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Affaire C-132/06

Commission des Communautés européennes

contre

République italienne

«Manquement d’État — Article 10 CE — Sixième directive TVA — Obligations en régime intérieur — Contrôle des opérations imposables — Amnistie»

Sommaire de l'arrêt

Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Obligations des redevables

(Art. 10 CE; directive du Conseil 77/388, art. 2 et 22)

Manque aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 22 de la sixième directive 77/388, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, et de l’article 10 CE un État membre dont la loi prévoit une renonciation générale et indifférenciée à la vérification des opérations imposables effectuées au cours d'une série de périodes d'imposition en ce

- qu'un assujetti n'ayant pas respecté ses obligations au titre des périodes imposables comprises entre la première et la quatrième année précédant l'adoption de ladite loi - soit, dans certains cas, un an seulement avant l'adoption de cette loi - peut échapper à tout contrôle, dans la limite d'un montant équivalent au double du montant de la taxe figurant dans une déclaration complémentaire présentée afin de rectifier les déclarations déjà présentées et

- qu'un assujetti n'ayant pas présenté de déclaration au titre des périodes imposables comprises entre la première et la quatrième année précédant l'adoption de ladite loi peut échapper à tout contrôle en versant un montant correspondant à 2% de la taxe due sur les livraisons de biens et les prestations de services fournies par lui ainsi qu'un montant de 2% de la taxe déduite au cours de la même période, ce pourcentage étant fixé à 1,5% pour une taxe en amont ou en aval qui excède 200 000 euros et à 1% pour un montant supérieur à 300 000 euros.

En remplaçant, très peu de temps après l’expiration des délais impartis aux assujettis pour acquitter les montants de la taxe normalement dus, les obligations des intéressés découlant des articles 2 et 22 de la sixième directive par d’autres obligations qui n’exigent pas le paiement desdits montants, une législation telle que celle en cause vide de leur contenu ces articles, lesquels sont pourtant à la base du système commun de taxe sur la valeur ajoutée, et touche, ainsi, à la structure même de cette taxe. Le déséquilibre important existant entre les montants effectivement dus et ceux qui sont acquittés par les assujettis désirant bénéficier de l’amnistie fiscale en cause aboutit à une quasi-exonération fiscale.

Il en résulte qu'un telle législation perturbe gravement le bon fonctionnement du système commun de taxe sur la valeur ajoutée. Les dispositions de celle-ci faussent le principe de neutralité fiscale en introduisant des variations significatives de traitement entre les assujettis sur le territoire en cause. Pour la même raison, ces dispositions portent atteinte à l’obligation d’assurer une perception équivalente de la taxe dans tous les États membres.

Dans la mesure où, ainsi que l’indique le quatrième considérant de la sixième directive, le principe de neutralité fiscale vise à permettre la réalisation d’un marché commun comportant une saine concurrence, le fonctionnement même du marché commun se trouve affecté par ladite législation dès lors que, dans l'État membre concerné, les assujettis peuvent espérer ne pas être tenus de verser une grande partie de leurs charges fiscales.

La lutte contre la fraude est un objectif reconnu et encouragé par la sixième directive. Ainsi, l’article 22, paragraphe 8, de la sixième directive invite les États membres à prévoir, le cas échéant, des obligations supplémentaires pour éviter la fraude. Or, ladite législation a un effet contraire dans la mesure où les assujettis coupables de fraude se trouvent favorisés par celle-ci.

En introduisant une mesure d'amnistie très peu de temps après l'expiration des délais dans lesquels les assujettis auraient dû s'acquitter de la taxe sur la valeur ajoutée et en exigeant le paiement d'un montant très faible par rapport à la taxe effectivement due, ladite législation pemet aux assujettis concernés d'échapper définitivement à leurs obligations en matière de taxe sur la valeur ajoutée, alors même que les autorités fiscales nationales auraient pu découvrir une partie au moins de ces assujettis au cours des quatre années précédant la date de prescription de la taxe normalement due. En ce sens, ladite législation remet en cause la responsabilité pesant sur chaque État membre d'assurer l'exacte perception de la taxe.

(cf. points 9, 40-47, 52-53 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

17 juillet 2008 (*)

«Manquement d’État – Article 10 CE – Sixième Directive TVA – Obligations en régime intérieur – Contrôle des opérations imposables – Amnistie»

Dans l’affaire C-132/06,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 7 mars 2006,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. E. Traversa et Mme M. Afonso, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République italienne, représentée par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. G. De Bellis, avvocato dello Stato,

partie défenderesse,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Lenaerts, G. Arestis et U. Lõhmus, présidents de chambre, MM. E. Juhász, A. Borg Barthet (rapporteur), M. Ilešič, J. Malenovský, J. Klučka et E. Levits, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 septembre 2007,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 octobre 2007,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en prévoyant d’une manière expresse et générale, aux articles 8 et 9 de la loi n° 289, concernant les dispositions pour la formation du budget annuel et pluriannuel de l’État (loi de finances pour 2003) [legge n. 289, disposizioni per la formazione del bilancio annuale e pluriennale dello Stato (legge finanziaria 2003)], du 27 décembre 2002 (supplément ordinaire n° 240/L du GURI n° 305, du 31 décembre 2002, ci-après la «loi n° 289/2002»), une renonciation à la vérification des opérations imposables effectuées au cours d’une série de périodes d’imposition, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 22 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p.1, ci-après la «sixième directive»), ainsi que de l’article 10 CE.

 Le cadre juridique

 Le droit communautaire

2        Aux termes de l’article 10 CE:

«Les États membres prennent toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté. Ils facilitent à celle-ci l’accomplissement de sa mission.

Ils s’abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du présent traité.»

3        Le deuxième considérant de la sixième directive se lit comme suit:

«considérant que [...] le budget des Communautés sera, sans préjudice des autres recettes, intégralement financé par des ressources propres aux Communautés; que ces ressources comprennent, entre autres, celles provenant de la taxe sur la valeur ajoutée [(ci-après la «TVA»)] et obtenues par l’application d’un taux commun à une assiette déterminée d’une manière uniforme et selon des règles communautaires».

4        Le quatrième considérant de cette directive est ainsi rédigé:

«considérant qu’il convient de tenir compte de l’objectif de la suppression des taxations à l’importation et des détaxations à l’exportation pour les échanges entre les États membres et de garantir la neutralité du système commun de taxes sur le chiffre d’affaires quant à l’origine des biens et des prestations de services, pour que soit réalisé à terme un marché commun comportant une saine concurrence et ayant des caractéristiques analogues à celles d’un véritable marché intérieur».

5        Le quatorzième considérant de ladite directive se lit comme suit:

«considérant que les obligations des redevables doivent être dans la mesure du possible harmonisées pour assurer les garanties nécessaires quant à la perception équivalente de la taxe dans tous les États membres; que les redevables doivent notamment déclarer périodiquement le montant global de leurs opérations, tant en amont qu’en aval, lorsque cela apparaît nécessaire pour la constatation et le contrôle de l’assiette des ressources propres».

6        En vertu de l’article 2 de la sixième directive, sont soumises à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, ainsi que les importations de biens.

7        L’article 22 de la sixième directive dispose:

«[...]

4.      Tout assujetti doit déposer une déclaration dans un délai à fixer par les États membres. […]

         [...]

5.      Tout assujetti doit payer le montant net de la [TVA] lors du dépôt de la déclaration périodique. Toutefois, les États membres peuvent fixer une autre échéance pour le paiement de ce montant ou percevoir des acomptes provisionnels.

[...]

8.      […] les États membres ont la faculté de prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la taxe et pour éviter la fraude.

[...]»

 Le droit national

8        Les articles 8 et 9 de la loi n° 289/2002, qui régissent respectivement la «Déclaration complémentaire des éléments d’imposition pour les années précédentes» et le «Règlement automatique pour les années précédentes», concernent tant la TVA que d’autres taxes et prélèvements obligatoires.

 L’article 8 de la loi n° 289/2002

9        En substance, l’article 8 de la loi n° 289/2002 prévoit la possibilité pour les assujettis de présenter une déclaration complémentaire de TVA afin de rectifier les déclarations déjà présentées au titre des périodes imposables comprises entre les années 1998 et 2001. Conformément audit article 8, paragraphe 3, cette déclaration doit être accompagnée du paiement du montant additionnel de la TVA due avant le 16 avril 2003, cette dernière étant calculée «en appliquant les dispositions en vigueur au cours de chacune des périodes imposables». Ladite déclaration n’est valable que si elle indique des sommes complémentaires dues s’élevant à un montant minimal de 300 euros pour chaque exercice fiscal. Les paiements peuvent être scindés en deux versements égaux s’ils dépassent 3 000 euros pour les personnes physiques ou 6 000 euros pour les personnes morales.

10      L’article 8, paragraphe 4, de la loi n° 289/2002 prévoit la possibilité de présenter la déclaration complémentaire de TVA selon une procédure confidentielle. Toutefois, l’assujetti qui n’a souscrit aucune déclaration au titre des exercices concernés ne peut bénéficier de cette possibilité.

11      En vertu de l’article 8, paragraphe 6, de cette loi, la présentation d’une déclaration complémentaire de TVA comporte, en ce qui concerne des montants équivalents à la TVA majorée, résultant de cette déclaration augmentée de 100 %, soit un montant de la TVA due équivalent au double de celui déclaré par l’assujetti, l’extinction des sanctions administratives fiscales, l’exclusion de l’application de sanctions pénales au contribuable concerné pour certaines infractions fiscales et de droit commun ainsi que l’exclusion de tout contrôle fiscal.

12      L’article 8, paragraphe 9, de ladite loi permet aux assujettis qui ont utilisé la procédure confidentielle prévue à l’article 8, paragraphe 4, de cette même loi d’être exemptés de toute vérification autre que celle portant sur la cohérence de leurs déclarations complémentaires.

13      L’article 8, paragraphe 10, de la loi n° 289/2002 prévoit que ne peuvent toutefois bénéficier des dispositions de cet article 8:

–        les assujettis auxquels, à la date d’entrée en vigueur de cette loi, a été notifié un procès-verbal de constatation comportant un résultat positif, un avis de rectification ou une invitation au contradictoire;

–        les assujettis à l’égard desquels une action pénale a été engagée pour les infractions visées à l’article 8, paragraphe 6, sous c), de la même loi et dont ils ont été formellement informés avant la date de présentation de la déclaration complémentaire de TVA.

14      Selon l’article 8, paragraphe 12, de la loi n° 289/2002, le dépôt d’une déclaration complémentaire de TVA ne saurait constituer la dénonciation d’une infraction pénale.

 L’article 9 de la loi n° 289/2002

15      L’article 9 de la loi n° 289/2002 porte sur le «Règlement automatique pour les années précédentes». Selon la circulaire n° 12/2003 de l’Agenzia delle Entrate – Direzione centrale normativa e contenzioso (Agence des impôts et taxes – Direction générale de la réglementation et du contentieux), du 21 février 2003, la déclaration aux fins de ce règlement automatique, prévue à l’article 9 de la loi n° 289/2002, a pour objet, à la différence de la déclaration complémentaire de TVA prévue à l’article 8 de la même loi, non pas la déclaration de montants imposables additionnels, mais la présentation des données permettant de déterminer les montants devant être versés aux fins de l’obtention du bénéfice de l’amnistie.

16      Si les périodes imposables couvertes par ledit règlement automatique sont les mêmes que celles qui sont visées à l’article 8 de la loi n° 289/2002, la déclaration souscrite au titre de l’article 9 de cette loi doit en revanche, selon le paragraphe 1 dudit article 9, concerner, «sous peine de nullité, toutes les périodes imposables».

17      En vertu de l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la loi n° 289/2002, le règlement automatique aux fins de la TVA est réalisé par le versement, pour chacune des périodes imposables, «d’un montant égal à 2 % de la taxe relative aux livraisons de biens et aux prestations de services effectuées par l’assujetti, pour lesquelles la taxe est devenue exigible pendant la période imposable», et d’un montant égal à 2 % de la TVA sur les livraisons de biens et de services «déduite au cours de la même période», lesdits montants devant être cumulés. Ce pourcentage est fixé à 1,5 % pour une taxe en amont ou en aval qui excède 200 000 euros et à 1 % pour un montant supérieur à 300 000 euros. Lorsque l’application de cette disposition a pour conséquence le paiement d’un montant supérieur à 11 600 000 euros, la fraction qui excède cette somme est réduite de 80 %. L’article 9, paragraphe 6, de ladite loi instaure toutefois le paiement d’une somme minimale pour chaque exercice, à savoir 500 euros lorsque le chiffre d’affaires de l’assujetti concerné n’excède pas 50 000 euros, 600 euros lorsque celui-ci est compris entre 50 000 et 180 000 euros et 700 euros lorsque ce chiffre d’affaires dépasse 180 000 euros.

18      Pour chaque exercice fiscal au titre duquel aucune déclaration n’a été déposée, l’article 9, paragraphe 8, de la loi n° 289/2002 exige le paiement d’une somme forfaitaire de 1 500 euros par les personnes physiques concernées et de 3 000 euros par les sociétés et les associations.

19      Selon l’article 9, paragraphe 10, sous b) et c), de ladite loi, le règlement automatique aux fins de la TVA entraîne, pour le contribuable concerné, l’extinction des sanctions administratives fiscales, l’exclusion de l’application de sanctions pénales pour certaines infractions fiscales et non fiscales liées aux précédentes, ainsi que l’exclusion de tout contrôle fiscal.

20      En vertu de l’article 9, paragraphe 14, de la loi n° 289/2002, sont exclus du bénéfice dudit règlement automatique:

–        les assujettis auxquels, à la date d’entrée en vigueur de cette loi, a été notifié un procès-verbal de constatation comportant un résultat positif, un avis de rectification ou une invitation au contradictoire;

–        les assujettis à l’encontre desquels une action pénale a été engagée pour les infractions visées à l’article 9, paragraphe 10, sous c), de la même loi, et dont ils ont été formellement informés avant la date de présentation de la déclaration complémentaire;

–        les assujettis qui ont omis de présenter l’ensemble des déclarations relatives à toutes les contributions visées à cet article 9, paragraphe 2, et au titre de toutes les périodes d’imposition visées audit article 9, paragraphe 1.

 La procédure précontentieuse

21      Estimant que les dispositions des articles 8 et 9 de la loi n° 289/2002 sont incompatibles avec les articles 2 et 22 de la sixième directive ainsi qu’avec les articles 10 CE et 249 CE, la Commission a, conformément à la procédure prévue à l’article 226 CE, adressé à la République italienne une lettre de mise en demeure datée du 16 décembre 2003. Par une lettre du 30 mars 2004, cet État membre a contesté l’incompatibilité invoquée par la Commission. Insatisfaite de la réponse de la République italienne, la Commission a adressé à cet État membre, par lettre du 18 octobre 2004, un avis motivé l’invitant à se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de sa réception. Dans sa réponse du 31 janvier 2005 audit avis motivé, la République italienne a de nouveau contesté l’existence d’une telle incompatibilité. C’est dans ces conditions que la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

22      La Commission soutient que, en prévoyant de manière expresse et générale, aux articles 8 et 9 de la loi n° 289/2002, une renonciation à la vérification des opérations imposables effectuées au cours d’une série de périodes d’imposition, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 22 de la sixième directive ainsi que de l’article 10 CE.

23      La Commission précise que les articles 2 et 22 de la sixième directive ainsi que l’article 10 CE imposent une double obligation aux États membres, ces derniers étant tenus d’adopter, d’une part, tous les actes législatifs de droit national nécessaires pour donner effet à la sixième directive et, d’autre part, toutes les mesures de nature administrative nécessaires pour garantir le respect, par les assujettis à la TVA, des obligations résultant de cette directive, et en particulier celle d’acquitter dans un certain délai la taxe due à la suite de l’exécution des opérations imposables.

24      Selon la Commission, les articles 8 et 9 de la loi n° 289/2002 constituent une dérogation à la législation générale régissant la TVA et transposant, en droit italien, les directives communautaires en matière de TVA. La Commission considère qu’une telle dérogation est contraire aux articles 2 et 22 de la sixième directive.

25      S’agissant de l’obligation faite aux États membres en vertu de l’article 2 de la sixième directive de soumettre à la TVA toutes les livraisons de biens ainsi que toutes les prestations de services, la Commission fait valoir qu’il est exclu qu’un État membre puisse se soustraire unilatéralement à l’obligation d’assujettir à la TVA certaines catégories d’opérations imposables, soit en introduisant des exonérations de taxe non prévues par le législateur communautaire, soit en excluant du champ d’application de cette directive des opérations imposables qui devraient au contraire relever de celui-ci.

26      En ce qui concerne les obligations visées à l’article 22 de la sixième directive, la Commission soutient que, ces obligations étant formulées en des termes non équivoques et impératifs, les États membres ne peuvent dispenser les assujettis de l’une ou de l’autre de celles-ci que si une disposition spécifique de cet article 22 leur confère expressément une faculté de déroger auxdites obligations. Selon la Commission, l’article 22, paragraphe 8, de ladite directive vise à doter les administrations fiscales nationales des moyens de contrôle nécessaires, tout en soumettant les assujettis aux obligations correspondant à ces exigences de contrôle, ainsi qu’à imposer aux États membres l’obligation d’«assurer l’exacte perception de la taxe» grâce à une action efficace de vérification et de lutte contre la fraude. Selon la Commission, ledit article 22 ne confère pas aux États membres un pouvoir discrétionnaire leur permettant d’exonérer l’ensemble des assujettis de leur obligation de tenir un livre comptable, d’émettre des factures et de présenter une déclaration de paiement de la TVA.

27      La Commission reconnaît que, lorsqu’ils vérifient l’exactitude des déclarations de TVA et des versements correspondants effectués par les assujettis, les États membres bénéficient d’une certaine marge d’appréciation qui leur permet de moduler leur action de contrôle en fonction des ressources humaines et des moyens techniques dont ils disposent à cette fin. Cependant, elle fait valoir que les articles 8 et 9 de la loi n° 289/2002 vont au-delà de la marge d’appréciation discrétionnaire accordée aux États membres par le législateur communautaire, dès lors que la République italienne a procédé à une renonciation générale, indifférenciée et préalable à toute activité de contrôle ainsi que de vérification en matière de TVA.

28      Constatant en outre l’absence de tout lien entre la dette fiscale calculée selon les règles ordinaires régissant la TVA et les montants devant être versés par les assujettis désirant bénéficier des régimes d’amnistie prévus respectivement aux articles 8 et 9 de la loi n° 289/2002, la Commission considère que les dispositions desdits articles sont de nature à perturber gravement le bon fonctionnement du système commun de TVA, à fausser le principe de neutralité fiscale inhérent à ce système et à porter atteinte à l’obligation d’assurer la perception équivalente de la taxe dans tous les États membres.

29      La République italienne, qui reconnaît que la réglementation communautaire en matière de TVA impose aux États membres d’appliquer l’impôt à tous les assujettis et d’exercer un contrôle en conséquence de cette obligation, soutient que le mécanisme prévu aux articles 8 et 9 de la loi n° 289/2002 n’a d’effet ni sur les obligations des contribuables ni sur les éléments constitutifs de la taxe. Celui-ci interviendrait au contraire dans les domaines du contrôle et du recouvrement de la taxe, dans lesquels les États membres disposent d’un pouvoir d’appréciation.

30      Selon cet État membre, le grief de la Commission, qui vise à qualifier le mécanisme prévu aux articles 8 et 9 de la loi n° 289/2002 de renonciation «générale, indifférenciée et préalable à toute activité de contrôle et de vérification en matière de TVA», revient à empêcher d’une façon générale les États membres de recourir à des instruments de conciliation ou de solution des litiges pendants en vue d’éviter les contentieux et de s’assurer une recette immédiate par des réductions négociées d’impôts.

31      La République italienne fait valoir en particulier que son administration fiscale n’est pas en mesure de contrôler l’ensemble des contribuables, de sorte que le régime prévu aux articles 8 et 9 de la loi n° 289/2002 permet de percevoir immédiatement une part non négligeable de l’impôt et de faire porter ses activités de contrôle sur les contribuables qui n’ont pas recouru à la procédure d’amnistie en cause.

32      Ledit État membre fait également valoir que le fait de percevoir des montants d’impôt qui sont, selon lui, sensiblement plus élevés que ceux qui auraient pu être perçus en vertu de la procédure ordinaire de vérification et de contrôle permet de considérer que les obligations découlant de la sixième directive ont été respectées et que le contraire ne saurait être affirmé au seul motif que la récupération est intervenue sous la forme de versements spontanés effectués par les contribuables plutôt qu'à la suite d’une demande contraignante de l’administration fiscale.

33      Cet État membre fait valoir que l’article 8 de la loi n° 289/2002 a pour objectif de permettre aux contribuables qui ne sont pas encore connus de l’administration fiscale comme étant des fraudeurs de régulariser leur situation à condition qu’ils déclarent spontanément les montants imposables sur lesquels portent la fraude et qu’ils versent une somme correspondant au minimum à 50 % de l’impôt éludé (ou aux deux tiers de celui-ci s’il s’agit de retenues). Par l’effet du paiement intervenu, l’administration fiscale se verrait empêchée d’effectuer des contrôles sur les sommes qui ne dépassent pas de 100 % au minimum les sommes déclarées à titre complémentaire (ou de 50 % s’il s’agit de retenues additionnelles).

34      Invoquant l’article 8, paragraphe 10, de la loi n° 289/2002, dont les dispositions sont mentionnées au point 13 du présent arrêt, la République italienne soutient que les assujettis déjà connus comme étant des fraudeurs sont exclus du bénéfice du régime prévu audit article 8.

35      S’agissant de l’article 9 de la loi n° 289/2002, la République italienne indique que le bénéfice de cette disposition est refusé dans les deux hypothèses prévues à l’article 8, paragraphe 10, de cette loi, exposées au point 13 du présent arrêt, ainsi que, en vertu de l’article 9, paragraphe 14, de ladite loi, lorsque l’intéressé a omis de présenter l’ensemble des déclarations relatives à toutes les contributions visées à cet article 9, paragraphe 2, et pour toutes les périodes d’imposition visées audit article 9, paragraphe 1.

36      Cet État membre précise que la référence, à l’article 9, paragraphe 14, de la loi n° 289/2002, à «toutes les contributions visées au paragraphe 2» a toujours été interprétée en ce sens que les contributions visées à l’article 9, paragraphe 2, sous a), de cette loi et la TVA visée à cet article 9 paragraphe 2, sous b), doivent être considérées séparément. Ainsi, il aurait été admis que fait obstacle au bénéfice du règlement automatique prévu audit article 9 le fait d’avoir omis de déclarer la TVA pendant toutes les années concernées, même si, pour ces mêmes années, des déclarations relatives à d’autres impôts ont été présentées. Ledit État membre ajoute que, conformément à l’article 9, paragraphe 9, de la loi n° 289/2002, l’administration fiscale est toujours en droit de récupérer l’impôt dû sur la base des données issues de la déclaration de TVA et que, en tout état de cause, le contrôle fiscal est toujours possible lorsqu’il s’agit de vérifier le droit (ou l’absence de droit) au remboursement de la taxe qui devrait résulter de cette déclaration.

 Appréciation de la Cour

37      Il découle des articles 2 et 22 de la sixième directive, ainsi que de l’article 10 CE, que chaque État membre a l’obligation de prendre toutes les mesures législatives et administratives propres à garantir la perception de l’intégralité de la TVA due sur son territoire. À cet égard, les États membres sont tenus de vérifier les déclarations des assujettis, les comptes de ces derniers et les autres documents pertinents ainsi que de calculer et de prélever l’impôt dû.

38      Dans le cadre du système commun de TVA, les États membres sont tenus de garantir le respect des obligations auxquelles les assujettis sont soumis et ils bénéficient, à cet égard, d’une certaine latitude en ce qui concerne, notamment, la manière d’utiliser les moyens dont ils disposent.

39      Cette latitude est néanmoins limitée par l’obligation de garantir un prélèvement efficace des ressources propres de la Communauté et par celle de ne pas créer de différences significatives dans la manière dont sont traités les assujettis, que ce soit au sein de l’un des États membres ou dans l’ensemble de ceux-ci. La Cour a jugé que la sixième directive doit être interprétée conformément au principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de TVA, selon lequel des opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations ne doivent pas être traités différemment en matière de perception de la TVA (arrêt du 16 septembre 2004, Cimber Air, C-382/02, Rec p. I-8379, point 24). Toute action des États membres concernant le prélèvement de la TVA doit respecter ce principe.

40      En vertu de l’article 8 de la loi n° 289/2002, les assujettis n’ayant pas respecté leurs obligations au titre des périodes imposables comprises entre les années 1998 et 2001 – soit, dans certains cas, un an seulement avant l’adoption de cette loi – peuvent échapper à tout contrôle, ainsi qu’aux sanctions applicables, dans la limite d’un montant équivalent au double du montant de la TVA figurant dans la déclaration complémentaire de TVA. En effet, les autorités italiennes ne sont plus fondées à vérifier les opérations imposables effectuées au cours des quatre années précédant l’adoption de ladite loi, dans la limite, toutefois, des montants fixés à l’article 8, paragraphe 6, de cette même loi. Cette renonciation est applicable, en principe, lorsque l’assujetti déclare et acquitte le montant qu’il aurait dû payer initialement. Cependant, étant donné qu’une vérification ne peut être effectuée que pour les montants excédant le double de ceux que l’assujetti a déclarés dans la déclaration complémentaire de TVA, la loi n° 289/2002 est de nature à inciter fortement les assujettis à ne déclarer qu’une partie de la dette effectivement due. Il s’ensuit que les assujettis bénéficiant de cet article échappent définitivement à leurs obligations de déclarer et de payer le montant de la TVA normalement dû pour les périodes imposables comprises entre les années 1998 et 2001.

41      Quant au montant de la TVA dû en vertu de l’article 9 de la loi n° 289/2002, il est encore plus éloigné de celui que l’assujetti aurait dû payer. En effet, selon cet article, un assujetti n’ayant pas présenté de déclaration au titre des périodes imposables comprises entre les années 1998 et 2001 peut échapper à tout contrôle ainsi qu’à toute sanction administrative fiscale et pénale, en versant un montant correspondant à 2 % de la TVA due sur les livraisons de biens et les prestations de services fournies par lui ainsi qu’un montant de 2 % de la TVA déduite au cours de la même période. Ce pourcentage est fixé à 1,5 % pour une taxe en amont ou en aval qui excède 200 000 euros et à 1 % pour un montant supérieur à 300 000 euros. Lorsque le montant dû en application de cet article 9 dépasse un certain niveau, la fraction qui excède ce dernier est réduite de 80 %. Les montants devant être payés ne peuvent être inférieurs à 500 euros.

42      Il s’ensuit que l’article 9 de la loi n° 289/2002 permet aux assujettis n’ayant pas respecté leurs obligations en matière de TVA, au titre des périodes imposables comprises entre les années 1998 et 2001, d’échapper définitivement à celles-ci ainsi qu’aux sanctions encourues en cas de non-respect de ces obligations, en versant une somme forfaitaire en lieu et place d’un montant proportionnel au chiffre d’affaires réalisé. Or, ces sommes forfaitaires sont disproportionnées par rapport au montant que l’assujetti aurait dû verser sur la base du chiffre d’affaires résultant des opérations qu’il a effectuées mais qu’il n’a pas déclarées.

43      En remplaçant, très peu de temps après l’expiration des délais impartis aux assujettis pour acquitter les montants de la TVA normalement dus, les obligations des intéressés découlant des articles 2 et 22 de la sixième directive par d’autres obligations qui n’exigent pas le paiement desdits montants, les articles 8 et 9 de la loi n° 289/2002 vident de leur contenu ces articles de la sixième directive, lesquels sont pourtant à la base du système commun de TVA, et touchent, ainsi, à la structure même de cette taxe. Le déséquilibre important existant entre les montants effectivement dus et ceux qui sont acquittés par les assujettis désirant bénéficier de l’amnistie fiscale en cause aboutit à une quasi-exonération fiscale.

44      Il en résulte que la loi n° 289/2002 perturbe gravement le bon fonctionnement du système commun de TVA. Les dispositions de celle-ci faussent le principe de neutralité fiscale en introduisant des variations significatives de traitement entre les assujettis sur le territoire italien. Pour la même raison, ces dispositions portent atteinte à l’obligation d’assurer une perception équivalente de la taxe dans tous les États membres.

45      Dans la mesure où, ainsi que l’indique le quatrième considérant de la sixième directive, le principe de neutralité fiscale vise à permettre la réalisation d’un marché commun comportant une saine concurrence, le fonctionnement même du marché commun se trouve affecté par la législation italienne dès lors que, en Italie, les assujettis peuvent espérer ne pas être tenus de verser une grande partie de leurs charges fiscales.

46      Il convient de souligner, dans ce contexte, que la lutte contre la fraude est un objectif reconnu et encouragé par la sixième directive (voir arrêts du 21 février 2006, Halifax e.a., C-255/02, Rec. p. I-1609, point 71, et du 22 mai 2008, Ampliscientifica et Amplifin, C-162/07, non encore publié au Recueil, point 29). Ainsi, l’article 22, paragraphe 8, de la sixième directive invite les États membres à prévoir, le cas échéant, des obligations supplémentaires pour éviter la fraude.

47      Or, force est de constater que la législation italienne a un effet contraire dans la mesure où les assujettis coupables de fraude se trouvent favorisés par la loi no 289/2002.

48      La République italienne soutient que les cas d’exclusion du bénéfice de la mesure d’amnistie fiscale en cause conduisent à minimiser l’impact réel de celle-ci. Elle fait notamment valoir que les assujettis qui n’ont déposé de déclarations de TVA pour aucun des exercices fiscaux concernés ainsi que ceux qui n’ont pas respecté leurs obligations en matière de TVA et à l’égard desquels une procédure a déjà été clôturée au profit des autorités fiscales sont exclus du bénéfice de cette mesure.

49      Cependant, les chiffres fournis en défense par la République italienne, selon lesquels près de 15 % des assujettis, soit environ 800 000 d’entre eux, auraient sollicité le bénéfice d’une amnistie fiscale au cours de l’année 2001, mettent en évidence l’ampleur d’une mesure qui ne saurait être considérée comme ayant une portée limitée, nonobstant les cas d’exclusion mis en avant par l’État membre concerné.

50      Les cas d’exclusion étant très limités, force est de constater que c’est à juste titre que la Commission qualifie la mesure d’amnistie contestée de renonciation générale et indifférenciée au pouvoir de vérification et de redressement exercé par l’administration fiscale.

51      La République italienne fait valoir que la loi n° 289/2002 aurait permis au Trésor public de récupérer immédiatement et sans devoir engager de longues procédures judiciaires une partie de la TVA non initialement déclarée.

52      Or, en introduisant une mesure d’amnistie très peu de temps après l’expiration des délais dans lesquels les assujettis auraient dû s’acquitter de la TVA et en exigeant le paiement d’un montant très faible par rapport à la taxe effectivement due, la mesure en cause permet aux assujettis concernés d’échapper définitivement à leurs obligations en matière de TVA, alors même que les autorités fiscales nationales auraient pu découvrir une partie au moins de ces assujettis au cours des quatre années précédant la date de prescription de la taxe normalement due. En ce sens, la loi n° 289/2002 remet en cause la responsabilité pesant sur chaque État membre d’assurer l’exacte perception de la taxe.

53      Par conséquent, il convient de considérer le recours introduit par la Commission comme fondé et de constater que, en prévoyant aux articles 8 et 9 de la loi n° 289/2002 une renonciation générale et indifférenciée à la vérification des opérations imposables effectuées au cours d’une série de périodes d’imposition, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 22 de la sixième directive ainsi que de l’article 10 CE.

 Sur les dépens

54      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il convient de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      En prévoyant aux articles 8 et 9 de la loi n° 289, concernant les dispositions pour la formation du budget annuel et pluriannuel de l’État (loi de finances pour 2003) [legge n. 289, disposizioni per la formazione del bilancio annuale e pluriennale dello Stato (legge finanziaria 2003)], du 27 décembre 2002, une renonciation générale et indifférenciée à la vérification des opérations imposables effectuées au cours d’une série de périodes d’imposition, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 22 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, ainsi que de l’article 10 CE.

2)      La République italienne est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.