Avis juridique important
Conclusions de l'avocat général Saggio présentées le 27 janvier 2000. - D. contre W.. - Demande de décision préjudicielle: Landesgericht St. Pölten - Autriche. - Sixième directive TVA - Exonération des prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre des professions médicales et paramédicales - Fourniture par un médecin agréé en qualité d'expert près les tribunaux d'un avis en matière de recherche de paternité. - Affaire C-384/98.
Recueil de jurisprudence 2000 page I-06795
1 Par le présent renvoi préjudiciel, le Landesgericht St. Pölten (Autriche) demande à la Cour si un examen génétique réalisé par un expert médical, désigné par une autorité judiciaire, dans le cadre d'un litige en matière de paternité, relève du champ d'application de l'exonération prévue par l'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (ci-après la «sixième directive») (1), et, en cas de réponse affirmative à cette première question, si le bénéficiaire de l'exonération a la faculté d'y renoncer.
Dispositions communautaires et nationales
2 L'article 13, A, paragraphe 1, de la sixième directive énumère les prestations et les activités d'«intérêt général» que les États membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent, de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»). Parmi celles-ci figurent, sous c), «les prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre de l'exercice des professions médicales et paramédicales telles qu'elles sont définies par l'État membre concerné».
3 En Autriche, l'article 6 de l'Umsatzsteuergesetz (loi relative à la taxe sur le chiffre d'affaires, ci-après l'«UStG») de 1994 (2) prévoit, au paragraphe 1, que «parmi les opérations relevant de l'article 1er, première et deuxième lignes, sont exonérées: ... les opérations afférentes à l'activité de médecin» (point 19) et «les opérations effectuées par les petites entreprises, c'est-à-dire celles ayant une résidence ou un siège en Autriche et dont les opérations n'excèdent pas 300 000 ATS ...» (point 27). Il dispose aussi, au paragraphe 3, que «L'entrepreneur dont le chiffre d'affaires est exonéré en vertu de l'article 6, paragraphe 1, point 27, peut renoncer, jusqu'à ce que la décision soit définitive, à l'application de l'article 6, paragraphe 1, point 27, par une déclaration écrite adressée à l'administration fiscale». Il convient d'ajouter que les honoraires des experts sont fixés par l'organe juridictionnel devant lequel ont eu lieu ou doivent avoir lieu les opérations d'expertise. Cet organe ordonne le paiement des honoraires qui sont prélevés sur une provision pour frais consignée par une des parties ou, à défaut, sur des fonds provenant du Trésor fédéral (Bundesschatz).
Faits, procédure et questions préjudicielles
4 Dans le cadre d'un litige dans lequel la demanderesse demandait d'établir qu'elle était la fille du défendeur, le juge saisi, le Bezirksgericht St. Pölten, a commis le docteur Rosenmayr en qualité d'expert médical chargé d'établir, sur la base d'un examen génétique, si la demanderesse au principal pouvait être la fille du défendeur. Pour son activité d'expertise, le docteur Rosenmayr a réclamé, outre des honoraires (3), le paiement de la TVA pour une somme de 14 108,60 ATS, ayant opté pour la taxation de son activité (4). Elle affirmait que seul le versement de la TVA sur ses honoraires lui permettait de déduire la TVA qu'elle avait dû acquitter sur l'achat des produits nécessaires à ses analyses et sur la rémunération de ses collaborateurs. Par ordonnance du 29 mai 1998, le Bezirksgericht a liquidé, en faveur de l'expert, la somme de 84 653 ATS, comprenant tant les honoraires que la TVA. Cette somme a été versée à l'intéressée en prélevant le montant sur des fonds publics. Le réviseur du Bundesschatz (Trésor fédéral) (5) a formé un recours contre cette ordonnance devant le Landesgericht St. Pölten, en faisant valoir que l'exonération prévue par l'article 6, paragraphe 1, point 19, de l'UStG pour les activités médicales devait s'appliquer aussi aux honoraires des experts médicaux et il a donc demandé que l'ordonnance attaquée soit modifiée de façon à exclure le montant de la TVA de la somme liquidée.
5 Dans ce contexte, le Landesgericht St. Pölten a décidé de saisir la Cour des questions suivantes:
«1) L'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, doit-il être interprété en ce sens que l'exonération de taxe sur le chiffre d'affaires qui y est prévue vise également les prestations médicales qu'un médecin fournit en sa qualité d'expert judiciaire sur commission de la juridiction, en particulier par la réalisation d'examens génétiques dans le cadre d'une action en recherche de paternité?
2) En cas de réponse positive à la première question: la disposition précitée de la directive s'oppose-t-elle à l'application d'une règle nationale qui, sous certaines conditions, permet (également) aux médecins de renoncer efficacement à l'exonération précitée?»
Sur la recevabilité
6 Le gouvernement autrichien invoque, à titre préliminaire, la nature juridictionnelle de l'organe qui est à l'origine du renvoi préjudiciel. A cet égard, il avance que, selon la législation autrichienne, la mesure liquidant les honoraires d'un expert judiciaire constitue en principe une composante indissociable de la décision finale de la procédure principale (en l'espèce, donc, de la procédure de recherche en paternité). La liquidation des honoraires doit en effet nécessairement précéder la décision finale qui statue, outre sur le fond, sur le paiement des dépens, et en particulier ceux relatifs à d'éventuelles expertises. Il s'ensuit qu'en l'espèce il ne fait aucun doute que l'organe de renvoi peut être qualifié de «juridiction» au sens de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE) et que la demande du Landesgericht St. Pölten est par conséquent recevable.
Sur la première question
7 Par la première question le juge a quo veut savoir si l'exonération prévue pour les prestations médicales effectuées dans le cadre de l'exercice des professions médicales et paramédicales, qui figure à l'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive, inclut aussi les prestations fournies par un médecin en sa qualité d'expert désigné par l'autorité judiciaire, comme par exemple celles consistant en des examens génétiques destinés à établir la paternité.
Arguments des parties
8 Tous les gouvernements intervenus suggèrent de répondre par l'affirmative à la première question. Le gouvernement autrichien observe que la prestation médicale qui a donné lieu au litige principal se distingue des prestations médicales habituelles sous deux aspects: d'une part, l'expert a fourni sa prestation à la demande de l'autorité judiciaire et non dans le cadre d'un rapport contractuel comme c'est normalement le cas; d'autre part, les opérations qu'il a effectuées se sont limitées à établir une donnée technique pure et simple, sans aucun lien avec des soins ou un traitement médical. En ce qui concerne en particulier le premier aspect, le gouvernement autrichien fait également observer que le fait que l'expert agisse en vertu d'une mission de l'autorité judiciaire ne modifie en rien la substance de ses prestations et qu'il n'est donc pas justifié de qualifier les expertises d'une façon différente des prestations médicales ordinaires et de leur appliquer un régime fiscal différent et moins favorable. En ce qui concerne le deuxième aspect, à savoir l'absence de lien fonctionnel entre expertises et soins d'une pathologie, le gouvernement autrichien soutient que la directive devrait être interprétée en ce sens que les examens demandés aux experts par les tribunaux (par exemple les examens de laboratoire), et nécessaires à la solution du litige, devraient aussi être considérés comme des prestations médicales aux fins de l'application de l'exonération de la TVA (6). Le fait que ces prestations ne soient pas liées à des traitements médicaux n'aurait en effet aucune importance dans ce contexte spécifique.
9 Dans le même ordre d'idées, et toujours en rapport avec la première question, le gouvernement néerlandais soutient que les activités médicales demandées par un organe juridictionnel devraient être considérées de la même façon que les prestations de soins médicaux et donc bénéficier elles-aussi de l'exonération de TVA. La raison en est que la notion de soins médicaux concerne toutes les opérations accomplies dans le cadre de l'exercice de la profession médicale (ou paramédicale), y compris donc les expertises, parce que l'activité exercée par un médecin en qualité d'expert désigné par l'autorité judiciaire est, comme celle consistant dans l'administration de soins, aussi d'intérêt général et mérite donc un traitement fiscal plus favorable et enfin parce que l'activité d'expert judiciaire ne peut être qualifiée différemment de celle d'expert désigné par des parties privées du seul fait qu'elle a pour origine la décision d'un juge et non un contrat. Ce même gouvernement souligne enfin qu'exclure l'activité d'expert judiciaire du champ d'application de l'exonération relative aux prestations médicales, visée à l'article 13 de la sixième directive, porterait atteinte à la libre concurrence, c'est-à-dire à l'objectif poursuivi par le rapprochement des législations en matière de TVA.
10 Le gouvernement du Royaume-Uni examine la première question sous deux aspects. Il se demande d'abord si les recherches en paternité relèvent de la notion de «prestations de soins» et il est d'avis que cette notion doit couvrir toute intervention qui requiert des compétences médicales: et ce parce que l'article 13 de la sixième directive définit de façon très large les activités exercées dans le cadre de la profession médicale. En partant de cette prémisse, il affirme que cette notion recouvre non seulement les soins aux patients, mais aussi toutes les activités dans des secteurs qui ne sont pas strictement liées à la protection ou au rétablissement de la santé, comme la préparation de rapports sur l'état général de santé des patients, le contrôle des naissances, la stérilisation ou la chirurgie esthétique. L'élément commun à ces activités serait représenté par le fait que toutes supposent des connaissances et compétences médicales particulières. Le gouvernement du Royaume-Uni ajoute, dans le même sens, que la référence à la finalité des prestations pour identifier celles auxquelles l'exonération ne devrait pas s'appliquer constitue un critère ambigu de gestion d'application difficile (7). Une personne peut être soumise au même examen de sang aussi bien dans le but de détecter une maladie que dans le cadre d'un litige de paternité, la prestation médicale pouvant être la identique dans les deux cas, alors que le régime fiscal applicable serait différent.
Ce même gouvernement souligne, en outre, que s'il est vrai que les exonérations prévues dans la sixième directive doivent être interprétées de façon restrictive du fait qu'elles introduisent des exceptions à l'application généralisée de la TVA, il est également vrai que ces exceptions ne pourraient pas être interprétées de façon à en limiter la portée, à moins que, bien entendu, le texte contienne une indication en ce sens.
Il fait également valoir, à l'appui de la thèse de l'application généralisée de l'exonération, que toute autre interprétation serait aussi incompatible avec la nécessité d'appliquer de façon simple et certaine l'exonération fiscale. Cette exigence figure dans la partie introductive du paragraphe 1 de l'article 13 A de la directive, où il est expressément affirmé que les États membres exonèrent de la TVA «dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations ...» Il ne serait en effet pas compatible avec l'objectif de simplicité que les médecins soient tenus d'appliquer un régime différent de TVA selon les différentes activités qu'ils sont appelés à avoir dans l'exercice de leur profession.
Quant au deuxième point examiné par le gouvernement du Royaume-Uni, à savoir l'importance à attribuer au fait que la mission d'effectuer les expertises médico-légales soit conférée par une autorité publique, ce gouvernement soutient que l'exonération concerne toutes les formes prises par l'activité médicale et que la qualité, publique ou privée, du donneur d'ordre n'ayant aucune incidence sur la nature de l'activité ne peut pas être prise comme critère pour identifier les prétendues exceptions à l'application généralisée de l'exonération.
11 A la différence des États intervenus, la Commission soutient que la première question doit recevoir une réponse négative. Elle parvient à cette conclusion en partant de l'idée que l'exonération litigieuse concerne exclusivement les prestations médicales consistant dans les soins aux personnes. Cette catégorie ne comprend pas les examens exclusivement destinés à établir la paternité, avec pour conséquence que l'exonération de TVA ne peut pas être appliquée à cette activité.
La Commission fait ensuite observer que les activités exercées par le médecin chargé d'une expertise médico-légale ne sont pas différentes de celles des experts d'autres disciplines (comptables, ingénieurs ou psychologues), lesquelles ne sont certainement pas exonérées de TVA. Autrement dit, la ratio qui justifie de soumettre ces dernières activités à la TVA ne peut pas ne pas valoir aussi pour appliquer la TVA à l'activité d'expertise des médecins.
Dans la cadre de l'appréciation de la portée de l'exonération, il ne faudrait pas, selon la Commission, oublier le fait que la sixième directive s'inspire du principe de l'assujettissement généralisé à la TVA de toutes les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux (8). Le fait que l'activité du médecin en tant qu'expert désigné par le juge réponde à un intérêt général, tout comme la prestation de soins médicaux, ne peut conduire à appliquer l'exonération à l'activité d'expertise, l'intérêt général n'étant pas le même dans les deux hypothèses, puisqu'il est lié, dans la première, aux arguments des parties dans un litige et, dans la deuxième, à la protection de la santé des personnes.
La Commission souligne enfin que les exonérations prévues par la directive constituent des exceptions au principe général qu'elle établit dans l'article 2 et qu'elles ne peuvent donc qu'être interprétées dans un sens restrictif.
Sur le fond
12 Pour répondre à la question examinée, il convient d'établir en premier lieu si les examens génétiques rentrent dans la notion de «prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre de l'exercice des professions médicales et paramédicales», qui figure à l'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive. Ce n'est qu'en cas de réponse affirmative à cette interrogation que l'on en viendra à établir si cette exonération doit trouver application aussi lorsque, comme en l'espèce, l'expert a effectué sa prestation professionnelle en vertu d'une mission confiée par l'autorité judiciaire.
13 Quant au premier aspect, c'est-à-dire l'inclusion des examens génétiques dans la notion de prestations de soins qui figure dans la sixième directive, nous rappelons que cette dernière contient, à l'article 13, une «liste commune d'exonérations en vue d'une perception comparable des ressources propres dans tous les États membres» (9). L'exonération sur laquelle porte la présente affaire fait partie de celles qui visent à rendre moins onéreuses certaines activités d'intérêt général (10). Il s'agit d'activités spécifiques, destinées à poursuivre des finalités socialement utiles (service postal, éducation de l'enfance, enseignement scolaire, assistance sociale etc.), d'activités exercées par des organismes qui poursuivent des objectifs de nature politique, syndicale ou religieuse, ainsi que de prestations effectuées par des médecins ou du personnel paramédical, comme les mécaniciens-dentistes (11).
14 La Cour de justice a eu l'occasion de se pencher à plusieurs reprises sur l'exonération en question. A partir de l'arrêt Stichting (12), elle a affirmé de façon répétée, de manière générale, que «les termes employés pour désigner les exonérations visées par l'article 13 de la sixième directive sont d'interprétation stricte étant donné qu'elles constituent des dérogations au principe général selon lequel la taxe sur le chiffre d'affaires est perçue sur chaque prestation de service effectuée à titre onéreux par un assujetti»; elle a par ailleurs précisé qu'on ne saurait attribuer une portée extensive aux exonérations en l'absence d'«éléments d'interprétation» permettant d'aller au-delà de la lettre des dispositions qui les prévoient (13).
Dans deux arrêts, en outre, la Cour a examiné précisément l'exonération prévue par l'article 13, A, paragraphe 1, sous c), sur laquelle porte la présente affaire, en en définissant le contenu et la portée. Dans l'arrêt Commission/Italie (14), elle a affirmé que l'exonération pour les prestations de soins doit être entendue en ce sens qu'elle ne couvre que les «cas où ces soins sont délivrés «à la personne» et que cette restriction exclut sans ambiguïté du champ d'application de l'article 13, A, paragraphe 1, sous c), les soins dispensés aux animaux». Dans l'arrêt Commission/Royaume-Uni, la Cour a par ailleurs affirmé qu'il résulte de la position de la disposition en question «qui suit immédiatement celle des prestations hospitalières» (sous b)), «ainsi que de son contexte qu'il s'agit de prestations effectuées en dehors d'organismes hospitaliers et dans le cadre d'un rapport de confiance entre le patient et le prestateur de soins» (15). Sur la base de cette prémisse, la Cour a affirmé que l'exonération des prestations médicales visées sous c), ne comprend pas, à part les petites fournitures qui sont strictement nécessaires à la prestation, la livraison, matériellement et économiquement dissociable de la prestation de services, de médicaments et des autres biens, telles les lunettes de correction prescrites par le médecin ou par d'autres personnes autorisées (16).
15 Il ressort avant tout de la jurisprudence précitée qu'il est possible de limiter l'exonération concernant les prestations de soins aux services fournis par des médecins aux personnes à l'exclusion de la livraisons de médicaments ou autres biens (à moins qu'il ne s'agisse de livraisons indissociables de la prestation). Cela étant, pour répondre à la première question il reste en tout état de cause à établir si, comme le soutient la Commission, il faut exonérer aussi les prestations médicales qui ne sont pas liées à la prévention, au diagnostic ou au traitement d'une pathologie. Relèvent de cette catégorie les examens génétiques uniquement destinés à établir la paternité, auxquels la première question du juge autrichien fait expressément référence.
16 La formulation littérale de la disposition laisse entendre que l'exonération ne couvre pas cette dernière catégorie de prestations. A l'exception de la version italienne qui parle de façon générale de «prestations médicales», toutes les autres, même si c'est en utilisant des expressions différentes, se réfèrent de façon assez explicite aux seules prestations concernant la santé des personnes. Ainsi la version allemande, qui parle de «Heilbehandlungen» (17) (traitements thérapeutiques), et la version française qui utilise les termes «prestations de soins à la personne» font expressément référence au concept d'assistance médicale à la personne. On trouve en outre des expressions de sens analogue dans les versions anglaise, danoise, néerlandaise, grecque, finnoise, suédoise (18), espagnole et portugaise (19). La version italienne se différencie par contre de toutes les autres par la formulation générique («prestazioni mediche») qu'elle utilise, formulation qui en tout état de cause, précisément du fait de son caractère général, ne fait pas obstacle à une interprétation restrictive de l'exonération (20).
Si, par ailleurs, on se penche sur la ratio de l'exonération de TVA pour les prestations médicales, la référence aux soins de la personne qui figure dans la disposition visée fait apparaître avec une certaine clarté qu'une telle exonération se justifie par la nécessité de réduire les frais médicaux et favoriser de la sorte l'accès à la protection de la santé. Si l'on raisonnait différemment, si, en d'autres termes, on considérait l'exonération applicable à toute activité professionnelle exercée par des médecins, on élargirait le champ d'application de la disposition en faveur d'activités qui sont sans rapport avec la santé des personnes et on traiterait sans raison de la même façon des situations et des intérêts très différents. Comme le fait observer à juste titre le gouvernement du Royaume-Uni, l'intérêt d'assurer la protection de la santé des personnes est une chose, celui d'assurer l'assistance technique de médecins à une juridiction dans le cadre d'un litige spécifique en est une autre. A y bien regarder, cette dernière activité ne se différencie pas des consultations techniques de professionnels qui opèrent dans des domaines différents du domaine médical, comme les ingénieurs, les experts-comptables et les psychologues, et il serait donc injustifié d'appliquer l'exonération à l'activité d'expert des médecins et pas à l'activité analogue d'autres professionnels. Il convient d'ajouter que les exonérations constituent des exceptions à la règle de l'application généralisée de la taxe et doivent donc être interprétées de façon restrictive.
Il y a lieu de considérer par ailleurs que la jurisprudence de la Cour fournit une indication précise en faveur d'une interprétation restrictive de l'exonération. Dans l'arrêt précité Commission/Royaume-Uni du 23 février 1988, dans lequel la portée de l'exonération visée à l'article 13, A, paragraphe 1, sous c), est examinée, la Cour a en effet affirmé (21) que les prestations exonérées sont celles effectuées «dans le cadre d'un rapport de confiance entre le patient et le prestateur de soins», laissant ainsi entendre que d'autres prestations professionnelles réservées aux médecins, comme les examens médico-légaux, ne sont pas couvertes par l'exonération dans la mesure où elles se déroulent en dehors dudit rapport et n'impliquent pas la prestation de soins à la personne.
Nous ne pensons pas qu'on puisse parvenir à une conclusion différente en considérant que l'interprétation restrictive de l'exonération, du fait qu'elle est en substance centrée sur la fonction de soins de la prestation médicale, exige que, au cas par cas, la nature de la prestation soit établie aux fins de l'application de la TVA. Il est vrai que s'agissant du domaine fiscal l'existence de critères clairs et objectifs pour l'application ou la non-application de la taxe doit être prise en compte et il est également vrai que cette exigence se trouve confirmée dans la partie introductive de l'article 13, A, paragraphe 1, qui souligne la nécessité d'une «application correcte et simple des exonérations». Il ne nous semble toutefois pas que l'interprétation restrictive de l'exonération donne lieu à des difficultés effectives dès lors que l'on prend les soins à la personne comme critère pour distinguer les prestations médicales exonérées de toutes les autres prestations également fournies par des médecins dans l'exercice de leur profession. En tout cas, cette prétendue difficulté ne pourrait pas conduire à étendre l'exonération au-delà des limites dans lesquelles le législateur communautaire l'a manifestement formulée: il y a lieu de rappeler que le principe général qui régit la sixième directive est celui de l'application généralisée de la TVA et que ce principe doit être respecté lorsque les intéressés ne démontrent pas l'existence de motifs spécifiques propres à justifier l'interprétation large de l'exonération. La disposition qui la prévoit, il convient de le rappeler, a une nature exceptionnelle et donc, en l'absence d'indices explicites en sens contraire, doit être interprétée de façon restrictive.
En ce qui concerne ensuite la partie de la première question qui fait référence spécifiquement à la qualité d'expert judiciaire du professionnel qui effectue la prestation médicale comme à une circonstance qui devrait conduire à appliquer l'exonération, une fois exclu que les examens génétiques de recherche de paternité, expressément mentionnés, relèvent de la catégorie des soins à la personne, il devient dénué de signification de prendre position sur l'éventuelle importance de la nature publique de l'organe qui confère la mission d'expertise par rapport au champ d'application de l'exonération. En tout cas, nous estimons que cet élément ne peut avoir aucune influence pour déterminer l'ampleur de l'exonération: à cette fin, en effet, seuls la nature et l'objectif de la prestation sont décisifs, comme exposé longuement plus haut.
17 En définitive, nous estimons que l'exonération visée à l'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive doit être interprétée en ce sens que l'exonération de TVA qui y est prévue ne concerne pas les prestations médicales, consistant dans des examens génétiques, fournies par un médecin en sa qualité d'expert chargé par la juridiction des examens nécessaires pour établir la paternité.
Sur la deuxième question
18 Nous rappelons que, par la deuxième question le juge autrichien désire savoir si l'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive s'oppose à l'application d'une règle nationale qui permet aux médecins de renoncer à l'exonération prévue par cette disposition.
Soulignons d'abord qu'ayant répondu à la première question par la négative, nous ne prenons position sur la deuxième qu'à titre subsidiaire, c'est-à-dire seulement pour le cas où la Cour donnerait une réponse affirmative à la première question.
Arguments des parties
19 Le gouvernement autrichien soutient que la seconde question est sans objet, et donc irrecevable, du fait qu'une norme nationale, et précisément une circulaire ministérielle du 9 janvier 1998, avait prévu l'exonération de TVA des expertises génétiques, y compris celles visant à la recherche de paternité (22), avec pour conséquence que, en l'état actuel, il n'y a pas de possibilité de choix entre l'exonération et la taxation. Ce gouvernement met en outre en évidence que la faculté de choix n'est pas non plus prévue par les textes communautaires pertinents, affirmation qui est partagée par les gouvernements néerlandais et britannique, ainsi que par la Commission.
Le gouvernement du Royaume-Uni fait valoir, en particulier, que les exonérations prévues dans la directive sont obligatoires dans tous les États membres et que seules des dispositions communautaires spécifiques, n'existant en tout état de cause pas en l'espèce, pourraient autoriser des dérogations et en particulier permettre de renoncer à l'exonération visée à l'article 13, A, paragraphe 1, sous c). Ce même gouvernement observe en outre que, en l'espèce, le fait de permettre aux États membres de choisir (ou de permettre aux intéressés de choisir) d'appliquer ou non la taxation est incompatible avec la finalité de la sixième directive, étant donné que celle-ci a entre autres pour but d'éviter que les consommateurs soient assujettis à la TVA pour des services exonérés.
Sur la recevabilité
20 L'exception d'irrecevabilité avancée par le gouvernement autrichien au motif que la question serait dénuée d'objet n'est pas fondée. On sait en effet qu'il appartient au juge a quo d'apprécier la portée des dispositions nationales à appliquer et d'apprécier, au regard des particularités des différents litiges, la nécessité d'une demande préjudicielle pour rendre son jugement. Il en résulte qu'il n'est pas justifié d'affirmer que certaines questions préjudicielles deviennent sans objet du seul fait qu'une disposition nationale déterminée est remplacée par une autre (23).
Sur le fond
21 Pour en venir au fond de la question, nous sommes d'avis que les exonérations contenues dans l'article 13, A, ont un caractère obligatoire, en ce sens que les États membres sont tenus de les introduire dans leur ordre juridique respectif. La formulation littérale de la disposition confirme cette interprétation. Dans la partie initiale, elle prévoit en effet que: «... les États membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels ...». Si l'on s'arrête ensuite à l'objectif de la disposition, on trouve une autre confirmation de cette interprétation. Il est en effet clair que, si l'on reconnaît à chaque État membre la faculté d'introduire de façon tout à fait autonome des dérogations aux exonérations, l'apport de chaque État aux ressources communautaires pourrait être de ce fait déséquilibré de façon injustifiée. Dans cette perspective, il est significatif que le onzième considérant de la sixième directive précise qu'«il convient d'établir une liste commune d'exonérations en vue d'une perception comparable des ressources propres dans tous les États membres». Les exonérations en cause ne peuvent donc pas faire l'objet de dérogations, à moins que le législateur communautaire ne prévoie expressément une telle possibilité.
22 Il convient donc de répondre à la seconde question en ce sens que le caractère obligatoire des exonérations s'oppose à l'application d'une règle nationale qui, sous certaines conditions, permet aux médecins de renoncer à l'exonération prévue par la disposition en cause.
Conclusions
23 Sur la base de l'ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la façon suivante aux questions posées par le Landesgericht St. Pölten:
«1) L'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive doit être interprété en ce sens que l'exonération qu'il prévoit ne s'applique pas aux examens génétiques effectués par un médecin en qualité d'expert commis par une autorité judiciaire dans le cadre d'une action en recherche de paternité.
2) L'exonération prévue par la disposition précitée s'oppose à l'application d'une règle nationale qui, sous certaines conditions, permet aux médecins de renoncer à l'exonération visée dans la disposition mentionnée sous 1).»
(1) - JO L 145, p. 1.
(2) - BGBl n_ 633.
(3) - Le montant des honoraires des experts est régi en Autriche par les dispositions de la Gebührenanspruchsgesetz de 1975.
(4) - Le docteur Rosenmayr a affirmé que si, dans une circulaire du 9 janvier 1998, le ministère fédéral des Finances avait soutenu que toute activité d'expertise médicale relevait en principe de l'exonération prévue à l'article 6, paragraphe 1, point 19, de l'UStG de 1994, cela n'empêchait toutefois pas un expert médical d'opter volontairement pour le paiement de la TVA et pour la possibilité, qui y est liée, de déduire les taxes payées en amont. Elle invoque à l'appui de sa thèse les dispositions de l'article 6, paragraphes 1, point 27, et 3, de l'UStG de 1994, précitée.
(5) - Les réviseurs sont autorisés à intenter un recours contre les ordonnances de liquidation des honoraires prises par les tribunaux.
(6) - L'attitude des autorités autrichiennes sur la question a en réalité varié. En effet, une circulaire du ministère fédéral des Finances du 9 janvier 1998 a exclu précisément les expertises génétiques des activités médicales exonérées de TVA, mais par la suite une deuxième circulaire a modifié la précédente et établi que cette activité spécifique d'expertise était aussi comprise dans celles exonérées, en application de l'article 6, paragraphe 1, point 19, de l'UStG, précitée.
(7) - Le gouvernement britannique a également souligné, au cours de la procédure orale, que si le législateur communautaire avait effectivement voulu délimiter les activités exonérées en raison de leur finalité, il l'aurait expressément prévu. La directive a choisi une solution de ce type pour les activités visées à l'article 13 A, paragraphe 1, sous k) et p), de la sixième directive, et précisément pour la mise à disposition de personnel par des institutions religieuses ou philosophiques à des fins d'assistance sociale et de sécurité sociale, de protection de l'enfance, d'éducation et d'assistance spirituelle.
(8) - Voir article 2, point 1, de la directive.
(9) - Onzième considérant de la sixième directive. Le contenu de ce considérant laisse entendre que l'on veut éviter que le domaine d'application des exemptions varie d'un État membre à l'autre.
(10) - L'article 13, A, comporte en effet la rubrique «Exonérations en faveur de certaines activités d'intérêt général».
(11) - Sont aussi exonérées les livraisons d'organes, de sang et de lait humains (article 13, A, paragraphe 1, sous d).
(12) - Arrêt du 15 juin 1989 (348/87, Rec. p. 1737, point 13). Voir aussi arrêt du 5 juin 1997, SDC (C-2/95, Rec. p. I-3017, points 20 et 21).
(13) - Voir arrêt du 11 juillet 1985, Commission/Allemagne (107/84, Rec. p. 2655, point 20).
(14) - Arrêt du 24 mai 1988 (122/87, Rec. p. 2685, point 9).
(15) - Arrêt du 23 février 1988, Commission/Royaume-Uni (353/85, Rec. p. 817, point 33).
(16) - Arrêt Commission/Royaume-Uni, précité, points 33, 34 et 35.
(17) - Plus précisément «Heilbehandlungen im Bereich der Humanmedizin» (traitements thérapeutiques dans le domaine de la médecine humaine).
(18) - La version anglaise est ainsi formulée: «the provision of medical care in the exercice of the medical and paramedical professions as defined by the Member State concerned». La version danoise emploie les termes: «behandling af personer», la version néerlandaise «gezondheidskundige verzorging van de mens», la version grecque «iatrikis perithalpsios», la version finnoise «lååketieteellisen hoidon antaminen henkilolle» et la version suédoise «Sjukvardande behandling».
(19) - Respectivement «asistencia a personas fisicas» et «prestaçòes de servicios de assistencia».
(20) - Arrêts du 13 juillet 1989, Henriksen (173/88, Rec. p. 2763, points 10 et 11) et SDC, précité (point 22). Dans ce dernier arrêt, cette approche a été suivie dans l'interprétation de l'article 13, partie B, sous d), point 3, de la sixième directive qui prévoit l'exonération de TVA de différentes opérations bancaires. De façon plus générale, dans l'arrêt du 7 décembre 1995, Rockfon (C-449/93, p. I-4291, point 28), la Cour, en rappelant l'arrêt du 27 octobre 1977, Bouchereau (30/77, Rec. p. 1999, point 14), affirme que, en cas de divergence entre les différentes versions linguistiques, «la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l'économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément».
(21) - Voir point 33.
(22) - Cette circulaire aurait annulé une précédente circulaire du 4 décembre 1996, qui avait exclu les examens génétiques des activités exonérées.
(23) - Arrêt du 30 avril 1996, CIA Security International (C-194/94, Rec. p. I-2201, point 20).