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Affaire C-245/04

EMAG Handel Eder OHG

contre

Finanzlandesdirektion für Kärnten

(demande de décision préjudicielle, introduite par

le Verwaltungsgerichtshof (Autriche))

«Renvoi préjudiciel — Sixième directive TVA — Articles 8, paragraphe 1, sous a) et b), 28 bis, paragraphe 1, sous a), premier alinéa, 28 ter, A, paragraphe 1, et 28 quater, A, sous a), premier alinéa — Expédition ou transport intracommunautaire de biens — Livraisons — Acquisitions intracommunautaires de biens — Opérations en chaîne — Lieu des opérations»

Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 10 novembre 2005 

Arrêt de la Cour (première chambre) du 6 avril 2006 

Sommaire de l'arrêt

1.     Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres

(Directive du Conseil 77/388, art. 28 quater, A, a), al. 1)

2.     Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Livraisons de biens

(Directive du Conseil 77/388, art. 8, § 1, a) et b))

1.     Lorsque deux livraisons successives portant sur les mêmes biens, effectuées à titre onéreux entre assujettis agissant en tant que tels, donnent lieu à une unique expédition intracommunautaire ou à un unique transport intracommunautaire de ces biens, cette expédition ou ce transport ne peut être imputé qu'à une seule des deux livraisons, qui sera la seule exonérée en application de l'article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive 77/388, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, telle que modifiée par la directive 95/7.

Cette interprétation est valable quel que soit celui des assujettis - premier vendeur, acquéreur intermédiaire ou second acquéreur - qui détient le pouvoir de disposer des biens pendant ladite expédition ou ledit transport.

Premièrement, même si deux livraisons successives ne donnent lieu qu'à un unique mouvement de biens, elles doivent être considérées comme s'étant succédé dans le temps. En effet, l'acquéreur intermédiaire ne peut transférer au second acquéreur le pouvoir de disposer du bien comme un propriétaire que s'il l'a préalablement reçu du premier vendeur et, partant, la seconde livraison ne peut avoir lieu qu'une fois la première livraison réalisée. Dès lors que le lieu de l'acquisition des biens par l'acquéreur intermédiaire est réputé se situer dans l'État membre d'arrivée de l'expédition ou du transport de ces biens, il serait contraire à toute logique que cet assujetti soit réputé procéder à la livraison subséquente des mêmes biens à partir de l'État membre de départ de ladite expédition ou dudit transport.

Deuxièmement, une telle interprétation permet d'atteindre de façon simple l'objectif poursuivi par le régime transitoire prévu au titre XVI bis de cette directive, à savoir le transfert de la recette fiscale à l'État membre où a lieu la consommation finale des biens livrés.

(cf. points 38-40, 45, disp. 1)

2.     Lorsque deux livraisons successives portant sur les mêmes biens, effectuées à titre onéreux entre assujettis agissant en tant que tels, donnent lieu à une unique expédition intracommunautaire ou à un unique transport intracommunautaire de ces biens, seul le lieu de la livraison à laquelle est imputé cette expédition ou ce transport est déterminé conformément à l'article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, telle que modifiée par la directive 95/7; il est réputé se situer dans l'État membre de départ de cette expédition ou de ce transport. Le lieu de l'autre livraison est déterminé conformément à l'article 8, paragraphe 1, sous b), de la même directive; il est réputé se situer soit dans l'État membre de départ, soit dans l'État membre d'arrivée de ladite expédition ou dudit transport, selon que cette livraison est la première ou la seconde des deux livraisons successives.

(cf. point 51, disp. 2)




ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

6 avril 2006 (*)

«Renvoi préjudiciel – Sixième directive TVA – Articles 8, paragraphe 1, sous a) et b), 28 bis, paragraphe 1, sous a), premier alinéa, 28 ter, A, paragraphe 1, et 28 quater, A, sous a), premier alinéa – Expédition ou transport intracommunautaire de biens – Livraisons – Acquisitions intracommunautaires de biens – Opérations en chaîne – Lieu des opérations»

Dans l’affaire C-245/04,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Verwaltungsgerichtshof (Autriche), par décision du 26 mai 2004, parvenue à la Cour le 10 juin 2004, dans la procédure

EMAG Handel Eder OHG

contre

Finanzlandesdirektion für Kärnten,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, M. K. Schiemann, Mme N. Colneric, MM. M. Ilešič (rapporteur) et E. Levits, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 octobre 2005,

considérant les observations présentées:

–       pour EMAG Handel Eder OHG, par Me W. Dellacher, Rechtsanwalt, assisté de M. A. Breschan, Wirtschaftsprüfer,

–       pour le gouvernement autrichien, par M. H. Dossi, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de MM. G. De Bellis et G. Fiengo, avvocati dello Stato,

–       pour le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, par Mme C. Jackson et par Mme S. Nwaokolo, en qualité d’agents, assistées de M. M. Angiolini, barrister,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par MM. D. Triantafyllou et K. Gross, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 novembre 2005,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995 (JO L 102, p. 18, ci-après la «sixième directive»), et en particulier de l’article 8, paragraphe 1, de celle-ci, relatif au lieu des livraisons de biens.

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant EMAG Handel Eder OHG (ci-après «EMAG»), société établie en Autriche, à la Finanzlandesdirektion für Kärnten (direction des finances du Land de Carinthie), au sujet de la déduction par EMAG de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») acquittée en amont.

 Le cadre juridique

 La sixième directive

3       L’article 2, point 1, de la sixième directive dispose que «[s]ont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée […] les livraisons de biens […] effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel».

4       Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive, «[e]st considéré comme ‘livraison d’un bien’ le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire».

5       L’article 8 de la sixième directive, qui figure sous le titre VI de celle-ci, intitulé «Lieu des opérations imposables», prévoit, à son paragraphe 1, sous a) et b):

«Le lieu d’une livraison de biens est réputé se situer:

a)      dans le cas où le bien est expédié ou transporté soit par le fournisseur, soit par l’acquéreur, soit par une tierce personne: à l’endroit où le bien se trouve au moment du départ de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur […]

b)      dans le cas où le bien n’est pas expédié ou transporté: à l’endroit où le bien se trouve au moment de la livraison».

6       La sixième directive comporte un titre XVI bis, intitulé «Régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres», qui a été introduit par la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l’abolition des frontières fiscales, la directive 77/388/CEE (JO L 376, p. 1), et qui comprend les articles 28 bis à 28 quindecies.

7       L’article 28 bis de la sixième directive dispose:

«1.      Sont également soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

a)      les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, ou par une personne morale non assujettie, lorsque le vendeur est un assujetti agissant en tant que tel, qui ne bénéficie pas de la franchise de taxe prévue à l’article 24 […]

[…]

[…]

3.      Est considérée comme ‘acquisition intracommunautaire’ d’un bien, l’obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d’un bien meuble corporel expédié ou transporté à destination de l’acquéreur, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, vers un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport du bien.

[…]

7.      Les États membres prennent les mesures assurant que sont qualifiées d’acquisitions intracommunautaires de biens les opérations qui, si elles avaient été effectuées à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, auraient été qualifiées de livraisons de biens […] au sens de l’article 5.»

8       L’article 28 ter, A, paragraphe 1, de la sixième directive précise:

«Le lieu d’une acquisition intracommunautaire de biens est réputé se situer à l’endroit où les biens se trouvent au moment de l’arrivée de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur.»

9       L’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive prévoit:

«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-après et de prévenir toute fraude, évasion ou abus éventuels, les États membres exonèrent:

a)      les livraisons de biens, au sens de l’article 5, expédiés ou transportés, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, en dehors du territoire visé à l’article 3 mais à l’intérieur de la Communauté, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens.»

10     L’article 17, paragraphes 2, sous a), et 3, sous b), de la sixième directive, dans sa version résultant de l’article 28 septies, point 1, de la même directive, dispose:

«2.      Dans la mesure où les biens […] sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a)      la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;

[…]

d)      la taxe sur la valeur ajoutée due conformément à l’article 28 bis paragraphe 1 point a).

3.      Les États membres accordent également à tout assujetti la déduction ou le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée visée au paragraphe 2 dans les mesure où les biens […] sont utilisés pour les besoins:

[…]

b)      de ses opérations exonérées conformément […] à l’article 28 quater titres A et C».

 La réglementation nationale

11     L’article 3, paragraphes 1, 7 et 8, de l’Umsatzsteuergesetz 1994 (ci-après l’«UStG 1994»), dans sa version en vigueur à la date des faits au principal, dispose:

«1.      Les livraisons sont des opérations par lesquelles un entrepreneur met en mesure l’acheteur ou un tiers mandaté par ce dernier de disposer en propre d’un bien. Le pouvoir de disposer du bien peut être transféré par l’entrepreneur lui-même ou par un tiers mandaté par celui-ci.

[…]

7.      La livraison est exécutée à l’endroit où se trouve le bien lors du transfert du pouvoir d’en disposer.

8.      Si l’objet d’une livraison est expédié ou transporté à destination de l’acheteur ou d’un tiers mandaté par ce dernier, la livraison est réputée exécutée au départ du transport ou lors de la remise de l’objet au commissionnaire de transport, au transporteur ou au fréteur. On se trouve en présence d’une expédition lorsque l’entrepreneur fait transporter un objet à destination d’un tiers par un transporteur ou un fréteur ou fait assurer un tel transport par l’intermédiaire d’un commissionnaire de transport.»

12     Le paragraphe 8 de cet article a été modifié par le Steuerreformgesetz 2000 (BGBl. I, 106/1999) en vue, selon les explications données par le législateur autrichien, de l’adapter à l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, et est désormais libellé comme suit:

«Si l’objet de la livraison est transporté ou expédié par le fournisseur ou l’acheteur, la livraison est réputée exécutée au départ du transport ou de l’expédition à destination de l’acheteur ou d’un tiers mandaté par ce dernier. On se trouve en présence d’une expédition lorsque le bien est transporté par un transporteur ou un fréteur ou qu’un tel transport est assuré par l’intermédiaire d’un commissionnaire de transport. Le départ de l’expédition est constitué par la remise du bien au commissionnaire de transport, au transporteur ou au fréteur.»

13     L’article 12, paragraphe 1, point 1, de l’UStG 1994, applicable en matière de déduction de la TVA payée en amont, prévoit:

«L’entrepreneur peut déduire les montants suivants de taxe payés en amont:

1)      la taxe que d’autres entrepreneurs ont fait apparaître séparément sur une facture (article 11) à lui adressée pour des livraisons ou d’autres opérations effectuées en Autriche pour son entreprise […]»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

14     En 1996 et 1997, EMAG a acquis des métaux non ferreux auprès de K GmbH (ci-après «K»), également établie en Autriche.

15     K a elle-même acquis les marchandises en cause auprès de fournisseurs établis en Italie ou aux Pays-Bas (ci-après les «fournisseurs»). Il est constant qu’EMAG ne connaissait pas les fournisseurs de K. Après la conclusion de chaque transaction, K donnait instruction à ses fournisseurs de remettre ces marchandises à un commissionnaire de transport qu’elle avait chargé d’acheminer celles-ci directement par camion dans les locaux soit d’EMAG en Autriche, soit des clients de cette dernière également en Autriche, selon les indications fournies à K par EMAG.

16     K a facturé à EMAG le prix d’achat des marchandises convenu entre elles, augmenté de 20 % au titre de la TVA autrichienne. EMAG a ensuite demandé à bénéficier de la déduction de cette taxe en tant que TVA payée en amont.

17     Le Finanzamt compétent puis la Finanzlandesdirektion für Kärnten ont refusé cette déduction au motif que c’est à tort que K avait facturé la TVA à EMAG. Cette dernière a alors formé un recours devant le Verwaltungsgerichtshof.

18     EMAG fait valoir que l’article 3, paragraphe 8, de l’UStG 1994 n’était pas applicable aux livraisons effectuées par K en sa faveur, car l’ordre d’expédition des marchandises vers l’Autriche n’était pas donné par elle mais par K. À cet égard, elle souligne qu’elle ne connaissait pas les fournisseurs de K, que cette dernière avait la possibilité, jusqu’à la fin de chaque livraison, de modifier le lieu de destination ou le destinataire, et aurait parfois fait usage de cette possibilité, et que c’est K qui supportait tous les risques de perte et d’avarie des marchandises jusqu’à leur réception par EMAG ou par les clients de cette dernière.

19     EMAG considère donc que le lieu des livraisons effectuées à son profit par K était situé en Autriche, de sorte que ces livraisons étaient soumises à la TVA autrichienne dans le chef de K. Dès lors, c’est à bon droit que K lui aurait facturé ladite TVA et qu’elle-même en aurait demandé la déduction en tant que TVA payée en amont.

20     Selon la Finanzlandesdirektion, dans un premier temps, K payait les marchandises à ses fournisseurs, lesquels les mettaient à la disposition de K aux Pays-Bas ou en Italie. Dans un second temps, K confiait à des commissionnaires de transport le transport des marchandises depuis l’Italie ou les Pays-Bas vers l’Autriche, où elles étaient livrées à EMAG ou, sur son ordre, à ses clients. La Finanzlandesdirektion souligne que le transport de marchandises était effectué par K aux fins de remplir son obligation de livraison vis-à-vis d’EMAG et que celle-ci en était informée.

21     Eu égard à ces circonstances, la Finanzlandesdirektion considère que l’article 3, paragraphe 8, de l’UStG 1994 était applicable aux livraisons effectuées par K à EMAG. La remise des marchandises aux commissionnaires de transport mandatés par K étant intervenue en Italie ou aux Pays-Bas, le lieu des livraisons effectuées par K au profit d’EMAG aurait été situé dans l’un ou l’autre de ces deux États membres, conformément à ladite disposition. En application de l’article 12, paragraphe 1, point 1, de l’UStG 1994, la déduction de la TVA payée en amont n’aurait été possible que si les opérations facturées avaient été effectuées en Autriche. Dès lors que toutes les opérations étaient exécutées en Italie ou aux Pays-Bas, ce serait à tort qu’EMAG aurait déduit la TVA payée en amont.

22     La juridiction de renvoi constate que, dans l’affaire pendante devant elle, deux livraisons distinctes ont été exécutées au moyen d’un seul mouvement physique de biens.

23     Elle considère que, conformément à l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, le lieu de la première livraison, effectuée par les fournisseurs italiens ou néerlandais au profit de K, se situe à l’endroit du départ de l’expédition ou du transport des biens, c’est-à-dire en Italie ou aux Pays-Bas. Elle s’interroge, en revanche, sur le lieu de la seconde livraison, effectuée par K au profit d’EMAG.

24     À cet égard, la juridiction de renvoi estime que le libellé de l’article 8, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la sixième directive ne règle pas la question de savoir s’il convient d’imputer le mouvement intracommunautaire de biens uniquement à la première livraison, ou s’il peut l’être à la fois aux deux livraisons. Dans cette seconde hypothèse, elle se demande si le lieu de la seconde livraison, effectuée par K au profit d’EMAG, se situe à l’endroit effectif du départ des biens (dans l’affaire au principal, l’Italie ou les Pays-Bas) ou à l’endroit où s’est terminée la première livraison (dans l’affaire au principal, l’Autriche).

25     C’est dans ces conditions que le Verwaltungsgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 8, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la sixième directive […] doit-il être interprété en ce sens que l’endroit du départ de l’expédition ou du transport est déterminant également lorsque différentes entreprises concluent une opération de livraison portant sur le même bien et que ces différentes opérations de livraison sont exécutées moyennant un seul mouvement de marchandises?

2)      Différentes livraisons peuvent-elles être considérées comme des livraisons intracommunautaires exonérées lorsque différentes entreprises concluent une opération de livraison portant sur le même bien et que ces différentes opérations de livraison sont exécutées moyennant un seul mouvement de marchandises?

3)      En cas de réponse affirmative à la première question, entend-on par endroit du départ de la seconde livraison le lieu que quitte effectivement le bien ou le lieu où se termine la première livraison?

4)      Pour la réponse aux première à troisième questions, est-il important de savoir à quelle personne appartenait le pouvoir de disposer du bien pendant le mouvement de marchandises?»

 Observations liminaires

26     À titre liminaire, il convient de rappeler que, par la directive 91/680, visant à l’abolition des frontières fiscales entre les États membres, le législateur communautaire a supprimé définitivement, à compter du 1er janvier 1993, les taxations à l’importation et les détaxations à l’exportation pour les échanges entre les États membres (deuxième et troisième considérants de ladite directive).

27     Toutefois, ayant constaté que n’étaient pas réunies à cette date les conditions qui auraient permis de mettre en œuvre le principe de l’imposition dans l’État membre d’origine des biens livrés et des services rendus sans porter atteinte, pour le trafic communautaire entre assujettis, au principe de l’attribution de la recette fiscale, correspondant à l’application de la taxe au niveau de la consommation finale, à l’État membre où a lieu cette consommation finale, le législateur communautaire a instauré, par le titre XVI bis de la sixième directive, un régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres fondé sur l’établissement d’un nouveau fait générateur de la taxe, à savoir l’acquisition intracommunautaire de biens (septième à dixième considérant de la directive 91/680).

28     L’article 28 bis, paragraphe 1, sous a), premier alinéa, de la sixième directive prévoit que sont soumises à la TVA, sous certaines conditions, «les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel ou par une personne morale non assujettie, lorsque le vendeur est un assujetti agissant en tant que tel». L’acquisition intracommunautaire est définie, au paragraphe 3, premier alinéa, du même article, comme «l’obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d’un bien meuble corporel expédié ou transporté à destination de l’acquéreur, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, vers un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport du bien».

29     Ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général aux points 23 à 25 de ses conclusions, toute acquisition intracommunautaire taxée dans l’État membre d’arrivée de l’expédition ou du transport intracommunautaire de biens en vertu de l’article 28 bis, paragraphe 1, sous a), premier alinéa, de la sixième directive a pour corollaire une livraison exonérée dans l’État membre de départ de ladite expédition ou dudit transport en application de l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la même directive.

30     Dans le cadre du régime transitoire prévu au titre XVI bis de la sixième directive, le vendeur, d’une part, effectue une livraison exonérée dans l’État membre de départ de l’expédition ou du transport intracommunautaire des biens en application des articles 8, paragraphe 1, sous a), et 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de cette directive et, d’autre part, obtient de cet État membre la déduction ou le remboursement de la TVA due ou acquittée en amont dans ledit État membre pour ces biens en vertu de l’article 17, paragraphe 3, sous b), de la même directive, dans sa version résultant de l’article 28 septies, point 1, de ladite directive. Quant à l’acquéreur, il réalise une acquisition intracommunautaire taxée dans l’État membre d’arrivée de ladite expédition ou dudit transport intracommunautaire, conformément aux article 28 bis, paragraphe 1, sous a), premier alinéa, et 28 ter, A, paragraphe 1, de la sixième directive.

31     Ce mécanisme permet de transférer la recette fiscale à l’État membre où a lieu la consommation finale des biens livrés.

 Sur les deuxième et quatrième questions

32     Par ses deuxième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, lorsque deux livraisons successives portant sur les mêmes biens, effectuées à titre onéreux entre assujettis agissant en tant que tels, donnent lieu à une unique expédition intracommunautaire ou à un unique transport intracommunautaire de ces biens, ces livraisons peuvent constituer toutes deux des livraisons exonérées en application de l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive, et si, aux fins de répondre à cette question, il est pertinent de savoir qui, du premier vendeur, de l’acquéreur intermédiaire ou du second acquéreur, détient le pouvoir de disposer des biens pendant l’expédition ou le transport.

33     Dans une situation telle que celle en cause au principal, les deux livraisons successives ne pourraient être exonérées en application de l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive que si l’unique mouvement intracommunautaire de biens était imputé aux deux livraisons à la fois.

34     Si tel était le cas, les conséquences seraient les suivantes.

35     D’une part, le premier vendeur effectuerait une première livraison située, en application de l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, dans l’État membre de départ de l’expédition ou du transport des biens. Cette première livraison aurait pour pendant une première acquisition intracommunautaire réalisée par l’acquéreur intermédiaire et située, conformément à l’article 28 ter, A, paragraphe 1, dans l’État membre d’arrivée de ladite expédition ou dudit transport.

36     D’autre part, l’acquéreur intermédiaire effectuerait lui-même une seconde livraison également située, en vertu de l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, dans l’État membre de départ, cette seconde livraison ayant à son tour pour pendant une seconde acquisition intracommunautaire réalisée par le second acquéreur et située dans l’État membre d’arrivée.

37     Un tel enchaînement serait à la fois illogique et contraire à l’économie du régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres, tel que décrit aux points 26 à 31 du présent arrêt.

38     Premièrement, même si deux livraisons successives ne donnent lieu qu’à un unique mouvement de biens, elles doivent être considérées comme s’étant succédé dans le temps. En effet, l’acquéreur intermédiaire ne peut transférer au second acquéreur le pouvoir de disposer du bien comme un propriétaire que s’il l’a préalablement reçu du premier vendeur et, partant, la seconde livraison ne peut avoir lieu qu’une fois la première livraison réalisée.

39     Dès lors que le lieu de l’acquisition des biens par l’acquéreur intermédiaire est réputé se situer dans l’État membre d’arrivée de l’expédition ou du transport de ces biens, il serait contraire à toute logique que cet assujetti soit réputé procéder à la livraison subséquente des mêmes biens à partir de l’État membre de départ de ladite expédition ou dudit transport.

40     Deuxièmement, l’interprétation des dispositions pertinentes de la sixième directive selon laquelle l’unique mouvement intracommunautaire de biens est imputé à une seule des deux livraisons successives permet d’atteindre de façon simple l’objectif poursuivi par le régime transitoire prévu au titre XVI bis de cette directive, à savoir le transfert de la recette fiscale à l’État membre où a lieu la consommation finale des biens livrés. Ce transfert est en effet assuré, à l’occasion de l’unique opération donnant lieu à un mouvement intracommunautaire de biens, par l’application combinée des articles 28 quater A, sous a), premier alinéa (exonération par l’État membre de départ de la livraison donnant lieu à expédition ou transport intracommunautaire), 17, paragraphe 3, sous b), dans sa version résultant de l’article 28 septies, point 1 (déduction ou remboursement par l’État membre de départ de la TVA due ou acquittée en amont dans cet État membre), et 28 bis, paragraphe 1, sous a), premier alinéa (taxation par l’État membre d’arrivée de l’acquisition intracommunautaire), de la sixième directive. Ce mécanisme assure une délimitation claire des souverainetés fiscales des États membres concernés.

41     En revanche, les dispositions pertinentes de la sixième directive ne sauraient être interprétées en ce sens que l’unique mouvement intracommunautaire de biens doit être imputé aux deux livraisons successives à la fois.

42     En effet, qualifier la seconde opération d’intracommunautaire en lui imputant également l’unique mouvement intracommunautaire de biens n’est pas utile pour assurer le transfert de la recette fiscale à l’État membre où a lieu la consommation finale des biens livrés, car ce transfert est déjà réalisé à l’issue de la première opération, ainsi qu’il a été souligné au point 40 du présent arrêt.

43     En outre, il y a lieu de constater que, si l’unique mouvement intracommunautaire de biens était imputé aux deux livraisons successives, l’article 17, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, dans sa version résultant de l’article 28 septies, point 1, de la même directive, qui constitue une disposition essentielle de ce régime aux fins du transfert de la recette fiscale, serait dépourvu d’objet en ce qui concerne la seconde livraison effectuée par l’acquéreur intermédiaire, puisque, par hypothèse, ce dernier n’aurait acquitté aucune TVA en amont dans l’État membre de départ de l’expédition ou du transport intracommunautaire des biens.

44     Par ailleurs, aux fins de prévenir les risques de perte de recettes fiscales, le règlement (CEE) n° 218/92 du Conseil, du 27 janvier 1992, concernant la coopération administrative dans le domaine des impôts indirects (TVA) (JO L 24, p. 1) – remplacé, à compter du 1er janvier 2004, par le règlement (CE) n° 1798/2003 du Conseil, du 7 octobre 2003, concernant la coopération administrative dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée et abrogeant le règlement (CEE) n° 218/92 (JO L 264, p. 1) –, a prévu un système commun d’échange d’informations sur les transactions intracommunautaires entre les autorités compétentes des États membres. Dès lors, l’interprétation visée au point 41 du présent arrêt aurait pour effet de multiplier le nombre de cas nécessitant un tel échange d’informations et, partant, d’alourdir le traitement des opérations concernées par les autorités fiscales compétentes.

45     Il convient donc de répondre aux deuxième et quatrième questions que, lorsque deux livraisons successives portant sur les mêmes biens, effectuées à titre onéreux entre assujettis agissant en tant que tels, donnent lieu à une unique expédition intracommunautaire ou à un unique transport intracommunautaire de ces biens, cette expédition ou ce transport ne peut être imputé qu’à une seule des deux livraisons, qui sera la seule exonérée en application de l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive. Cette interprétation est valable quel que soit celui des assujettis – premier vendeur, acquéreur intermédiaire ou second acquéreur – qui détient le pouvoir de disposer des biens pendant ladite expédition ou ledit transport.

 Sur la première question

46     À titre liminaire, il convient de souligner que, en ce qui concerne la détermination du lieu où une livraison est réputée se situer, la sixième directive n’opère aucune distinction entre livraisons «intracommunautaires» et livraisons «internes». L’article 8, paragraphe 1, de cette directive distingue seulement les livraisons donnant lieu à expédition ou à transport de biens [point a)], de celles ne donnant pas lieu à expédition ou à transport de biens [point b)] et de celles effectuées à bord d’un bateau, d’un avion ou d’un train et au cours de la partie d’un transport de passagers effectuée à l’intérieur de la Communauté [point c)], cette dernière hypothèse étant sans pertinence dans l’affaire au principal.

47     Il ressort de la réponse aux deuxième et quatrième questions que, dans une situation telle que celle en cause au principal, l’unique mouvement intracommunautaire de biens ne peut être imputé qu’à une seule des deux livraisons successives.

48     Conformément à l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, le lieu de cette livraison est réputé se situer dans l’État membre de départ de l’expédition ou du transport des biens.

49     L’autre livraison ne donnant pas lieu à expédition ou à transport, le lieu de cette livraison est réputé se situer, conformément à l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la sixième directive, à l’endroit où les biens se trouvent au moment de ladite livraison.

50     Si la livraison qui donne lieu à expédition ou à transport intracommunautaire de biens, et qui a donc pour corollaire une acquisition intracommunautaire taxée dans l’État membre d’arrivée de ladite expédition ou dudit transport, est la première des deux livraisons successives, la seconde livraison est réputée se situer au lieu de l’acquisition intracommunautaire qui l’a précédée, c’est-à-dire dans l’État membre d’arrivée. À l’inverse, si la livraison qui donne lieu à expédition ou à transport intracommunautaire de biens est la seconde des deux livraisons successives, la première livraison, intervenue par hypothèse avant l’expédition ou le transport des biens, est réputée se situer dans l’État membre de départ de cette expédition ou de ce transport.

51     Dès lors, il convient de répondre à la première question que seul le lieu de la livraison qui donne lieu à expédition ou à transport intracommunautaire de biens est déterminé conformément à l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive; il est réputé se situer dans l’État membre de départ de cette expédition ou de ce transport. Le lieu de l’autre livraison est déterminé conformément à l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la même directive; il est réputé se situer soit dans l’État membre de départ, soit dans l’État membre d’arrivée de ladite expédition ou dudit transport, selon que cette livraison est la première ou la seconde des deux livraisons successives.

 Sur la troisième question

52     Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

 Sur les dépens

53     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      Lorsque deux livraisons successives portant sur les mêmes biens, effectuées à titre onéreux entre assujettis agissant en tant que tels, donnent lieu à une unique expédition intracommunautaire ou à un unique transport intracommunautaire de ces biens, cette expédition ou ce transport ne peut être imputé qu’à une seule des deux livraisons, qui sera la seule exonérée en application de l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995.

Cette interprétation est valable quel que soit celui des assujettis – premier vendeur, acquéreur intermédiaire ou second acquéreur – qui détient le pouvoir de disposer des biens pendant ladite expédition ou ledit transport.

2)      Seul le lieu de la livraison qui donne lieu à expédition ou à transport intracommunautaire de biens est déterminé conformément à l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388, telle que modifiée par la directive 95/7; il est réputé se situer dans l’État membre de départ de cette expédition ou de ce transport. Le lieu de l’autre livraison est déterminé conformément à l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la même directive; il est réputé se situer soit dans l’État membre de départ, soit dans l’État membre d’arrivée de ladite expédition ou dudit transport, selon que cette livraison est la première ou la seconde des deux livraisons successives.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.