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Affaires jointes C-453/02 et C-462/02


Finanzamt Gladbeck
contre
Edith Linneweber



et



Finanzamt Herne-WestcontreSavvas Akritidis



(demandes de décision préjudicielle, introduites par le Bundesfinanzhof)

«Sixième directive TVA – Exonération des jeux de hasard – Détermination des conditions et limites de l'exonération – Assujettissement des jeux organisés en dehors des casinos publics – Respect du principe de neutralité fiscale – Article 13, B, sous f) – Effet direct»

Conclusions de l'avocat général Mme C. Stix-Hackl, présentées le 8 juillet 2004
    
Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 17 février 2005
    

Sommaire de l'arrêt

1.Dispositions fiscales – Harmonisation des législations – Taxes sur le chiffre d'affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Exonérations prévues par la sixième directive – Exonération pour les jeux de hasard – Législation nationale excluant de l'exonération l'exploitation desdits jeux par des opérateurs autres que les exploitants des casinos publics agréés – Inadmissibilité – Possibilité pour les particuliers d'invoquer la disposition pertinente devant le juge national
(Directive du Conseil 77/388, art. 13, B, f))

2.Questions préjudicielles – Interprétation – Effets dans le temps des arrêts d'interprétation – Effet rétroactif – Limitation par la Cour – Importance pour l'État membre concerné des conséquences financières de l'arrêt – Critère non décisif
(Art. 234 CE)

1.L’article 13, B, sous f), de la sixième directive 77/388, dont il résulte que l’exploitation des jeux et appareils de jeux de hasard doit être exonérée, en principe, de la taxe sur la valeur ajoutée, les États membres demeurant toutefois compétents pour déterminer les conditions et les limites de cette exonération, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui prévoit que l’exploitation de tous les jeux et appareils de jeux de hasard est exonérée de la taxe lorsqu’elle est effectuée dans des casinos publics agréés, alors que l’exercice de cette même activité par des opérateurs autres que les exploitants de tels casinos ne bénéficie pas de cette exonération. En effet, dans l’exercice des compétences qui leur sont reconnues par la disposition en cause, les États membres doivent respecter le principe de neutralité fiscale et ne peuvent pas faire valablement dépendre le bénéfice de l’exonération de l’identité de l’exploitant desdits jeux et appareils. Par ailleurs, la disposition précitée a un effet direct, en ce sens qu’elle peut être invoquée par un exploitant de jeux ou d’appareils de jeux de hasard devant les juridictions nationales pour écarter l’application des règles de droit interne incompatibles avec cette disposition. Lorsque les conditions ou limites auxquelles un État membre subordonne le bénéfice de l’exonération de la taxe pour les jeux de hasard ou d’argent sont contraires au principe de neutralité fiscale, ledit État membre ne saurait donc se fonder sur de telles conditions ou limites pour refuser à un exploitant de tels jeux l’exonération à laquelle celui-ci peut légitimement prétendre au titre de la sixième directive.

(cf. points 23-24, 29-30, 37-38, disp. 1-2)

2.Ce n’est qu’à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique communautaire, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. À cet égard, les conséquences financières qui pourraient découler pour un État membre d’un arrêt rendu à titre préjudiciel ne justifient pas, par elles-mêmes, la limitation des effets dans le temps de cet arrêt.

(cf. points 42, 44)




ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
17 février 2005(1)

«Sixième directive TVA – Exonération des jeux de hasard – Détermination des conditions et limites de l'exonération – Assujettissement des jeux organisés en dehors des casinos publics – Respect du principe de neutralité fiscale – Article 13, B, sous f) – Effet direct»

Dans les affaires jointes C-453/02 et C-462/02,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l'article 234 CE, introduites par le Bundesfinanzhof (Allemagne), par décisions du 6 novembre 2002, parvenues à la Cour respectivement les 13 et 23 décembre 2002, dans les procédures

Finanzamt Gladbeck

Edith Linneweber (C-453/02)

et

Finanzamt Herne-West

Savvas Akritidis (C-462/02),



LA COUR (deuxième chambre),,



composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. C. Gulmann et R. Schintgen (rapporteur), juges,

avocat général: M me C. Stix-Hackl,
greffier: M me M.-F. Contet, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 26 mai 2004,
considérant les observations présentées:

– pour M me Linneweber, par M e M. Nettesheim, Rechtsanwalt,

– pour le gouvernement allemand, par M. W.-D. Plessing, en qualité d'agent, assisté de M e D. Sellner, Rechtsanwalt,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. E. Traversa et K. Gross, en qualité d'agents, assistés de M e A. Böhlke, Rechtsanwalt,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 8 juillet 2004,

rend le présent



Arrêt



1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 13, B, sous f), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, d’une part, le Finanzamt Gladbeck à M me Linneweber, en sa qualité de légataire universel de son époux décédé en 1999, et, d’autre part, le Finanzamt Herne-West à M. Akritidis au sujet du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») sur les recettes provenant de l’exploitation de jeux de hasard.


Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 L’article 2 de la sixième directive, qui constitue le titre II de celle-ci, intitulé «Champ d’application», dispose:

«Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

1.les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;

[...]»

4 Aux termes de l’article 13, B, sous f), de la sixième directive, les États membres exonèrent de la TVA:

«les paris, loteries et autres jeux de hasard ou d’argent, sous réserve des conditions et limites déterminées par chaque État membre».

La réglementation nationale

5 L’article 1 er , paragraphe 1, de l’Umsatzsteuergesetz 1993 (loi de 1993 relative à la taxe sur le chiffre d’affaires, BGBl. 1993 I, p. 565, ci-après l’«UStG») soumet à la TVA les opérations effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un entrepreneur dans le cadre de son activité.

6 En vertu de l’article 4, paragraphe 9, sous b), de l’UStG, sont exonérés de la TVA les chiffres d’affaires relevant de la loi sur les paris et les loteries, de même que les chiffres d’affaires des casinos publics agréés résultant de l’exploitation de ces casinos.


Les litiges au principal et les questions préjudicielles

L’affaire C-453/02

7 M me Linneweber est la légataire universelle de son époux décédé en 1999. Ce dernier disposait d’une autorisation administrative pour mettre à la disposition du public, contre rétribution, des machines à sous et des appareils de divertissement dans des cafés ainsi que dans des salons de jeu qui lui appartenaient. M me  Linneweber et son époux ont déclaré les recettes générées par l’exploitation desdites machines au titre des exercices 1997 et 1998 comme non soumises à la TVA, au motif que les recettes provenant de l’exploitation de machines à sous par les casinos agréés sont exonérées de cette taxe.

8 Le Finanzamt Gladbeck a considéré, en revanche, que les recettes en cause n’étaient pas exonérées au titre de l’article 4, paragraphe 9, sous b), de l’UStG, dès lors qu’elles n’étaient pas soumises à l’impôt sur les paris, les courses et les loteries et ne provenaient pas de l’exploitation d’un casino public agréé.

9 Saisi du litige, le Finanzgericht Münster a fait droit au recours introduit par M me  Linneweber, au motif que, par analogie avec ce que la Cour a jugé dans son arrêt du 11 juin 1998, Fischer (C-283/95, Rec. p. I−3369), les recettes provenant de machines à sous doivent être exonérées de la TVA en application de l’article 13, B, sous f), de la sixième directive. En effet, au point 28 dudit arrêt, la Cour aurait constaté que le principe de neutralité fiscale s’oppose, en matière de perception de la TVA, à une différenciation entre les transactions licites et les transactions illicites.

10 À l’appui de son recours en «Revision» introduit devant le Bundesfinanzhof, le Finanzamt Gladbeck a fait valoir que les mises et les chances de gains sont beaucoup plus élevées dans le cas des appareils installés dans les casinos que pour les appareils exploités en dehors de tels établissements. Dès lors, contrairement à ce qu’a admis le Finanzgericht Münster, il n’existerait pas de concurrence entre ces deux types d’appareils.

11 Estimant que la solution du litige dont il est saisi nécessite l’interprétation de la sixième directive, le Bundesfinanzhof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)Convient-il d’interpréter l’article 13, partie B, sous f), de la sixième directive [...] en ce sens qu’un État membre ne peut soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée l’organisation d’un jeu de hasard ou d’argent lorsque l’organisation d’un tel jeu par un casino public agréé est exonérée?

2)L’article 13, partie B, sous f), de la sixième directive [...] interdit-il à un État membre de soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée l’exploitation d’un automate de jeu du seul fait que, dans un casino public agréé, une telle exploitation est exonérée ou faut-il établir en outre que les automates de jeu exploités en dehors des casinos sont comparables sur des points essentiels, comme la mise maximale et le gain maximal, à ceux qui sont exploités dans les casinos?

3)L’installateur des appareils peut-il se prévaloir de l’exonération prévue à l’article 13, partie B, sous f), de la sixième directive [...]?»

L’affaire C-462/02

12 Ainsi qu’il ressort du dossier transmis à la Cour par la juridiction de renvoi, M. Akritidis a exploité, entre 1987 et 1991, un salon de jeu à Herne-Eickel. Il y organisait des jeux de roulette ainsi que des jeux de cartes. Conformément à l’autorisation dont il disposait, ces jeux devaient être pratiqués dans le respect de règles définies conformément à un certificat de non-opposition («Unbedenklichkeitsbescheinigung») délivré par les autorités compétentes.

13 Entre 1989 et 1991, tant pour le jeu de roulette que pour le jeu de cartes, M. Akritidis n’a pas respecté les règles prescrites par les autorités compétentes. Ainsi, notamment, il n’a pas utilisé le tableau de jeu, n’a pas respecté le montant maximal des mises et n’a pas tenu un registre du chiffre d’affaires généré par l’exploitation des jeux en question.

14 Le Finanzamt Herne-West a évalué le chiffre d’affaires pour ladite période en prenant en considération les recettes illicites provenant de l’organisation des jeux de roulette et de cartes. À la suite d’une réclamation de M. Akritidis et compte tenu de l’arrêt Fischer, précité, le Finanzamt Herne-West a renoncé à assujettir les recettes provenant du jeu de la roulette à la TVA. Il a cependant décidé de considérer le jeu de cartes organisé de manière illicite comme taxable et a fixé de manière forfaitaire la part du chiffre d’affaires relatif à l’organisation de ce jeu.

15 M. Akritidis a introduit un recours à l’encontre de cette décision devant le Finanzgericht Münster. Cette juridiction a jugé que, conformément aux principes dégagés par la Cour dans son arrêt Fischer, précité, le jeu de cartes en cause devait, en application de l’article 13, B, sous f), de la sixième directive, être exonéré de la TVA. Elle a en outre considéré que M. Akritidis pouvait invoquer directement ladite disposition devant les juridictions nationales. Il n’y aurait aucune raison de limiter au jeu de la roulette l’application des principes établis par la Cour dans ledit arrêt.

16 À l’appui de son recours en «Revision» introduit devant le Bundesfinanzhof, le Finanzamt Herne-West a fait valoir que les principes auxquels le Finanzgericht Münster s’est référé ne sont pas transposables au jeu de cartes en cause en l’espèce. En l’occurrence, à la différence du jeu en question dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Fischer, précité, il n’y aurait aucune concurrence entre le jeu de cartes organisé par M. Akritidis et ceux organisés par les casinos, puisque ces jeux ne seraient pas véritablement comparables. M. Akritidis, quant à lui, soutient que le jeu de cartes tel qu’il a été joué dans ses établissements correspond au «black jack» joué dans les casinos publics agréés.

17 Estimant que la solution du litige dont il est saisi nécessite l’interprétation de la sixième directive, le Bundesfinanzhof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)L’article 13, partie B, sous f), de la sixième directive [...] interdit-il à un État membre de soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée l’organisation d’un jeu de cartes lorsque l’organisation d’un tel jeu par un casino public agréé est exonérée ou faut-il établir en outre que les jeux de cartes organisés en dehors des casinos sont comparables sur des points essentiels, comme les règles de jeu, la mise maximale et le gain maximal, à ceux qui sont organisés dans les casinos?

2)L’organisateur peut-il se prévaloir de l’exonération prévue à l’article 13, partie B, sous f), de la sixième directive [...]?»

18 Par ordonnance du président de la Cour du 6 février 2003, les affaires C-453/02 et C-462/02 ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l’arrêt.


Sur les questions préjudicielles

Sur la première question dans l’affaire C-453/02

19 À titre liminaire, il convient de rappeler, d’une part, que l’article 4, paragraphe 9, sous b), de l’UStG exonère de la TVA le chiffre d’affaires réalisé par les casinos publics agréés au moyen de jeux ou d’appareils de jeux de hasard sans que la forme ou les modalités d’organisation et d’exploitation desdits jeux et appareils soient déterminées.

20 D’autre part, ainsi que le Bundesfinanzhof l’a précisé dans sa décision de renvoi, il y a lieu de constater que les casinos publics agréés ne sont soumis à aucune limitation en ce qui concerne les jeux et appareils de jeux de hasard qu’ils peuvent exploiter.

21 Ainsi, des jeux et appareils de jeux de hasard tels que ceux en cause dans l’affaire au principal peuvent, indépendamment des modalités selon lesquelles ils ont été organisés, être exploités par les casinos publics agréés, sans que le chiffre d’affaires que ceux-ci réalisent au moyen de l’exploitation desdits jeux soit soumis à la TVA.

22 Dans ces conditions, il y a lieu de comprendre la première question dans l’affaire C-453/02 comme visant en substance à savoir si l’article 13, B, sous f), de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui prévoit que l’exploitation de tous les jeux et appareils de jeux de hasard est exonérée de la TVA lorsqu’elle est effectuée dans des casinos publics agréés, alors que l’exercice de cette même activité par des opérateurs autres que les exploitants de casinos ne bénéficie pas de cette exonération.

23 En vue de répondre à la question ainsi reformulée, il convient de rappeler qu’il résulte de l’article 13, B, sous f), de la sixième directive que l’exploitation des jeux et appareils de jeux de hasard doit être exonérée, en principe, de la TVA, les États membres demeurant toutefois compétents pour déterminer les conditions et les limites de cette exonération (arrêt Fischer, précité, point 25).

24 Toutefois, dans l’exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter le principe de neutralité fiscale. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, ce principe s’oppose notamment à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA, de sorte que lesdites marchandises ou lesdites prestations doivent être soumises à un taux uniforme (voir, notamment, arrêts du 11 octobre 2001, Adam, C-267/99, Rec. p. I-7467, point 36, et du 23 octobre 2003, Commission/Allemagne, C-109/02, Rec. p. I−12691, point 20).

25 Or, il résulte de cette jurisprudence, ainsi que des arrêts du 7 septembre 1999, Gregg (C-216/97, Rec. p. I-4947, point 20) et Fischer, précité, que, pour évaluer si des produits ou des prestations de services sont semblables, l’identité du producteur ou du prestataire de services et la forme juridique sous laquelle ceux-ci exercent leurs activités sont, en principe, sans pertinence.

26 En effet, ainsi que M me l’avocat général l’a relevé aux points 37 et 38 de ses conclusions, afin de déterminer s’il y avait similitude entre les activités en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Fischer, précité, la Cour a uniquement examiné la comparabilité des activités en cause et n’a pas pris en compte l’argument selon lequel, au regard du principe de neutralité fiscale, les jeux de hasard se différencieraient du seul fait de leur organisation par ou dans des casinos publics agréés.

27 Ainsi, au point 31 de son arrêt Fischer, précité, la Cour a jugé que l’article 13, B, sous f), de la sixième directive s’oppose à ce qu’un État membre soumette à la TVA l’exploitation illégale d’un jeu de hasard organisé en dehors d’un casino public agréé, alors que l’exploitation du même jeu de hasard par un tel établissement bénéficie d’une exonération.

28 Or, dès lors que l’identité de l’exploitant d’un jeu de hasard n’est pas pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer si l’organisation illicite dudit jeu doit être considérée comme étant en concurrence avec l’organisation licite de ce même jeu, il doit, a fortiori, en être ainsi lorsqu’il s’agit de déterminer si deux jeux ou appareils de jeux de hasard exploités légalement doivent être considérés comme étant en concurrence l’un avec l’autre.

29 Il s’ensuit que, dans l’exercice des compétences qui leur sont reconnues par l’article 13, B, sous f), de la sixième directive, à savoir la détermination des conditions et limites dans lesquelles l’exploitation de jeux et d’appareils de jeux de hasard peut bénéficier de l’exonération de la TVA prévue par cette disposition, les États membres ne peuvent pas faire valablement dépendre le bénéfice de ladite exonération de l’identité de l’exploitant desdits jeux et appareils.

30 Eu égard à ces considérations, il y a lieu de répondre à la première question posée dans l’affaire C-453/02 que l’article 13, B, sous f), de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui prévoit que l’exploitation de tous les jeux et appareils de jeux de hasard est exonérée de la TVA lorsqu’elle est effectuée dans des casinos publics agréés, alors que l’exercice de cette même activité par des opérateurs autres que les exploitants de tels casinos ne bénéficie pas de cette exonération.

Sur la deuxième question dans l’affaire C-453/02 et la première question dans l’affaire C-462/02

31 Eu égard à la réponse donnée à la première question dans l’affaire C-453/02, il n’y a lieu de répondre ni à la deuxième question dans cette même affaire ni à la première question dans l’affaire C-462/02.

Sur la troisième question dans l’affaire C-453/02 et la seconde question dans l’affaire C-462/02

32 Par ces questions, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 13, B, sous f), de la sixième directive a un effet direct, en ce sens qu’il peut être invoqué par un exploitant de jeux ou d’appareils de jeux de hasard devant les juridictions nationales pour écarter l’application des règles de droit interne incompatibles avec cette disposition.

33 À cet égard, il convient de rappeler que, dans tous les cas où des dispositions d’une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, ces dispositions peuvent être invoquées, à défaut de mesures d’application prises dans les délais, à l’encontre de toute disposition nationale non conforme à la directive, ou encore en tant qu’elles sont de nature à définir des droits que les particuliers sont en mesure de faire valoir à l’égard de l’État (voir, notamment, arrêts du 19 janvier 1982, Becker, 8/81, Rec. p. 53, point 25; du 10 septembre 2002, Kügler, C-141/00, Rec. p. I-6833, point 51, et du 20 mai 2003, Österreichischer Rundfunk e.a., C-465/00, C-138/01 et C-139/01, Rec. p. I-4989, point 98).

34 S’agissant plus précisément de l’article 13, B, de la sixième directive, il ressort de la jurisprudence que, si cette disposition reconnaît indéniablement une marge d’appréciation aux États membres pour fixer les conditions de l’application de certaines des exonérations qu’elle prévoit, il n’en demeure pas moins qu’un État membre ne saurait opposer à un contribuable qui est en mesure d’établir que sa situation fiscale relève effectivement de l’une des catégories d’exonération énoncées par la sixième directive le fait que cet État n’a pas pris les dispositions destinées, précisément, à faciliter l’application de cette même exonération (arrêt Becker, précité, point 33).

35 Il convient d’ajouter que la circonstance que l’article 13, B, sous f), de la sixième directive réaffirme l’existence de cette marge d’appréciation des États membres, en précisant qu’ils sont compétents pour déterminer les conditions et limites de l’exonération dont bénéficient les jeux de hasard et d’argent, n’est pas de nature à remettre en cause cette interprétation. En effet, dès lors que ces jeux sont, en principe, exonérés de la TVA, tout exploitant de ceux-ci peut directement se prévaloir de ladite exonération dès lors que l’État membre concerné a renoncé à exercer les compétences qui lui sont expressément reconnues par l’article 13, B, sous f), de la sixième directive ou a omis de mettre en œuvre de telles compétences.

36 Il importe de constater, en outre, que ce qui vaut pour le cas où un État membre n’a pas exercé les compétences qui lui sont reconnues par l’article 13, B, de la sixième directive doit valoir a fortiori pour le cas où, dans l’exercice desdites compétences, un État membre a adopté des dispositions nationales qui ne sont pas compatibles avec cette directive.

37 Il s’ensuit que, ainsi que M me l’avocat général l’a relevé au point 72 de ses conclusions, lorsque, comme dans les affaires au principal, les conditions ou limites auxquelles un État membre subordonne le bénéfice de l’exonération de la TVA pour les jeux de hasard ou d’argent sont contraires au principe de neutralité fiscale, ledit État membre ne saurait se fonder sur de telles conditions ou limites pour refuser à un exploitant de tels jeux l’exonération à laquelle celui-ci peut légitimement prétendre au titre de la sixième directive.

38 Dès lors, il y a lieu de répondre à la troisième question dans l’affaire C-453/02 et à la seconde question dans l’affaire C-462/02 que l’article 13, B, sous f), de la sixième directive a un effet direct, en ce sens qu’il peut être invoqué par un exploitant de jeux ou d’appareils de jeux de hasard devant les juridictions nationales pour écarter l’application des règles de droit interne incompatibles avec cette disposition.


Sur les effets du présent arrêt dans le temps

39 Dans ses observations orales, le gouvernement allemand a évoqué la possibilité pour la Cour, au cas où elle considérerait qu’une réglementation nationale telle que celle en cause dans les affaires au principal est incompatible avec la sixième directive, de limiter dans le temps les effets du présent arrêt.

40 À l’appui de sa demande, ledit gouvernement a, d’une part, attiré l’attention de la Cour sur les conséquences financières néfastes qu’aurait un arrêt constatant l’incompatibilité avec la sixième directive d’une disposition telle que l’article 4, paragraphe 9, de l’UStG. D’autre part, il a fait valoir que le comportement adopté par la Commission des Communautés européennes à la suite de l’arrêt du 5 mai 1994, Glawe (C-38/93, Rec. p. I-1679), avait conduit la République fédérale d’Allemagne à considérer que l’article 4, paragraphe 9, de l’UStG était conforme à la sixième directive.

41 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’interprétation que la Cour donne d’une règle de droit communautaire, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 234 CE, éclaire et précise la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation, si par ailleurs les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite règle se trouvent réunies (voir, notamment, arrêts du 11 août 1995, Roders e.a., C-367/93 à C-377/93, Rec. p. I-2229, point 42, et du 3 octobre 2002, Barreira Pérez, C-347/00, Rec. p. I-8191, point 44).

42 Ce n’est qu’à titre exceptionnel que la Cour peut, par l’application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique communautaire, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi (voir, notamment, arrêts du 23 mai 2000, Buchner e.a., C-104/98, Rec. p. I-3625, point 39, et Barreira Pérez, précité, point 45).

43 En ce qui concerne les affaires au principal, il convient de constater, en premier lieu, que le comportement de la Commission à la suite de l’arrêt Glawe, précité, ne saurait être valablement invoqué à l’appui de la thèse selon laquelle l’article 4, paragraphe 9, de l’UStG pouvait raisonnablement être considéré comme étant conforme à la sixième directive. En effet, l’affaire ayant donné lieu audit arrêt avait trait uniquement à la détermination de la base imposable du chiffre d’affaires généré par l’exploitation de machines à sous et ne portait aucunement sur la différence de traitement instituée de manière générale par la réglementation allemande en matière de TVA entre les casinos publics agréés et les autres exploitants de jeux de hasard.

44 Il importe de rappeler, en second lieu, que les conséquences financières qui pourraient découler pour un État membre d’un arrêt rendu à titre préjudiciel ne justifient pas, par elles-mêmes, la limitation des effets dans le temps de cet arrêt (voir, notamment, arrêts précités Roders e.a., point 48, et Buchner e.a., point 41).

45 Par conséquent, il n’y a pas lieu de limiter dans le temps les effets du présent arrêt.


Sur les dépens

46 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1) L’article 13, B, sous f), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui prévoit que l’exploitation de tous les jeux et appareils de jeux de hasard est exonérée de la TVA lorsqu’elle est effectuée dans des casinos publics agréés, alors que l’exercice de cette même activité par des opérateurs autres que les exploitants de tels casinos ne bénéficie pas de cette exonération.

2) L’article 13, B, sous f), de la sixième directive 77/388 a un effet direct, en ce sens qu’il peut être invoqué par un exploitant de jeux ou d’appareils de jeux de hasard devant les juridictions nationales pour écarter l’application des règles de droit interne incompatibles avec cette disposition.

Signatures


1 – Langue de procédure: l'allemand.