Available languages

Taxonomy tags

Info

References in this case

References to this case

Share

Highlight in text

Go

Avis juridique important

|

62002J0109

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 23 octobre 2003. - Commission des Communautés européennes contre République fédérale d'Allemagne. - Manquement d'État - Sixième directive TVA - Législation nationale prévoyant un taux réduit pour les ensembles de musique ainsi que les solistes, à condition que ces derniers soient eux-mêmes l'organisateur du concert. - Affaire C-109/02.

Recueil de jurisprudence 2003 page 00000


Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Parties


Dans l'affaire C-109/02,

Commission des Communautés européennes , représentée par MM. E. Traversa et G. Wilms, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République fédérale d'Allemagne , représentée par MM. W.-D. Plessing et M. Lumma, en qualité d'agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater que, en appliquant un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée aux prestations que des ensembles musicaux fournissent directement en public ou pour un organisateur de concerts ainsi qu'à celles fournies directement en public par des solistes mais en appliquant le taux normal de cette taxe aux prestations de solistes travaillant pour un organisateur, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 12, paragraphe 3, sous a), troisième alinéa, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), dans sa version résultant de la directive 1999/49/CE du Conseil, du 25 mai 1999, modifiant, en ce qui concerne le taux normal, la directive 77/388 (JO L 139, p. 27),

LA COUR (cinquième chambre)

composée de M. D. A. O. Edward, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. A. La Pergola et P. Jann (rapporteur), juges,

avocat général: M. J. Mischo,

greffier: M. R. Grass,

vu le rapport du juge rapporteur,

vu la décision prise, l'avocat général entendu, de juger l'affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 22 mars 2002, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en appliquant un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») aux prestations que des ensembles musicaux fournissent directement en public ou pour un organisateur de concerts ainsi qu'à celles fournies directement en public par des solistes mais en appliquant le taux normal de cette taxe aux prestations de solistes travaillant pour un organisateur, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 12, paragraphe 3, sous a), troisième alinéa, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), dans sa version résultant de la directive 1999/49/CE du Conseil, du 25 mai 1999, modifiant, en ce qui concerne le taux normal, la directive 77/388 (JO L 139, p. 27, ci-après la «sixième directive»).

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

2. Aux termes de l'article 2, point 1, de la sixième directive, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel.

3. L'article 12, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive prévoit:

«Le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée est fixé par chaque État membre à un pourcentage de la base d'imposition qui est le même pour les livraisons de biens et pour les prestations de service. À partir du 1er janvier 1999 et jusqu'au 31 décembre 2000, ce pourcentage ne peut être inférieur à 15%.

[...]

Les États membres peuvent également appliquer soit un, soit deux taux réduits. Ces taux réduits sont fixés à un pourcentage de la base d'imposition qui ne peut être inférieur à 5 % et ils s'appliquent uniquement aux livraisons de biens et aux prestations de service des catégories visées à l'annexe H.»

4. L'annexe H de la sixième directive vise par sa septième catégorie le «droit d'admission aux spectacles, théâtres, cirques, foires, parcs d'attraction, concerts, musées, zoos, cinémas, expositions et manifestations et établissements culturels similaires» ainsi que la «[r]éception de services de radiodiffusion et de télévision». Elle inclut dans sa huitième catégorie les «services fournis par les écrivains, compositeurs et interprètes et les droits d'auteur qui leur sont dus».

La réglementation nationale

5. L'article 12, paragraphe 2, point 7, sous a), de l'Umsatzsteuergesetz 1999 (loi allemande sur la taxe sur le chiffre d'affaires de 1999, BGBl. I, p. 1270) prévoit l'application d'un taux réduit de TVA, égal à 7 %, aux «prestations fournies par des théâtres, orchestres, ensembles de musique de chambre, chorales et musées, ainsi qu'à l'organisation de représentations théâtrales et de concerts par d'autres entrepreneurs».

6. Il ressort du dossier que, en vertu de la jurisprudence du Bundesfinanzhof (Allemagne), l'application de ce taux réduit n'est accordée aux solistes que s'ils agissent eux-mêmes simultanément en qualité d'organisateurs du concert. Les prestations fournies par des solistes à un organisateur de concerts sont par contre soumises au taux normal de la TVA.

La procédure précontentieuse

7. Par une lettre de mise en demeure du 4 mai 1999, la Commission a informé la République fédérale d'Allemagne qu'elle considérait que la jurisprudence évoquée au point précédent entraînait une violation du droit communautaire, notamment de l'article 12, paragraphe 3, sous a), troisième alinéa, de la sixième directive, dans la mesure où le traitement différent des ensembles musicaux et des solistes qui travaillent pour un organisateur de concerts n'aurait aucun fondement dans les textes légaux.

8. La Commission n'ayant pas reçu de réponse à cette lettre, elle a adressé à la République fédérale d'Allemagne, par lettre du 24 janvier 2000, un avis motivé dans lequel elle réitérait ses griefs et invitait cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation.

9. Dans une lettre du 5 avril 2000, la République fédérale d'Allemagne a répondu aux griefs formulés par la Commission, en indiquant les raisons pour lesquelles un tel traitement différencié était, selon elle, nécessaire.

10. Insatisfaite de cette réponse, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.

Sur le fond

Arguments des parties

11. La Commission considère le manquement comme établi. Selon elle, le principe de neutralité fiscale s'oppose à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA. Ce principe s'appliquerait également à l'imposition selon un taux réduit par rapport au taux normal.

12. De même, le principe d'objectivité exigerait l'application d'une seule et même règle à des opérations taxables de même nature. Il existerait une présomption de similitude lorsque les opérations en cause correspondent à diverses variantes d'une seule et même opération taxable incluse dans l'une des catégories de l'annexe H de la sixième directive, tels les «services fournis par les [...] interprètes» relevant de la huitième catégorie de cette annexe.

13. Cette notion recouvrirait évidemment aussi bien les solistes que les ensembles musicaux. Il conviendrait donc de leur appliquer un taux uniforme.

14. Le gouvernement allemand conclut au rejet du recours comme non fondé. Il fait valoir, en premier lieu, que la synthèse faite dans le libellé d'une catégorie de l'annexe H de la sixième directive n'établit pas nécessairement la similitude des opérations en cause. Dans la version allemande de cette annexe, l'expression «Werke [...] von [...] ausübenden Künstlern» emploierait l'article indéterminé pour le substantif correspondant à «interprètes», ce qui suggérerait que les États membres peuvent limiter l'application du taux réduit à certains des services concernés seulement. Les services visés par la huitième catégorie de l'annexe H de la sixième directive ne devraient pas nécessairement être soumis à la TVA dans des conditions identiques, les États membres disposant à cet égard d'une marge de manoeuvre.

15. En tout état de cause, il n'y aurait pas de similitude entre les prestations en question. Les ensembles musicaux se distingueraient des solistes selon des critères objectifs, à savoir en fonction du nombre de personnes. Celui-ci aurait une incidence déterminante sur le contenu et la structure de la musique jouée.

16. Le gouvernement allemand fait valoir, en deuxième lieu, que la réglementation nationale en cause n'est pas fondée sur la huitième catégorie de l'annexe H de la sixième directive, comme indiqué par la Commission, mais sur sa septième catégorie qui évoquerait seulement les «concerts» et non les prestations d'un soliste. Il n'y aurait donc pas de violation des principes de neutralité et d'objectivité fiscales, puisque la différence de traitement des prestations des solistes résulterait déjà de la sixième directive ellemême, par le jeu combiné des septième et huitième catégories de ladite annexe.

17. En troisième lieu, ces dispositions viseraient en réalité à octroyer un avantage au spectateur. Or, un tel avantage serait également garanti si le soliste lui-même ne peut bénéficier de l'application du taux réduit. En effet, puisque, dans le régime de la TVA, c'est le taux de la taxe prélevée au dernier stade qui détermine le montant de la taxation, il serait sans incidence pour le public, compte tenu du droit à déduction de l'organisateur de concerts, que la prestation en amont du soliste soit soumise au taux normal ou au taux réduit.

18. En quatrième lieu, le gouvernement allemand fait valoir que la Commission a violé le principe «nemini licet venire contra factum proprium». En effet, elle aurait présenté, le 13 novembre 1997, un rapport [COM (97) 559 final] dans lequel elle aurait indiqué qu'un des problèmes majeurs que rencontre l'application du taux réduit de TVA est le caractère facultatif de l'annexe H de la sixième directive et l'absence de définitions communes pour les catégories y mentionnées. La Commission ne serait donc pas en droit de reprocher un manquement aux États membres, lorsqu'elle considère elle-même qu'il n'existe pas d'approche cohérente et concluante dans la législation relative à ce point.

Appréciation de la Cour

19. En ce qui concerne le premier moyen de défense soulevé par le gouvernement allemand, il convient de constater que l'article 12, paragraphe 3, sous a), troisième alinéa, de la sixième directive autorise les États membres à appliquer un taux réduit de TVA à certaines marchandises et à certaines prestations de services, mentionnées à l'annexe H de cette même directive. La décision d'exercer ce droit relève donc de la compétence des États membres.

20. Néanmoins, en exerçant cette compétence, les États membres doivent respecter le principe de neutralité fiscale. Ainsi qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour, ce principe s'oppose notamment à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA, de sorte que lesdites marchandises ou lesdites prestations doivent être soumises à un taux uniforme (voir arrêt du 11 octobre 2001, Adam, C267/99, Rec. p. I7467, point 36).

21. La version allemande du libellé de la huitième catégorie de l'annexe H de la sixième directive qui emploie, comme d'ailleurs la plupart des autres versions linguistiques, l'article indéterminé pour le substantif correspondant à «interprètes» ne saurait infirmer cette constatation dans la mesure où il s'agit d'une nuance linguistique qui, même en langue allemande, ne peut être interprétée en ce sens que le législateur national a la faculté d'opérer, à son gré, des distinctions entre les personnes ainsi visées et de procéder librement à des restrictions quant à celles dont les prestations sont soumises à un taux réduit.

22. Par ailleurs, aucun élément ne permet de considérer que les prestations des solistes et celles des ensembles musicaux ne constituent pas des prestations sinon identiques, du moins semblables au sens de la jurisprudence rappelée au point 20 du présent arrêt.

23. En effet, la notion d'«interprètes» recouvre, au sens habituel de ce terme, aussi bien les solistes que les ensembles musicaux. Le nombre des personnes qui sont présentes sur la scène ne saurait importer à cet égard. L'argument selon lequel ce serait en fonction du nombre de ces personnes que le contenu et la structure de la musique jouée devraient être déterminés est également dépourvu de pertinence en matière fiscale. Il est par ailleurs contredit par le gouvernement allemand luimême lorsque celui-ci fait valoir que le taux réduit s'applique bien à des manifestations qui sont organisées par des solistes euxmêmes et que ce n'est que lorsqu'une manifestation par ailleurs identique est organisée par une personne autre que le soliste que la prestation effectuée par celui-ci est imposée au taux normal.

24. Il s'ensuit que le premier moyen de défense doit être rejeté.

25. Quant au deuxième moyen de défense soulevé par le gouvernement allemand, selon lequel, d'une part, la réglementation nationale en cause ne serait pas fondée sur la huitième catégorie de l'annexe H de la sixième directive mais sur la septième catégorie de cette annexe et, d'autre part, la combinaison de ces deux catégories autoriserait une différence de traitement entre solistes et ensembles musicaux, il suffit de constater que ni cette septième catégorie qui évoque indistinctement les «concerts» ni ladite huitième catégorie n'opèrent, séparément ou par leur combinaison, une telle différenciation. En outre, cette septième catégorie se réfère au «droit d'admission» à des manifestations telles que des concerts, mais non à la prestation des interprètes de musique eux-mêmes qui, seule, constitue l'objet du grief de la Commission dans le cadre de la présente procédure. Ce moyen de défense est donc inopérant et doit être rejeté.

26. Pour ce qui est du troisième moyen de défense, basé sur le droit à déduction de l'organisateur de concerts, il suffit également de constater que ce droit n'est pas concerné par la présente procédure, qui concerne le taux applicable à la prestation des interprètes de musique. Ce moyen est donc également inopérant et doit être rejeté.

27. En ce qui concerne le quatrième moyen de défense du gouvernement allemand, d'après lequel la Commission n'aurait pas dû introduire un recours en manquement au sujet d'une disposition qu'elle juge ellemême peu cohérente et peu concluante, il suffit de constater que, quelle que soit l'appréciation de la Commission sur des problèmes liés à l'application de l'annexe H de la sixième directive dans le passé, elle ne saurait affecter le bien-fondé d'un recours en manquement basé sur une différence de traitement notoire entre deux prestations semblables. Ce moyen de défense doit donc également être rejeté.

28. Au vu de l'ensemble des considérations qui précédent, il convient de constater que, en appliquant un taux réduit de TVA aux prestations que des ensembles musicaux fournissent directement au public ou pour un organisateur de concerts ainsi qu'à celles fournies directement au public par des solistes mais en appliquant le taux normal de cette taxe aux prestations de solistes travaillant pour un organisateur, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 12, paragraphe 3, sous a), troisième alinéa, de la sixième directive.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

29. En vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République fédérale d'Allemagne et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il convient de la condamner aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1) En appliquant un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée aux prestations que des ensembles musicaux fournissent directement au public ou pour un organisateur de concerts ainsi qu'à celles fournies directement au public par des solistes mais en appliquant le taux normal de cette taxe aux prestations de solistes travaillant pour un organisateur, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 12, paragraphe 3, sous a), troisième alinéa, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, dans sa version résultant de la directive 1999/49/CE du Conseil, du 25 mai 1999, modifiant, en ce qui concerne le taux normal, la directive 77/388.

2) La République fédérale d'Allemagne est condamnée aux dépens.