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Affaire C-41/04

Levob Verzekeringen BV et OV Bank NV

contre

Staatssecretaris van Financiën

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden)

«Sixième directive TVA — Articles 2, 5, 6 et 9 — Cession de logiciel enregistré sur support — Adaptation ultérieure du logiciel aux besoins spécifiques de l'acquéreur — Prestation taxable unique — Prestation de services — Lieu de la prestation»

Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 12 mai 2005 

Arrêt de la Cour (première chambre) du 27 octobre 2005 

Sommaire de l'arrêt

1.     Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Prestations de services — Opérations se composant de plusieurs éléments — Opération devant être considérée comme prestation unique — Critères — Fourniture d'un logiciel standard enregistré sur un support et adaptation subséquente de ce logiciel aux besoins spécifiques du consommateur

(Directive du Conseil 77/388, art. 2, § 1)

2.     Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Prestations de services — Notion — Fourniture d'un logiciel standard enregistré sur un support et adaptation subséquente de ce logiciel aux besoins spécifiques du consommateur — Inclusion — Conditions

(Directive du Conseil 77/388, art. 6, § 1)

3.     Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Prestations de services — Détermination du lieu de rattachement fiscal — Prestations des conseillers, ingénieurs, bureaux d'études, avocats, experts-comptables et autres prestations similaires — Notion — Adaptation d'un logiciel informatique aux besoins spécifiques d'un consommateur — Inclusion

(Directive du Conseil 77/388, art. 9, § 2, e), troisième tiret)

1.     L'article 2, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, doit être interprété en ce sens que, lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par un assujetti à un consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, sont si étroitement liés qu'ils forment objectivement, sur un plan économique, un tout dont la dissociation revêtirait un caractère artificiel, l'ensemble de ces éléments ou de ces actes constitue une prestation unique aux fins de l'application de la taxe sur la valeur ajoutée. Tel est le cas d'une opération par laquelle un assujetti fournit à un consommateur un logiciel standard précédemment développé et commercialisé, enregistré sur un support, ainsi que l'adaptation subséquente de ce logiciel aux besoins spécifiques de cet acquéreur, même moyennant paiement de prix distincts.

(cf. point 30, disp. 1-2)

2.     L'article 6, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, doit être interprété en ce sens qu'une prestation unique telle que la fourniture d'un logiciel standard et l'adaptation subséquente de celui-ci aux besoins spécifiques du consommateur doit être qualifiée de «prestation de services» lorsqu'il apparaît que l'adaptation n'est ni mineure ni accessoire, mais qu'elle revêt au contraire un caractère prédominant; il en est notamment ainsi lorsque, au vu d'éléments tels que son ampleur, son coût ou sa durée, cette adaptation revêt une importance décisive aux fins de permettre l'utilisation d'un logiciel sur mesure par l'acquéreur.

(cf. points 28-30, disp. 3)

3.     L'article 9, paragraphe 2, sous e), troisième tiret, de la sixième directive 77/388, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, qui détermine le lieu de rattachement fiscal pour les prestations des conseillers, ingénieurs, bureaux d'études, avocats, experts-comptables et autres prestations similaires, ainsi que le traitement de données et la fourniture d'informations, doit être interprété en ce sens qu'il s'applique à une prestation de services unique telle que la fourniture d'un logiciel standard et l'adaptation subséquente de celui-ci aux besoins spécifiques du consommateur rendue à un assujetti établi dans la Communauté, mais en dehors du pays du prestataire.

En effet, ladite disposition ne vise pas des professions, telles que celles d'avocat, de conseiller, d'expert-comptable ou d'ingénieur, mais les prestations effectuées par ces professionnels et celles qui leur sont similaires. Le législateur communautaire utilise les professions qui sont mentionnées dans cette disposition comme moyen de définir les catégories de prestations qui y sont visées. À cet égard, les sciences de l'informatique, dont la programmation et le développement de logiciels, occupent une place importante dans la formation dispensée aux futurs ingénieurs et elles constituent même souvent l'une des diverses filières de spécialisations offertes à ceux-ci au cours de cette formation. Une prestation telle que l'adaptation d'un logiciel informatique aux besoins spécifiques d'un consommateur est donc susceptible d'être effectuée tantôt par des ingénieurs, tantôt par d'autres personnes disposant d'une formation leur permettant de répondre à la même finalité. Il s'ensuit qu'une telle prestation relève soit des prestations effectuées par des ingénieurs, soit de celles qui sont similaires par rapport à l'activité d'un ingénieur.

(cf. points 37-41, disp. 4)




ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

27 octobre 2005 (*)

«Sixième directive TVA – Articles 2, 5, 6 et 9 – Cession de logiciel enregistré sur support – Adaptation ultérieure du logiciel aux besoins spécifiques de l’acquéreur – Prestation taxable unique – Prestation de services – Lieu de la prestation»

Dans l’affaire C-41/04,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), par décision du 30 janvier 2004, parvenue à la Cour le 2 février 2004, dans la procédure

Levob Verzekeringen BV,

OV Bank NV

contre

Staatssecretaris van Financiën,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, M. K. Schiemann (rapporteur), Mme N. Colneric, MM. J. N. Cunha Rodrigues et E. Levits, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme K. Sztranc, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 février 2005,

considérant les observations présentées:

–       pour Levob Verzekeringen BV et OV Bank NV, par Me J. van Dongen, advocaat, MM. G. C. Bulk, adviseur, et W. Nieuwenhuizen, belastingadviseur,

–       pour le gouvernement néerlandais, par Mmes H. Sevenster et J. van Bakel, ainsi que M. M. de Grave, en qualité d’agents,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par Mme L. Ström van Lier et M. A. Weimar, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 mai 2005,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, paragraphe 1, 5, paragraphe 1, 6, paragraphe 1, et 9 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’entité fiscale Levob Verzekeringen BV et OV Bank NV (ci-après «Levob») au Staatssecretaris van Financïen (secrétaire d’État aux Finances) au sujet du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») sur diverses opérations incluant l’acquisition d’un logiciel, l’adaptation subséquente de celui-ci aux besoins de Levob, son installation et une formation du personnel de Levob à son utilisation.

 Le cadre juridique

3       L’article 2, de la sixième directive prévoit:

«Sont soumises à la [TVA]:

1.      les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;

2.      les importations de biens.»

4       Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive, «[e]st considéré comme ‘livraison d’un bien’ le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire».

5       L’article 6, paragraphe 1, de cette même directive dispose:

«Est considérée comme ‘prestation de services’ toute opération qui ne constitue pas une livraison d’un bien au sens de l’article 5.

[…]»

6       L’article 9 de la sixième directive énonce:

«1.      Le lieu d’une prestation de services est réputé se situer à l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel la prestation de services est rendue […]

2.      Toutefois:

[…]

e)      le lieu des prestations de services suivantes, rendues à des preneurs établis en dehors de la Communauté ou à des assujettis établis dans la Communauté mais en dehors du pays du prestataire, est l’endroit où le preneur a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable pour lequel la prestation de services a été rendue ou, à défaut, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle:

–       [...]

–       [...]

–       les prestations des conseillers, ingénieurs, bureaux d’études, avocats, experts-comptables et autres prestations similaires, ainsi que le traitement de données et la fourniture d’informations,

[…]»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

7       Levob, qui est établie à Amersfoort (Pays-Bas), exerce une activité d’assurances. Le 2 octobre 1997, elle a conclu un contrat (ci-après le «contrat») avec l’entreprise Financial Data Planning Corporation (ci-après «FDP»), établie aux États-Unis.

8       Aux termes du contrat, FDP s’engageait à fournir à Levob un programme informatique qu’elle commercialise auprès de compagnies d’assurances aux États-Unis (ci-après le «logiciel de base»). Une licence non cessible d’une durée illimitée était consentie à Levob sur ce logiciel moyennant une redevance de 713 000 USD, dont 101 000 USD payables à la signature du contrat et le solde à raison de 17 mensualités de 36 000 USD. Le prix de la redevance devait être facturé séparément des autres montants dus en vertu du contrat. Ce dernier spécifiait encore que la licence prenait cours aux États-Unis, Levob agissant en qualité d’importateur du bien aux Pays-Bas.

9       La juridiction de renvoi indique à ce dernier égard que les supports informatiques incorporant le logiciel de base ont bien été remis par FDP à Levob sur le territoire des États-Unis et qu’ils ont été introduits ultérieurement aux Pays-Bas par les employés de Levob.

10     Le contrat prévoyait, par ailleurs, que FDP adapterait le logiciel de base afin d’en permettre l’utilisation par Levob dans le cadre de la gestion des contrats d’assurance que cette dernière commercialise. Il s’agissait, pour l’essentiel, de transposer ce programme en langue néerlandaise et d’y apporter les modifications rendues nécessaires du fait que, aux Pays-Bas, des intermédiaires interviennent dans le cadre de tels contrats d’assurance. Le prix de cette adaptation devait, en fonction des spécifications définitives à déterminer par les parties en cours d’exécution du contrat, se situer dans une fourchette allant de 793 000 USD au moins à 970 000 USD au plus.

11     En outre, FDP s’engageait à installer le logiciel de base et son adaptation sur le système informatique de Levob ainsi qu’à dispenser cinq jours de formation au personnel de cette dernière, moyennant deux paiements respectifs de 7 500 USD. Enfin, le contrat prévoyait également que le logiciel adapté ferait l’objet d’un test d’acceptation général entre les parties.

12     L’adaptation du logiciel de base, son installation et la formation convenue ont eu lieu entre 1997 et 1999.

13     Levob n’a pas fait état des montants acquittés pour le logiciel de base dans ses déclarations relatives à la TVA. Le 25 janvier 2000, elle a demandé à l’administration fiscale d’émettre des avis de recouvrement a posteriori en ce qui concerne les montants acquittés au titre de l’adaptation dudit logiciel, de l’installation de celui-ci et de la formation dispensée par FDP.

14     Considérant que le service fourni par FDP consistait en une prestation unique portant sur le logiciel adapté, ladite administration a émis des avis de recouvrement relativement à l’ensemble des montants versés par Levob au titre du contrat.

15     Le recours introduit par Levob devant le Gerechtshof te Amsterdam ayant été rejeté par arrêt du 31 décembre 2001, celle-ci s’est pourvue en cassation contre cet arrêt devant la juridiction de renvoi. Au soutien de son pourvoi, Levob reproche notamment au Gerechtshof te Amsterdam d’avoir considéré que la fourniture du logiciel de base et l’adaptation de celui-ci constituaient une opération taxable unique et d’avoir, en outre, qualifié ladite opération de «prestation de services». Or, selon Levob, la fourniture du logiciel de base constitue une livraison de bien.

16     C’est dans ces conditions que le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      a)     Faut-il interpréter les dispositions combinées des articles 2, paragraphe 1, 5, paragraphe 1, et 6, paragraphe 1, de la sixième directive en ce sens que la fourniture d’un logiciel du type visé en l’espèce et selon les mêmes modalités, dans le cadre de laquelle, d’une part, le logiciel standard développé et commercialisé par le fournisseur, enregistré sur un support, et, d’autre part, l’adaptation ultérieure aux besoins de l’acheteur font l’objet de prix distincts, doit être considérée comme l’exécution d’une seule prestation?

         b)     En cas de réponse affirmative, faut-il interpréter ces dispositions en ce sens que cette prestation doit être considérée comme un service (dont la livraison du bien, à savoir du support, fait partie intégrante)?

         c)     En cas de réponse affirmative à cette dernière question, faut-il dès lors interpréter l’article 9 de la sixième directive (dans sa version du 6 mai 2002) en ce sens que ce service est réputé avoir été effectué au lieu mentionné au paragraphe 1 de cette disposition?

         d)     En cas de réponse négative à la question qui précède, quelle partie de l’article 9, paragraphe 2, de la sixième directive est-elle d’application?

2)      a)     En cas de réponse négative à la première question, sous a), faut-il interpréter les dispositions qui y sont mentionnées en ce sens que la fourniture d’un logiciel non adapté sur le support doit être considérée comme la livraison d’un bien corporel, pour laquelle le prix distinct qui a été convenu constitue la contrepartie prévue à l’article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive?

         b)     En cas de réponse négative à cette question, faut-il dès lors interpréter l’article 9 de la sixième directive en ce sens que la prestation de services est réputée accomplie au lieu mentionné au paragraphe 1 de cette disposition ou alors à un des lieux mentionnés au paragraphe 2 du même article?

         c)     La situation est-elle la même pour le service consistant dans l’adaptation du logiciel que pour la fourniture du logiciel standard?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question, sous a) et b)

17     Par sa première question, sous a) et b), qu’il y a lieu de traiter conjointement, la juridiction de renvoi souhaite savoir si, aux fins de la perception de la TVA, la fourniture d’un logiciel standard développé et commercialisé par un fournisseur et enregistré sur un support ainsi que l’adaptation subséquente, par le fournisseur, de ce logiciel aux besoins spécifiques de l’acquéreur, moyennant paiement de prix distincts, intervenues dans des circonstances telles que celles en cause dans l’affaire au principal, doivent être considérées comme deux prestations distinctes ou comme une prestation unique et, en ce dernier cas, si ladite prestation unique doit être qualifiée de prestation de services.

18     À titre liminaire, il convient de rappeler que la question concernant l’étendue d’une opération revêt une importance particulière, du point de vue de la TVA, tant pour localiser le lieu des opérations taxables que pour l’application du taux de taxation ou, le cas échéant, des dispositions relatives à l’exonération prévues par la sixième directive (arrêt du 25 février 1999, CPP, C-349/96, Rec. p. I-973, point 27).

19     Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, lorsqu’une opération est constituée par un faisceau d’éléments et d’actes, il y a lieu de prendre en considération toutes les circonstances dans lesquelles se déroule l’opération en question, aux fins de déterminer, d’une part, si l’on se trouve en présence de deux ou de plusieurs prestations distinctes ou d’une prestation unique et, d’autre part, si, en ce dernier cas, cette prestation unique doit être qualifiée de prestation de services (voir, en ce sens, arrêts du 2 mai 1996, Faaborg-Gelting Linien, C-231/94, Rec. p. I-2395, points 12 à 14, et CPP, précité, points 28 et 29).

20     Compte tenu de la double circonstance que, d’une part, il découle de l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive que chaque opération doit normalement être considérée comme distincte et indépendante et que, d’autre part, l’opération constituée d’une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA, il importe ainsi, en premier lieu, de rechercher les éléments caractéristiques de l’opération en cause pour déterminer si l’assujetti livre au consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, plusieurs prestations principales distinctes ou une prestation unique (voir, par analogie, arrêt CPP, précité, point 29).

21     À cet égard, la Cour a jugé que l’on est en présence d’une prestation unique notamment dans l’occurrence où un ou plusieurs éléments doivent être considérés comme constituant la prestation principale alors que, à l’inverse, un ou des éléments doivent être regardés comme une ou des prestations accessoires partageant le sort fiscal de la prestation principale (arrêts CPP, précité, point 30, et du 15 mai 2001, Primback, C-34/99, Rec. p. I-3833, point 45).

22     Il en va de même lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par l’assujetti au consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel.

23     Dans le cadre de la coopération instituée en vertu de l’article 234 CE, il appartient certes aux juridictions nationales de déterminer si tel est le cas dans une espèce particulière et de porter toutes appréciations de fait définitives à cet égard. Toutefois, il incombe à la Cour de fournir auxdites juridictions tous les éléments d’interprétation relevant du droit communautaire qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elles sont saisies.

24     S’agissant du litige au principal, il apparaît, ainsi que l’a constaté le Gerechtshof te Amsterdam dont la décision fait l’objet du recours en cassation pendant devant la juridiction de renvoi, qu’une opération telle que celle intervenue entre FDP et Levob a pour objet économique la fourniture, par un assujetti à un consommateur, d’un logiciel fonctionnel qui soit spécifiquement adapté aux besoins dudit consommateur. À cet égard, et ainsi que le gouvernement néerlandais l’a soutenu à juste titre, l’on ne saurait, sans verser dans l’artifice, considérer qu’un tel consommateur a acquis auprès du même fournisseur, d’abord, un logiciel préexistant qui, en l’état, ne présentait pourtant aucune utilité aux fins de son activité économique, et, seulement ensuite, les adaptations, seules propres à conférer une telle utilité audit logiciel.

25     La circonstance, mise en exergue dans la question, que des prix distincts ont été contractuellement prévus pour la fourniture du logiciel de base, d’une part, et pour l’adaptation de celui-ci, d’autre part, n’est, quant à elle, pas déterminante. En effet, une telle circonstance n’est pas de nature à affecter le lien objectif étroit qui vient d’être relevé à propos desdites livraison et adaptation ni leur appartenance à une opération économique unique (voir, en ce sens, arrêt CPP, précité, point 31).

26     Il s’ensuit que l’article 2 de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’une telle fourniture et une telle adaptation ultérieure d’un logiciel doivent en principe être considérées comme formant une prestation unique aux fins de la TVA.

27     Quant à la question de savoir, en second lieu, si une telle prestation complexe unique doit être qualifiée de prestation de services, elle exige d’identifier les éléments prédominants de ladite prestation (voir, notamment, arrêt Faaborg-Gelting Linien, précité, point 14).

28     Outre l’importance des adaptations du logiciel de base afin de lui conférer une utilité pour des activités professionnelles exercées par l’acquéreur, l’ampleur, la durée et le coût desdites adaptations constituent également des éléments pertinents à cet égard.

29     Sur le fondement de ces divers critères, le Gerechtshof te Amsterdam a conclu à juste titre à l’existence d’une prestation de services unique au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive, lesdits critères permettant effectivement de considérer que, loin de présenter un caractère mineur ou accessoire, de telles adaptations revêtent un caractère prédominant en raison de leur importance décisive pour permettre à l’acquéreur d’utiliser le logiciel adapté à ses besoins spécifiques dont il fait l’acquisition.

30     Compte tenu de tous ces éléments, il y a lieu de répondre à la première question, sous a) et b), que:

–       l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive doit être interprété en ce sens que, lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par un assujetti à un consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, sont si étroitement liés qu’ils forment objectivement, sur un plan économique, un tout dont la dissociation revêtirait un caractère artificiel, l’ensemble de ces éléments ou de ces actes constitue une prestation unique aux fins de l’application de la TVA;

–       tel est le cas d’une opération par laquelle un assujetti fournit à un consommateur un logiciel standard précédemment développé et commercialisé, enregistré sur un support, ainsi que l’adaptation subséquente de ce logiciel aux besoins spécifiques de cet acquéreur, même moyennant paiement de prix distincts;

–       l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’une telle prestation unique doit être qualifiée de «prestation de services» lorsqu’il apparaît que l’adaptation en cause n’est ni mineure ni accessoire, mais qu’elle revêt au contraire un caractère prédominant; il en est notamment ainsi lorsque, au vu d’éléments tels que son ampleur, son coût ou sa durée, cette adaptation revêt une importance décisive aux fins de permettre l’utilisation d’un logiciel sur mesure par l’acquéreur.

 Sur la première question, sous c) et d)

31     Par sa première question, sous c) et d), la juridiction de renvoi demande quel est le lieu dans lequel une prestation de services unique telle que celle visée dans la réponse à la première question, sous a) et b), est réputée se situer.

32     À cet égard, l’article 9 de la sixième directive contient des règles qui déterminent le lieu de rattachement fiscal. Tandis que le paragraphe 1 de cette disposition donne à ce sujet une règle de caractère général, son paragraphe 2 indique une série de rattachements spécifiques. L’objectif de ces dispositions est d’éviter, d’une part, des conflits de compétence susceptibles de conduire à des doubles impositions et, d’autre part, la non-imposition de recettes [voir, notamment, arrêt du 12 mai 2005, RAL (Channel Islands) e.a., C-452/03, non encore publié au Recueil, point 23 et jurisprudence citée].

33     S’agissant du rapport entre les deux premiers paragraphes de l’article 9 de la sixième directive, la Cour a déjà jugé qu’il n’existe aucune prééminence du paragraphe 1 sur le paragraphe 2 de cette disposition. La question qui se pose dans chaque situation consiste à se demander si elle est régie par l’un des cas mentionnés à l’article 9, paragraphe 2; à défaut, elle relève du paragraphe 1 [arrêt RAL (Channel Islands) e.a., précité, point 24 et jurisprudence citée].

34     Dans cette mesure, il ne saurait notamment être soutenu que l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la sixième directive devrait, en tant qu’exception à une règle, recevoir une interprétation stricte (arrêt du 15 mars 2001, SPI, C-108/00, Rec. p. I-2361, point 17).

35     Il y a donc lieu d’examiner si une opération telle que celle en cause dans l’affaire au principal est susceptible de relever de l’article 9, paragraphe 2, de la sixième directive.

36     À cet égard, la juridiction de renvoi s’interroge sur une éventuelle application de l’article 9, paragraphe 2, sous e), troisième tiret, de ladite directive, qui détermine le lieu de rattachement fiscal pour les «prestations des conseillers, ingénieurs, bureaux d’études, avocats, experts-comptables et autres prestations similaires, ainsi que le traitement de données et la fourniture d’informations». Elle se demande, plus particulièrement, si l’opération en cause dans l’affaire au principal ne doit pas être qualifiée de «traitement de données et fourniture d’informations» au sens de cette disposition. Dans les observations qu’ils ont déposées devant la Cour, tant le gouvernement néerlandais que la Commission des Communautés européennes se rallient à cette dernière interprétation.

37     Il y a lieu de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’article 9, paragraphe 2, sous e), troisième tiret, de la sixième directive ne vise pas des professions, telles que celles d’avocat, de conseiller, d’expert-comptable ou d’ingénieur, mais les prestations effectuées par ces professionnels et celles qui leur sont similaires. Le législateur communautaire utilise les professions qui sont mentionnées dans cette disposition comme moyen de définir les catégories de prestations qui y sont visées (arrêt du 16 septembre 1997, von Hoffmann, C-145/96, Rec. p. I-4857, point 15).

38     À cet égard, il convient notamment de relever que les sciences de l’informatique, dont la programmation et le développement de logiciels, occupent une place importante dans la formation dispensée aux futurs ingénieurs et qu’elles constituent même souvent l’une des diverses filières de spécialisations offertes à ceux-ci au cours de cette formation.

39     Une prestation telle que l’adaptation d’un logiciel informatique aux besoins spécifiques d’un consommateur est donc susceptible d’être effectuée tantôt par des ingénieurs, tantôt par d’autres personnes disposant d’une formation leur permettant de répondre à la même finalité.

40     Il s’ensuit qu’une telle prestation relève soit des prestations effectuées par des ingénieurs, soit de celles qui sont similaires par rapport à l’activité d’un ingénieur.

41     Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question, sous c) et d), que l’article 9, paragraphe 2, sous e), troisième tiret, de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à une prestation de services unique telle que celle visée dans la réponse à la première question, sous a) et b), rendue à un assujetti établi dans la Communauté, mais en dehors du pays du prestataire.

 Sur la seconde question

42     La seconde question n’a été posée que dans l’éventualité où une réponse négative serait apportée à la première question, sous a). Compte tenu de la réponse positive apportée à celle-ci, il n’y a pas lieu d’examiner la seconde question.

 Sur les dépens

43     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      L’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que, lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par un assujetti à un consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, sont si étroitement liés qu’ils forment objectivement, sur un plan économique, un tout dont la dissociation revêtirait un caractère artificiel, l’ensemble de ces éléments ou de ces actes constitue une prestation unique aux fins de l’application de la taxe sur la valeur ajoutée.

2)      Tel est le cas d’une opération par laquelle un assujetti fournit à un consommateur un logiciel standard précédemment développé et commercialisé, enregistré sur un support, ainsi que l’adaptation subséquente de ce logiciel aux besoins spécifiques de cet acquéreur, même moyennant paiement de prix distincts.

3)      L’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388 doit être interprété en ce sens qu’une prestation unique telle que celle visée au point 2 du présent dispositif doit être qualifiée de «prestation de services» lorsqu’il apparaît que l’adaptation en cause n’est ni mineure ni accessoire, mais qu’elle revêt au contraire un caractère prédominant; il en est notamment ainsi lorsque, au vu d’éléments tels que son ampleur, son coût ou sa durée, cette adaptation revêt une importance décisive aux fins de permettre l’utilisation d’un logiciel sur mesure par l’acquéreur.

4)      L’article 9, paragraphe 2, sous e), troisième tiret, de la sixième directive 77/388 doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à une prestation de services unique telle que celle visée au point 3 du présent dispositif, rendue à un assujetti établi dans la Communauté, mais en dehors du pays du prestataire.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.