ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
15 novembre 2012 (*)
«Directive 77/388/CEE – TVA – Exonérations – Article 13, B, sous b) – Affermage et location de biens immeubles – Péniche dépourvue de système de propulsion, immobilisée de manière permanente le long de la rive d’un fleuve – Location de la péniche, y compris le ponton, le terrain et le plan d’eau attenants à celle-ci – Affectation exclusive à l’exploitation permanente d’un restaurant-discothèque – Prestation unique»
Dans l’affaire C-532/11,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberlandesgericht Köln (Allemagne), par décision du 22 septembre 2011, parvenue à la Cour le 19 octobre 2011, dans la procédure
Susanne Leichenich
contre
Ansbert Peffekoven,
Ingo Horeis,
en présence de:
Dr. Leyh, Dr. Kossow & Dr. Ott KG, Wirtschaftsprüfungsgesellschaft, Steuerberatungsgesellschaft,
LA COUR (troisième chambre),
composée de Mme R. Silva de Lapuerta, faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. K. Lenaerts, E. Juhász (rapporteur), G. Arestis et J. Malenovský, juges,
avocat général: M. J. Mazák,
greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 septembre 2012,
considérant les observations présentées:
– pour Mme Leichenich, par Me H. Bister, Rechtsanwalt,
– pour MM. Peffekoven et Horeis, par Mes A. Funke et R. Lenzen, Rechtsanwälte,
– pour Dr. Leyh, Dr. Kossow & Dr. Ott KG, Wirtschaftsprüfungsgesellschaft, Steuerberatungsgesellschaft, par Mes T. Wahlen et S. Schneider, Rechtsanwälte,
– pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mme C. Soulay et M. B.-R. Killmann, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13, B, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Leichenich, propriétaire d’une péniche, à MM. Peffekoven et Horeis, ses conseillers fiscaux, au sujet de l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») d’une opération de location de cette péniche, laquelle est immobilisée, de manière permanente, le long de la rive d’un fleuve et est affectée à l’exploitation d’un restaurant-discothèque.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 2 de la sixième directive, faisant partie du titre II intitulé «Champ d’application», dispose:
«Sont soumises à la [TVA]:
1. les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;
[...]»
4 L’article 13 de cette directive, intitulé «Exonérations à l’intérieur du pays», prévoit à son point B, intitulé «Autres exonérations»:
«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:
[...]
b) l’affermage et la location de biens immeubles, à l’exception:
1. des opérations d’hébergement telles qu’elles sont définies dans la législation des États membres qui sont effectuées dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire, y compris les locations de camps de vacances ou de terrains aménagés pour camper;
2. des locations d’emplacement pour le stationnement des véhicules;
3. des locations d’outillages et de machines fixés à demeure;
4. des locations de coffres-forts.
Les États membres ont la faculté de prévoir des exclusions supplémentaires au champ d’application de cette exonération;
[...]»
5 Le contenu de la disposition susvisée de la sixième directive a été repris, de manière pratiquement inchangée, à l’article 135 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1), qui constitue la refonte de la sixième directive et de ses modifications successives.
6 L’article 38 du règlement d’exécution (UE) no 282/2011 du Conseil, du 15 mars 2011, portant mesures d’exécution de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 77, p. 1), qui fait partie de la sous-section 10 de ce règlement intitulée «Location de moyens de transport», prévoit:
«1. Les ‘moyens de transport’ visés à l’article 56 et à l’article 59, premier alinéa, point g), de la directive 2006/112/CE incluent les véhicules, motorisés ou non, et les autres dispositifs ou équipements destinés au transport de personnes ou de biens d’un endroit à l’autre, susceptibles d’être tirés, tractés ou poussés par des véhicules et qui sont normalement conçus pour être utilisés à des fins de transport et effectivement aptes à l’être.
[...]
3. Ne sont pas des moyens de transport visés au paragraphe 1 les véhicules qui sont immobilisés en permanence et les conteneurs.»
Le droit allemand
7 L’article 4 de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (Umsatzsteuergesetz) prévoit:
«Parmi les opérations visées à l’article 1er, paragraphe 1, point 1, de la présente loi, sont exonérés
[...]
12. a) la location et l’affermage de biens immeubles, de titres auxquels s’appliquent les dispositions du droit civil relatives aux biens immeubles et de propriétés foncières et immobilières de l’État;
b) la mise à disposition de biens immeubles et de parties d’immeubles destinés à une occupation sur la base d’un contrat ou d’un avant-contrat prévoyant le transfert de la propriété;
c) la constitution, le transfert et la mise à disposition de droits réels de jouissance sur des biens immeubles.
Ne sont pas exonérés la location de pièces ou de chambres qu’un entrepreneur réserve au logement temporaire d’étrangers, la location d’emplacements pour le stationnement des véhicules, la location temporaire d’emplacements dans des campings et la location et l’affermage de machines et autres installations de toute nature qui font partie d’une surface d’exploitation, même si elles constituent des éléments essentiels d’un immeuble.»
8 En droit allemand, un bien immeuble, indépendamment de son affectation, est une parcelle de terrain délimitée dans l’espace, qui figure sur l’inventaire cadastral sous un numéro particulier, ou qui est enregistrée conformément à la loi relative à la tenue du registre foncier et à la publicité foncière. La question de savoir si un bâtiment est un élément d’un bien immeuble s’apprécie, en principe, conformément à la jurisprudence nationale en matière fiscale, au regard des dispositions générales du droit civil, en l’occurrence de l’article 94 du code civil, intitulé «Éléments essentiels d’un bien immeuble ou bâtiments», qui prévoit à son paragraphe 1:
«Font partie des éléments essentiels d’un bien immeuble les éléments incorporés au sol, en particulier les bâtiments [...]»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
9 Il ressort du dossier mis à la disposition de la Cour que, en 1999, Mme Leichenich a conclu avec l’État allemand, représenté par l’administration des Eaux et des Voies navigables (Wasser und Schifffahrtsverwaltung, ci-après la «WSV»), une convention d’occupation portant sur une parcelle de terrain située sur la rive gauche du Rhin, à proximité de la ville de Cologne, et sur un plan d’eau, à savoir une portion du fleuve, adjacent à ce terrain. Selon cette convention, la WSV a mis ces parcelles à la disposition des usagers aux fins de l’exploitation d’une péniche, avec un ponton, en tant que restaurant. La péniche en question est amarrée au même endroit depuis de nombreuses années, n’a jamais été déplacée et est immobilisée au moyen de cordages, de chaînes et d’ancres. Elle est dépourvue de moteur et de système de propulsion. En outre, elle est raccordée aux réseaux d’eau et d’électricité et dispose d’une adresse, d’une ligne téléphonique ainsi que d’un collecteur d’eaux usées.
10 Par contrat du 1er février 2000, Mme Leichenich a donné en location la péniche, y compris le ponton et l’espace attenants, à une société de droit civil, laquelle a exploité la péniche, exclusivement en tant que café-restaurant et, plus tard, en tant que discothèque. Aucune TVA n’a été prélevée sur le montant du loyer, étant donné que, de l’avis des conseillers fiscaux de Mme Leichenich, il s’agissait de la location d’un bien immeuble. Toutefois, lors d’un contrôle effectué par le Finanzamt Köln-Altstadt, autorité fiscale territorialement compétente, au titre des années 2000 à 2003, période pendant laquelle Mme Leichenich était l’unique propriétaire des biens loués, cette autorité a considéré que la location portait sur un bien meuble et que, par conséquent, elle était assujettie à la TVA.
11 Mme Leichenich a alors engagé, à l’encontre de ses conseillers fiscaux, devant le Landgericht Köln, une action civile tendant au remboursement des montants versés au titre de la TVA. Cette juridiction, par jugement du 9 décembre 2010, en se référant à l’arrêt de la Cour du 16 janvier 2003, Maierhofer (C-315/00, Rec. p. I-563), a considéré que la péniche ne constituait ni un bien immeuble ni un élément essentiel d’un tel bien, dès lors qu’elle n’était pas incorporée au sol. En effet, elle pourrait être déplacée en quelques heures, même si cela impliquait une certaine préparation et le recours à un personnel spécialisé. Par conséquent, il s’agirait d’un bien meuble ne relevant pas de l’exception prévue à l’article 13, B, sous b), de la sixième directive.
12 Saisi de l’appel formé contre ce jugement, l’Oberlandesgericht Köln fait observer que, selon les termes du contrat de bail, celui-ci ne se limite pas à la location de la péniche et du ponton, mais inclut également le plan d’eau et le terrain y attenants. Dès lors, l’utilisation fixe et permanente de la péniche et du ponton serait indissociablement liée à l’occupation du plan d’eau et de la berge y attenants. En effet, l’utilisation fixe de la péniche empêcherait en permanence toute autre utilisation des eaux qu’elle recouvre, notamment pour le transport public. En d’autres termes, selon ce contrat, une partie du fleuve, et donc du sol, aurait été louée. La location de la péniche et du ponton y attenant, stipulée dans le contrat, inclurait donc nécessairement l’occupation et la mise à disposition du plan d’eau et du terrain qui avaient été accordées précédemment à Mme Leichenich par la convention conclue avec la WSV.
13 La juridiction de renvoi précise en outre que, selon le contrat, la péniche ne peut être utilisée qu’à l’endroit spécifié et n’a pas vocation à être déplacée. Elle se trouverait d’ailleurs au même emplacement depuis de nombreuses années. Cette juridiction relève également que, étant donné que le contrat de bail a mis le sol à la disposition des locataires pour une utilisation fixe de la péniche et que celle-ci dispose d’une ligne téléphonique, de raccordements et même d’un collecteur d’eaux usées, il pourrait être considéré, sur la base d’une approche fonctionnelle, que la péniche constitue un bâtiment au sens de la sixième directive, étant entendu qu’un tel bâtiment ne peut, naturellement, être fixé à un plan d’eau aussi solidement qu’à la terre ferme.
14 La juridiction de renvoi se demande de plus si une distinction doit être opérée, du point de vue de la TVA, entre la location de la partie du bien immeuble affectée à la péniche et la location de celle affectée au ponton, lequel, selon les termes du contrat, a été mis à la disposition des intéressés pour être utilisé comme emplacement de bateaux. Elle s’interroge sur le point de savoir si cette dernière prestation ne devrait pas être considérée comme accessoire dans le cadre d’un contrat unique, en raison du fait que la mise à disposition du ponton servirait, totalement ou en majeure partie, à accéder à la péniche.
15 Eu égard à ces considérations, l’Oberlandesgericht Köln a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’article 13, B, sous b), de la sixième directive [...] doit-il être interprété en ce sens que la notion d’affermage et de location de biens immeubles comprend la location d’une péniche, y compris l’espace et le ponton y attenants, qui est exclusivement affectée à l’exploitation fixe et permanente d’un restaurant-discothèque sur un emplacement délimité et identifiable sur l’eau? Cette appréciation dépend-elle de la manière dont la péniche est attachée au sol ou des moyens nécessaires pour enlever les attaches du bateau?
2) En cas de réponse affirmative à la première phrase de la première question: l’article 13, B, sous b), de la sixième directive [...] doit-il être interprété en ce sens que la notion de ‘véhicules’ qui, conformément à l’arrêt rendu par la Cour le 3 mars 2005 dans l’affaire C-428/02 [Fonden Marselisborg Lystbådehavn, Rec. p. I-1527], englobe également les bateaux, n’est pas applicable à une péniche dépourvue de système de propulsion (moteur) et qui a été louée pour être utilisée exclusivement et de manière permanente à l’endroit spécifié et non dans le but d’être déplacée? La location de la péniche et du ponton, y compris le terrain et le plan d’eau y attenants, constitue-t-elle une prestation unique exonérée ou convient-il, le cas échéant, de distinguer la location de la péniche et celle du ponton du point de vue de la TVA?»
Sur la première question et la seconde partie de la seconde question
16 Par sa première question et la seconde partie de sa seconde question, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13, B, sous b), de la sixième directive doit être interprété en ce sens que la notion d’affermage et de location de biens immeubles comprend la location d’une péniche, y compris l’espace et le ponton y attenants, qui est immobilisée au moyen d’attaches non aisément amovibles fixées à la berge et au bassin d’un fleuve, repose sur un emplacement délimité et identifiable sur l’eau fluviale et est exclusivement affectée, selon les termes du contrat de bail, à l’exploitation permanente d’un restaurant-discothèque sur cet emplacement. Elle demande également si, dans de telles circonstances, la location de la péniche et celle du ponton constituent une prestation unique exonérée.
17 À cet égard, il importe de relever, à titre liminaire, que, selon une jurisprudence constante, les exonérations prévues à l’article 13 de la sixième directive constituent des notions autonomes du droit de l’Union et doivent, dès lors, recevoir une définition communautaire, et que l’interprétation de la notion de location de bien immeuble visée à l’article 13, B, sous b), de la sixième directive ne saurait dépendre de celle donnée par le droit civil d’un État membre (arrêt Maierhofer, précité, points 25 et 26, ainsi que jurisprudence citée).
18 Il convient de rappeler également que, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions de l’Union et les juridictions nationales, il incombe à la Cour de prendre en compte le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insère la question préjudicielle, tel que défini par la décision de renvoi (arrêt du 20 mai 2010, Harms, C-434/08, Rec. p. I-4431, point 33).
19 Conformément aux constatations factuelles de la juridiction de renvoi dans la présente affaire, le contrat de bail ne se limite pas à la location de la péniche et du ponton, mais inclut également le plan d’eau et le terrain y attenants, l’utilisation de la péniche et du ponton étant indissociable de l’occupation de ces autres éléments. La location a, en outre, exclusivement pour finalité l’exploitation de la péniche, avec le ponton, en tant que restaurant-discothèque.
20 Par suite de ces constatations de la juridiction de renvoi, il convient d’examiner la situation de la péniche non pas de manière isolée, mais en tenant compte de l’intégration de celle-ci dans son emplacement.
21 Eu égard à ces éléments factuels, il convient de constater que la partie émergée du sol correspondant, dans l’affaire au principal, au terrain attenant à l’emplacement de la péniche sur l’eau constitue un bien immeuble. De même, constitue un bien immeuble la partie immergée et délimitée du bassin fluvial, qui est recouverte par les eaux fluviales sur lesquelles repose la péniche (voir, en ce sens, arrêts Fonden Marselisborg Lystbådehavn, précité, point 34, et du 6 décembre 2007, Walderdorff, C-451/06, Rec. p. I-10637, point 19). La juridiction de renvoi fait observer que l’utilisation de la péniche empêche en permanence toute autre utilisation des eaux qu’elle recouvre.
22 La péniche, la partie émergée du sol et la partie immergée du bassin fluvial constituent un ensemble qui fait l’objet principal du contrat de bail.
23 Il ressort de la décision de renvoi que la péniche, dépourvue de système de propulsion, est immobilisée sur cette partie de l’eau fluviale depuis de nombreuses années. Elle est accrochée à la partie délimitée du bassin fluvial au moyen d’ancres et est attachée à la berge au moyen de chaînes et de cordages. Ces dispositifs d’immobilisation de la péniche ne peuvent pas être enlevés aisément, c’est-à-dire sans fournir d’efforts et sans supporter des coûts non négligeables. Conformément à la jurisprudence de la Cour, il n’est pas nécessaire qu’une construction soit indissociablement incorporée au sol pour être considérée comme un immeuble aux fins de l’application des règles en matière de TVA (arrêt Maierhofer, précité, point 33).
24 Selon les termes du contrat de bail, qui est conclu pour une durée de cinq ans et qui ne dénote aucune volonté des parties de donner un caractère occasionnel et temporaire à l’usage qui est fait de la péniche, cette dernière est exclusivement affectée à l’exploitation permanente d’un restaurant-discothèque. En outre, la péniche dispose d’une adresse postale, d’une ligne téléphonique et est raccordée aux réseaux d’alimentation en eau et en électricité.
25 Compte tenu du lien existant entre la péniche et les éléments qui composent son emplacement et du fait qu’elle est fixée à ces éléments, qui font en sorte qu’elle constitue, en pratique, une partie de cet espace pris dans son ensemble, compte tenu, en outre, du contrat qui affecte exclusivement et de manière permanente la péniche à l’exploitation, à cet emplacement, d’un restaurant-discothèque, et compte tenu du fait que celle-ci est raccordée aux différents réseaux, il y a lieu de considérer l’ensemble constitué par la péniche et les éléments qui composent l’emplacement où elle est amarrée comme un bien immeuble aux fins de l’application de l’exonération visée par l’article 13, B, sous b), de la sixième directive.
26 C’est à juste titre que la Commission européenne fait observer que, au vu de l’objectif visé par les parties contractantes et de la fonction réservée par celles-ci à la péniche, il serait, pour ces parties, indifférent, d’un point de vue économique, qu’il s’agisse d’un bâtiment incorporé au sol de manière fixe, par exemple, au moyen de pilotis, ou d’une simple péniche telle que celle en cause dans l’affaire au principal.
27 Ne saurait être retenu l’argument du gouvernement allemand, selon lequel l’objet principal du contrat serait la location de la péniche indépendamment de l’emplacement où elle est amarrée, dès lors que, aux fins d’assurer la rentabilité d’un restaurant, l’emplacement revêt une importance considérable. Le contrat de bail et le montant du loyer ont été convenus dans l’affaire au principal en fonction de l’emplacement de la péniche, lequel est situé, notamment, à proximité d’une grande agglomération et permet un accès aisé à la péniche-restaurant.
28 Il importe encore de souligner que, aux termes de la décision de renvoi, la mise à disposition du ponton vise essentiellement à permettre l’accès à la péniche. Il apparaît ainsi que la péniche forme avec les éléments constituant son emplacement, à savoir la partie émergée et la partie immergée du sol, le plan d’eau ainsi que le ponton y attenants, une unité fonctionnelle et économique, et que le contrat de location, qui couvre tous ces éléments, englobe une prestation unique, dans le cadre de laquelle la location du ponton a un caractère accessoire par rapport à celle de la péniche. Par conséquent, la location de ce ponton ne doit pas être considérée comme une prestation distincte du point de vue de la TVA.
29 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question et à la seconde partie de la seconde question que l’article 13, B, sous b), de la sixième directive doit être interprété en ce sens que la notion d’affermage et de location de biens immeubles comprend la location d’une péniche, y compris l’espace et le ponton y attenants, qui est immobilisée au moyen d’attaches non aisément amovibles fixées à la berge et au bassin d’un fleuve, repose sur un emplacement délimité et identifiable des eaux fluviales et est exclusivement affectée, selon les termes du contrat de bail, à l’exploitation permanente d’un restaurant-discothèque sur cet emplacement. Cette location constitue une prestation unique exonérée, sans qu’il y ait lieu de distinguer la location de la péniche de celle du ponton.
Sur la première partie de la seconde question
30 Par la première partie de cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si une péniche, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, constitue un «véhicule» aux fins de l’application de l’exception prévue à l’article 13, B, sous b), point 2, de la sixième directive.
31 Conformément à la jurisprudence de la Cour, le terme «véhicule» employé dans ladite disposition doit être interprété comme visant «tous moyens de transport», y compris les bateaux (voir arrêt Fonden Marselisborg Lystbådehavn, précité, point 44). Selon l’acception usuelle de ces termes, il s’agit des moyens affectés au transport des personnes ou des marchandises, à savoir des moyens utilisés concrètement pour cette fonction.
32 Cette approche de la notion de véhicule, fondée sur la fonction et l’usage concrets du bien considéré, est confirmée par l’article 38, paragraphes 1 et 3, du règlement no 282/2011, qui met précisément l’accent, en vue de la qualification d’un véhicule de «moyen de transport», sur le fait qu’il est destiné au transport de personnes ou de biens, et exclut de cette qualification les véhicules qui sont immobilisés en permanence. Ce règlement, non applicable ratione temporis à l’affaire au principal, explicite et clarifie toutefois des notions figurant dans la réglementation en matière de TVA et applicables depuis l’instauration de cette dernière.
33 Par conséquent, c’est non pas l’affectation initiale d’un bien, mais sa fonction concrète et actuelle qui importe. L’affectation initiale d’un bien ne peut, en effet, assurer définitivement à ce dernier un certain traitement au regard des règles en matière de TVA, nonobstant la modification de l’usage réel qui est fait de ce bien.
34 Or, ainsi qu’il ressort du dossier mis à la disposition de la Cour, la péniche en cause dans l’affaire au principal, conçue probablement, lors d’une phase initiale, aux fins d’une utilisation en tant que moyen de transport, n’a pas été utilisée pendant les trente dernières années à de telles fins et a, pendant cette période, été en permanence immobilisée au même endroit, le long de la rive gauche du Rhin. En outre, selon les termes du contrat de bail, les parties contractantes n’ont exprimé aucune intention d’utiliser la péniche en tant que moyen de transport pendant la durée du contrat et lui ont réservé une fonction bien différente. Dès lors, cette péniche ne peut être considérée, au regard des règles de la TVA, comme véhicule.
35 Ne peut être accueilli l’argument du gouvernement allemand selon lequel la fonction de la péniche-restaurant en cause dans l’affaire au principal est comparable à celle d’un bateau-restaurant qui effectue de courtes croisières sur un cours d’eau, tel que le Rhin ou la Moselle, et qui constitue certainement un moyen de transport. En effet, un ensemble, tel que celui en cause au principal, constitué d’une péniche ainsi que de l’espace et du ponton y attenants, est un bien immeuble visant exclusivement à offrir des services de restauration et de divertissement dans un cadre particulier, alors que les bateaux-restaurants effectuant des croisières sur un cours d’eau sont des véhicules affectés à la fourniture tant de services de restauration que de services touristiques. Par conséquent, la situation de ces derniers ne peut être comparée à celle en cause au principal.
36 Ainsi que la Commission l’a fait observer à juste titre, au regard du principe de neutralité fiscale, la fonction de la péniche en cause au principal est comparable à celle d’un immeuble à usage de restaurant qui serait installé à proximité de cette dernière, sur la terre ferme. Dès lors, le restaurant-discothèque fonctionnant sur cette péniche se trouve en concurrence, sur le plan économique, avec des établissements analogues situés dans des bâtiments incorporés au sol.
37 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première partie de la seconde question qu’une péniche telle que celle en cause dans l’affaire au principal ne constitue pas un véhicule au sens de l’article 13, B, sous b), point 2, de la sixième directive.
Sur les dépens
38 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:
1) L’article 13, B, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que la notion d’affermage et de location de biens immeubles comprend la location d’une péniche, y compris l’espace et le ponton y attenants, qui est immobilisée au moyen d’attaches non aisément amovibles fixées à la berge et au bassin d’un fleuve, repose sur un emplacement délimité et identifiable des eaux fluviales et est exclusivement affectée, selon les termes du contrat de bail, à l’exploitation permanente d’un restaurant-discothèque sur cet emplacement. Cette location constitue une prestation unique exonérée, sans qu’il y ait lieu de distinguer la location de la péniche de celle du ponton.
2) Une telle péniche ne constitue pas un véhicule au sens de l’article 13, B, sous b), point 2, de la sixième directive 77/388.
Signatures
* Langue de procédure: l’allemand.