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Affaire C-224/02


Heikki Antero Pusa
contre
Osuuspankkien Keskinäinen Vakuutusyhtiö



(demande de décision préjudicielle, formée par le Korkein oikeus)

«Citoyenneté de l'Union – Article 18 CE – Droit de libre circulation et de séjour dans les États membres – Saisie de rémunération – Modalités»

Conclusions de l'avocat général M. F. G. Jacobs, présentées le 20 novembre 2003
    
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 29 avril 2004
    

Sommaire de l'arrêt

Citoyenneté de l'Union européenne – Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres – Législation nationale déterminant la partie saisissable d'une pension en déduisant de cette dernière l'impôt national retenu à la source sur celle-ci – Absence de prise en compte de l'impôt dû sur la pension dans l'État membre de résidence de son titulaire – Inadmissibilité – Législation nationale subordonnant une telle prise en compte à la preuve par le débiteur de la charge fiscale effectivement supportée dans l'autre État membre – Admissibilité – Conditions
(Art. 18 CE) Le droit communautaire s’oppose, en principe, à une législation d’un État membre en vertu de laquelle la partie saisissable d’une pension versée régulièrement dans cet État à un débiteur est déterminée en déduisant de cette pension la retenue à la source de l’impôt sur le revenu à payer dans ledit État, tandis que l’impôt dont le titulaire d’une telle pension doit s’acquitter ultérieurement sur celle-ci dans l’État membre où il réside ne donne lieu à aucune prise en compte aux fins de déterminer les quotités saisissables de cette pension.

En revanche, le droit communautaire ne s’oppose pas à une telle législation nationale si celle-ci prévoit une telle prise en compte, alors même qu’elle soumettrait cette dernière à la condition que le débiteur établisse qu’il s’est effectivement acquitté ou est tenu de s’acquitter dans un délai déterminé d’un montant précis au titre de l’impôt sur le revenu dans l’État membre où il réside. Il n’en est toutefois ainsi que pour autant que, premièrement, le droit du débiteur concerné d’obtenir une telle prise en compte ressort clairement de ladite législation, deuxièmement, les modalités selon lesquelles intervient cette prise en compte sont propres à garantir à l’intéressé le droit d’obtenir, sur une base annuelle, un ajustement des quotités saisissables de sa pension dans la même mesure que si un tel impôt avait été déduit à la source dans l’État membre ayant édicté cette législation et, troisièmement, lesdites modalités n’ont pas pour effet de rendre l’exercice de ce droit impossible ou excessivement difficile.

(cf. points 35, 48, disp.1-2)




ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
29 avril 2004(1)


«Citoyenneté de l'Union – Article 18 CE – Droit de libre circulation et de séjour dans les États membres – Saisie de rémunération – Modalités»

Dans l'affaire C-224/02,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Korkein oikeus (Finlande) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Heikki Antero Pusa

et

Osuuspankkien Keskinäinen Vakuutusyhtiö,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 18 CE,

LA COUR (cinquième chambre),,



composée de M. P. Jann, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. C. W. A. Timmermans, A. Rosas, A. La Pergola (rapporteur) et S. von Bahr, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:

– pour le gouvernement finlandais, par Mme E. Bygglin, en qualité d'agent,

– pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d'agent, assisté de M. A. Cingolo, avvocato dello Stato,

– pour la Commission des Communautés européennes, par Mme  C. O'Reilly et M. P. Aalto, en qualité d'agents,

ayant entendu les observations orales du gouvernement finlandais, représenté par Mme T. Pynnä, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par Mme C. O'Reilly et M. P. Aalto, à l'audience du 25 septembre 2003,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 20 novembre 2003,

rend le présent



Arrêt



1 Par décision du 14 juin 2002 parvenue à la Cour le 17 juin suivant, le Korkein oikeus a posé, en vertu de l’article 234 CE, une question préjudicielle sur l’interprétation de l’article 18 CE.

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d’un litige opposant M. Pusa à l’Osuuspankkien Keskinäinen Vakuutusyhtiö (Mutuelle des banques coopératives) au sujet de la détermination du montant à concurrence duquel cette dernière doit être autorisée à pratiquer une saisie sur la pension que M. Pusa perçoit en Finlande.


Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 L’article 18, paragraphe 1, CE dispose:

«Tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par le présent traité et par les dispositions prises pour son application.»

4 Aux termes de l’article 12, paragraphe 1, CE:

«Dans le domaine d’application du présent traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité.»

La réglementation nationale

5 L’ulosottolaki (loi finlandaise sur l’exécution forcée, ci-après la «loi sur l’exécution forcée») prévoit que le patrimoine du débiteur, y compris les salaires et pensions qu’il perçoit régulièrement, peut faire l’objet d’une saisie en vue de satisfaire aux obligations de celui-ci.

6 La loi sur l’exécution forcée dispose toutefois qu’une partie de la rémunération est insaisissable. Dès lors qu’il est fonction notamment du revenu total de l’intéressé, le montant constituant cette partie insaisissable est variable.

7 Le chapitre 4 de la loi sur l’exécution forcée prévoit à son article 6, paragraphe 3:

«Lorsque la saisie porte sur une rémunération versée à intervalles réguliers, il convient cependant, en tout état de cause, d’en exclure au moins le montant, déterminé par décret, qui est considéré comme nécessaire au débiteur pour assurer, jusqu’au jour du versement suivant de la rémunération, son propre entretien, ainsi que, dans la mesure où ils sont à sa charge, l’entretien de son conjoint et de ses enfants et enfants adoptifs, y compris ceux de son conjoint [ci-après la ‘part protégée’].»

8 Selon l’article 6 b, deuxième alinéa, dudit chapitre 4, la partie insaisissable de la rémunération «est calculée à partir du montant qui subsiste après application de la retenue à la source légale au titre de l’impôt».

9 L’article 6 a, paragraphe 1, du même chapitre 4 prévoit:

«Lorsque la solvabilité du débiteur est réduite de manière substantielle pour cause de maladie, de chômage ou pour une autre raison spéciale, la part insaisissable de la rémunération peut, jusqu’à nouvel ordre ou concernant les rémunérations versées pour certaines périodes, être fixée à un montant supérieur à celui prévu par les dispositions de l’article 6 pour la partie insaisissable. Le motif d’une telle décision doit être indiqué dans le procès verbal de saisie ou dans un procès verbal établi dans le cadre d’une procédure spéciale en vue de l’adoption d’une telle décision. […]»

10 Le chapitre 4 de la loi sur l’exécution forcée énonce, à son article 7, que les dispositions relatives aux rémunérations sont applicables aux pensions.

11 Le royaume d’Espagne et la république de Finlande ont par ailleurs conclu, le 15 novembre 1967, une convention destinée à éviter la double imposition sur le revenu et la fortune (ci-après la «convention contre la double imposition»). L’article 18 de cette convention prévoit:

«[…] les pensions et autres rémunérations similaires résultant d’une relation de travail antérieure ne sont imposées que dans l’État contractant dans lequel réside le bénéficiaire de la rémunération.»


Le litige au principal et la question préjudicielle

12 M. Pusa a la nationalité finlandaise. Retraité, il a quitté son pays d’origine pour aller s’installer en Espagne. Il perçoit en Finlande une pension d’invalidité qui lui est versée sur un compte bancaire ouvert dans cet État membre.

13 Par décision du 27 octobre 2000, le fonctionnaire chargé des exécutions forcées au Riihimäen kihlakunnanoikeus (tribunal de première instance de Riihimäki) (Finlande) a autorisé une saisie sur la pension de M. Pusa en vue d’assurer le recouvrement d’une dette contractée par ce dernier à l’égard de l’Osuuspankkien Keskinäinen Vakuutusyhtiö.

14 M. Pusa étant assujetti à l’impôt sur la rémunération en Espagne, conformément aux dispositions de la convention contre la double imposition, et n’étant donc soumis à aucune retenue à la source en Finlande, la partie saisissable de sa pension a été calculée à partir du montant brut de cette dernière. En application des dispositions de la loi sur l’exécution forcée, l’organisme tenu au paiement de la pension a ainsi été requis de retenir, aux fins de remboursement du créancier de M. Pusa, une somme équivalant au tiers du montant net de la pension allouée à ce dernier ou, si ce montant net ne dépassait pas 5 238 FIM par mois, aux trois quarts du montant correspondant à la différence entre le montant net et la part protégée, cette dernière s’élevant à 97 FIM par jour.

15 M. Pusa a introduit un recours contre cette décision. Ayant constaté que, si l’impôt de 19 % que M. Pusa doit payer a posteriori en Espagne n’est pas pris en compte lors de la détermination de la partie saisissable de sa pension, l’intéressé ne disposera, mensuellement, que d’une somme inférieure à celle qu’il aurait perçue s’il avait continué de résider en Finlande et s’interrogeant sur la compatibilité d’une telle situation avec la liberté de circulation et de séjour garantie aux citoyens de l’Union européenne par le traité CE, le Korkein oikeus a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 18 CE ou une autre disposition du droit communautaire s’opposent-ils à une disposition du droit national selon laquelle, s’agissant d’une saisie effectuée en vue d’exécuter un jugement relatif à une dette monétaire, la partie saisissable de la pension versée régulièrement au débiteur est déterminée en déduisant de la pension la retenue d’impôt à la source à payer dans l’État membre concerné, alors que l’impôt sur le revenu que le débiteur résidant dans un autre État membre doit verser dans son État de résidence ne fait pas l’objet de la déduction précitée, de sorte que, dans ce dernier cas de figure, la partie saisissable est plus importante, étant donné qu’elle est déterminée à partir de la pension brute et non pas à partir de la pension nette?»


Sur la question préjudicielle

16 Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres permettant à ceux parmi ces derniers qui se trouvent dans la même situation d’obtenir dans le domaine d’application ratione materiae du traité, indépendamment de leur nationalité et sans préjudice des exceptions expressément prévues à cet égard, le même traitement juridique (voir, notamment, arrêts du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C-184/99, Rec. p. I-6193, point 31; du 11 juillet 2002, D'Hoop, C-224/98, Rec. p. I-6191, point 28, et du 2 octobre 2003, Garcia Avello, C-148/02, non encore publié au Recueil, points 22 et 23).

17 Parmi les situations relevant du domaine d’application du droit communautaire figurent celles relatives à l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité, notamment celles relevant de la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres telle que conférée par l’article 18 CE (voir, notamment, arrêts précités Grzelczyk, point 33; D’Hoop, point 29, et Garcia Avello, point 24).

18 Dans la mesure où un citoyen de l’Union doit se voir reconnaître dans tous les États membres le même traitement juridique que celui qui est accordé aux ressortissants de ces États membres se trouvant dans la même situation, il serait incompatible avec le droit de la libre circulation qu’il puisse se voir appliquer dans l’État membre dont il est ressortissant un traitement moins favorable que celui dont il bénéficierait s’il n’avait pas fait usage des facilités ouvertes par le traité en matière de circulation (arrêt D’Hoop, précité, point 30).

19 Ces facilités ne pourraient en effet produire leurs pleins effets si un ressortissant d’un État membre pouvait être dissuadé d’en faire usage par les obstacles mis à son séjour dans l’État membre d’accueil en raison d’une réglementation de son État d’origine pénalisant le fait qu’il les a exercées (voir, par analogie, arrêt D’Hoop, précité, point 31).

20 Une réglementation nationale désavantageant certains ressortissants nationaux du seul fait qu’ils ont exercé leur liberté de circuler et de séjourner dans un autre État membre engendrerait ainsi une inégalité de traitement, contraire aux principes qui sous-tendent le statut de citoyen de l’Union, à savoir la garantie d’un même traitement juridique dans l’exercice de sa liberté de circuler (arrêt D’Hoop, précité, points 34 et 35). Une telle réglementation ne pourrait être justifiée que si elle se fondait sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées et proportionnées à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national (arrêt D’Hoop, précité, point 36).

21 Dès lors, il y a lieu de déterminer si, dans une situation telle que celle de l’affaire au principal, la loi sur l’exécution forcée introduit, entre les ressortissants finlandais qui continuent de résider en Finlande et ceux qui ont établi leur résidence en Espagne, une différence de traitement défavorable aux seconds du seul fait qu’ils ont exercé leur droit à la libre circulation, et si, à la supposer établie, une telle différence de traitement peut, le cas échéant, être justifiée au regard des critères rappelés au point 20 du présent arrêt.

22 En vue de répondre à cette question, il convient, à titre liminaire, de préciser que, si, ainsi que le gouvernement finlandais le souligne, la matière de l’exécution forcée en vue du recouvrement de dettes relève en général de la compétence des États membres, il n’en demeure pas moins que cette compétence doit être exercée dans le respect du droit communautaire et, en particulier, des dispositions du traité relatives à la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres telle que conférée par l’article 18 CE (voir, par analogie, arrêts du 23 novembre 2000, Elsen, C-135/99, Rec. p. I-10409, point 33, et Garcia Avello, précité, point 25).

23 En l’occurrence, il est constant, ainsi que la juridiction de renvoi l’a souligné, que, aux fins de déterminer la partie saisissable d’une pension régulièrement versée en Finlande, la loi sur l’exécution forcée prévoit expressément la déduction de la retenue de l’impôt sur le revenu pratiquée à la source en Finlande, mais non celle de l’impôt que le titulaire d’une telle pension sera amené à acquitter ultérieurement sur celle-ci dans l’État membre où il réside.

24 À cet égard, il convient, en premier lieu, de relever que la circonstance que la loi sur l’exécution forcée ne prévoit pas qu’un impôt à percevoir ultérieurement sur la pension qui est versée régulièrement doit être déduit de cette dernière aux fins de déterminer sa quotité saisissable ne saurait à elle seule engendrer une différence de traitement contraire au droit communautaire.

25 En effet, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi et des observations écrites présentées devant la Cour par le gouvernement finlandais, en prévoyant que les pensions perçues régulièrement peuvent être saisies, mais à concurrence d’une certaine quotité seulement, la loi sur l’exécution forcée vise tout à la fois à permettre que s’exerce le droit des créanciers au recouvrement des sommes qui leur sont dues et à s’assurer que la saisie ne prive pas le débiteur d’un revenu minimal et, le cas échéant, du minimum vital que la part protégée est censée représenter.

26 De tels objectifs, qui visent à permettre au débiteur de soustraire une partie limitée de ses revenus mensuels au droit de poursuite de ses créanciers dans une mesure propre à lui assurer un revenu minimal, paraissent de nature à justifier, ainsi que le soutient le gouvernement finlandais, que la partie saisissable d’une pension soit déterminée au regard du seul montant qui serait effectivement versé à l’intéressé en l’absence de saisie, c’est-à-dire en excluant de ce montant, notamment, celui de l’impôt retenu à la source.

27 Pour la même raison, il ne saurait en principe être reproché au législateur finlandais de ne pas avoir prévu, dans la loi sur l’exécution forcée, la prise en compte, de manière anticipée, d’une dette fiscale qui, n’étant pas encore échue, ne menace donc pas actuellement la jouissance du revenu minimal que ladite loi entend garantir au débiteur concerné.

28 Ainsi que le gouvernement finlandais le fait valoir à juste titre, s’il n’en était pas ainsi, il en résulterait une atteinte indue aux droits des créanciers dont, de manière légitime, la loi sur l’exécution forcée entend également garantir la protection.

29 En revanche, force est de considérer, en deuxième lieu, que la loi sur l’exécution forcée ne saurait, sans méconnaître le droit communautaire, exclure toute prise en compte de l’impôt dû dans l’État membre de résidence lorsqu’un tel impôt est effectivement devenu exigible et affecte dès lors dans une mesure correspondante le niveau effectif des ressources dont dispose le débiteur et, notamment, sa capacité à faire face à ses besoins vitaux.

30 Il convient en effet de rappeler que, ainsi que la juridiction de renvoi l’a constaté, à défaut de tenir compte dudit impôt dans le cas de M. Pusa, qui réside en Espagne et y est soumis à l’impôt sur sa pension en vertu de la convention contre la double imposition, ce dernier disposera, pour l’exercice concerné, après saisie et prélèvement de l’impôt sur sa pension, d’une somme inférieure à celle dont il aurait disposé s’il avait continué de résider en Finlande.

31 Il résulte de cette dernière circonstance que, si la loi sur l’exécution forcée doit être interprétée en ce sens qu’elle ne permet en aucune manière la prise en compte de l’impôt ainsi acquitté par M. Pusa en Espagne, la différence de traitement ainsi opérée aura pour conséquence certaine et inévitable de faire subir à ce dernier un désavantage du fait qu’il a exercé son droit de circuler et de séjourner librement dans les États membres que lui garantit l’article 18 CE.

32 En effet, en transférant sa résidence en Espagne, l’intéressé perdrait automatiquement, en application même de la loi relative à l’exécution forcée à laquelle il demeure soumis en cas de saisie de sa pension en Finlande et compte tenu de la convention contre la double imposition, l’avantage que constitue pour lui la prise en compte de l’impôt qu’il acquitte sur cette pension aux fins de déterminer quelle partie de cette dernière peut être saisie, et ce du fait que le critère retenu par ladite loi pour autoriser une telle prise en compte est celui de la retenue de l’impôt à la source, ce qui, s’agissant de l’intéressé, exigerait précisément qu’il ne déplace pas sa résidence en Espagne (voir, par analogie, arrêt Elsen, précité, point 34).

33 En outre, la différence de traitement résultant d’une telle exclusion ne saurait être justifiée.

34 En effet, exclure toute prise en compte de l’impôt dû dans l’État membre de résidence lorsque celui-ci est devenu exigible et affecte dans une mesure correspondante le niveau effectif des ressources dont dispose le débiteur et, notamment, sa capacité à faire face à ses besoins vitaux, ne saurait être justifié au regard des objectifs légitimes que poursuit la loi sur l’exécution forcée, tels qu’ils ont été exposés au point 25 du présent arrêt, une telle exclusion entrant même en contradiction avec l’objectif qui vise à garantir au débiteur un revenu minimal, voire le minimum vital correspondant à la part protégée.

35 Il résulte de ce qui précède que le droit communautaire s’oppose, en principe, à une législation d’un État membre en vertu de laquelle la partie saisissable d’une pension versée régulièrement dans cet État à un débiteur est déterminée en déduisant de cette pension la retenue à la source de l’impôt sur le revenu à payer dans ledit État, tandis que l’impôt dont le titulaire d’une telle pension doit s’acquitter ultérieurement sur celle-ci dans l’État membre où il réside ne donne lieu à aucune prise en compte aux fins de déterminer les quotités saisissables de cette pension, la conséquence d’une telle différence de traitement étant que le revenu annuel après imposition de la pension dont le débiteur conserve la libre disposition effective est inférieur dans le second cas de figure.

36 Il convient toutefois de relever, en troisième lieu, que, dans ses observations devant la Cour, le gouvernement finlandais fait valoir que la loi sur l’exécution forcée, et notamment l’article 6 a, paragraphe 1, de son chapitre 4, est en pratique interprétée en ce sens que ses dispositions permettent, dans le cadre d’une appréciation de la solvabilité du débiteur effectuée au cas par cas, de tenir compte d’un impôt dû dans un autre État membre pour autant que ce débiteur présente une déclaration étayée par des preuves établissant le montant réel dudit impôt ainsi que les autres circonstances qui affectent sa solvabilité. Selon ce gouvernement, ladite loi permet de même à un tel débiteur saisi de bénéficier, après un an, de périodes au cours desquelles la saisie peut être suspendue pour tout ou partie afin de tenir compte de l’impôt effectivement acquitté dans un autre État membre. M. Pusa n’aurait toutefois pas fait usage des possibilités ainsi ouvertes par la loi sur l’exécution forcée.

37 À cet égard, il importe de rappeler qu'il n'appartient pas à la Cour de se prononcer sur l'interprétation de dispositions nationales et qu’il lui incombe, en principe, de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions communautaires et nationales, le contexte factuel et réglementaire dans lequel s'insère la question préjudicielle, tel que défini par la décision de renvoi (arrêt du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner, C 475/99, Rec. p. I-8089, point 10).

38 Il s’ensuit que c’est à la seule juridiction de renvoi qu’il appartient de vérifier l’éventuel bien-fondé de l’interprétation de la loi sur l’exécution soutenue par le gouvernement finlandais devant la Cour.

39 Toutefois, dans la mesure où, en l’occurrence, la décision de renvoi fait elle-même référence à la loi sur l’exécution forcée, notamment à l’article 6 a, paragraphe 1, de son chapitre 4, et où ladite décision ne contient aucun élément qui serait propre à infirmer l’interprétation soutenue par le gouvernement finlandais, il convient pour la Cour d’examiner si l’article 18 CE s’oppose à une législation nationale qui serait ainsi interprétée.

40 À cet égard, il y a lieu, tout d’abord, de rappeler que, ainsi qu’il ressort des points 24 à 28 du présent arrêt, les objectifs légitimes poursuivis par la loi sur l’exécution forcée sont de nature à justifier que, aux fins de déterminer les quotités saisissables d’une pension, ladite législation ne prévoie la prise en compte de l’impôt dû sur cette pension dans l’État membre où réside le débiteur saisi que si le montant exact dudit impôt est connu et s’il est établi que ce montant a été effectivement acquitté ou doit l’être dans un délai déterminé.

41 En revanche, dès lors que ces conditions sont satisfaites, le droit communautaire exige, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 30 de ses conclusions, que les modalités de prise en compte dudit impôt par la législation nationale soient telles qu’elles permettent au débiteur résidant en Espagne d’obtenir, sur une base annuelle, un ajustement des quotités saisissables de sa pension dans la même mesure que si un tel impôt avait été déduit à la source en Finlande.

42 Ensuite, il convient de considérer qu’une condition selon laquelle le débiteur est tenu de prouver qu’il a acquitté ou doit acquitter dans un délai déterminé, dans son État de résidence, un montant précis au titre de l’impôt sur la pension, n’apparaît pas disproportionnée par rapport à l’objectif légitime visant à s’assurer que l’impôt n’est pris en compte, aux fins de déterminer une insaisissabilité partielle ou totale de cette pension, qu’une fois celui-ci effectivement dû ou acquitté.

43 Force est en effet de constater, ainsi que le soutient à juste titre le gouvernement finlandais et comme M. l’avocat général l’a relevé aux points 30 et 31 de ses conclusions, que c’est le débiteur qui est en principe le mieux placé pour apporter une telle preuve d’une manière tout à la fois rapide et fiable.

44 Il convient toutefois de préciser qu’il n’en va de la sorte que pour autant que les règles nationales en matière d’administration de la preuve ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit d’obtenir une prise en compte appropriée de l’impôt en cause (voir, par analogie, arrêt du 10 avril 2003, Steffensen, C-276/01, Rec. p. I-3735, point 80).

45 Il y a lieu, enfin, d’ajouter que, dans la mesure où la loi sur l’exécution forcée prévoit expressément que la partie saisissable de la pension est déterminée sur la base de la pension nette, c’est-à-dire après retenue à la source de l’impôt dont est redevable le titulaire de celle-ci en Finlande, la possibilité pour le débiteur saisi d’obtenir, sous la forme d’un ajustement de la partie saisissable de sa pension, une prise en compte de l’impôt qu’il est tenu d’acquitter en Espagne, ne saurait, ainsi que l’a suggéré à bon droit la Commission, dépendre d’une appréciation laissée à la discrétion de l’autorité compétente pour autoriser les saisies. Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 32 de ses conclusions, un tel droit doit au contraire ressortir clairement de la législation nationale concernée.

46 À cet égard, il peut être relevé que le gouvernement finlandais a précisé, lors de l’audience, que la loi sur l’exécution forcée est en cours de réexamen et que la version révisée de celle-ci devrait précisément contenir une disposition expresse prévoyant la prise en compte des impôts acquittés par un redevable postérieurement à la saisie d’une partie des revenus de ce dernier.

47 Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si la loi sur l’exécution forcée comprend des dispositions répondant aux diverses conditions précisées aux points 40 à 45 du présent arrêt.

48 Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que:

le droit communautaire s’oppose, en principe, à une législation d’un État membre en vertu de laquelle la partie saisissable d’une pension versée régulièrement dans cet État à un débiteur est déterminée en déduisant de cette pension la retenue ᅠ la source de l’impôt sur le revenu à payer dans ledit État, tandis que l’impôt dont le titulaire d’une telle pension doit s’acquitter ultérieurement sur celle-ci dans l’État membre où il réside ne donne lieu à aucune prise en compte aux fins de déterminer les quotités saisissables de cette pension;

en revanche, le droit communautaire ne s’oppose pas à une telle législation nationale si celle-ci prévoit une telle prise en compte, alors même qu’elle soumettrait cette dernière à la condition que le débiteur établisse qu’il s’est effectivement acquitté ou est tenu de s’acquitter dans un délai déterminé d’un montant précis au titre de l’impôt sur le revenu dans l’État membre où il réside. Il n’en est toutefois ainsi que pour autant que, premièrement, le droit du débiteur concerné d’obtenir une telle prise en compte ressort clairement de ladite législation, deuxièmement, les modalités selon lesquelles intervient cette prise en compte sont propres à garantir à l’intéressé le droit d’obtenir, sur une base annuelle, un ajustement des quotités saisissables de sa pension dans la même mesure que si un tel impôt avait été déduit à la source dans l’État membre ayant édicté cette législation et, troisièmement, lesdites modalités n’ont pas pour effet de rendre l’exercice de ce droit impossible ou excessivement difficile.


Sur les dépens

49 Les frais exposés par les gouvernements finlandais et italien, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur la question à elle soumise par le Korkein oikeus, par décision du 14 juin 2002, dit pour droit:

1)Le droit communautaire s’oppose, en principe, à une législation d’un État membre en vertu de laquelle la partie saisissable d’une pension versée régulièrement dans cet État à un débiteur est déterminée en déduisant de cette pension la retenue à la source de l’impôt sur le revenu à payer dans ledit État, tandis que l’impôt dont le titulaire d’une telle pension doit s’acquitter ultérieurement sur celle-ci dans l’État membre où il réside ne donne lieu à aucune prise en compte aux fins de déterminer les quotités saisissables de cette pension.

2)En revanche, le droit communautaire ne s’oppose pas à une telle législation nationale si celle-ci prévoit une telle prise en compte, alors même qu’elle soumettrait cette dernière à la condition que le débiteur établisse qu’il s’est effectivement acquitté ou est tenu de s’acquitter dans un délai déterminé d’un montant précis au titre de l’impôt sur le revenu dans l’État membre où il réside. Il n’en est toutefois ainsi que pour autant que, premièrement, le droit du débiteur concerné d’obtenir une telle prise en compte ressort clairement de ladite législation, deuxièmement, les modalités selon lesquelles intervient cette prise en compte sont propres à garantir à l’intéressé le droit d’obtenir, sur une base annuelle, un ajustement des quotités saisissables de sa pension dans la même mesure que si un tel impôt avait été déduit à la source dans l’État membre ayant édicté cette législation et, troisièmement, lesdites modalités n’ont pas pour effet de rendre l’exercice de ce droit impossible ou excessivement difficile.

Jann

Timmermans

Rosas

La Pergola

von Bahr

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 avril 2004.

Le greffier

Le président

R. Grass

V. Skouris


1 – Langue de procédure: le finnois.