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Affaire C-8/03


Banque Bruxelles Lambert SA (BBL)
contre
État belge



(demande de décision préjudicielle, formée par le Tribunal de première instance de Bruxelles)

«Sixième directive TVA – Articles 4 et 9, paragraphe 2, sous e) – Notion d'assujetti – Lieu des prestations de services – SICAV»

Conclusions de l'avocat général M. M. Poiares Maduro, présentées le 18 mai 2004
    
Arrêt de la Cour (première chambre) du 21 octobre 2004
    

Sommaire de l'arrêt

1.Dispositions fiscales – Harmonisation des législations – Taxes sur le chiffre d'affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Activités économiques au sens de l'article 4 de la sixième directive – Placement collectif en valeurs mobilières des capitaux recueillis auprès du public – Inclusion
(Directive du Conseil 77/388, art. 4, § 2)

2.Dispositions fiscales – Harmonisation des législations – Taxes sur le chiffre d'affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Assujettis – Notion – Sociétés d'investissement à capital variable (SICAV) ayant pour objet exclusif le placement collectif en valeurs mobilières des capitaux recueillis auprès du public – Inclusion – Lieu des prestations de services rendues à de tels organismes établis dans un autre État membre que celui du prestataire – Siège de l'activité économique des organismes
(Directive du Conseil 77/388, art. 4 et 9, § 2, e))

1.L’activité consistant dans le placement collectif en valeurs mobilières des capitaux recueillis auprès du public, contre rémunération, qui excède le cadre de la simple acquisition et de la simple vente de titres et qui vise à produire des recettes ayant un caractère de permanence, constitue une activité économique au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires.

(cf. points 42-43)

2.Les sociétés d’investissement à capital variable (SICAV) dont l’objet exclusif est le placement collectif en valeurs mobilières des capitaux recueillis auprès du public conformément à la directive 85/611, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), ont la qualité d’assujetti au sens de l’article 4 de la sixième directive 77/388, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, de sorte que le lieu des prestations de services visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de cette même directive, qui sont rendues à de telles SICAV établies dans un autre État membre que celui du prestataire, est l’endroit où ces SICAV ont établi le siège de leur activité économique.

(cf. point 48 et disp.)




ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
21 octobre 2004(1)


«Sixième directive TVA – Articles 4 et 9, paragraphe 2, sous e) – Notion d'assujetti – Lieu des prestations de services – SICAV»

Dans l'affaire C-8/03,ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l'article 234 CE,introduite par le Tribunal de première instance de Bruxelles (Belgique), par décision du 24 décembre 2002, parvenue à la Cour le 10 janvier 2003, dans la procédure

Banque Bruxelles Lambert SA (BBL)

contre

État belge,



LA COUR (première chambre),,



composée de M. P. Jann, président de chambre, M. A. Rosas, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Lenaerts et S. von Bahr (rapporteur), juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,
greffier: Mme M.-F. Contet, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 11 mars 2004,considérant les observations présentées:

– pour la Banque Bruxelles Lambert SA (BBL), par Mes B. de Duve, S. Houx et F. Herbert, avocats,

– pour le royaume de Belgique, par Mme E. Dominkovitis, en qualité d'agent, assistée de Mes G. Vandersanden et E. De Plaen, avocats,

– pour la République hellénique, par MM. D. Kalogiros et S. Spyropoulos, en qualité d'agents, assistés de Mme M. Tassopoulou,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. E. Traversa et C. Giolito, en qualité d'agents,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 18 mai 2004,

rend le présent



Arrêt



1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 4, 9, paragraphe 2, sous e), et 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Banque Bruxelles Lambert SA (BBL) (ci-après la «BBL») à l’État belge au sujet de la détermination, pour les besoins de l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»), du lieu des prestations de services fournies par la BBL à des sociétés d’investissement à capital variable (ci-après les «SICAV») luxembourgeoises.


Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 Conformément à l’article 2, point 1, de la sixième directive, sont soumises à la TVA «les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel».

4 Selon l’article 4, paragraphes 1 et 2, de cette directive:

«1.     Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

2.       Les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.»

5 L’article 9, paragraphes 1 et 2, sous e), troisième et cinquième tirets, de cette même directive prévoit:

«1.     Le lieu d’une prestation de services est réputé se situer à l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel la prestation de services est rendue ou, à défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle.

2.       Toutefois:

[...]

e)le lieu des prestations de services suivantes, rendues à des preneurs établis en dehors de la Communauté ou à des assujettis établis dans la Communauté mais en dehors du pays du prestataire, est l’endroit où le preneur a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable pour lequel la prestation de services a été rendue ou, à défaut, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle:

[...]

les prestations des conseillers, ingénieurs, bureaux d’études, avocats, experts comptables et autres prestations similaires, ainsi que le traitement de données et la fourniture d’informations,

[…]

les opérations bancaires, financières et d’assurance, y compris celles de réassurance, à l’exception de la location de coffres-forts».

6 L’article 13, B, sous d), points 5 et 6, de la sixième directive prévoit quant à lui que les États membres exonèrent:

«5.les opérations, y compris la négociation mais à l’exception de la garde et de la gestion, portant sur les actions, les parts de sociétés ou d’associations, les obligations et les autres titres […];

6.la gestion de fonds communs de placement tels qu’ils sont définis par les États membres.»

7 L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 85/611/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) (JO L 375, p. 3), définit les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (ci-après les «OPCVM») comme des organismes:

«?dont l’objet exclusif est le placement collectif en valeurs mobilières des capitaux recueillis auprès du public et dont le fonctionnement est soumis au principe de la répartition des risques

            et

?dont les parts sont, à la demande des porteurs, rachetées ou remboursées, directement ou indirectement, à charge des actifs de ces organismes. […]»

8 En vertu du paragraphe 3, de ce même article 1er, ces organismes peuvent revêtir «la forme contractuelle (fonds communs de placement gérés par une société de gestion) ou de trust(unit trust) ou la forme statutaire (société d’investissement)».

La réglementation nationale

9 L’article 4, paragraphe 1, du code de la TVA belge, dans sa version applicable aux faits dans l’affaire au principal, prévoit:

«Est un assujetti quiconque effectue, dans l’exercice d’une activité économique, d’une manière habituelle et indépendante, à titre principal ou à titre d’appoint, avec ou sans esprit de lucre, des livraisons de biens ou des prestations de services visées par le présent Code, quel que soit le lieu où s’exerce l’activité économique.»

10 Aux termes de l’article 21, paragraphe 2, du même code:

«Le lieu d’une prestation de services est réputé se situer à l’endroit où le prestataire de services a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel la prestation de services est rendue ou, à défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle.»

11 L’article 21, paragraphe 3, point 7, sous d) et e), du code de la TVA belge précise que, par dérogation au paragraphe 2, le lieu de la prestation de services est réputé se situer:

«7°    à l’endroit où le preneur du service a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable auquel la prestation de services est fournie ou, à défaut, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle, lorsque la prestation de services est rendue à un preneur établi en dehors de la Communauté ou, pour les besoins de son activité économique, à un assujetti établi dans la Communauté mais en dehors du pays du prestataire, et pour autant que cette prestation ait pour objet:

[…]

d)des travaux de nature intellectuelle fournis dans l’exercice de leur activité habituelle par les conseillers juridiques ou autres, les experts-comptables, les ingénieurs, les bureaux d’études et les autres prestataires de services qui exercent une activité similaire ainsi que le traitement de données et la fourniture d’informations, […];

e)des opérations bancaires, financières et d’assurance, y compris celles de réassurance, à l’exception de la location de coffres-forts».


Le litige au principal et les questions préjudicielles

12 Il ressort du jugement de renvoi que pendant la période en cause dans l’affaire au principal, la BBL a fourni des prestations de services à des SICAV luxembourgeoises [BBL Renta Fund, BBL Renta Cash, BBL Patrimonial, International Aviation Fund, BBL Capital Cash, BBL Portfolio et BBL (L) Invest]. Aux termes de la convention de conseil signée avec chacune de ses SICAV, la BBL se serait engagée à:

assister la SICAV dans la gestion de ses avoirs en veillant à ce que ses conseils soient strictement conformes à l’orientation générale de la gestion et à la politique d’investissement arrêtée par la SICAV;

fournir aux responsables de la gestion journalière de la SICAV la documentation, les informations et les consultations orales ou écrites que ceux-ci estimeront nécessaires à l’accomplissement de leur mission;

aider la SICAV en matière d’acquisition, de souscription, de transfert et d’aliénation d’actions, d’obligations et de tous autres titres négociables ainsi qu’en matière d’opérations en devise ou relatives à la trésorerie.

13 En février 1998, la BBL aurait fait l’objet d’un contrôle par l’inspection spéciale des impôts de Liège pour la période allant du 1er mai 1993 au 31 décembre 1997. À l’issue de ce contrôle, un procès-verbal aurait été établi le 28 mai 1998, indiquant que la BBL n’aurait pas facturé la TVA sur les commissions de conseil réclamées aux SICAV luxembourgeoises, parce qu’elle considérait que ces services ont eu lieu au grand-duché de Luxembourg en vertu de l’article 21, paragraphe 3, point 7, sous d) ou e), du code de la TVA belge.

14 Sur ce point, la juridiction de renvoi relève qu’il ressort du procès-verbal que l’article 21, paragraphe 3, point 7, du code de la TVA belge est inapplicable au motif que les SICAV luxembourgeoises ne sont pas considérées, selon la législation luxembourgeoise, comme des assujettis.

15 En outre, selon ce procès-verbal, la BBL aurait agi dans l’intention d’éluder ou de permettre d’éluder la TVA, car elle ne pouvait ignorer que la TVA due sur le prix des services rendus aux SICAV luxembourgeoises n’aurait été acquittée ni à l’État belge ni à l’État luxembourgeois.

16 Le 8 juin 1998, une contrainte a été décernée à l’encontre de la BBL notamment pour 45 491 373,03 euros à titre de TVA due pour la période allant du 1er mai 1993 au 31 décembre 1997, pour 90 982 746,07 euros à titre d’amende au taux de 200 % et pour 1 819 654,49 euros à titre d'intérêts de retard du 1er janvier au 20 juin 1998.

17 La BBL a introduit un recours contre cette contrainte devant le Tribunal de première instance de Bruxelles.

18 La juridiction de renvoi observe que le fait de considérer que chaque État membre est libre de reconnaître ou non la qualité d’assujetti à la TVA aux personnes établies sur son territoire ou y opérant méconnaîtrait les dispositions communautaires en matière de TVA, lesquelles auraient précisément pour objet d’harmoniser la notion d’assujetti et de répartir entre les États membres le pouvoir d’imposition des opérations en définissant uniformément le lieu des livraisons de biens et des prestations de services.

19 En vertu du devoir d’interprétation conforme, l’article 21, paragraphe 3, point 7, du code de la TVA belge, qui aurait transposé en droit belge l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la sixième directive, devrait être interprété à la lumière des termes et du but poursuivi par cette directive, sans qu’il y ait lieu de faire référence au droit luxembourgeois.

20 La juridiction de renvoi relève toutefois que la question de savoir si les SICAV exercent une activité économique au sens de l’article 4 de la sixième directive et, partant, si elles sont assujetties à la TVA, n’a pas encore été tranchée par la Cour.

21 Si les SICAV luxembourgeoises ne devaient pas se voir reconnaître la qualité d’assujetti à la TVA, avec pour conséquence que les services fournis par la BBL seraient réputés avoir eu lieu en Belgique, la juridiction de renvoi observe que la question se pose de savoir si ces services pourraient bénéficier de l’exonération prévue à l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive.

22 Sur la base de ces considérations, le Tribunal de première instance de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes:

«–Les sociétés d’investissement à capital variable (SICAV) établies dans un État membre, dont l’objet exclusif est le placement collectif en valeurs mobilières des capitaux recueillis auprès du public conformément à la directive 85/611/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), ont-elles la qualité d’assujetti à la TVA au sens de l’article 4 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de la taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, en sorte que les services visés à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la même directive qui leur seraient fournis sont réputés avoir lieu à l’endroit où lesdites SICAV ont établi leur siège social?

En cas de réponse négative à la question précédente, la solution du litige au principal implique de déterminer quels types de services aux SICAV peuvent bénéficier de l’exemption prévue à l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive: faut-il faire une distinction, de ce point de vue, entre les services d’assistance et de conseil en gestion, d’une part, et les services de gestion proprement dits, d’autre part, lesquels se distingueraient des premiers par le fait qu’ils impliqueraient un pouvoir de décision du gestionnaire quant à l’administration et à la disposition des avoirs à gérer?»


Sur la première question

23 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si les SICAV dont l’objet exclusif est le placement collectif en valeurs mobilières des capitaux recueillis auprès du public conformément à la directive 85/611 ont la qualité d’assujetti au sens de l’article 4 de la sixième directive de sorte que le lieu des prestations de services visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de cette même directive, qui sont rendues à de telles SICAV établies dans un autre État membre que celui du prestataire, est l’endroit où ces SICAV ont établi le siège de leur activité économique.

Observations soumises à la Cour

24 Toutes les parties ayant soumis des observations sont d’avis que les SICAV établies conformément à la directive 85/611 accomplissent des activités économiques qui leur confèrent la qualité d’assujetti en vertu de l’article 4 de la sixième directive.

25 À cet égard, la BBL rappelle la jurisprudence de la Cour délimitant, en matière d’instruments financiers, la frontière entre les opérations relevant du champ des activités économiques au sens de la sixième directive et celles qui se situent en dehors, notamment les arrêts du 20 juin 1991, Polysar Investments Netherlands (C-60/90, Rec. p. I-3111); du 22 juin 1993, Sofitam (C-333/91, Rec. p. I-3513), et du 20 juin 1996, Wellcome Trust (C-155/94, Rec. p. I-3013).

26 L’analyse des activités des OPCVM à cet égard devrait s’effectuer à deux niveaux: d’une part, la relation entre l’OPCVM et les participants et, d’autre part, celle entre l’OPCVM et le marché.

27 S’agissant de la relation entre l’OPCVM et les participants, la BBL fait valoir que, par rapport aux autres acteurs économiques présents sur les marchés financiers, les OPCVM présentent la particularité de réaliser, de manière active, la commercialisation de leurs propres parts. À l’occasion de ladite commercialisation, l’OPCVM percevrait une rémunération appelée droit d’entrée ou droit de sortie selon le cas. Ces droits constitueraient la contrepartie d’un droit d’accès ou de retrait du souscripteur à l’OPCVM et de la fourniture des services inhérents à cet accès ou ce retrait.

28 Quant aux relations entre l’OPCVM et le marché, la BBL soutient que les OPCVM visent à offrir en faveur du grand public un service comparable aux services que les banques privées offrent en matière de gestion patrimoniale à leurs clients privilégiés.

29 Considérant que les SICAV dont les activités sont régies par la directive 85/611 ont la qualité d’assujetti en vertu de l’article 4 de la sixième directive, la BBL conclut que l’article 9, paragraphe 2, sous e), de cette même directive est applicable.

30 Le gouvernement belge soutient que, selon la jurisprudence de la Cour, la simple acquisition et la simple détention de parts sociales ne doivent pas être considérées comme une activité économique au sens de la sixième directive, conférant à leur auteur la qualité d’assujetti (voir, notamment, arrêts Polysar Investments Netherlands, point 13, précité, et du 6 février 1997, Harnas & Helm, C-80/95, Rec. p. I-745, point 15).

31 Toutefois, les activités des SICAV seraient visées à l’article 13, B, sous d), points 4 et 5, de la sixième directive et les opérations visées à ces dispositions relèveraient du champ d’application de la TVA, notamment lorsqu’elles sont effectuées dans le cadre d’une activité commerciale de négociation de titres (voir arrêts précités Polysar Investements Netherlands, point 14, et Harnas & Helm, point 16).

32 Le gouvernement hellénique fait valoir que les opérations effectuées par les SICAV ne constituent pas une activité d’un simple investisseur ayant acquis des parts sociales afin de les conserver et d’en retirer un bénéfice, comme tel était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Polysar Investments Netherlands, précité, mais une exploitation organisée de capitaux consistant dans l’achat et la vente de valeurs mobilières. Ce gouvernement relève par ailleurs que le fait que, selon l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive, la gestion de fonds communs de placement est exonérée de la TVA signifie que les personnes qui effectuent cette gestion sont, en principe, assujetties à cette taxe.

33 La Commission relève, à titre liminaire, que, hormis en Belgique et au Luxembourg, la question de l’assujettissement des SICAV à la TVA n’est pas parfaitement résolue dans les États membres. Aux Pays-Bas, par référence à la jurisprudence Polysar Investments Netherlands, précité, les SICAV seraient, à l’instar du Luxembourg, considérées comme des non assujetties. En Belgique, en Allemagne, au Danemark, en Espagne, en France, en Irlande, en Italie, au Portugal et au Royaume-Uni, les SICAV seraient considérées comme des assujetties mais seraient exonérées.

34 Ensuite, la Commission observe que la société de gestion, au sens de la directive 85/611, est généralement une entreprise qui effectue des prestations de services pour lesquelles elle perçoit des commissions de gestion. Le fait que l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive prévoit expressément l’exonération de la gestion de fonds communs de placement démontrerait qu’il s’agit d’opérations qui entrent dans le champ d’application de la TVA.

35 La société de gestion ou la SICAV qui gère un fonds effectuerait incontestablement une activité comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive et se distinguerait ainsi des holdings qui ne font que détenir des actions. Traiter différemment les gestionnaires de fonds selon que la fonction est exercée par une société de gestion extérieure au fonds ou par la SICAV elle-même irait à l’encontre du principe de neutralité de la TVA.

Appréciation de la Cour

36 Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive, est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante, l’une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2 de cet article. La notion d’«activités économiques» est définie audit paragraphe 2 comme englobant toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, et notamment les opérations comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence. Ce concept d’«exploitation» se réfère, conformément aux exigences du principe de la neutralité du système commun de TVA, à toutes ces opérations, quelle que soit leur forme juridique (voir arrêts du 4 décembre 1990, Van Tiem, C-186/89, Rec. p. I-4363, point 18; du 11 juillet 1996, Régie dauphinoise, C-306/94, Rec. p. I-3695, point 15, et du 29 avril 2004, EDM, C-77/01, non encore publié au Recueil, point 48).

37 Conformément à la finalité de la sixième directive, qui vise entre autres à fonder le système de TVA sur une définition uniforme des assujettis, cette qualité doit être appréciée exclusivement sur la base des critères énoncés à l’article 4 de cette directive (voir arrêt Van Tiem, précité, point 25).

38 Il convient en outre de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que la simple acquisition et la seule détention de parts sociales ne doivent pas être considérées comme des activités économiques, au sens de la sixième directive, conférant à leur auteur la qualité d’assujetti. En effet, la simple prise de participations financières dans d’autres entreprises ne constitue pas une exploitation d’un bien visant à produire des recettes ayant un caractère de permanence parce que l’éventuel dividende, fruit de cette participation, résulte de la simple propriété du bien et n’est la contrepartie d’aucune activité économique au sens de la même directive (voir arrêts Harnas & Helm, précité, point 15, et du 26 juin 2003, KapHag, C-442/01, Rec. p. I-6851, point 38). Si ces activités ne constituent donc pas, en elles-mêmes, une activité économique au sens de ladite directive, il en est de même pour celles qui consistent à céder de telles participations (voir arrêts précités Wellcome Trust, point 33, et KapHag, point 40).

39 De même, la simple acquisition et la simple vente d’autres titres négociables ne sauraient constituer une exploitation d’un bien visant à produire des recettes ayant un caractère de permanence, l’unique rétribution de ces opérations étant constituée par un éventuel bénéfice lors de la vente de ces titres (voir arrêt EDM, précité, point 58).

40 En effet, de telles opérations ne sauraient en principe constituer, en elles-mêmes, des activités économiques au sens de la sixième directive.

41 Toutefois, ainsi qu’il résulte de l’article 13, B, sous d), point 5, de la sixième directive, les opérations portant sur des titres peuvent relever du champ d’application de la TVA. La Cour a déjà jugé que les opérations visées par cette disposition sont celles qui consistent à retirer des recettes ayant un caractère permanent d’activités qui excèdent le cadre de la simple acquisition et de la vente de titres, telles que les opérations effectuées dans l’exercice d’une activité commerciale de transaction de titres (voir arrêt EDM, précité, point 59).

42 Or, il résulte de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 85/611, que les opérations des SICAV consistent dans le placement collectif en valeurs mobilières des capitaux recueillis auprès du public. En effet, avec les capitaux que les souscripteurs déposent en achetant des parts, les SICAV constituent et gèrent, pour le compte de ceux-ci et contre rémunération, des portefeuilles composés de valeurs mobilières.

43 Une telle activité, qui excède le cadre de la simple acquisition et de la simple vente de titres et qui vise à produire des recettes ayant un caractère de permanence, constitue une activité économique au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive.

44 Il s’ensuit que les SICAV ont la qualité d’assujetti au sens de l’article 4 de la sixième directive.

45 Partant, le lieu des prestations de services visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la sixième directive, qui sont rendues à des SICAV établies dans un autre État membre que celui du prestataire, est l’endroit où ces SICAV ont établi le siège de leur activité économique.

46 Dans ce contexte, le gouvernement belge, qui admet que les prestations de conseil, de traitement de données et de fourniture d’informations fournies aux SICAV entrent dans le champ d’application de l’article 9, paragraphe 2, sous e), troisième tiret, de la sixième directive, fait toutefois valoir que les prestations de gestion qui leur sont fournies, qui se caractériseraient par un pouvoir de décision de droit ou de fait, ne sont, en revanche, pas couvertes par cette disposition.

47 À cet égard, il suffit de constater que, ainsi que l’a rappelé M. l’avocat général au point 20 de ses conclusions, l’article 9, paragraphe 2, sous e), troisième et cinquième tirets, de la sixième directive couvre aussi bien les prestations de conseil que les opérations bancaires et financières.

48 Dès lors, il convient de répondre à la première question que les SICAV dont l’objet exclusif est le placement collectif en valeurs mobilières des capitaux recueillis auprès du public conformément à la directive 85/611 ont la qualité d’assujetti au sens de l’article 4 de la sixième directive de sorte que le lieu des prestations de services visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de cette même directive, qui sont rendues à de telles SICAV établies dans un autre État membre que celui du prestataire, est l’endroit où ces SICAV ont établi le siège de leur activité économique.


Sur la seconde question

49 La seconde question étant posée dans le cas où une réponse négative serait donnée à la première question, il n’y a pas lieu d’y répondre.


Sur les dépens

50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

Les sociétés d’investissement à capital variable (SICAV) dont l’objet exclusif est le placement collectif en valeurs mobilières des capitaux recueillis auprès du public conformément à la directive 85/611/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), ont la qualité d’assujetti au sens de l’article 4 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, de sorte que le lieu des prestations de services visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de cette même directive, qui sont rendues à de telles SICAV établies dans un autre État membre que celui du prestataire, est l’endroit où ces SICAV ont établi le siège de leur activité économique.

Signatures.


1 – Langue de procédure: le français.