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Affaires jointes C-181/04 à C-183/04

Elmeka NE

contre

Ypourgos Oikonomikon

(demandes de décision préjudicielle, introduites par

le Symvoulio tis Epikrateias)

«Sixième directive TVA — Exonérations — Article 15, points 4, sous a), 5 et 8 — Exonération de la location de bateaux de mer — Portée»

Conclusions de l'avocat général Mme C. Stix-Hackl, présentées le 1er décembre 2005 

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 14 septembre 2006 

Sommaire de l'arrêt

1.     Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Exonérations prévues par la sixième directive

(Directive du Conseil 77/388, art. 15, points 4, a), et 5)

2.     Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Exonérations prévues par la sixième directive

(Directive du Conseil 77/388, art. 15, point 8)

3.     Droit communautaire — Principes — Protection de la confiance légitime

1.     L'article 15, point 4, sous a), de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, auquel renvoie le point 5 du même article, telle que modifiée par la directive 92/111, s'applique non seulement aux navires affectés à la navigation en haute mer et assurant un trafic rémunéré de voyageurs, mais également aux navires affectés à la navigation en haute mer et exerçant une activité commerciale, industrielle ou de pêche.

En effet, même si certaines versions linguistiques de l'article 15, point 4, sous a), de la sixième directive se prêtent à des interprétations divergentes, l'économie et la finalité de celui-ci plaident cependant en faveur de l'application du critère de l'affectation à la navigation en haute mer à tous les types de navires mentionnés à ladite disposition. Si cette disposition devait être entendue comme ne visant pas que les bateaux affectés à la navigation en haute mer, le point 4, sous b), du même article, qui prévoit également une telle exonération pour les bateaux affectés à la pêche côtière, serait superfétatoire.

(cf. points 14, 16, disp. 1)

2.     L'article 15, point 8, de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, doit être interprété en ce sens que l'exonération prévue à cette disposition vise les prestations de services fournies directement à l'armateur pour les besoins directs des bateaux de mer.

En effet, afin de garantir une application cohérente de la sixième directive dans son ensemble, l'exonération prévue à son article 15, point 8, ne peut être étendue aux prestations de services qui sont faites à un stade antérieur de commercialisation.

(cf. points 24-25, disp. 2)

3.     Dans le cadre du système commun de la taxe sur la valeur ajoutée, les autorités fiscales nationales sont tenues de respecter le principe de protection de la confiance légitime. Il revient à la juridiction nationale d'apprécier si, dans le cas où une décision de l'administration fiscale d'un État membre a autorisé un assujetti à ne pas répercuter la taxe sur la valeur ajoutée sur son cocontractant, l'assujetti pouvait raisonnablement présumer que la décision en cause avait été prise par une autorité compétente.

(cf. points 26, 36, disp. 3)




ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

14 septembre 2006

«Sixième directive TVA – Exonérations – Article 15, points 4, sous a), 5 et 8 – Exonération de la location de bateaux de mer – Portée»

Dans les affaires jointes C-181/04 à C-183/04,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduites par le Symvoulio tis Epikrateias (Grèce), par décisions du 3 mars 2004, parvenues à la Cour le 19 avril 2004, dans les procédures

Elmeka NE

contre

Ypourgos Oikonomikon,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, M. J. Makarczyk, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. P. Kūris et G. Arestis (rapporteur), juges,

avocat général: Mme C. Stix-Hackl,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 septembre 2005,

considérant les observations présentées:

–       pour le gouvernement hellénique, par MM. M. Apessos, S. Spyropoulos et I. Bakopoulos ainsi que par Mme S. Chala, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. G. De Bellis, avvocato dello Stato,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par M. D. Triantafyllou, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 1er décembre 2005,

rend le présent

Arrêt

1       Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 15, points 4, sous a), 5 et 8, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 92/111/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992 (JO L 384, p. 47, ci-après la «sixième directive»), ainsi que sur les principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique.

2       Ces demandes ont été présentées dans le cadre d’un litige opposant la société Elmeka NE (ci-après «Elmeka») à l’Ypourgos Oikonomikon (ministre des Finances), au sujet du refus de ce dernier d’exonérer de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») des opérations ayant donné lieu à des redevances de fret pour le transport de combustibles destinés à l’avitaillement des navires.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3       L’article 15 de la sixième directive énonce:

«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:

[…]

4.      les livraisons de biens destinés à l’avitaillement des bateaux:

a)      affectés à la navigation en haute mer et assurant un trafic rémunéré de voyageurs ou l’exercice d’une activité commerciale, industrielle ou de pêche;

b)      de sauvetage et d’assistance en mer, ou affectés à la pêche côtière, à l’exclusion pour ces derniers des provisions de bord;

[…]

5.      les livraisons, transformations, réparations, entretien, affrètements et locations de bateaux de mer visés au point 4 sous a) et b), ainsi que les livraisons, locations, réparations et entretien des objets – y compris l’équipement de pêche – incorporés à ces bateaux ou servant à leur exploitation;

[…]

8.      les prestations de services, autres que celles visées au point 5, effectuées pour les besoins directs des bateaux de mer y visés et de leur cargaison;

[…]»

 La réglementation nationale

4       L’article 22, paragraphe 1, de la loi nº 1642/1986, portant application de la TVA et autres dispositions (FEK A’ 125), qui transpose la sixième directive dans l’ordre juridique grec, dans sa version en vigueur durant la période pertinente, dispose notamment:

«Sont exonérés de la taxe:

a)      la livraison et l’importation de bateaux destinés à être affectés à la navigation commerciale ou à la pêche par des assujettis au régime normal de la TVA ou destinés à toute autre forme d’exploitation, au démantèlement ou à l’usage des forces armées et des pouvoirs publics en général, la livraison et l’importation des moyens de transport flottants pour le sauvetage et l’assistance en mer ainsi que d’objets et de matériaux destinés à être incorporés ou utilisés dans des bateaux ou moyens flottants de sauvetage en mer. Sont exclus les bateaux à usage privé, destinés à des activités de plaisance ou sportives;

[...]

c)      la livraison et l’importation de carburants, de lubrifiants, de provisions et d’autres biens destinés à l’avitaillement de bateaux, de moyens de transport flottants et d’aéronefs, qui sont exonérés conformément aux dispositions des points a) et b). Concernant les bateaux et moyens de transport flottants pour la navigation commerciale intérieure, ou destinés à une autre exploitation à l’intérieur du pays, ainsi que les bateaux de pêche qui pêchent dans les eaux territoriales grecques, l’exonération se limite aux carburants et aux lubrifiants;

d)      l’affrètement de bateaux et la location d’aéronefs en vue de la réalisation d’opérations imposables ou d’opérations exonérées avec droit de déduire la taxe versée en amont. Sont exclus l’affrètement et la location de bateaux ou d’aéronefs à usage privé, destinés à une activité de plaisance ou à une activité sportive. [...]»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

5       Elmeka a pour objet social l’exploitation d’un navire-citerne qui effectue des transports de produits pétroliers en Grèce, pour le compte de divers affréteurs qui commercialisent des combustibles liquides.

6       Au cours d’un contrôle fiscal des livres et écritures comptables d’Elmeka afférents aux exercices 1994 à 1996, il a été constaté que cette société comptait parmi ses affréteurs-fournisseurs la société panaméenne Oceanic International Bunkering SA (ci-après «Oceanic»), dont l’objet social est le commerce de produits pétroliers. Il a été également constaté qu’Elmeka ne facturait pas la TVA sur le fret brut qu’elle percevait sur la base de chaque connaissement pour les transports de produits pétroliers destinés à l’avitaillement de navires en Grèce pour le compte de la société Oceanic, au motif qu’il s’agissait de transactions exonérées de cette taxe.

7       Par lettre du 21 juin 1994, adressée à la Dimosia Oikonomiki Ypiresia Ploion Peiraios (service des contributions du Pirée chargé des affaires maritimes, ci-après le «service des contributions du Pirée»), Elmeka a demandé des informations sur la question de savoir si, dans le cadre de l’avitaillement par son navire-citerne, pour le compte de la société Oceanic, de bateaux effectuant des voyages vers l’étranger et transportant des carburants provenant de raffineries de la rade du port du Pirée, elle était légalement tenue de facturer la TVA sur le connaissement qu’elle émettait pour ladite société ou si elle était exonérée de cette taxe en vertu de la loi n° 1642/1986 et, dans ce cas, selon quelle procédure. En réponse à cette demande, le service des contributions du Pirée lui a indiqué que les connaissements en question étaient exonérés de la TVA.

8       À la suite de la suppression avec effet au 1er janvier 1993 de l’exonération de la TVA dont bénéficiaient les prestations de services de transport de produits pétroliers, les prestations fournies par Elmeka ont été soumises à la TVA, au motif qu’elles avaient lieu à l’intérieur du pays, indépendamment du fait que le destinataire de celles-ci était établi en dehors de la Communauté. Dans ces conditions, l’administration fiscale compétente a imputé à Elmeka, par trois décisions afférentes aux trois exercices en cause, à savoir les années 1994
(C-183/04), 1995 (C-182/04) et 1996 (C-181/04), la différence pour le principal de la taxe due ainsi qu’une majoration de celle-ci pour déclaration inexacte pour chaque année concernée et une amende.

9       Elmeka a contesté lesdites décisions devant le Dioikitiko Protodikeio Pireos (tribunal administratif de première instance du Pirée). Celui-ci ayant rejeté son recours, cette société a interjeté appel devant le Dioikitiko Efeteio Pireos (cour administrative d’appel du Pirée) qui, après avoir annulé le jugement de première instance, a admis en l’espèce que, si un comportement positif du service des contributions du Pirée avait créé dans le chef de l’assujetti la conviction durable et légitime qu’il n’était pas soumis à la TVA, avec pour conséquence qu’il n’a pas répercuté celle-ci sur la consommation, cet assujetti n’était pas soumis à ladite taxe si, en raison de l’imputation a posteriori de celle-ci, la stabilité financière de son entreprise se trouvait mise en danger. Toutefois, ce moyen d’annulation a été rejeté, au motif qu’Elmeka ne s’était pas prévalue d’éléments concrets se rapportant à sa situation financière et que, partant, elle n’était pas parvenue à démontrer l’une des conditions d’application de la règle relative à l’existence d’une conviction durable et légitime. Le Dioikitiko Efeteio Pireos a également décidé que les transports de carburants effectués par Elmeka ne relevaient pas de l’article 22, paragraphe 1, sous c), de la loi n° 1642/1986, et que la décision n° 6 de l’administration fiscale compétente, du 5 juin 1997, avait à juste titre mis la TVA à la charge de ladite société. Le recours a ainsi été rejeté sur ce point.

10     Elmeka a alors introduit un pourvoi contre cet arrêt de rejet devant le Symvoulio tis Epikrateias qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, lesquelles sont rédigées en des termes identiques dans chacune des affaires C-181/04 à
C-183/04:

«1)      Les dispositions de l’article 15, point 4, sous a), de la sixième directive […], auxquelles l’article 15, point 5, de cette directive renvoie, doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles concernent l’affrètement tant des bateaux affectés à la navigation en haute mer et assurant un trafic rémunéré de voyageurs que des bateaux exerçant une activité commerciale, industrielle ou de pêche, ou concernent-elles uniquement l’affrètement des bateaux affectés à la navigation en haute mer, de sorte que, dans cette deuxième hypothèse, les dispositions de l’article 22, paragraphe 1, sous d), de la loi nº 1642/1986 auraient, pour ce qui est de la catégorie de bateaux concernés par l’affrètement, un champ d’application plus large que celles de la directive?

2)      Aux fins de l’exonération au titre de l’article 15, point 8, de la sixième directive, la prestation de services doit-elle avoir pour destinataire l’armateur lui-même ou cette exonération est-elle accordée même si la prestation est destinée à un tiers, pourvu qu’elle soit effectuée pour les besoins directs des bateaux visés au point 5 de ce même article, qui sont également ceux visés au point 4, sous a) et b), de cet article?

3)      Les règles et principes du droit communautaire relatifs à la [TVA] permettent-ils – et selon quelles modalités – d’exiger a posteriori le paiement d’une taxe que l’assujetti n’a pas répercutée pendant la période en cause sur son cocontractant et qu’il n’a par conséquent pas versée à l’administration fiscale, parce que le comportement de cette dernière l’avait convaincu qu’il n’était pas tenu de répercuter cette taxe?»

11     Par ordonnance du président de la Cour du 2 juin 2004, les affaires C-181/04 à C-183/04 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

12     Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si le critère de l’affectation à la «navigation en haute mer» mentionné à l’article 15, point 4, sous a), de la sixième directive, auquel renvoie le point 5 du même article, ne se rapporte qu’aux seuls navires affectés au trafic rémunéré de passagers ou s’il vise également les navires affectés à l’exercice d’une activité commerciale, industrielle ou de pêche.

13     Le gouvernement hellénique et la Commission des Communautés européennes s’accordent pour considérer que les dispositions de l’article 15, point 4, sous a), de la sixième directive ne concernent les navires que dans la mesure où ils sont affectés à la navigation en haute mer et assurent un trafic rémunéré de voyageurs ou l’exercice d’une activité commerciale, industrielle ou de pêche. Le gouvernement italien estime, en revanche, que lesdites dispositions doivent être interprétées en ce sens que l’exonération qu’elles prévoient concerne, d’une part, les navires affectés à la navigation en haute mer et assurant un trafic rémunéré de voyageurs et, d’autre part, ceux affectés à l’exercice d’une activité commerciale, industrielle ou de pêche.

14     À cet égard, même si certaines versions linguistiques de l’article 15, point 4, sous a), de la sixième directive se prêtent à des interprétations divergentes, l’économie et la finalité de celui-ci plaident cependant en faveur de l’application du critère de l’affectation à la navigation en haute mer à tous les types de navires mentionnés à ladite disposition. Il ressort de l’intitulé du même article, à savoir «Exonérations des opérations à l’exportation en dehors de la Communauté, des opérations assimilées et des transports internationaux», que les dispositions de celui-ci visent à exonérer de la TVA au titre de l’avitaillement, et sous certaines conditions, les livraisons de biens aux navires de mer. L’application du critère de l’affectation à la navigation en haute mer ne permet pas de faire bénéficier de l’exonération des navires affectés en mer et exerçant une activité commerciale, industrielle ou de pêche pour autant que ces activités ne sont pas exercées en haute mer. Si cette disposition devait être entendue comme ne visant pas que les bateaux affectés à la navigation en haute mer, le point 4, sous b), du même article, qui prévoit également une telle exonération pour les bateaux affectés à la pêche côtière, serait superfétatoire.

15     En outre, une interprétation selon laquelle l’article 15, point 4, sous a), de la sixième directive ne s’applique qu’aux seuls navires affectés à la navigation en haute mer correspond à la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les exonérations de TVA doivent être interprétées strictement puisqu’elles constituent des exceptions au principe général selon lequel chaque service fourni à titre onéreux par un assujetti est soumis à la taxe sur le chiffre d’affaires (voir, notamment, arrêts du 26 juin 1990, Velker International Oil Company, C-185/89, Rec. p. I-2561, point 19, et du 16 septembre 2004, Cimber Air, C-382/02, Rec. p. I-8379, point 25).

16     Dès lors, il convient de répondre à la première question que l’article 15, point 4, sous a), de la sixième directive, auquel renvoie le point 5 du même article, s’applique non seulement aux navires affectés à la navigation en haute mer et assurant un trafic rémunéré de voyageurs, mais également aux navires affectés à la navigation en haute mer et exerçant une activité commerciale, industrielle ou de pêche.

 Sur la deuxième question

17     Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’exonération prévue à l’article 15, point 8, de la sixième directive vise les seules prestations de services effectuées pour les besoins directs des bateaux de mer, visés au point 5 du même article, ainsi que de leur cargaison et qui sont destinées à l’armateur lui-même ou si cette exonération concerne également de telles prestations lorsqu’elles sont fournies à un tiers.

18     À cet égard, il importe de rappeler que les affaires pendantes devant la juridiction de renvoi ont pour objet des opérations de transport de carburants effectuées par Elmeka pour le compte d’Oceanic qui vend le combustible aux armateurs des navires concernés. En effet, Elmeka fournit ses prestations non pas directement aux armateurs, mais à Oceanic, qui effectue elle-même la livraison des biens auxdits armateurs.

19     Les gouvernements hellénique et italien, ainsi que la Commission, estiment que les prestations de services doivent être fournies à l’armateur lui-même pour bénéficier de l’exonération prévue à l’article 15, point 8, de la sixième directive.

20     Il y a lieu de rappeler que les exonérations constituent des notions autonomes du droit communautaire qui doivent être replacées dans le contexte général du système commun de la TVA instauré par la sixième directive (voir, notamment, arrêts du 5 juin 1997, SDC, C-2/95, Rec. p. I-3017, point 21; du 10 septembre 2002, Kügler, C-141/00, Rec.
p. I-6833, point 25, et Cimber Air, précité, point 23). Par ailleurs, ainsi qu’il a été indiqué au point 15 du présent arrêt, les exonérations de TVA doivent être interprétées strictement.

21     Les opérations d’avitaillement de bateaux mentionnées à l’article 15, point 4, de la sixième directive sont exonérées en raison du fait qu’elles sont assimilées à des opérations à l’exportation (voir, en ce sens, arrêt Velker International Oil Company, précité, point 21).

22     S’agissant des opérations à l’exportation, de même que l’exonération de plein droit prévue à l’article 15, point 1, de la sixième directive s’applique exclusivement aux livraisons finales de biens expédiés ou transportés par le vendeur ou pour son compte en dehors de la Communauté, l’exonération prévue au point 4 du même article ne peut s’appliquer qu’aux livraisons de biens à l’exploitant de bateaux qui utilisera ces biens pour l’avitaillement et ne peut donc être étendue aux livraisons de biens faites à un stade antérieur de commercialisation (voir, en ce sens, arrêt Velker International Oil Company, précité, point 22).

23     En effet, l’extension de l’exonération aux stades antérieurs à la livraison finale des biens à l’exploitant de bateaux exigerait des États qu’ils mettent en place des mécanismes de contrôle et de surveillance en vue de s’assurer de la destination ultime des biens livrés en exonération de taxe. Ces mécanismes se traduiraient, pour les États et pour les opérateurs concernés, par des contraintes qui seraient inconciliables avec l’«application correcte et simple des exonérations» prescrite par la première phrase de l’article 15 de la sixième directive (voir, en ce sens, arrêt Velker International Oil Company, précité, point 24).

24     Or, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 28 de ses conclusions, lesdits motifs sont transposables à l’exonération des services au sens de l’article 15, point 8, de la sixième directive. Il s’ensuit que, afin de garantir une application cohérente de la sixième directive dans son ensemble, l’exonération prévue à cette disposition ne s’applique qu’aux prestations de services directement fournies à l’armateur et ne peut donc être étendue à celles qui sont faites à un stade antérieur de commercialisation.

25     Dès lors, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 15, point 8, de la sixième directive doit être interprété en ce sens que l’exonération prévue à cette disposition vise les prestations de services fournies directement à l’armateur pour les besoins directs des bateaux de mer.

 Sur la troisième question

26     Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande en substance si, au regard des règles et des principes du droit communautaire relatifs à la TVA, un acte de l’administration fiscale nationale autorisant un assujetti à ne pas répercuter la TVA sur son cocontractant peut, alors même que cet acte est illégal, faire naître une confiance légitime de l’assujetti qui s’oppose au paiement a posteriori de ladite taxe.

27     La Commission considère que le principe de protection de la confiance légitime ne permet pas d’exiger le paiement a posteriori de la TVA que l’assujetti n’a pas répercutée sur son cocontractant pendant les exercices en cause et qu’il n’a pas versée à l’administration fiscale, lorsque le comportement de cette dernière pendant plusieurs années a légitimement convaincu cet assujetti qu’il n’était pas tenu de répercuter cette taxe. Lors de l’audience, la Commission a cependant ajouté que le fait que l’information n’aurait pas été communiquée par l’administration fiscale compétente pourrait éventuellement conduire à une appréciation différente.

28     Le gouvernement hellénique estime en revanche que les règles du droit communautaire relatives à la TVA ne font pas obstacle au recouvrement a posteriori d’une taxe qui n’a pas été versée à l’administration fiscale parce que l’assujetti était convaincu qu’il n’était pas tenu de répercuter cette taxe, lorsque cette conviction est due à une interprétation des dispositions légales pertinentes délivrée, à la demande de l’assujetti, par une autorité de l’administration fiscale et, notamment, lorsque cette autorité n’était pas compétente pour se prononcer sur cette demande.

29     Le gouvernement italien considère que le juste équilibre entre la sauvegarde des principes de sécurité juridique ainsi que de protection de la confiance légitime, d’une part, et la nécessité de respecter la réglementation communautaire en matière de TVA, d’autre part, doit conduire à la conclusion selon laquelle, dans les affaires au principal, l’État hellénique ne saurait infliger une quelconque pénalité ni même exiger le paiement d’intérêts, tandis que ladite taxe devrait néanmoins être acquittée.

30     Il ressort des décisions de renvoi que sont en cause des décisions provisoires de l’administration fiscale compétente, du 5 juin 1997, portant liquidation de la TVA due au titre des exercices 1994
(C-183/04), 1995 (C-182/04) et 1996 (C-181/04), ayant pour effet de retirer un document d’exonération de ladite taxe précédemment pris par le service des contributions du Pirée.

31     À cet égard, selon une jurisprudence constante de la Cour, les principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique font partie de l’ordre juridique communautaire. À ce titre, ils doivent être respectés par les institutions communautaires, mais également par les États membres dans l’exercice des pouvoirs que leur confèrent les directives communautaires (voir, notamment, arrêts du 3 décembre 1998, Belgocodex, C-381/97, Rec. p. I-8153, point 26, et du 26 avril 2005, «Goed Wonen», C-376/02, Rec. p. I-3445, point 32). Il en découle que les autorités nationales sont tenues de respecter le principe de protection de la confiance légitime des opérateurs économiques.

32     En ce qui concerne le principe de protection de la confiance légitime du bénéficiaire de l’acte favorable, il convient, dans un premier temps, de déterminer si les actes des autorités administratives ont créé, dans l’esprit d’un opérateur économique prudent et avisé, une confiance raisonnable (voir, en ce sens, arrêts du 10 décembre 1975, Union nationale des coopératives agricoles de céréales e.a./Commission et Conseil, 95/74 à 98/74, 15/75 et 100/75, Rec. p. 1615, points 43 à 45, et du 1er février 1978, Lührs, 78/77, Rec. p. 169, point 6). Si la réponse à cette question s’avère positive, il y a lieu, dans un second temps, d’établir le caractère légitime de cette confiance.

33     En l’espèce, ainsi que cela est exposé dans les décisions de renvoi, Elmeka a adressé au service des contributions du Pirée une question visant à savoir si, dans le cadre de l’avitaillement des bateaux, elle était exonérée de la TVA, en vertu de l’article 22 de la loi n° 1642/1986, et, dans ce cas, selon quelle procédure. Ledit service lui a répondu en déclarant que les connaissements étaient exonérés de la TVA conformément audit article 22, sous c) et d).

34     Il convient en outre de relever que le gouvernement hellénique a indiqué, tant dans ses observations écrites que lors de l’audience, qu’il existe une disposition expresse du droit interne désignant l’autorité nationale compétente pour répondre aux questions posées par les citoyens sur des problèmes juridiques relatifs à la fiscalité.

35     À cet égard, il appartient au juge national d’examiner si Elmeka, qui a pour objet social l’exploitation d’un navire-citerne qui effectue des transports de produits pétroliers pour le compte de divers affréteurs, pouvait raisonnablement présumer que le service des contributions du Pirée avait compétence pour se prononcer sur l’application de l’exonération à ses activités.

36     Eu égard aux observations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question que, dans le cadre du système commun de TVA, les autorités fiscales nationales sont tenues de respecter le principe de protection de la confiance légitime. Il revient à la juridiction de renvoi d´apprécier si, dans les circonstances des affaires au principal, l’assujetti pouvait raisonnablement présumer que la décision en cause avait été prise par une autorité compétente.

 Sur les dépens

37     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1)      L’article 15, point 4, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, auquel renvoie le point 5 du même article, telle que modifiée par la directive 92/111/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992, s’applique non seulement aux navires affectés à la navigation en haute mer et assurant un trafic rémunéré de voyageurs, mais également aux navires affectés à la navigation en haute mer et exerçant une activité commerciale, industrielle ou de pêche.

2)      L’article 15, point 8, de la sixième directive 77/388 doit être interprété en ce sens que l’exonération prévue à cette disposition vise les prestations de services fournies directement à l’armateur pour les besoins directs des bateaux de mer.

3)      Dans le cadre du système commun de la taxe sur la valeur ajoutée, les autorités fiscales nationales sont tenues de respecter le principe de protection de la confiance légitime. Il revient à la juridiction de renvoi d’apprécier si, dans les circonstances des affaires au principal, l’assujetti pouvait raisonnablement présumer que la décision en cause avait été prise par une autorité compétente.

Signatures