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Avis juridique important

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61997J0414

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 16 septembre 1999. - Commission des Communautés européennes contre Royaume d'Espagne. - Manquement d'Etat - Importations et acquisitions d'armements - Sixième directive TVA - Législation nationale non conforme. - Affaire C-414/97.

Recueil de jurisprudence 1999 page I-05585


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1 Recours en manquement - Procédure précontentieuse - Obligation pour l'État membre de soulever tous ses moyens de défense - Absence

(Traité CE, art. 169 (devenu art. 226 CE))

2 États membres - Obligations - Manquement - Justification - Exigences de la sécurité publique - Admissibilité - Conditions

(Traité CE, art. 36, 48, 56 et 223 (devenus, après modification, art. 30 CE, 39 CE, 46 CE et 296 CE) et art. 169 et 224 (devenus art. 226 CE et 297 CE))

3 Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Faculté pour les États membres de maintenir certaines exonérations à titre transitoire - Portée - Introduction de nouvelles exonérations - Inadmissibilité

(Directive du Conseil 77/388, art. 28, § 3, b))

4 Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Exonérations prévues par la sixième directive - Exonération de certaines opérations relatives aux bateaux de guerre et aux aéronefs visées aux points 23 et 25 de l'annexe F - Extension au matériel militaire - Inadmissibilité

(Directive du Conseil 77/388, art. 28, § 3, b), et annexe F, points 23 et 25)

Sommaire


1 Dans le cadre d'un recours fondé sur l'article 169 du traité (devenu article 226 CE), il ne saurait être exigé, sans violer le principe général du respect des droits de la défense, que les moyens de défense soulevés par l'État membre en cause aient déjà été invoqués pendant la procédure précontentieuse. En effet, dès lors que l'objet du litige a été clairement défini lors de cette procédure, l'État membre a le droit d'invoquer tous les moyens à sa disposition pour assurer sa défense, aucune règle de procédure ne lui faisant obligation de présenter tous ses arguments au cours de la phase précontentieuse.

2 Les dispositions du traité prévoyant des dérogations applicables en cas de situations susceptibles de mettre en cause la sécurité publique, à savoir les articles 36, 48, 56 et 223 (devenus, après modification, articles 30 CE, 39 CE, 46 CE et 296 CE) et l'article 224 (devenu article 297 CE), concernent des hypothèses exceptionnelles déterminées, et ne se prêtent pas à une interprétation extensive en raison de ce caractère limité.

Il appartient, dès lors, à l'État membre qui entend se prévaloir de ces exceptions afin de justifier le non-respect de ses obligations de fournir la preuve que les mesures adoptées ne dépassent pas les limites desdites hypothèses.

3 Un État membre qui, en exécution de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, a assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée certaines opérations n'est plus en droit par la suite d'introduire l'exonération de ces opérations en prétendant faire usage de la faculté, accordée par l'article 28, paragraphe 3, sous b), de la directive, de continuer à exonérer, au cours d'une période transitoire, les opérations énumérées à l'annexe F de ladite directive.

4 L'article 28, paragraphe 3 bis, de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, introduit par la directive 91/680, qui autorise le royaume d'Espagne à exonérer de la taxe sur la valeur ajoutée les opérations visées aux points 23 et 25 de l'annexe F, à savoir les opérations relatives aux aéronefs et aux bateaux de guerre, est, en tant qu'exception, d'interprétation stricte. En exonérant de la taxe les importations et les acquisitions intracommunautaires d'armement, de munitions et de matériel à usage exclusivement militaire, autres que celles portant sur les aéronefs et les bateaux de guerre, ledit État membre manque dès lors aux obligations lui incombant en vertu de la directive.

Parties


Dans l'affaire C-414/97,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Miguel Díaz-Llanos La Roche, conseiller juridique, et Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de ce dernier, Centre Wagner, Kirchberg,

partie requérante,

contre

Royaume d'Espagne, représenté par Mme Nuria Díaz Abad, abogado del Estado, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade d'Espagne, 4-6, boulevard E. Servais,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater que, en exonérant de la taxe sur la valeur ajoutée les importations et les acquisitions intracommunautaires d'armement, de munitions et de matériel à usage exclusivement militaire, autres que les aéronefs et les bateaux de guerre visés aux points 23 et 25 de l'annexe F de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), nonobstant les dispositions des articles 2, point 2, 14, 28 bis et 28 quater, B, de cette même directive, le royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE,

LA COUR

(sixième chambre),

composée de MM. P. J. G. Kapteyn, président de chambre, G. Hirsch et J. L. Murray (rapporteur), juges,

avocat général: M. A. Saggio,

greffier: M. R. Grass,

vu le rapport du juge rapporteur,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 18 mars 1999,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 5 décembre 1997, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), un recours visant à faire constater que, en exonérant de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») les importations et les acquisitions intracommunautaires d'armement, de munitions et de matériel à usage exclusivement militaire, autres que les aéronefs et les bateaux de guerre visés aux points 23 et 25 de l'annexe F de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»), nonobstant les dispositions des articles 2, point 2, 14, 28 bis et 28 quater, B, de cette même directive, le royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE.

2 Selon la sixième directive, sont soumises à la TVA:

- les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel (article 2, point 1);

- les importations de biens (article 2, point 2);

- les acquisitions intracommunautaires de biens [article 28 bis inséré par la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l'abolition des frontières fiscales, la directive 77/388 (JO L 376, p. 1)].

3 L'article 14 de cette directive énumère les exonérations admises à l'importation. L'article 28 quater, B (inséré par la directive 91/680), énonce les exonérations admises pour les acquisitions intracommunautaires de biens.

4 En vertu des dispositions de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités (JO 1985, L 302, p. 23, ci-après l'«acte d'adhésion»), la sixième directive est applicable en Espagne, à l'exception des îles Canaries, de Ceuta et de Melilla.

5 Selon la loi n_ 6/87, du 14 mai 1987, relative aux dotations budgétaires pour les investissements et les frais de fonctionnement des forces armées (BOE du 19 mai 1987, ci-après la «loi espagnole»), sont exonérées de la TVA, avec effet rétroactif au 1er janvier 1986, les importations en Espagne de produits provenant d'autres États membres, y compris les livraisons d'armement, de munitions et de matériel à usage exclusivement militaire.

6 En vertu de la loi espagnole, le royaume d'Espagne n'applique pas la TVA à certaines importations et acquisitions intracommunautaires de biens qui devraient, selon la Commission, y être assujetties, puisque l'exonération n'est prévue ni par les articles 14 et 28 quater de la sixième directive ni par l'acte d'adhésion.

7 Estimant que l'introduction de cette exonération était contraire aux dispositions de l'article 2, point 2, de la sixième directive, la Commission a, par lettre du 7 février 1990, mis le gouvernement espagnol en demeure de lui présenter ses observations dans un délai de deux mois.

8 Les autorités espagnoles ont répondu par lettre du 7 mai 1990. La Commission a toutefois considéré que, nonobstant les arguments invoqués par les autorités espagnoles, l'introduction de l'exonération litigieuse dans l'ordre juridique espagnol constituait une infraction aux dispositions de la sixième directive.

9 Constatant toutefois que, depuis le 1er janvier 1993, le royaume d'Espagne pouvait, en vertu de la directive 91/680, exonérer de la TVA certaines opérations relatives aux bateaux de guerre et aux aéronefs visées aux points 23 et 25 de l'annexe F de la sixième directive, la Commission a estimé que, bien que le royaume d'Espagne ait enfreint cette directive en ce qui concerne le matériel militaire jusqu'au 1er janvier 1993, cette infraction avait depuis lors disparu, s'agissant du matériel mentionné aux points 23 et 25 de cette annexe.

10 La Commission a, le 6 août 1996, adressé au royaume d'Espagne un avis motivé l'invitant à prendre les mesures nécessaires pour s'y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

11 Par lettre du 16 juin 1997, le royaume d'Espagne a répondu à cet avis en réitérant, en substance, sa position.

12 Compte tenu des éléments ainsi fournis par les autorités espagnoles, la Commission, considérant que le royaume d'Espagne ne s'était pas conformé à l'avis motivé, a introduit le présent recours.

13 La Commission fait valoir que, en vertu de la sixième directive, toute importation et toute acquisition intracommunautaire de biens sont soumises à la TVA. Dans trois situations, il n'y aurait pas d'assujettissement à la TVA: tout d'abord, dans le cas des exonérations limitativement énumérées aux articles 14 ou 28 quater de la sixième directive, ensuite, dans le cas de l'article 28, paragraphe 3, de cette directive, qui permet d'appliquer temporairement une exonération au cours de la période transitoire visée au paragraphe 4, et, enfin, dans le cas où l'exonération est prévue dans l'acte d'adhésion.

14 La Commission soutient que les articles 14 et 28 quater dressent la liste des exonérations que les États membres doivent - ou peuvent - accorder. Selon elle, aucune exonération relative à l'armement, aux munitions et au matériel à usage exclusivement militaire, semblable à celle prévue par la loi espagnole, ne figure dans cette liste.

15 La Commission estime que l'acte d'adhésion imposait au royaume d'Espagne l'obligation de mettre en vigueur les mesures nécessaires pour se conformer, dès son adhésion, aux dispositions des directives. Elle fait valoir que le royaume d'Espagne a introduit la TVA par la loi n_ 30/85, du 2 août 1985 (BOE du 9 août 1985), qui a commencé à produire ses effets le 1er janvier 1986.

16 La Commission considère que, à la date d'instauration de la TVA, le royaume d'Espagne avait donc prévu l'assujettissement à cette taxe de toute importation ou de toute acquisition intracommunautaire de matériel militaire et que l'exonération de ces opérations n'a été décidée que plus d'un an plus tard, mais avec effet rétroactif à la date à laquelle la TVA a commencé à être perçue en Espagne.

17 Le royaume d'Espagne soutient que la législation nationale espagnole est conforme au droit communautaire, et notamment à l'article 223, paragraphe 1, sous b), du traité CE [devenu, après modification, article 296, paragraphe 1, sous b)], qui établit la clause de sauvegarde en vertu de laquelle les États membres peuvent prendre les mesures qu'ils estiment nécessaires à la protection des intérêts essentiels de leur sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d'armes, de munitions et de matériel de guerre. Il constate que la loi espagnole, prorogée par la loi n_ 9/90, doit être comprise comme ayant été promulguée sur le fondement de cet article, car l'exonération de la TVA constitue une mesure nécessaire aux fins de garantir la réalisation des objectifs essentiels du plan stratégique global et, notamment, pour assurer l'efficacité des forces armées espagnoles dans la défense nationale et dans le cadre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord.

18 A titre liminaire, la Commission indique que le moyen de défense soulevé par le royaume d'Espagne est tardif, au motif qu'il n'a été invoqué à aucun moment pendant la phase précontentieuse. Elle rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, les chefs d'infraction imputés par la Commission à l'État membre doivent être identiques au cours des différentes phases de la procédure, la Commission pouvant seulement apporter certaines précisions à l'appui de sa thèse. Selon la Commission, une telle exigence est mutatis mutandis applicable en l'espèce.

19 A cet égard, il suffit de relever qu'une telle exigence serait contraire au principe général du respect des droits de la défense. Selon la jurisprudence de la Cour, la régularité de la procédure précontentieuse constitue une garantie essentielle voulue par le traité, non seulement pour la protection des droits de l'État membre en cause, mais également pour assurer que la procédure contentieuse éventuelle aura pour objet un litige clairement défini (voir ordonnance du 11 juillet 1995, Commission/Espagne, C-266/94, Rec. p. I-1975, point 17). Ainsi, dès lors que l'objet a été défini, l'État membre a le droit d'invoquer tous les moyens à sa disposition pour assurer sa défense. Au demeurant, aucune règle de procédure ne fait obligation à l'État membre concerné de présenter, au cours de la phase précontentieuse, tous les arguments de sa défense, dans le cadre d'un recours fondé sur l'article 169 du traité.

20 La Commission estime que, en tant qu'elle constitue une exception à la règle d'assujettissement à la TVA, la mesure que le royaume d'Espagne dit avoir adoptée au motif qu'elle était «nécessaire», sur le fondement de la clause de sauvegarde de l'article 223, paragraphe 1, sous b), du traité, est d'interprétation stricte. La Commission en conclut qu'il incombait au royaume d'Espagne d'établir dans quelle mesure l'assujettissement à la TVA pouvait affecter les intérêts essentiels de sa sécurité nationale. Elle se réfère à une jurisprudence de la Cour selon laquelle un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre interne pour justifier le non-respect des obligations et des délais résultant d'une directive.

21 Dans ce contexte, il convient de relever, ainsi que la Cour l'a déjà jugé dans l'arrêt du 15 mai 1986, Johnston (222/84, Rec. p. 1651, point 26), que le traité ne prévoit de dérogations applicables en cas de situations susceptibles de mettre en cause la sécurité publique que dans ses articles 36, 48, 56, 223 et 224 du traité CE (devenus, après modification, articles 30 CE, 39 CE, 46 CE, 296 CE et 297 CE), qui concernent des hypothèses exceptionnelles déterminées. En raison de leur caractère limité, ces dispositions ne se prêtent pas à une interprétation extensive.

22 Dans ces conditions, il appartient à l'État membre qui entend se prévaloir de ces exceptions de fournir la preuve que ces exonérations ne dépassent pas les limites desdites hypothèses. En l'espèce, il y a lieu de constater que le royaume d'Espagne n'a pas démontré que les exonérations prévues par la loi espagnole sont nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité. Il ressort en effet clairement des motifs de ladite loi qu'elle a pour objet principal de définir et d'attribuer les ressources financières permettant le renforcement et la modernisation des forces armées espagnoles, en formant la base économique et financière du plan stratégique global. Il s'ensuit que les exonérations de TVA ne sont pas nécessaires pour atteindre l'objectif de la protection des intérêts essentiels de la sécurité du royaume d'Espagne.

23 Au demeurant, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général, au point 12 de ses conclusions, l'assujettissement à la TVA des importations et des acquisitions d'armement ne compromettrait pas un tel objectif puisque les recettes provenant du versement de la TVA qui pèseraient sur les opérations en question reflueraient dans les caisses de l'État, à l'exception d'un faible pourcentage qui, en tant que ressources propres, entrerait dans celles de la Communauté.

24 En conséquence, il y a lieu de constater que le gouvernement espagnol n'a pas démontré que la suppression de l'exonération de TVA des importations et acquisitions d'armement, de munitions et de matériel à usage exclusivement militaire, prévue par la loi espagnole, constituait une mesure pouvant compromettre la protection des intérêts essentiels de la sécurité du royaume d'Espagne, de sorte que de telles exonérations étaient justifiées en vertu de l'article 223, paragraphe 1, sous b), du traité.

25 Pour justifier les exonérations prévues par la loi espagnole, le royaume d'Espagne se réfère encore à l'article 28, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, qui permet aux États membres de continuer à exonérer, pendant une période transitoire, les opérations prévues à l'annexe F, y compris aux points 23 et 25, «les livraisons, transformations, réparations, entretien, affrètements et locations d'aéronefs utilisés par des institutions de l'État ainsi que des objets incorporés dans ces aéronefs ou qui servent à leur exploitation» et «les livraisons, transformations, réparations, entretien, affrètements et locations de bateaux de guerre».

26 Selon le royaume d'Espagne, l'article 28, paragraphe 3, de la sixième directive ne réglemente pas le régime transitoire applicable aux États membres ayant adhéré à la Communauté après le 31 décembre 1977. Il estime, toutefois, qu'il serait inéquitable de traiter les nouveaux États membres adhérant aux Communautés européennes de manière moins favorable que ceux qui en étaient déjà membres à cette date, en sorte que les nouveaux États membres pourraient également faire usage des droits consacrés à l'article 28 de la sixième directive à partir du jour de leur adhésion aux Communautés, sans que ce droit soit expressément prévu dans l'acte d'adhésion.

27 Le royaume d'Espagne constate que l'article 9 de la loi n_ 44/82, du 7 juillet 1982, relative aux dotations budgétaires pour les investissements et les frais de fonctionnement des forces armées (BOE du 21 juillet 1982), exonérait de l'impôt de compensation des charges fiscales intérieures les importations de matériel en tout genre nécessaire pour le plan d'investissement des forces armées espagnoles. Il souligne que cet impôt a disparu lors de la mise en place de la TVA et a été absorbé par cette dernière à la suite de l'adhésion du royaume d'Espagne aux Communautés. Partant, il considère que l'exonération litigieuse existait au moment de son adhésion et pouvait être maintenue sur le fondement de l'article 28 de la sixième directive.

28 En revanche, la Commission estime que la taxe de compensation d'impositions intérieures a disparu avec l'instauration de la TVA par la loi n_ 30/85, qui a commencé à produire ses effets le 1er janvier 1986, date de l'adhésion du royaume d'Espagne aux Communautés européennes. La Commission en conclut donc que, au moment de l'introduction de la TVA, le royaume d'Espagne a prévu l'assujettissement à cette taxe de toute importation ou acquisition intracommunautaire de matériel militaire. La Commission fait valoir que l'exonération de ces opérations a été décidée ultérieurement par le royaume d'Espagne par le biais de la loi espagnole (mais avec effet rétroactif au 1er janvier 1986).

29 A cet égard, il suffit de relever que, selon la jurisprudence de la Cour (voir arrêt du 17 octobre 1991, Commission/Espagne, C-35/90, Rec. p. I-5073, point 7), le royaume d'Espagne ayant assujetti les livraisons d'armement, de munitions et de matériel à usage exclusivement militaire provenant d'autres États membres au régime général de la TVA par la loi n_ 30/85, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1986, il ne pouvait dès lors plus se prévaloir par la suite de la faculté de continuer à exonérer ces activités en vertu de l'article 28, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive.

30 Il convient encore de relever qu'une exonération rétroactive, telle que celle prévue par la législation espagnole, serait contraire à la finalité de la disposition communautaire. En effet, il résulte d'une jurisprudence constante que l'article 28, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive s'oppose, par son libellé même, à l'introduction de nouvelles exonérations (voir arrêts du 8 juillet 1986, Kerrutt, 73/85, Rec. p. 2219, point 17, et du 27 octobre 1992, Commission/Allemagne, C-74/91, Rec. p. I-5437, point 15).

31 En ce qui concerne la portée de l'article 28, paragraphe 3 bis, introduit par la directive 91/680, qui autorise le royaume d'Espagne à accorder une exonération de TVA aux opérations visées aux points 23 et 25 de l'annexe F, il y a lieu de constater qu'une telle exonération, en tant qu'exception, est d'interprétation stricte (voir arrêt Commission/Espagne, précité, point 9) et ne fait disparaître que partiellement le manquement du royaume d'Espagne. En effet, d'une part, le manquement subsiste dans sa totalité jusqu'au 1er janvier 1993, date d'entrée en vigueur de la directive 91/680, et, d'autre part, la dérogation introduite par cette dernière ne concerne que les aéronefs et les bateaux de guerre.

32 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, en exonérant de la TVA les importations et les acquisitions intracommunautaires d'armement, de munitions et de matériel à usage exclusivement militaire, autres que les aéronefs et les bateaux de guerre visés aux points 23 et 25 de l'annexe F de la sixième directive, dans sa version résultant de la directive 91/680, nonobstant les dispositions des articles 2, point 2, 14, 28 bis et 28 quater, B, de cette même directive, le royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

33 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le royaume d'Espagne ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à sa condamnation, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

(sixième chambre)

déclare et arrête:

1) En exonérant de la taxe sur la valeur ajoutée les importations et les acquisitions intracommunautaires d'armement, de munitions et de matériel à usage exclusivement militaire, autres que les aéronefs et les bateaux de guerre visés aux points 23 et 25 de l'annexe F de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, dans sa version résultant de la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l'abolition des frontières fiscales, la directive 77/388, nonobstant les dispositions des articles 2, point 2, 14, 28 bis et 28 quater, B, de cette même directive, le royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.

2) Le royaume d'Espagne est condamné aux dépens.