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Affaire C-255/02

Halifax plc e.a.

contre

Commissioners of Customs & Excise

(demande de décision préjudicielle, introduite par

le VAT and Duties Tribunal, London)

«Sixième directive TVA — Article 2, point 1, article 4, paragraphes 1 et 2, article 5, paragraphe 1, et article 6, paragraphe 1 — Activité économique — Livraisons de biens — Prestations de services — Pratique abusive — Opérations ayant pour seul but l'obtention d'un avantage fiscal»

Conclusions de l'avocat général M. M. Poiares Maduro, présentées le 7 avril 2005 

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 21 février 2006 

Sommaire de l'arrêt

1.     Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Livraisons de biens — Prestations de services

(Directive du Conseil 77/388, art. 2, point 1, 4, § 1 et 2, 5, § 1, et 6, § 1)

2.     Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Déduction de la taxe payée en amont

(Directive du Conseil 77/388, art. 17)

1.     Des opérations constituent des livraisons de biens ou des prestations de services et une activité économique au sens de l'article 2, point 1, de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de l'article 5, paragraphe 1, et de l'article 6, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, telle que modifiée par la directive 95/7, dès lors qu'elles satisfont aux critères objectifs sur lesquels sont fondées lesdites notions, même lorsqu'elles sont effectuées dans le seul but d'obtenir un avantage fiscal, sans autre objectif économique.

En effet, les notions d'assujetti et d'activités économiques, ainsi que de livraisons de biens et de prestations de services, qui définissent les opérations taxables en vertu de la sixième directive, ont toutes un caractère objectif et s'appliquent indépendamment des buts et des résultats des opérations concernées. À cet égard, une obligation pour l'administration fiscale de procéder à des enquêtes en vue de déterminer l'intention de l'assujetti serait contraire aux objectifs du système commun de la taxe sur la valeur ajoutée d'assurer la sécurité juridique et de faciliter les actes inhérents à l'application de la taxe sur la valeur ajoutée par la prise en considération, sauf dans des cas exceptionnels, de la nature objective de l'opération concernée.

Si, certes, les critères objectifs susmentionnés ne sont pas satisfaits en cas de fraude fiscale, par exemple au moyen de fausses déclarations ou de l'établissement de factures irrégulières, il n'en reste pas moins que la question de savoir si l'opération concernée est effectuée dans le seul but d'obtenir un avantage fiscal est sans aucune pertinence pour déterminer si elle constitue une livraison de biens ou une prestation de services et une activité économique.

(cf. points 55-57, 59-60, disp. 1)

2.     La sixième directive 77/388, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, telle que modifiée par la directive 95/7, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose au droit de l'assujetti de déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont lorsque les opérations fondant ce droit sont constitutives d'une pratique abusive.

La constatation de l'existence d'une pratique abusive exige, d'une part, que les opérations en cause, malgré l'application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la sixième directive et de la législation nationale transposant cette directive, aient pour résultat l'obtention d'un avantage fiscal dont l'octroi serait contraire à l'objectif de ces dispositions. D'autre part, il doit également résulter d'un ensemble d'éléments objectifs que les opérations en cause ont pour but essentiel l'obtention d'un avantage fiscal.

Or, permettre à des assujettis de déduire la totalité de la taxe sur la valeur ajoutée payée en amont alors que, dans le cadre de leurs transactions commerciales normales, aucune opération conforme aux dispositions du régime des déductions de la sixième directive ou de la législation nationale le transposant ne leur aurait permis de déduire ladite taxe sur la valeur ajoutée, ou ne leur aurait permis d'en déduire qu'une partie, serait contraire au principe de neutralité fiscale et, partant, contraire à l'objectif dudit régime.

Quant au second élément, selon lequel les opérations en cause doivent avoir pour but essentiel l'obtention d'un avantage fiscal, il y a lieu de rappeler qu'il incombe à la juridiction nationale d'établir le contenu et la signification réels des opérations en cause. Ce faisant, elle peut prendre en considération le caractère purement artificiel de ces opérations ainsi que les liens de nature juridique, économique et/ou personnelle entre les opérateurs impliqués dans le plan de réduction de la charge fiscale.

Lorsque l'existence d'une pratique abusive a été constatée, les opérations impliquées doivent être redéfinies de manière à rétablir la situation telle qu'elle aurait existé en l'absence des opérations constitutives de cette pratique abusive.

À cet égard, l'administration fiscale est habilitée à demander avec effet rétroactif le remboursement des sommes déduites pour chaque opération dont elle constate que le droit à déduction a été exercé de manière abusive. Toutefois, elle doit également en soustraire toute taxe ayant grevé une opération effectuée en aval, taxe pour laquelle l'assujetti concerné était artificiellement redevable dans le cadre du plan de réduction de la charge fiscale et, le cas échéant, elle doit rembourser tout excédent. De même, elle doit permettre à l'assujetti qui, en l'absence d'opérations constitutives d'une pratique abusive, aurait été le bénéficiaire de la première opération non constitutive d'une telle pratique, de déduire, conformément aux dispositions du régime des déductions de la sixième directive, la taxe grevant cette opération en amont.

(cf. points 74-75, 80-81, 85-86, 94-98, disp. 2-3)




ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

21 février 2006 (*)

«Sixième directive TVA – Article 2, point 1, article 4, paragraphes 1 et 2, article 5, paragraphe 1, et article 6, paragraphe 1 – Activité économique – Livraisons de biens – Prestations de services – Pratique abusive – Opérations ayant pour seul but l’obtention d’un avantage fiscal»

Dans l’affaire C-255/02,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le VAT and Duties Tribunal, London (Royaume-Uni), par décision du 27 juin 2002, parvenue à la Cour le 11 juillet 2002, dans la procédure

Halifax plc,

Leeds Permanent Development Services Ltd,

County Wide Property Investments Ltd

contre

Commissioners of Customs & Excise,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Schiemann, J. Makarczyk, présidents de chambre, MM. S. von Bahr (rapporteur), J. N. Cunha Rodrigues, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Lenaerts, P. Kūris, E. Juhász et G. Arestis, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: Mme K. Sztranc, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 novembre 2004,

considérant les observations présentées:

–       pour Halifax plc, Leeds Permanent Development Services Ltd et County Wide Property Investments Ltd, par MM. K. P. E. Lasok, QC, et M. Patchett-Joyce, barrister, mandatés par Mme S. Garrett, solicitor,

–       pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. J. Collins et Mme R. Caudwell, en qualité d’agents, assistés de MM. J. Peacock et C. Vajda, QC, ainsi que M. Angiolini, barrister,

–       pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme C. Jurgensen-Mercier, en qualité d’agents,

–       pour l’Irlande, par M. D. J. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. A. M. Collins, SC,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par M. R. Lyal, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 avril 2005,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995 (JO L 102, p. 18, ci-après la «sixième directive»).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Halifax plc (ci-après «Halifax»), Leeds Permanent Development Services Ltd (ci-après «Leeds Development») et County Wide Property Investments Ltd (ci-après «County») aux Commissioners of Customs & Excise (ci-après les «Commissioners») au sujet du rejet par ces derniers des demandes de récupération ou de remise de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») présentées par Leeds Development et par County dans le cadre d’un plan de réduction de la charge fiscale du Halifax plc Group.

 Le cadre juridique

3       L’article 2, point 1, de la sixième directive soumet à la TVA les livraisons de biens ainsi que les prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel.

4       En vertu de l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante, l’une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2 de cet article. La notion d’«activités économiques» est définie audit paragraphe 2 comme englobant toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services et, notamment, les opérations comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.

5       Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de cette même directive, «[e]st considéré comme ‘livraison d’un bien’ le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire».

6       Selon l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive, «[e]st considérée comme ‘prestation de services’ toute opération qui ne constitue pas une livraison d’un bien au sens de l’article 5».

7       Il résulte de l’article 13, B, sous b), de la sixième directive que, hormis quelques exceptions y énumérées, les États membres exonèrent l’affermage et la location de biens immeubles. Toutefois, il résulte de l’article 13, C, premier alinéa, sous a), de ladite directive que les États membres peuvent accorder à leurs assujettis le droit d’opter pour la taxation de ces opérations.

8       L’article 13, B, sous d), de ladite directive prévoit que les États membres exonèrent de la TVA certaines activités dans le secteur des services financiers.

9       L’article 17, paragraphe 2, sous a), de cette même directive prévoit:

«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a)      la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti.»

10     En ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction et celles n’y ouvrant pas droit, l’article 17, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive précise que «la déduction n’est admise que pour la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations».

11     Aux termes du deuxième alinéa de cette même disposition, «[c]e prorata est déterminé pour l’ensemble des opérations effectuées par l’assujetti conformément à l’article 19».

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

12     Halifax est un établissement bancaire. La grande majorité de ses prestations sont exonérées de la TVA. Au moment des faits de l’affaire au principal, elle pouvait récupérer moins de 5 % de la TVA acquittée en amont.

13     Selon les observations présentées par Halifax, Leeds Development est une société de promotion immobilière et County une société de promotion immobilière et d’investissement.

14     Il ressort de la décision de renvoi que Leeds Development et County ainsi qu’une autre société du Halifax plc Group impliquée dans les opérations en cause, Halifax Property Investments Ltd (ci-après «Property»), sont toutes des filiales à part entière de Halifax. Leeds Development et County sont chacune enregistrées séparément aux fins de la TVA, alors que Property n’est pas enregistrée.

15     Aux fins de son activité commerciale, Halifax devait construire des centres d’appel («call centres») sur quatre sites différents, à savoir à Cromac Wood et à Dundonald en Irlande du Nord, à Livingston en Écosse et à West Bank, Leeds, dans le nord-est de l’Angleterre, pour lesquels elle détenait ou un bail d’environ 125 ans, ou la pleine propriété, ou encore la pleine jouissance.

16     Elle a d’abord conclu, le 17 décembre 1999, un contrat de mise en valeur du site de Cromac Wood avec Cusp Ltd, une société indépendante de promotion et de construction immobilière. Par un avenant du 28 février 2000, elle s’est ensuite dégagée de ce contrat et ses droits et obligations ont été assumés par County.

17     Entre le 29 février et le 6 avril 2000, Halifax, Leeds Development, County et Property ont passé un certain nombre d’accords pour les différents sites. Il ressort de la décision de renvoi que les opérations se sont déroulées de manière similaire pour tous les sites.

18     En ce qui concerne les sites de Cromac Wood, Dundonald et Livingston, le 29 février 2000, Halifax a conclu des contrats de prêt avec Leeds Development en vertu desquels elle acceptait de lui prêter des sommes suffisamment importantes pour que Leeds Development puisse acquérir des droits sur ces sites et les mettre en valeur, pour un montant total de 59 000 000 GBP.

19     Halifax et Leeds Development ont également passé un accord en vue de l’exécution sur lesdits sites de certains travaux de construction. Pour ces travaux, Leeds Development a reçu un paiement de Halifax d’un peu plus de 120 000 GBP, dont presque 20 000 au titre de la TVA. Leeds Development a envoyé à Halifax trois factures de TVA acquittées dudit montant. En outre, Halifax a conclu un contrat avec Leeds Development concernant l’octroi à cette dernière, en contrepartie d’une prime, de baux sur les trois sites, chacun d’une durée de 20 ans avec la faculté pour le locataire de porter cette durée à 99 ans.

20     Le 29 février 2000, Leeds Development a également passé un accord de mise en valeur et de financement avec County, en vertu duquel cette dernière devait exécuter ou faire exécuter les travaux de construction sur les terrains de Cromac Wood, Dundonald et Livingston, y inclus ceux que Leeds Development avait accepté d’exécuter ou de faire exécuter en vertu de son accord avec Halifax.

21     À la même date, Halifax a versé à Leeds Development les premières avances sur les prêts ainsi que le paiement pour lesdits travaux, pour un montant total de 44 815 000 GBP. Cette somme a été versée sur un compte bancaire géré selon les instructions de Leeds Development. Cette dernière a demandé qu’une somme identique, incluant plus de 6 600 000 GBP de TVA, soit payée à County en tant qu’avance sur les travaux exécutés par celle-ci ou à son initiative. Cette opération a été constatée le même jour par la banque concernée, puis les fonds ont été placés en dépôt pendant la nuit. Ce même jour, County a délivré à Leeds Development une facture de TVA acquittée.

22     Le 29 février 2000 était également le dernier jour de la période de déclaration de février 2000 de Leeds Development. Celle-ci a présenté une déclaration dans laquelle elle demandait un remboursement de TVA portant sur un montant de près de 6 700 000 GBP.

23     Le 1er mars 2000, la somme de 44 815 000 GBP, plus les intérêts cumulés, a été virée, sur ordre de Leeds Development, sur un compte ouvert au nom de County auprès d’une autre banque.

24     Le 6 avril 2000, conformément au contrat du 29 février 2000, Halifax a donné à bail à Leeds Development les terrains situés sur les sites de Cromac Wood, Dundonald et Livingston en contrepartie de primes d’un montant total d’environ 7 400 000 GBP, chaque bail étant considéré comme une prestation exonérée aux fins de la TVA. Ces primes ont été financées par un tirage supplémentaire sur la somme mise à disposition en vertu des contrats de prêt initiaux.

25     Le même jour, Leeds Development a également pris l’engagement de céder, contre une prime, chacun de ces baux à Property, ces cessions devant être effectives le premier jour ouvrable suivant l’achèvement sur le site des travaux et considérées comme des opérations exonérées de TVA. La prime devait être calculée selon une formule censée procurer à Leeds Development un profit total de 180 000 GBP. Property s’est à son tour engagée à sous-louer les locaux de Cromac Wood, Dundonald et Livingston à Halifax, dans chaque cas en échange d’une prime à calculer en fonction du prix versé par Property à Leeds Development pour la cession des baux respectifs, plus une marge bénéficiaire. Property était censée tirer un profit total de 85 000 GBP de ces sous-locations.

26     S’agissant du site de West Bank, à Leeds, le 13 mars 2000, Halifax et Leeds Development ont conclu un contrat de prêt ainsi qu’un contrat de bail et ont passé un accord de travaux. Halifax a payé une somme de 41 900 GBP, dont un peu plus de 6 000 au titre de la TVA, pour les premiers travaux exécutés et Leeds Development a émis une facture de TVA acquittée correspondant à ce montant total. Halifax a fait une première avance de fonds en faveur de Leeds Development pour un montant approximatif de 3 000 000 GBP en vertu du contrat de prêt.

27     Le même jour, Leeds Development et County ont passé un accord de mise en valeur et de financement. Leeds Development a effectué un paiement préalable en faveur de County et cette dernière a émis des factures de TVA acquittées correspondant aux travaux exécutés, pour un montant de plus de 3 000 000 GBP, dont environ 455 000 de TVA. Dans sa déclaration relative au mois de mars 2000, Leeds Development a réclamé le remboursement de près de 455 000 GBP de TVA payée en amont.

28     Le 6 avril 2000, Halifax a donné à bail à Leeds Development le terrain situé sur le site de West Bank et un accord a été passé portant sur la cession par Leeds Development dudit bail à Property en contrepartie d’une prime. Par un autre accord, Property s’est engagée à consentir une sous-location à Halifax.

29     Afin d’exécuter les travaux visés par les différents accords passés avec Leeds Development, County a commis des entrepreneurs indépendants et des membres de professions libérales (ci-après les «constructeurs indépendants»). La juridiction de renvoi souligne que des accords ont pu être passés par étapes avec les constructeurs indépendants et que ceux portés à sa connaissance étaient accompagnés d’accords séparés auxquels Halifax était partie. Ces accords séparés garantiraient à Halifax, notamment, l’exécution des tâches et obligations par le constructeur indépendant concerné.

30     La juridiction de renvoi indique que les conséquences fiscales recherchées par les accords susmentionnés étaient les suivantes:

–       Halifax pourrait déduire la partie déductible de la TVA payée en amont relative aux travaux prescrits par les accords passés avec Leeds Development.

–       Leeds Development pourrait déduire, pour la période de déclaration de février 2000, la TVA indiquée sur la facture de County du 29 février 2000, à savoir plus de 6 600 000 GBP et, pour la période de déclaration de mars 2000, la TVA indiquée sur celle du 13 mars 2000, à savoir environ 455 000 GBP.

–       County déclarerait la totalité de la TVA en aval indiquée sur lesdites factures et pourrait déduire la TVA acquittée en amont pour les travaux effectués par les constructeurs indépendants.

–       Les accords de Leeds Development du 6 avril 2000 portant sur la cession à Property des baux sur les quatre sites seraient des opérations exonérées. Comme elles se situeraient dans un autre exercice, ces prestations n’entraîneraient pas de modification des droits de Leeds Development à récupérer la taxe payée en amont pour les périodes de déclaration de février et de mars 2000, qui tomberaient pendant l’exercice clos le 31 mars 2000.

31     Selon la juridiction de renvoi, pour que cette solution fonctionne, il fallait que:

–       Halifax, Leeds Development et County soient toutes les trois enregistrées séparément aux fins de la TVA,

–       tout au long du premier exercice concerné, la production taxée au taux normal de Leeds Development représente une proportion aussi élevée que possible de sa production totale. À cette fin, les prestations exonérées de Leeds Development que constituait la cession de ses droits sur les sites à Property devaient être différées jusqu’à un exercice ultérieur, et

–       les droits de propriété de Leeds Development sur les sites soient conçus de façon à ne pas compter comme bien d’investissement. Dans le cas contraire, la cession de ces droits à Property aurait affecté ses droits à déduction.

32     Par décisions des 4 et 7 juillet 2000, les Commissioners ont rejeté les demandes de déduction présentées par Leeds Development ainsi que par County concernant la TVA que les constructeurs indépendants avaient facturée à cette dernière.

33     Selon la juridiction de renvoi, les Commissioners ont considéré que:

–       Leeds Development n’ayant pas fourni de travaux à Halifax ni reçu de prestations de travaux de construction de County, ces opérations ne devaient pas être prises en compte aux fins de la TVA;

–       les arrangements analysés dans leur contexte global montraient que Halifax avait reçu les prestations de travaux des constructeurs indépendants et non pas de Leeds Development. Halifax pouvait donc déduire la TVA sur lesdits travaux en appliquant son taux de récupération normal.

34     Halifax, Leeds Development et County ont attaqué les décisions des Commissioners devant le VAT and Duties Tribunal, London. Halifax a fait valoir que ces décisions aboutissaient à la traiter comme si elle avait bénéficié de prestations de services de construction imposables, lesquelles auraient dû être considérées comme fournies à County. Leeds Development et County ont invoqué que ces décisions équivalaient à rejeter leurs demandes de récupération ou de remise de la TVA acquittée en amont.

35     Halifax, Leeds Development et County ont relevé que les opérations effectuées dans le cadre des arrangements visés par leur recours étaient réelles. Non seulement les livraisons ou prestations des constructeurs indépendants, mais également les prestations de services de construction accomplies par County et les prestations de services de construction et de fournitures de terrains rendues par Leeds Development serviraient des intérêts commerciaux. Ces deux sociétés, ainsi que Property, devraient tirer des bénéfices de leurs participations respectives à ces arrangements. Bien que les arrangements aient été aménagés de manière à obtenir un résultat fiscal avantageux, le système de la TVA imposerait de facturer la taxe opération par opération.

36     Les Commissioners ont fait valoir, en premier lieu, qu’une opération effectuée dans le seul but d’éluder la TVA n’est en soi ni une «livraison» ou une «prestation» ni une mesure prise dans le cadre de la poursuite d’une «activité économique» au sens qu’il convient de donner à ces termes visés par la sixième directive. L’application de ce principe interprétatif aux arrangements en cause signifierait que les engagements de Leeds Development envers Halifax ne pourraient entrer en ligne de compte comme portant sur des «livraisons» ou des «prestations» et cela vaudrait également pour les engagements de County envers Leeds Development.

37     En second lieu, les Commissioners ont soutenu que, conformément au principe général du droit communautaire qui impose de prévenir l’abus de droit, il ne faut tenir aucun compte des opérations exécutées dans le seul but d’éluder la TVA, mais appliquer les dispositions de la sixième directive à la nature réelle des opérations en cause. Quel que soit l’angle sous lequel ces arrangements seraient examinés, il s’avérerait que seuls les constructeurs indépendants auraient réellement fourni des services de construction, et cela directement à Halifax.

38     Par décision du 5 juillet 2001, le VAT and Duties Tribunal a rejeté les recours.

39     Halifax, Leeds Development et County ont fait appel devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, qui a annulé ladite décision et renvoyé l’affaire devant le VAT and Duties Tribunal.

40     Ce dernier relève que, dans sa première décision, rendue le 5 juillet 2001, il s’était fondé sur une interprétation de l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive selon laquelle il fallait se tenir aux caractéristiques objectives des opérations pour conclure que les opérations en cause n’étaient pas des livraisons ou des prestations aux fins de la TVA. L’interprétation de ladite disposition devrait maintenant être soumise à la Cour.

41     En outre, la première décision de la juridiction de renvoi avait tranché le litige au principal sans se demander s’il y avait eu un quelconque «abus de droit» de la part des participants aux opérations en cause. Cette décision ayant été cassée, il conviendrait également de s’interroger sur l’interprétation dudit principe.

42     À cet égard, la juridiction de renvoi relève qu’il résulte des témoignages déposés par des dirigeants de Halifax, de Leeds Development et de County que le seul but poursuivi par les deux dernières sociétés en s’engageant dans les opérations en cause était d’éluder la TVA. En d’autres termes, Halifax, Leeds Development et County auraient eu la volonté d’obtenir un avantage fiscal en mettant en œuvre un plan artificiel d’évasion fiscale. La juridiction de renvoi se réfère à cet égard à l’arrêt du 14 décembre 2000, Emsland-Stärke (C-110/99, Rec. p. I-11569, point 53).

43     Dans ces conditions, le VAT and Duties Tribunal, London a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      a)     Dans les circonstances pertinentes, des opérations

i)      effectuées par chaque participant dans la seule intention d’obtenir un avantage fiscal et

ii)      dépourvues d’objectif économique autonome

sont-elles, aux fins de la TVA, des livraisons ou des prestations effectuées par les participants, ou à leur profit, dans le cadre de leurs activités économiques?

b)      Dans les circonstances pertinentes, quels sont les éléments dont il convient de tenir compte pour déterminer les destinataires des livraisons ou prestations effectuées par les constructeurs indépendants?

2)      La théorie de l’abus de droit, telle qu’élaborée par la Cour, amène-t-elle à débouter les parties requérantes de leurs demandes de récupération ou de remise de la taxe payée en amont découlant de la mise en œuvre des opérations pertinentes?»

 Sur la première question, sous a)

44     Par sa première question, sous a), la juridiction de renvoi demande, en substance, si des opérations telles que celles en cause au principal constituent des livraisons de biens ou des prestations de services et une activité économique au sens de l’article 2, point 1, de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de l’article 5, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive, lorsqu’elles sont effectuées dans le seul but d’obtenir un avantage fiscal, sans autre objectif économique.

 Observations soumises à la Cour

45     Halifax, Leeds Development et County font valoir que, dans le système de la sixième directive, des opérations exécutées, mais qui ont été effectuées dans la seule intention d’obtenir un avantage fiscal et qui sont dépourvues d’objectif économique autonome sont, aux fins de la TVA, des livraisons ou des prestations effectuées par les participants, ou à leur profit, dans le cadre de leurs activités économiques.

46     Le gouvernement du Royaume-Uni et l’Irlande soutiennent que des opérations qui sont, d’une part, effectuées par chaque participant dans la seule intention d’obtenir un avantage fiscal et, d’autre part, dépourvues d’objectif économique autonome ne sont pas des livraisons ou prestations effectuées par les participants dans le cadre de leurs activités économiques.

47     La Commission estime que l’objectif dans lequel une opération est effectuée est dénué de pertinence aux fins de l’article 2 de la sixième directive.

 Appréciation de la Cour

48     Il convient d’emblée de rappeler que la sixième directive établit un système commun de TVA fondé, notamment, sur une définition uniforme des opérations taxables (voir, notamment, arrêt du 26 juin 2003, MGK-Kraftfahrzeuge-Factoring, C-305/01, Rec. p. I-6729, point 38).

49     À cet égard, la sixième directive assigne un champ d’application très large à la TVA en visant, à l’article 2, relatif aux opérations imposables, outre les importations de biens, les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel.

50     En ce qui concerne, d’abord, la notion de «livraisons de biens», l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive précise qu’est considéré comme une telle livraison le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.

51     Il résulte de la jurisprudence de la Cour que cette notion inclut toute opération de transfert d’un bien corporel par une partie qui habilite l’autre partie à disposer en fait de ce bien comme si elle en était le propriétaire (voir, notamment, arrêts du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe, C-320/88, Rec. p. I-285, point 7, et du 21 avril 2005, C-25/03, HE, Rec. p. I-3123, point 64).

52     Quant à la notion de «prestations de services», il résulte de l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive qu’elle couvre toute opération ne constituant pas une livraison d’un bien au sens de l’article 5 de cette même directive.

53     Ensuite, selon l’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive, est considéré comme assujetti quiconque accomplit, de façon indépendante, une activité économique, quels que soient les buts et les résultats de cette activité.

54     Enfin, la notion d’«activités économiques» est définie à l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive comme englobant «toutes» les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services et, selon la jurisprudence, elle inclut tous les stades de la production, de la distribution et de la prestation de services (voir, notamment, arrêts du 4 décembre 1990, Van Tiem, C-186/89, Rec. p. I-4363, point 17, et MGK-Kraftfahrzeuge-Factoring, précité, point 42).

55     Ainsi que la Cour l’a constaté au point 26 de l’arrêt du 12 septembre 2000, Commission/Grèce (C-260/98, Rec. p. I-6537), l’analyse des définitions des notions d’assujetti et d’activités économiques met en évidence l’étendue du champ d’application couvert par la notion d’activités économiques et son caractère objectif, en ce sens que l’activité est considérée en elle-même, indépendamment de ses buts ou de ses résultats (voir, également, arrêt du 26 mars 1987, Commission/Pays-Bas, 235/85, Rec. p. 1471, point 8, ainsi que, en ce sens, notamment arrêts du 14 février 1985, Rompelman, 268/83, Rec. p. 655, point 19, et du 27 novembre 2003, Zita Modes, C-497/01, Rec. p. I-14393, point 38).

56     En fait, ladite analyse ainsi que celle des notions de livraisons de biens et de prestations de services démontrent que ces notions, qui définissent les opérations taxables en vertu de la sixième directive, ont toutes un caractère objectif et qu’elles s’appliquent indépendamment des buts et des résultats des opérations concernées (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2006, Optigen e.a., C-354/03, C-355/03 et C-484/03, non encore publié au Recueil, point 44).

57     Comme la Cour l’a constaté au point 24 de l’arrêt du 6 avril 1995, BLP Group (C-4/94, Rec. p. I-983), une obligation pour l’administration fiscale de procéder à des enquêtes en vue de déterminer l’intention de l’assujetti serait contraire aux objectifs du système commun de TVA d’assurer la sécurité juridique et de faciliter les actes inhérents à l’application de la TVA par la prise en considération, sauf dans des cas exceptionnels, de la nature objective de l’opération concernée.

58     Il s’ensuit que des opérations telles que celles en cause au principal constituent des livraisons de biens ou des prestations de services et une activité économique au sens de l’article 2, point 1, de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de l’article 5, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive, dès lors qu’elles satisfont aux critères objectifs sur lesquels sont fondées lesdites notions.

59     Certes, ces critères ne sont pas satisfaits en cas de fraude fiscale, par exemple au moyen de fausses déclarations ou de l’établissement de factures irrégulières. Il n’en reste pas moins que la question de savoir si l’opération concernée est effectuée dans le seul but d’obtenir un avantage fiscal est sans aucune pertinence pour déterminer si elle constitue une livraison de biens ou une prestation de services et une activité économique.

60     Il s’ensuit qu’il convient de répondre à la première question, sous a), que des opérations telles que celles en cause au principal constituent des livraisons de biens ou des prestations de services et une activité économique au sens de l’article 2, point 1, de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de l’article 5, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive, dès lors qu’elles satisfont aux critères objectifs sur lesquels sont fondées lesdites notions, même lorsqu’elles sont effectuées dans le seul but d’obtenir un avantage fiscal, sans autre objectif économique.

 Sur la seconde question

61     Par sa seconde question, qu’il convient d’examiner avant la première question, sous b), la juridiction de renvoi demande en substance si la sixième directive doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose au droit de l’assujetti de déduire la TVA acquittée en amont lorsque les opérations fondant ce droit sont constitutives d’une pratique abusive.

 Observations soumises à la Cour

62     Halifax, Leeds Development et County considèrent que, dans le contexte du système de la TVA, il n’existe pas, en droit communautaire, de théorie d’abus de droit que les autorités fiscales d’un État membre puissent invoquer à l’encontre de particuliers pour rejeter leurs demandes de récupération ou de déduction de la taxe acquittée en amont.

63     Le gouvernement du Royaume-Uni estime que le principe d’abus de droit est un principe général de droit communautaire et interdit à un assujetti de déduire la TVA, conformément à l’article 17 de la sixième directive et à toute législation nationale applicable transposant cet article, lorsqu’il résulte de la demande de déduction que les objectifs de la TVA, posés par la sixième directive, ne sont pas atteints et que l’assujetti crée artificiellement les conditions qui justifient la demande de déduction.

64     Le gouvernement français fait valoir que le droit communautaire, en ce qu’il permet à un État membre de prendre des mesures destinées à empêcher que, à la faveur des facilités créées en vertu du traité CE, certains de ses ressortissants ne puissent se prévaloir abusivement ou frauduleusement des normes communautaires, ne s’oppose pas à ce qu’un État membre prive du droit à déduction un assujetti ou un groupe d’assujettis, ayant des liens entre eux, qui ont réalisé des opérations purement artificielles, dans le seul but d’obtenir un remboursement indu de la TVA.

65     L’Irlande soutient que la théorie d’abus de droit, telle qu’élaborée par la Cour, permet aux autorités fiscales de débouter des redevables de leurs demandes de récupération ou de déduction de la TVA acquittée en amont découlant de la mise en œuvre d’opérations telles que celles en cause au principal.

66     La Commission est d’avis que, lorsqu’un assujetti ou un groupe d’assujettis ayant des liens entre eux s’engagent dans une série d’opérations qui, prises dans leur ensemble, produisent une situation artificielle dont le seul but est de créer les conditions nécessaires à la récupération de la TVA payée en amont, ces opérations ne doivent pas être prises en considération.

 Appréciation de la Cour

67     À titre liminaire, il convient de constater que, en fait, les problèmes soulevés par les questions posées par le VAT and Duties Tribunal semblent, du moins en partie, être dus à une réglementation nationale qui permet à un assujetti effectuant à la fois des opérations taxées et non taxées, ou uniquement des opérations non taxées, de transférer les baux d’une propriété immobilière à une autre entité sous son contrôle, qui a le droit d’opter pour la taxation de la location de cette propriété et par ce moyen de déduire la totalité de la TVA en amont acquittée sur des frais de construction ou de rénovation.

68     Nonobstant cette constatation, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes communautaires (voir, notamment, arrêts du 12 mai 1998, Kefalas e.a., C-367/96, Rec. p. I-2843, point 20; du 23 mars 2000, Diamantis, C-373/97, Rec. p. I-1705, point 33, et du 3 mars 2005, Fini H, C-32/03, Rec. p. I-1599, point 32).

69     En effet, l’application de la réglementation communautaire ne saurait être étendue jusqu’à couvrir les pratiques abusives d’opérateurs économiques, c’est-à-dire les opérations qui ne sont pas réalisées dans le cadre de transactions commerciales normales, mais seulement dans le but de bénéficier abusivement des avantages prévus par le droit communautaire (voir, en ce sens, notamment arrêts du 11 octobre 1977, Cremer, 125/76, Rec. p. 1593, point 21; du 3 mars 1993, General Milk Products, C-8/92, Rec. p. I-779, point 21, et Emsland-Stärke, précité, point 51).

70     Ce principe d’interdiction de pratiques abusives s’applique également au domaine de la TVA.

71     En effet, la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la sixième directive (voir, arrêt du 29 avril 2004, Gemeente Leusden et Holin Groep, C-487/01 et C-7/02, Rec. p. I-5337, point 76).

72     Toutefois, ainsi que la Cour l’a rappelé à maintes reprises, la législation communautaire doit également être certaine et son application prévisible pour les justiciables (voir, notamment, arrêt du 22 novembre 2001, Pays-Bas/Conseil, C-301/97, Rec. p. I-8853, point 43). Cet impératif de sécurité juridique s’impose avec une rigueur particulière lorsqu’il s’agit d’une réglementation susceptible de comporter des charges financières, afin de permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose (voir, notamment, arrêts du 15 décembre 1987, Pays-Bas/Commission, 326/85, Rec. p. 5091, point 24, et du 29 avril 2004, Sudholz, C-17/01, Rec. p. I-4243, point 34).

73     En outre, il résulte de la jurisprudence que le choix, pour un entrepreneur, entre des opérations exonérées et des opérations imposées peut se fonder sur un ensemble d’éléments, et notamment des considérations de nature fiscale tenant au régime objectif de TVA (voir, notamment, arrêts BLP Group, précité, point 22, et du 9 octobre 2001, Cantor Fitzgerald International, C-108/99, Rec. p. I-7257, point 33). Lorsque l’assujetti a le choix entre deux opérations, la sixième directive ne lui impose pas de choisir celle qui implique le paiement du montant de la TVA le plus élevé. Au contraire, ainsi que l’a rappelé M. l’avocat général au point 85 de ses conclusions, l’assujetti a le droit de choisir la structure de son activité de manière à limiter sa dette fiscale.

74     Compte tenu de ces considérations, il apparaît que, dans le domaine de la TVA, la constatation de l’existence d’une pratique abusive exige, d’une part, que les opérations en cause, malgré l’application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la sixième directive et de la législation nationale transposant cette directive, aient pour résultat l’obtention d’un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif poursuivi par ces dispositions.

75     D’autre part, il doit également résulter d’un ensemble d’éléments objectifs que le but essentiel des opérations en cause est l’obtention d’un avantage fiscal. En effet, ainsi que l’a précisé M. l’avocat général au point 89 de ses conclusions, l’interdiction de pratiques abusives n’est pas pertinente lorsque les opérations en cause sont susceptibles d’avoir une justification autre que la simple obtention d’avantages fiscaux.

76     C’est à la juridiction nationale qu’il appartient de vérifier, conformément aux règles de preuve du droit national, pour autant qu’il ne soit pas porté atteinte à l’efficacité du droit communautaire, si les éléments constitutifs d’une pratique abusive sont réunis dans le litige au principal (voir arrêt du 21 juillet 2005, Eichsfelder Schlachtbetrieb, C-515/03, non encore publié au Recueil, point 40).

77     Toutefois, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, le cas échéant, apporter des précisions visant à guider la juridiction nationale dans son interprétation (voir, notamment, arrêt du 17 octobre 2002, Payroll e.a., C-79/01, Rec. p. I-8923, point 29).

78     À cet égard, en ce qui concerne l’objectif du régime des déductions de la sixième directive, il convient de rappeler que celui-ci vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de TVA garantit, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (voir, notamment, arrêts du 22 février 2001, Abbey National, C-408/98, Rec. p. I-1361, point 24, et Zita Modes, précité, point 38).

79     En effet, selon une jurisprudence constante, les articles 2 de la première directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (JO 1967, 71, p. 1301, ci-après la «première directive»), et 17, paragraphes 2, 3 et 5, de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens que, en principe, l’existence d’un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction est nécessaire pour qu’un droit à déduction de la TVA payée en amont soit reconnu à l’assujetti et pour déterminer l’étendue d’un tel droit (arrêts du 8 juin 2000, Midland Bank, C-98/98, Rec. p. I-4177, point 24; Abbey National, précité, point 26, et du 27 septembre 2001, Cibo Participations, C-16/00, Rec. p. I-6663, point 29).

80     Or, permettre à des assujettis de déduire la totalité de la TVA payée en amont alors que, dans le cadre de leurs transactions commerciales normales, aucune opération conforme aux dispositions du régime des déductions de la sixième directive ou de la législation nationale le transposant ne leur aurait permis de déduire ladite TVA, ou ne leur aurait permis d’en déduire qu’une partie, serait contraire au principe de neutralité fiscale et, partant, contraire à l’objectif dudit régime.

81     Quant au second élément, selon lequel les opérations en cause doivent avoir pour but essentiel l’obtention d’un avantage fiscal, il y a lieu de rappeler qu’il incombe à la juridiction nationale d’établir le contenu et la signification réels des opérations en cause. Ce faisant, elle peut prendre en considération le caractère purement artificiel de ces opérations ainsi que les liens de nature juridique, économique et/ou personnelle entre les opérateurs impliqués dans le plan de réduction de la charge fiscale (voir, en ce sens, arrêt Emsland-Stärke, précité, point 58).

82     En tout état de cause, il ressort de la décision de renvoi que le VAT and Duties Tribunal considère que les opérations en cause au principal avaient pour seul objectif d’obtenir un avantage fiscal.

83     Finalement, il convient de rappeler que le droit à déduction prévu aux articles 17 et suivants de la sixième directive fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité. Il s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (voir, notamment, arrêts du 6 juillet 1995, BP Soupergaz, C-62/93, Rec. p. I-1883, point 18, et du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a., C-110/98 à C-147/98, Rec p. I-1577, point 43).

84     Toutefois, ainsi que la Cour a déjà eu l’occasion de le relever, ce n’est qu’en l’absence de circonstances frauduleuses ou abusives, et sous réserve d’éventuelles régularisations conformément aux conditions prévues à l’article 20 de la sixième directive, que le droit à déduction, une fois né, reste acquis (voir, notamment, arrêts du 8 juin 2000, Breitsohl, C-400/98, Rec. p. I-4321, point 41, et Schlossstraße, C-396/98, Rec. p. I-4279, point 42).

85     Dès lors, il convient de répondre à la seconde question que la sixième directive doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose au droit de l’assujetti de déduire la TVA acquittée en amont lorsque les opérations fondant ce droit sont constitutives d’une pratique abusive.

86     La constatation de l’existence d’une pratique abusive exige, d’une part, que les opérations en cause, malgré l’application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la sixième directive et de la législation nationale transposant cette directive, aient pour résultat l’obtention d’un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif de ces dispositions. D’autre part, il doit également résulter d’un ensemble d’éléments objectifs que les opérations en cause ont pour but essentiel l’obtention d’un avantage fiscal.

 Sur la première question, sous b)

87     Eu égard aux réponses données à la première question, sous a), et à la seconde question, la première question, sous b), doit être comprise en ce sens que la juridiction de renvoi demande, en substance, dans quelles conditions la TVA peut être recouvrée lorsque l’existence d’une pratique abusive a été constatée.

 Observations soumises à la Cour

88     Le gouvernement du Royaume-Uni considère qu’il faut examiner les éléments qui démontrent le véritable fondement économique et déterminent si oui ou non les finalités de la sixième directive sont réalisées.

89     Dans l’affaire au principal, ces éléments seraient ceux établis par le VAT and Duties Tribunal dans sa première décision, à savoir que:

a)      Halifax était le maître d’œuvre de ces opérations;

b)      Halifax s’est chargée du financement des opérations sans intérêts;

c)      Halifax est toujours restée en possession des sites de sorte que les avantages tirés des travaux de construction lui sont directement revenus;

d)      Halifax avait des liens contractuels directs avec les constructeurs indépendants sous la forme de garanties; et

e)      ni County ni Leeds Development n’avaient de droits de propriété significatifs.

Ces éléments amèneraient à la conclusion que Halifax est le destinataire des prestations fournies par les constructeurs indépendants et conduiraient ainsi à un résultat conforme aux finalités de la sixième directive.

 Appréciation de la Cour

90     À titre liminaire, force est de constater qu’aucune disposition de la sixième directive ne porte sur la question du recouvrement de la TVA. Ladite directive définit seulement, à son article 20, les conditions à remplir pour que la déduction des taxes en amont puisse être régularisée auprès du bénéficiaire de la livraison de biens ou de la prestation de services (voir ordonnance du 3 mars 2004, Transport Service, C-395/02, Rec. p. I-1991, point 27).

91     Il appartient donc, en principe, aux États membres de déterminer les conditions dans lesquelles la TVA peut être recouvrée a posteriori par le Trésor public, tout en restant toutefois dans les limites découlant du droit communautaire (voir ordonnance Transport Service, précitée, point 28).

92     Il importe cependant de rappeler à cet égard que les mesures que les États membres ont la faculté d’adopter, en vertu de l’article 22, paragraphe 8, de la sixième directive, afin d’assurer l’exacte perception de la taxe et d’éviter la fraude ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs (voir arrêt Gabalfrisa e.a., précité, point 52, et ordonnance Transport Service, précitée, point 29). Elles ne peuvent dès lors être utilisées de manière telle qu’elles remettraient en cause la neutralité de la TVA, laquelle constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation communautaire en la matière (voir arrêt du 19 septembre 2000, Schmeink & Cofreth et Strobel, C-454/98, Rec. p. I-6973, point 59).

93     Il convient en outre de rappeler que la constatation de l’existence d’une pratique abusive ne doit pas conduire à une sanction, pour laquelle une base légale claire et non ambiguë serait nécessaire, mais à une obligation de remboursement, en tant que simple conséquence de ladite constatation, rendant indues, en partie ou en totalité, les déductions de la TVA payée en amont (voir, en ce cens, arrêt Emsland Stärke, précité, point 56).

94     Il en résulte que des opérations impliquées dans une pratique abusive doivent être redéfinies de manière à rétablir la situation telle qu’elle aurait existé en l’absence des opérations constitutives de ladite pratique abusive.

95     À cet égard, l’administration fiscale est habilitée à demander avec effet rétroactif le remboursement des sommes déduites pour chaque opération dont elle constate que le droit à déduction a été exercé de manière abusive (arrêt Fini H, précité, point 33).

96     Toutefois, elle doit également en soustraire toute taxe ayant grevé une opération effectuée en aval, taxe pour laquelle l’assujetti concerné était artificiellement redevable dans le cadre du plan de réduction de la charge fiscale et, le cas échéant, elle doit rembourser tout excédent.

97     De même, elle doit permettre à l’assujetti qui, en l’absence d’opérations constitutives d’une pratique abusive, aurait été le bénéficiaire de la première opération non constitutive d’une telle pratique, de déduire, conformément aux dispositions du régime des déductions de la sixième directive, la TVA grevant cette opération en amont.

98     Il s’ensuit qu’il convient de répondre à la première question, sous b), que, lorsque l’existence d’une pratique abusive a été constatée, les opérations impliquées doivent être redéfinies de manière à rétablir la situation telle qu’elle aurait existé en l’absence des opérations constitutives de cette pratique abusive.

 Sur les dépens

99     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1)      Des opérations telles que celles en cause au principal constituent des livraisons de biens ou des prestations de services et une activité économique au sens de l’article 2, point 1, de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de l’article 5, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995, dès lors qu’elles satisfont aux critères objectifs sur lesquels sont fondées lesdites notions, même lorsqu’elles sont effectuées dans le seul but d’obtenir un avantage fiscal, sans autre objectif économique.

2)      La sixième directive doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose au droit de l’assujetti de déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont lorsque les opérations fondant ce droit sont constitutives d’une pratique abusive.

La constatation de l’existence d’une pratique abusive exige, d’une part, que les opérations en cause, malgré l’application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la sixième directive et de la législation nationale transposant cette directive, aient pour résultat l’obtention d’un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif de ces dispositions. D’autre part, il doit également résulter d’un ensemble d’éléments objectifs que les opérations en cause ont pour but essentiel l’obtention d’un avantage fiscal.

3)      Lorsque l’existence d’une pratique abusive a été constatée, les opérations impliquées doivent être redéfinies de manière à rétablir la situation telle qu’elle aurait existé en l’absence des opérations constitutives de cette pratique abusive.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.