Available languages

Taxonomy tags

Info

References in this case

References to this case

Share

Highlight in text

Go

Avis juridique important

|

61991J0276

Arrêt de la Cour du 2 août 1993. - Commission des Communautés européennes contre République française. - Sanctions en cas d'infraction à la législation TVA - Caractère disproportionné. - Affaire C-276/91.

Recueil de jurisprudence 1993 page I-04413


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


++++

Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxe sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Régime national de sanction de l' évasion fiscale - Différenciation entre importation et régime intérieur - Admissibilité - Condition - Absence d' écart disproportionné entre les sanctions

(Traité CEE, art. 95; directive du Conseil 77/388)

Sommaire


Si les États membres ne sont pas obligés de prévoir des régimes de sanctions identiques pour les infractions à la taxe sur la valeur ajoutée due à l' importation et pour celles à la même taxe afférente aux transactions réalisées à l' intérieur du pays, dès lors que les deux catégories d' infractions ne sont pas décelables avec la même facilité, la plus ou moins grande difficulté avec laquelle une infraction peut être découverte ne saurait toutefois justifier un écart manifestement disproportionné dans la sévérité des sanctions prévues pour les deux catégories d' infractions. On se trouve en présence d' une telle disproportion, et donc d' un manquement aux obligations découlant de l' article 95 du traité, lorsque les infractions commises à l' occasion d' une importation donnent lieu à la confiscation de l' objet de la fraude et à une amende comprise entre une et deux fois la valeur dudit objet, alors que les infractions commises en régime intérieur ne sont réprimées que par une amende proportionnelle au montant de l' impôt éludé.

Parties


Dans l' affaire C-276/91,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Johannes Foens Buhl, conseiller juridique, en qualité d' agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Nicola Annecchino, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie requérante,

contre

République française, représentée par M. Philippe Pouzoulet, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. Jean-Louis Falconi, secrétaire des affaires étrangères au même ministère, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l' ambassade de France, 9, boulevard du Prince Henri,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater que, en instituant et appliquant des dispositions législatives, réglementaires ou administratives en force sous l' article 414 du code français des douanes, qui sanctionnent plus sévèrement les infractions à la TVA due à l' importation d' un autre État membre que les sanctions prévues pour les infractions à la TVA afférente aux transactions réalisées à l' intérieur du pays, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 95 du Traité instituant la Communauté Economique Européenne,

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président de chambres, f.f. de président, M. Zuleeg et J. L. Murray, présidents de chambre, G. F. Mancini, R. Joliet, F. A. Schockweiler, J. C. Moitinho de Almeida, F. Grévisse et D. A. O. Edward, juges,

avocat général: M. C. O. Lenz

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l' audience du 13 janvier 1993,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 17 février 1993,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 25 octobre 1991, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l' article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que, en instituant et appliquant des dispositions législatives, réglementaires ou administratives en force sous l' article 414 du code français des douanes, qui sanctionnent plus sévèrement les infractions à la TVA due à l' importation d' un autre État membre que les sanctions prévues pour les infractions à la TVA afférente aux transactions réalisées à l' intérieur du pays, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 95 du traité.

2 La législation française prévoit deux régimes de sanctions pour les infractions commises en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Le premier, applicable aux infractions se rapportant à des transactions effectuées à l' intérieur du pays, comporte des sanctions fiscales et des sanctions pénales. Le second, concernant les infractions commises à l' occasion de l' importation de certains biens sur le territoire national, comporte exclusivement des sanctions pénales.

3 Dans le cas des infractions se rapportant aux transactions internes, la loi n 87-502 du 8 juillet 1987 modifiant les procédures fiscales et douanières (JORF du 9 juillet 1987, p. 7470, ci-après "loi du 8 juillet 1987") prévoit, en son article 2, paragraphe 2, une sanction fiscale consistant en une majoration de 10 % de la somme due, qui est portée à 40 % après une première mise en demeure et à 80 % après une seconde. Les articles 1741 et 1750 du code général des impôts édictent, en outre, des sanctions pénales: une amende de 5 000 FF à 250 000 FF, un emprisonnement de un à cinq ans et, le cas échéant, la suspension du permis de conduire pendant une période de trois ans maximum.

4 Pour les infractions commises à l' occasion de l' importation de marchandises fortement taxées, ce qui, au moment des faits, était le cas des voitures, alors soumises à un taux de TVA de 33,33 %, l' article 414 du code des douanes institue des sanctions pénales, à savoir le paiement d' une amende comprise entre une et deux fois la valeur de l' objet de la fraude, la confiscation de cet objet et un emprisonnement de trois ans maximum. Par ailleurs, en application de l' article 2, sous II, de la loi du 8 juillet 1987, de telles infractions peuvent faire l' objet de transactions s' élevant, par mois de retard, à 5 % de la TVA éludée lorsque la taxe est payée avec un retard de trois à seize mois, et à 80 % lorsque la taxe est payée avec plus de seize mois de retard.

5 Le présent recours a été introduit à la suite d' un litige qui a opposé une ressortissante belge, Mme Patron, à l' administration des douanes françaises. Cette dernière reprochait à Mme Patron d' avoir utilisé en France sa voiture personnelle, immatriculée en Belgique, sans avoir payé la TVA alors que, selon cette administration, elle avait sa résidence normale en France. Ayant refusé la transaction qui lui avait été proposée, Mme Patron a finalement été condamnée, pour délit douanier d' importation sans déclaration d' une voiture, à la confiscation du véhicule et à une amende qui a été fixée, compte tenu des larges circonstances atténuantes dont elle pouvait bénéficier, à 22 000 FF.

6 Par lettre du 27 avril 1989, la Commission a fait savoir au gouvernement français qu' elle considérait que les sanctions prévues par l' article 414 du code des douanes étaient contraires aux dispositions de l' article 95 du traité à un double titre. En premier lieu, elles seraient plus sévères que les sanctions frappant les infractions commises lors de transactions réalisées à l' intérieur du pays et cette différence serait disproportionnée par rapport à la dissimilitude des deux catégories d' infractions (voir arrêt du 25 février 1988, Drexl, 299/86, Rec. p. 1213). En second lieu, ces sanctions ne prendraient pas en considération la part résiduelle de la TVA acquittée dans l' État d' exportation, contrairement au principe énoncé par la Cour dans ses arrêts du 5 mai 1982, Schul (15/81, Rec. p. 1409) et du 21 mai 1985, Schul (47/84, Rec. p. 1491).

7 N' ayant reçu aucune réponse du gouvernement français, la Commission lui a, le 26 juillet 1990, adressé un avis motivé dans lequel elle a maintenu les griefs énoncés dans la lettre de mise en demeure et l' a invité à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois.

8 Cette demande est également restée sans réponse. La Commission a alors introduit, par requête du 25 octobre 1991, le présent recours en constatation de manquement.

9 Pour un plus ample exposé de la législation nationale en cause, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d' audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

10 Eu égard à la formulation du dispositif de la requête, il y a lieu de relever que l' objet du recours est en substance de faire constater que, en instituant et en appliquant, au titre de l' article 414 du code des douanes, un régime de sanctions pour les infractions à la TVA due à l' importation, qui est plus sévère que celui prévu par ailleurs pour les infractions à la TVA afférente aux transactions rémunérées à l' intérieur du pays, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 95 du traité.

11 Le gouvernement français expose tout d' abord que, depuis les faits litigieux, l' harmonisation des taux de TVA décidée au niveau communautaire, a conduit à la disparition de la catégorie des biens fortement taxés au sens de l' article 414 du code des douanes. Il se réfère à cet égard à l' article 11 de la loi n 91-716 du 26 juillet 1991 qui prévoit effectivement la suppression définitive du taux majoré de TVA à compter du 1er janvier 1993.

12 A cet argument, il suffit de répondre que, selon une jurisprudence constante, l' objet d' un recours introduit au titre de l' article 169 est fixé par l' avis motivé de la Commission et que, même au cas où le manquement aurait été éliminé postérieurement au délai déterminé en vertu du deuxième alinéa du même article, la poursuite de l' action conserve un intérêt (arrêt du 7 février 1973, Commission/République italienne, 39/72, Rec. p. 101, point 9).

13 En réponse au grief de la Commission tenant à la disproportion des sanctions, le gouvernement français fait ensuite valoir que, en application de l' article 95 du traité tel qu' il a été interprété par l' arrêt Drexl précité, les États membres ne sont pas obligés de prévoir des régimes de sanctions identiques pour les infractions à la TVA perçue à l' importation et pour les infractions à la TVA afférente aux transactions réalisées à l' intérieur du pays. En l' espèce, ces dernières infractions seraient moins sévèrement sanctionnées que celles commises en matière de TVA due à l' importation, parce qu' elles sont plus facilement repérables en raison des obligations auxquelles sont soumis les assujettis. Dans le cadre du régime intérieur, le vendeur d' un véhicule serait en effet tenu d' établir toute une série de documents qui mettent l' administration fiscale à même de détecter la fraude, alors que, dans le cadre du régime de TVA à l' importation, le passage de la frontière constituerait le seul acte à l' occasion duquel la fraude peut être détectée et le contrevenant identifié.

14 A cet égard, il y a lieu de confirmer que les États membres ne sont pas obligés de prévoir des régimes identiques pour les deux catégories d' infractions, dès lors qu' elles ne sont pas décelables avec la même facilité.

15 Toutefois, ainsi que l' a souligné la Cour dans l' arrêt Drexl précité, la plus ou moins grande difficulté avec laquelle une infraction peut être découverte ne saurait justifier un écart manifestement disproportionné dans la sévérité des sanctions prévues pour les deux catégories d' infractions.

16 Il convient par conséquent de vérifier si, en l' espèce, cet écart n' est pas manifestement disproportionné.

17 A cet égard, le gouvernement français expose que les sanctions pénales prévues par les articles 1741 et 1750 du code général des impôts pour les infractions à la TVA perçue sur une transaction réalisée à l' intérieur du pays, sont comparables aux sanctions pénales prévues par l' article 414 du code des douanes en cas d' infraction à la TVA due à l' importation.

18 Cette argumentation ne saurait être retenue.

19 Le fait d' omettre de déclarer l' importation d' un bien et de ne pas acquitter la TVA qui y est afférente, est, comme tel, sans qu' une intention dolosive doive être démontrée, érigé en délit, lequel est, en vertu de l' article 414 du code des douanes, sanctionné par une amende comprise entre une et deux fois la valeur du bien, la confiscation du véhicule et un emprisonnement de trois ans maximum. Cette disposition vise en effet "tout fait d' importation ... sans déclaration".

20 Au contraire, dans le cadre du régime intérieur, le seul fait d' omettre de déclarer une opération soumise à la TVA entraîne le paiement d' un intérêt de retard et d' une majoration équivalente à 10 % des impôts dus, à 40 % après une première mise en demeure, et à 80 % après une seconde mise en demeure. Ce n' est que lorsque l' autorité nationale démontre que ce fait s' accompagne d' une intention dolosive dans le chef de l' auteur de l' infraction, qu' il est constitutif d' une infraction pénale passible d' une amende de 5000 à 250 000 FF, d' un emprisonnement d' un à cinq ans et, le cas échéant, d' une suspension du permis de conduire pendant une période de trois ans maximum, en vertu des articles 1741 et 1750 du code général des impôts.

21 Le seuil de déclenchement des sanctions pénales est donc plus bas en cas d' infraction à la TVA due à l' importation qu' en cas d' infraction à la TVA due au titre de transactions réalisées à l' intérieur du pays.

22 En conséquence, il convient de comparer les sanctions pénales prévues par l' article 414 du code des douanes, qui ne requièrent aucune intention dolosive, avec les sanctions fiscales prévues par la loi du 8 juillet 1987, qui ne requièrent pas non plus d' intention dolosive.

23 De cette comparaison, il ressort que la mesure de confiscation de l' objet de la fraude n' existe pas en cas d' infraction interne correspondante. En outre, l' amende, peine qui s' ajoute automatiquement à la mesure de confiscation, est comprise entre une et deux fois la valeur de l' objet non déclaré, alors que, en cas d' infraction interne correspondante, elle est proportionnelle au montant de l' impôt éludé. La disproportion dans la sévérité des sanctions applicables aux infractions à la TVA due à l' importation, d' une part, et aux infractions à la TVA en régime intérieur, d' autre part, est donc manifeste.

24 Le gouvernement français fait encore valoir au sujet de ce grief que, pour les infractions commises lors de l' importation des véhicules, l' article 350 du code des douanes habilite l' administration douanière à transiger et que le montant de ces transactions est similaire aux sanctions fiscales applicables aux infractions commises lors d' opérations ayant eu lieu à l' intérieur du pays.

25 A cet égard, il suffit de répondre que cette faculté, relevant du pouvoir discrétionnaire de l' administration, ne suffit pas à faire disparaître le manquement qui résulte de l' article 414 du code des douanes. En effet, selon une jurisprudence constante, l' incompatibilité d' une disposition nationale avec les dispositions du traité ne peut être éliminée qu' au moyen de dispositions internes contraignantes (voir arrêts du 2 décembre 1986, Commission/Belgique, 239/85, Rec. p. 3645, et du 21 juin 1988, Commission/Belgique, 257/86, Rec. p. 3249).

26 Il convient enfin d' examiner le second grief avancé par la Commission. Ainsi qu' il a déjà été dit au point 6, celle-ci soutient qu' une atteinte à l' article 95 du traité résulte, en outre, de ce que l' amende prévue par l' article 414 du code des douanes ne tient pas compte de la part résiduelle de la TVA acquittée dans l' État membre d' exportation et encore incorporée dans la valeur du bien au moment de l' importation, si bien que le montant de cette part résiduelle fait encore partie de la base d' imposition et n' est pas déduit de la TVA due à l' importation.

27 A cet égard, il y a lieu de souligner qu' un régime qui fait dépendre la détermination du montant de l' amende de la valeur du bien ne tient pas compte, par hypothèse, de la part résiduelle de la TVA acquittée dans l' État membre d' exportation.

28 Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en instituant et en appliquant, au titre de l' article 414 du code français des douanes, un régime de sanctions pour les infractions à la TVA due à l' importation d' un autre État membre, qui est plus sévère que celui prévu par ailleurs pour les infractions à la TVA afférente aux transactions réalisées à l' intérieur du pays, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 95 du traité.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

29 Aux termes de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République française ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

1) En instituant et en appliquant, au titre de l' article 414 du code français des douanes, un régime de sanctions pour les infractions à la TVA due à l' importation d' un autre État membre, qui est plus sévère que celui prévu par ailleurs pour les infractions à la TVA afférente aux transactions réalisées à l' intérieur du pays, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 95 du traité.

2) La République française est condamnée aux dépens.