa réglementation. Je ne vois pas pourquoi la République fédérale d'Allemagne devrait permettre à M. Gschwind de déduire deux fois de la base imposable conjointe la somme de 3 510 DM à titre de dépenses de prévoyance sociale alors que son épouse est employée aux Pays-Bas, qu'elle cotise dans cet État membre et qu'il y a lieu de supposer que ces cotisations sont prises en compte pour la liquidation de ses impôts.

48 La Cour s'est prononcée, dans son récent arrêt Gilly (24), sur le fait que la République fédérale d'Allemagne, en tant qu'État d'emploi, ne prenait pas en compte la situation familiale du contribuable non-résident. Dans cette décision, elle a affirmé que, alors même que le contribuable obtenait, à titre individuel, ses revenus salariaux en Allemagne, ceux-ci étaient englobés dans l'assiette de l'impôt sur les revenus des personnes physiques de son foyer fiscal, en France, où il bénéficiait, en conséquence, des avantages fiscaux, abattements et déductions prévus par la législation française; la Cour a déclaré que les autorités fiscales allemandes n'étaient pas tenues, dans de telles circonstances, de prendre en compte sa situation personnelle et familiale.

49 Le fait que la réglementation néerlandaise en matière d'impôts directs ne prévoit pas l'application de mesures de protection de la famille identiques à celles de la réglementation allemande est une autre question. Toutefois, les États membres disposent, pour réglementer l'impôt sur le revenu, de la faculté d'instaurer les mesures qu'ils jugent les plus appropriées pour protéger l'institution familiale, tout en respectant, ce faisant, les dispositions du droit communautaire. Dans le cas présent, ils sont tenus d'accorder aux travailleurs migrants les mêmes avantages fiscaux qu'aux personnes résidant en Allemagne qui se trouvent dans la même situation objective. Or, M. Gschwind et son épouse ne sont pas dans une situation objective semblable à celle d'un couple résidant en Allemagne dont l'un des époux se rend aux Pays-Bas pour y exercer une activité salariée.

Je suis amené à conclure, dès lors, que le fait que la réglementation allemande en matière d'impôt sur le revenu refuse à un travailleur dans la situation de M. Gschwind le droit d'opter pour la méthode et le barème d'imposition du «splitting» ne constitue pas une discrimination dissimulée fondée sur la nationalité.

c) Détermination des cas dans lesquels un contribuable non-résident perçoit l'essentiel de ses revenus et la quasi-totalité des revenus de son foyer fiscal dans un État membre

50 Dans l'arrêt Schumacker, la Cour s'est bornée à examiner la situation dans laquelle le contribuable percevait, dans l'État d'emploi, l'essentiel de ses revenus et la quasi-totalité des revenus de son foyer fiscal, sans se demander à partir de quel pourcentage il fallait considérer que cette hypothèse était vérifiée. Le point 46 de cet arrêt cite l'exemple de la République fédérale d'Allemagne, qui accordait déjà aux travailleurs frontaliers résidant aux Pays-Bas et exerçant une activité en Allemagne les avantages fiscaux liés à une prise en compte de leur situation personnelle et familiale, y compris le bénéfice du tarif de «splitting», en assimilant ces ressortissants communautaires aux ressortissants allemands dès lors qu'ils percevaient 90 % au moins de leurs revenus sur le territoire allemand, conformément à l'Ausführungsgesetz Grenzgänger Niederlande du 21 octobre 1980 (25).

En outre, la Grenzpendlergesetz (loi relative aux travailleurs frontaliers) du 24 juin 1994 a étendu à tous les travailleurs frontaliers percevant au moins 90 % de leur revenu mondial en Allemagne, avant le prononcé de l'arrêt Schumacker, le régime prévu pour les travailleurs résidant en Allemagne.

51 Pour sa part, la Commission a adopté la recommandation 94/79/CE (26), qui visait, entre autres, à faire connaître aux États membres les dispositions aptes à garantir, à son avis, aux non-résidents le bénéfice d'un traitement fiscal aussi favorable que celui appliqué aux résidents lorsque la partie prépondérante de leurs revenus était obtenue dans le pays d'activité.

Dans cette recommandation, la Commission invite les États membres à ne pas soumettre certains revenus, au nombre desquels figurent les revenus tirés de l'exercice de professions dépendantes, à une imposition supérieure à celle que l'État concerné établirait si le contribuable, son conjoint et ses enfants étaient résidents sur son territoire. La Commission préconise de subordonner l'application de cette mesure à la condition que les revenus qui sont imposables dans l'État membre où la personne physique n'est pas résidente constituent au moins 75 % du revenu total imposable de celle-ci au cours de l'année fiscale.

52 Mis à part le fait - secondaire - qu'il s'agit d'une recommandation dépourvue, en tant que telle, d'effet obligatoire vis-à-vis des États membres, ce texte n'envisage pas le traitement que l'État membre imposant les revenus du conjoint qui perçoit sur son territoire au moins 75 % de son revenu doit réserver aux revenus de l'autre conjoint non-résident lorsqu'il s'agit de bénéficier d'une méthode telle que le «splitting», permettant aux revenus des époux d'être imposés conjointement (27).

53 Tant que le Conseil n'aura pas adopté de directives d'harmonisation des dispositions fiscales applicables aux impôts directs (28) - il est peu probable qu'il le fasse à court ou à moyen terme (29) -, j'estime que l'exigence à laquelle la Cour subordonne la conclusion qu'il n'existe pas de différence de situation objective justifiant une inégalité de traitement entre un résident et un non-résident, exigence selon laquelle le non-résident doit percevoir dans l'État d'emploi l'essentiel de ses revenus, est remplie aussi bien si le seuil se situe à 90 % que s'il est de 75 % du revenu total de l'assujetti.

54 Bien que l'assujetti soit l'individu et non le couple, il est constant qu'une méthode comme celle du «splitting» vise à apprécier la capacité financière des deux conjoints. Dès lors, s'agissant d'accorder le droit d'opter pour l'imposition conjointe abstraction faite de la condition de résidence normalement requise, il me semble logique d'exiger à la place d'autres conditions, à savoir que les revenus du couple soient, pour l'essentiel - à concurrence de 90 % comme prévu en Allemagne ou de 75 % comme proposé par la Commission -, soumis à l'impôt par l'État d'emploi et que, dans le cas contraire, le revenu étranger non soumis à l'impôt dans cet État, qui est pris en considération uniquement pour déterminer le taux d'imposition applicable aux revenus imposés, aux fins de la progressivité de l'impôt, soit fixé à un montant relativement peu élevé. En tout état de cause, il est constant que le revenu perçu par M. Gschwind en Allemagne ne représentait pas plus de 58 % du revenu total du couple.

55 Cela permet d'accorder au travailleur communautaire non-résident qui perçoit sur le territoire de l'État d'emploi l'essentiel de ses revenus et aux couples mariés non-résidents qui perçoivent sur son territoire la quasi-totalité des revenus de leur foyer fiscal le même régime qu'aux travailleurs résidents; en effet, s'il en allait autrement, il y aurait une forte probabilité que la situation personnelle et familiale du contribuable ne soit prise en compte ni dans l'État d'emploi ni dans l'État de résidence.

En revanche, l'application du régime des résidents en ce qui concerne la méthode et le barème d'imposition du «splitting» est refusée lorsque les revenus perçus par ce travailleur communautaire sur le territoire de l'État d'emploi, tout en dépassant 90 % de son revenu personnel, ne représentent pas la quasi-totalité des revenus de son foyer fiscal puisque, dans ces conditions, c'est l'État de résidence qui peut et qui doit apprécier de façon globale les ressources de l'assujetti, en tenant compte des éléments relevant de sa situation familiale.

d) L'incidence sur cette interprétation de la jurisprudence développée par la Cour dans l'arrêt Asscher (30)

56 Tant le demandeur au principal que la Commission se fondent sur cet arrêt pour affirmer que M. Gschwind fait l'objet d'une discrimination interdite par l'article 48 du traité étant donné qu'il se voit appliquer un barème d'imposition différent de celui applicable à un travailleur marié résidant en Allemagne, ce qui fait que sa base imposable est soumise à un taux d'imposition plus élevé. Je ne crois pas, pour ma part, que cette jurisprudence puisse être invoquée à l'appui de cette thèse.

57 M. Asscher était un ressortissant néerlandais qui travaillait aux Pays-Bas et résidait en Belgique, où il exerçait également une activité professionnelle. Conformément à la convention conclue entre ces deux États pour éviter la double imposition, le revenu perçu aux Pays-Bas était soumis à l'impôt dans cet État, tandis que tous les autres revenus étaient imposés en Belgique. Dans ce dernier État, les revenus perçus aux Pays-Bas n'étaient pas soumis à l'impôt, mais étaient pris en considération pour fixer le taux d'imposition, de manière à respecter la progressivité de l'impôt. Depuis qu'il avait transféré sa résidence en Belgique, il était soumis exclusivement à la législation de sécurité sociale de cet État et était affilié, à titre obligatoire, au régime des travailleurs indépendants.

58 Une modification législative intervenue aux Pays-Bas en 1989 a instauré un régime de perception combinée de l'impôt sur le revenu et des cotisations de sécurité sociale, effectuée en fonction d'une base uniforme; de ce fait, le revenu imposable et le revenu servant de base au calcul des cotisations sociales coïncident et le montant exonéré est le même pour l'impôt et pour les cotisations.

Le barème d'imposition prévoyait, pour la première tranche, deux taux distincts. Pour les assujettis résidant aux Pays-Bas ou assimilés, à savoir ceux dont le revenu mondial consistait exclusivement ou quasi exclusivement en revenus imposables aux Pays-Bas, le taux d'imposition sur la première tranche était de 13 % et le taux des cotisations au régime général de la sécurité sociale de 22,1 %. Le taux applicable à la première tranche d'imposition des assujettis résidents et assimilés s'élevait ainsi à 35,1 %. En revanche, pour les assujettis non-résidents qui percevaient aux Pays-Bas moins de 90 % de leur revenu mondial et qui n'étaient pas tenus de cotiser à la sécurité sociale néerlandaise, le taux d'imposition sur la première tranche était de 25 %. C'est ce dernier taux qui s'appliquait à M. Asscher, sur les revenus perçus aux Pays-Bas.

59 Sur les cinq questions préjudicielles posées dans l'affaire Asscher, celles qui ont un lien avec l'affaire Gschwind sont la première et la deuxième, par lesquelles la Cour était invitée à décider si l'article 52 s'opposait à ce qu'un État membre appliquât, à un ressortissant communautaire qui exerçait une activité non salariée sur son territoire et qui, en même temps, exerçait une autre activité non salariée dans un autre État membre où il résidait, un taux d'imposition supérieur à celui applicable aux résidents qui exerçaient la même activité et si la réponse à cette question était influencée par la circonstance que moins de 90 % du revenu mondial de l'assujetti consistait en revenus pouvant être pris en compte aux fins de l'impôt sur le revenu dans l'État d'emploi.

60 Certes, la Cour reprend, au point 43 de l'arrêt Asscher, la jurisprudence développée aux points 36 à 38 de l'arrêt Schumacker, en affirmant que le fait, pour un État membre, de refuser le bénéfice d'avantages fiscaux liés à la situation personnelle et familiale d'un contribuable travaillant sur son territoire sans y résider est discriminatoire dès lors que le non-résident perçoit la totalité ou la quasi-totalité de son revenu mondial dans cet État, puisque les revenus perçus dans l'État de résidence sont insuffisants pour permettre une prise en compte de sa situation personnelle et familiale.

61 J'avoue toutefois avoir du mal à déceler le parallélisme entre la situation de M. Schumacker, que j'ai déjà examinée, et celle de M. Asscher, qui était gérant aux Pays-Bas d'une société à responsabilité limitée dont il était l'unique associé et qui, en même temps, exerçait une activité professionnelle en Belgique, où il administrait une société, et qui percevait des revenus dans les deux États, dont on sait seulement que, aux Pays-Bas, ils ne constituaient pas 90 % de son revenu mondial.

Le premier revendiquait le droit à ce que l'État d'emploi prenne en compte, aux fins de l'impôt sur le revenu, sa situation personnelle et familiale, en lui appliquant les déductions correspondantes ainsi que la méthode et le barème d'imposition du «splitting», puisque l'État de résidence ne pouvait lui accorder aucun avantage, étant donné qu'il ne percevait pas de revenus significatifs sur son territoire. Le second ne percevait pas aux Pays-Bas la quasi-totalité de ses revenus, il percevait dans l'État de résidence des revenus dont le pourcentage par rapport aux revenus totaux n'est pas connu et - différence à mon avis fondamentale - il sollicitait l'application aux Pays-Bas du même taux d'imposition que celui applicable aux résidents, sans être pénalisé du fait qu'il n'était pas tenu de cotiser à la sécurité sociale dans cet État; il ne prétendait pas que sa situation personnelle ou familiale soit prise en compte aux Pays-Bas.

62 Il est également constant que la Cour a très rapidement abandonné, dans cet arrêt, le mode de raisonnement qu'elle avait suivi dans l'arrêt Schumacker puisqu'elle a affirmé, au point 45, que, en l'espèce, la différence de traitement (elle ne dit pas entre qui, mais je déduis de l'arrêt qu'il opposait le résident et le non-résident, abstraction faite de la circonstance que celui-ci percevait des revenus considérables dans l'État de résidence) était constituée par le fait qu'un taux d'imposition de 25 % sur la première tranche était appliqué aux non-résidents qui percevaient aux Pays-Bas moins de 90 % de leur revenu mondial, alors que les résidents aux Pays-Bas y exerçant la même activité économique bénéficiaient d'un taux d'imposition de 13 % sur la première tranche d'imposition même s'ils y percevaient moins de 90 % de leur revenu mondial.

63 La Cour a constaté ensuite que, en application de la convention conclue entre le royaume de Belgique et le royaume des Pays-Bas pour éviter la double imposition, l'État de résidence, en l'espèce le royaume de Belgique, avait la possibilité de prendre en considération les revenus perçus dans l'autre État pour calculer le montant de l'impôt sur le reste des revenus du contribuable concerné, en vue d'appliquer la règle de progressivité. La Cour a conclu que, dans ces conditions, le fait d'être non-résident aux Pays-Bas ne permettait pas à l'assujetti d'échapper à l'application de la règle de progressivité et que les deux catégories de contribuables étaient dans une situation comparable au regard de cette règle.

64 Or, dans la présente affaire, la discussion ne porte pas sur l'application dans l'État d'emploi ou dans l'État de résidence de la règle de progressivité de l'impôt, mais sur le point de savoir s'il existe ou non une différence de situation objective pouvant justifier une inégalité de traitement, en ce qui concerne la prise en compte, aux fins de l'impôt sur le revenu, de la situation familiale de l'assujetti, entre un ressortissant communautaire se trouvant dans le cas de M. Gschwind et un national résidant dans l'État d'emploi.

VII - Conclusion

65 A la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Finanzgericht Köln dans les termes suivants:

«L'article 48 du traité CE ne s'oppose pas à ce que la réglementation en matière d'impôt sur le revenu de l'État dans lequel est employé un travailleur qui réside avec son conjoint dans un autre État membre subordonne le droit pour ce travailleur d'opter pour la méthode et le barème d'imposition du `splitting' à la condition que les revenus des deux conjoints soient soumis à l'impôt sur son territoire à concurrence de 90 % au moins ou, à défaut, que les revenus de source étrangère du couple non soumis à l'impôt dans le premier État ne dépassent pas une somme déterminée, même si ce droit d'option n'est soumis à aucune condition à l'égard des couples mariés résidant sur son territoire.»

(1) - Arrêt du 14 février 1995 (C-279/93, Rec. p. I-225).

(2) - Arrêt du 11 août 1995 (C-80/94, Rec. p. I-2493).

(3) - Accord sur l'Espace économique européen approuvé par décision du Conseil et de la Commission du 13 décembre 1993, relative à la conclusion de l'accord sur l'Espace économique européen entre les Communautés européennes, leurs États membres et la république d'Autriche, la république de Finlande, la république d'Islande, la principauté de Liechtenstein, le royaume de Norvège, le royaume de Suède et la Confédération suisse (JO 1994, L 1, p. 1).

(4) - Je voudrais signaler que, si la formule du «splitting» peut apporter des avantages pour les finances de certains contribuables, elle semble avoir perdu de sa crédibilité sur le plan doctrinal, notamment sous l'angle de la justice fiscale. Comme discriminations les plus significatives résultant du «splitting», on cite: celle des célibataires par rapport aux personnes mariées, celle des faibles revenus par rapport aux revenus plus élevés et celle de la femme mariée qui travaille par rapport à celle qui ne travaille pas. Voir Soler Roch, M. T.: «Subjetividad tributaria y capacidad económica de las personas integradas en unidades familiares», dans Revista Española de Derecho Financiero 1990, n_ 66, p. 193 et suiv., p. 209, et la doctrine citée par l'auteur.

(5) - Le demandeur signale dans son recours que, si le législateur allemand n'avait pas subordonné ce droit d'option de la part des travailleurs frontaliers au respect de certains seuils, la charge fiscale en résultant (sauf erreur de ma part, le taux moyen, avec application de la règle de progressivité et du «splitting», doit être, pour l'année 1992, de 23,9632 et non de 26,9632) aurait été dans son cas la suivante:

/1991/1992

/DM/DM

Salaire brut de M. Gschwind/82 535/84 047

Frais professionnels/-9 001/-9 607

Revenu net/73 534/74 440

Frais de formation professionnelle/-900/-900

et continue

Dépenses de prévoyance sociale/-3 510/-3 510

Déduction pour enfants //-4 104

Revenu imposable/69 124/65 926

Revenus néerlandais, non soumis à

l'impôt en Allemagne sauf pour la

détermination du taux d'imposition

(règle de progressivité)/52 426/53 209

Taux moyen, compte tenu de la règle 24,1761 %/26,9632 %

de progressivité et du «splitting»

Revenu imposable de M. Gschwind /69/124/65 926

Impôt à payer moyennant l'application

de la règle de progressivité et du

barème d'imposition du «splitting»/16 711/15 798

Impôt à payer moyennant l'application

du barème d'imposition de base/17 723/16 522

Charge fiscale supplémentaire

(6) - Ordonnance du 25 mai 1998, Nour (C-361/97, Rec. p. I-3101), et arrêts du 9 octobre 1997, Grado et Bashir (C-291/96, Rec. p. I-5531); du 5 juin 1997, Celestini (C-105/94, Rec. p. I-2971); du 5 octobre 1995, Aprile (C-125/94, Rec. p. I-2919), et du 16 juillet 1992, Meilicke (C-83/91, Rec. p. I-4871).

(7) - Arrêt Schumacker, précité à la note 1. Il s'agit, sans aucun doute, de l'un des arrêts de la Cour les plus commentés par les auteurs spécialisés. La base de données de la Cour recense déjà plus de soixante notes de doctrine.

(8) - Arrêt du 26 janvier 1993, Werner (C-112/91, Rec. p. I-429).

(9) - Conclusions de l'avocat général M. Darmon présentées le 6 octobre 1992 dans l'affaire Werner, précitée à la note 8.

(10) - Il s'agit d'un arrêt dont le contenu est considéré comme dépassé par une partie des auteurs, au vu des arrêts postérieurs de la Cour. Voir Keeling, E.: «Some observations on Finanzamt Köln-Altstadt v Roland Schumacker», dans The EC Tax Journal, volume I, 1995/96, 2e cahier, p. 135 et suiv., p. 143 et 144, et la jurisprudence citée par l'auteur.

(11) - Arrêt Schumacker, précité à la note 1, point 24.

(12) - Ibidem, points 27 et 28.

(13) - Ibidem, points 31, 34 et 35.

(14) - Ibidem, points 32 et 33.

(15) - Quaghebeur, M.: «A bridge over muddled waters. Coherence in the case law of the Court of Justice of the European Communities relating to discrimination against non-resident taxpayers», dans The EC Tax Journal, volume I, 1995/96, 2e cahier, p. 109 et suiv., p. 133.

(16) - Farmer, P.: «Article 48 and the taxation of frontier workers», dans European Law Review, 1995, p. 310 et suiv., p. 317. Cet auteur estime que la Cour a rejeté implicitement la thèse soutenue par le Royaume-Uni à l'audience, selon laquelle les non-résidents ne pouvaient être considérés comme se trouvant dans la même situation que les résidents que s'ils ne disposaient d'aucun revenu dans un État autre que l'État d'emploi.

(17) - Arrêt précité à la note 1, points 36 à 38. Outre l'existence d'une discrimination matérielle entre ressortissants communautaires non-résidents et nationaux résidant en Allemagne, on se trouvait en présence d'une discrimination injustifiée de caractère procédural, consistant à refuser aux ressortissants communautaires qui n'avaient ni leur domicile ni leur résidence habituelle en Allemagne, mais qui y tiraient des revenus d'un travail salarié, la possibilité, accordée aux résidents, d'une part, de bénéficier de la régularisation annuelle des retenues sur le salaire, ce qui les empêchait, pour des raisons d'économie administrative, de faire état d'éléments de calcul de l'impôt tels que les frais professionnels, les dépenses spéciales ou les charges extraordinaires, et, d'autre part, de demander la liquidation annuelle de l'impôt par l'administration.

(18) - Directive du Conseil du 19 décembre 1977, concernant l'assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs (JO L 336, p. 15).

(19) - Précité à la note 2.

(20) - L'article 44, paragraphe 1, de la loi du 16 novembre 1972, qui a complété la Nederlandse wet op de inkomstenbelasting du 16 décembre 1964 (loi relative à l'impôt sur le revenu des personnes physiques), institue un régime fiscal volontaire de réserve-vieillesse en faveur des travailleurs non salariés, en vertu duquel les intéressés peuvent affecter à cette réserve une partie des revenus qu'ils tirent de leur entreprise afin de constituer une réserve pour la vieillesse; ce régime offre l'avantage que les sommes épargnées restent dans l'entreprise.

(21) - Arrêt du 12 février 1974, Sotgiu (152/73, Rec. p. 153, point 11).

(22) - Arrêts Schumacker et Wielockx, précités aux notes 1 et 2, respectivement points 30 et 17.

(23) - Caamaño Anido, M. A., et Calderón Carrero, J. M.: «Principio de no discriminación por razón de la nacionalidad: Aplicación en el ámbito de la imposición directa (IRPF)», dans Jurisprudencia tributaria del Tribunal de Justicia de las Comunidades Europeas (Comentarios y concordancias con la legislación española), 1992-1995, Éd. La Ley-Actualidad, Madrid, 1997, p. 96 et suiv., p. 104 et 105.

(24) - Arrêt du 12 mai 1998 (C-336/96, Rec. p. I-2793, point 50).

(25) - Loi allemande portant application du protocole additionnel du 13 mars 1980 sur la convention du 16 juin 1959 entre la République fédérale d'Allemagne et le royaume des Pays-Bas en vue d'éviter la double imposition.

(26) - Recommandation de la Commission du 21 décembre 1993, relative à l'imposition de certains revenus obtenus par des non-résidents dans un État membre autre que celui de leur résidence (JO 1994, L 39, p. 22).

(27) - Schaffner, J: «L'arrêt Schumacker du 14 février 1995: Synthèse de la jurisprudence fiscale de la Cour de justice des Communautés européennes en matière de libre circulation des travailleurs», dans Revue des affaires européennes, 1995, n_ 2, p. 86 et suiv., p. 92.

(28) - Lyons, T.: «Discrimination against individuals and enterprises on grounds of nationality: direct taxation and the European Court of Justice», dans The EC Tax Journal, 1995, p. 27 et suiv., p. 35.

(29) - L'article 100 A, paragraphe 2, du traité CE dispose que le paragraphe 1, qui vise l'adoption d'actes à la majorité qualifiée, ne s'applique pas, entre autres, aux dispositions fiscales.

(30) - Arrêt du 27 juin 1996 (C-107/94, Rec. p. I-3089).