Available languages

Taxonomy tags

Info

References in this case

References to this case

Share

Highlight in text

Go

Affaire C-41/09

Commission européenne

contre

Royaume des Pays-Bas

«Manquement d’État — Taxe sur la valeur ajoutée — Sixième directive TVA — Directive 2006/112/CE — Application d’un taux réduit — Animaux vivants normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires pour la consommation humaine et animale — Livraisons, importations et acquisitions de chevaux»

Sommaire de l'arrêt

Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Faculté pour les États membres d'appliquer un taux réduit à certaines livraisons de biens et prestations de services

(Directives du Conseil 77/388, telle que modifiée par la directive 2006/18, art. 12, annexe H, et 2006/112, art. 96 à 99, § 1, annexe III)

En appliquant un taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée à l’ensemble des livraisons, des importations et des acquisitions intracommunautaires de chevaux, un État membre manque aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 12, lu en combinaison avec l’annexe H, de la sixième directive 77/388, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, telle que modifiée par la directive 2006/18, ainsi que des articles 96 à 99, paragraphe 1, de la directive 2006/112, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, lus en combinaison avec l’annexe III de celle-ci.

En effet, d'une part, le point 1 de l’annexe III n’autorise l’application d’un taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée que pour les animaux vivants normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires et, d’autre part, la finalité de cette disposition est de faciliter l’achat de ces denrées alimentaires par le consommateur final.

Or, eu égard à la situation particulière, dans l'Union, des chevaux, qui, sans être normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires, peuvent néanmoins, pour certains d’entre eux, être livrés à la consommation, il y a lieu de considérer que, à la lumière de l’objectif du législateur de l’Union visant à rendre les biens essentiels moins chers pour le consommateur final, le point 1 de l’annexe III de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que seule la livraison d’un cheval en vue de son abattage pour être utilisé dans la préparation des denrées alimentaires peut faire l’objet d’un taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée.

(cf. points 54, 57, 68 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

3 mars 2011 (*)

«Manquement d’État – Taxe sur la valeur ajoutée – Sixième directive TVA – Directive 2006/112/CE – Application d’un taux réduit – Animaux vivants normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires pour la consommation humaine et animale – Livraisons, importations et acquisitions de chevaux»

Dans l’affaire C-41/09,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 29 janvier 2009,

Commission européenne, représentée par MM. D. Triantafyllou et W. Roels, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes C. Wissels et M. Noort ainsi que par MM. M. de Grave et J. Langer, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par:

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. M. Lumma et C. Blaschke, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

République française, représentée par Mme B. Beaupère-Manokha, en qualité d’agent,

parties intervenantes,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. J.-J. Kasel, A. Borg Barthet, M. Safjan (rapporteur) et Mme M. Berger, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 septembre 2010,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 octobre 2010,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en appliquant un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») aux livraisons, aux importations et aux acquisitions intracommunautaires de certains animaux vivants, notamment de chevaux, qui ne sont pas normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires pour la consommation humaine et animale, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 12, lu en combinaison avec l’annexe H, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 2006/18/CE du Conseil, du 14 février 2006 (JO L 51, p. 12, ci-après la «sixième directive»), ainsi que des articles 96 à 99, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1), lus en combinaison avec l’annexe III de celle-ci (ci-après l’«annexe III»).

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

2        La directive 2006/112 a abrogé et remplacé, à compter du 1er janvier 2007, la législation existante de l’Union européenne en matière de TVA, notamment la sixième directive.

3        Aux termes des premier et troisième considérants de la directive 2006/112, la refonte de la sixième directive était nécessaire afin de présenter toutes les dispositions applicables d’une façon claire et rationnelle dans une structure et une rédaction remaniées sans provoquer, en principe, des changements de fond dans la législation existante.

4        Ainsi, les articles 96 à 99, paragraphe 1, de la directive 2006/112 correspondent à différentes dispositions de l’article 12 de la sixième directive et de l’annexe H de celle-ci.

5        L’article 96 de la directive 2006/112 dispose:

«Les États membres appliquent un taux normal de [la] TVA fixé par chaque État membre à un pourcentage de la base d’imposition qui est le même pour les livraisons de biens et pour les prestations de services.»

6        L’article 97 de cette directive prévoit:

«1.      À partir du 1er janvier 2006 et jusqu’au 31 décembre 2010, le taux normal ne peut être inférieur à 15 %.

2.      Le Conseil décide, conformément à l’article 93 du traité [CE], du niveau du taux normal applicable après le 31 décembre 2010.»

7        L’article 98 de cette même directive est libellé comme suit:

«1.      Les États membres peuvent appliquer soit un, soit deux taux réduits.

2.      Les taux réduits s’appliquent uniquement aux livraisons de biens et aux prestations de services des catégories figurant à l’annexe III.

[...]

3.      En appliquant les taux réduits prévus au paragraphe 1 aux catégories qui se réfèrent à des biens, les États membres peuvent recourir à la nomenclature combinée pour délimiter avec précision la catégorie concernée.»

8        L’article 99, paragraphe 1, de ladite directive énonce:

«Les taux réduits sont fixés à un pourcentage de la base d’imposition qui ne peut être inférieur à 5 %.»

9        L’annexe III, intitulée «Liste des livraisons de biens et des prestations de services pouvant faire l’objet des taux réduits visés à l’article 98», mentionne à son point 1:

«Les denrées alimentaires (y compris les boissons, à l’exclusion, toutefois, des boissons alcooliques) destinées à la consommation humaine et animale, les animaux vivants, les graines, les plantes et les ingrédients normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires; les produits normalement utilisés pour compléter ou remplacer des denrées alimentaires».

10      Cette disposition correspond au point 1 de l’annexe H de la sixième directive.

11      Le point 11 de l’annexe III, lequel correspond au point 10 de l’annexe H de la sixième directive, est libellé comme suit:

«les livraisons de biens et les prestations de services d’un type normalement destiné à être utilisé dans la production agricole, à l’exclusion, toutefois, des biens d’équipement, tels que les machines ou les bâtiments».

 La réglementation nationale

12      L’article 9 de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (Wet op de omzetbelasting), du 28 juin 1968 (Staatsblad 1968, n° 329, ci-après la «loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires»), prévoit:

«1.      La taxe s’élève à 19 %.

2.      Par dérogation au paragraphe 1, la taxe s’élève à:

a)      6 % pour les livraisons de biens et les prestations de services figurant dans le tableau I joint à la présente loi;

[...]»

13      Les points a. 1 et a. 4 dudit tableau I sont libellés comme suit:

«a.

1.      denrées alimentaires, notamment:

a)      aliments et boissons normalement destinés à la consommation humaine;

b)      produits manifestement destinés à être utilisés pour la préparation des aliments et boissons visés sous a), et qui y sont entièrement ou partiellement contenus;

c)      produits destinés à être utilisés pour compléter ou remplacer des aliments et boissons visés sous a), étant entendu que les boissons alcooliques ne sont pas considérées comme des denrées alimentaires;

[...]

4.

a)      animaux des espèces bovine, ovine, caprine, porcine et chevaline;

b)      autres animaux que ceux visés sous a), manifestement destinés à la fabrication ou à la production des denrées alimentaires visées au point 1 ci-dessus, et animaux manifestement destinés à l’élevage de ces animaux;

c)      abats des animaux visés sous a) et b);

d)      produits manifestement destinés à la reproduction des animaux visés sous a) et b).»

 La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

14      Estimant que, en appliquant un taux réduit de la TVA aux livraisons, aux importations et aux acquisitions intracommunautaires de certains animaux vivants, notamment de chevaux, qui ne sont pas normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires pour la consommation humaine et animale, le Royaume des Pays-Bas n’avait pas respecté les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 12 de la sixième directive, lu en combinaison avec l’annexe H de celle-ci, la Commission a décidé d’engager la procédure prévue à l’article 226 CE. Par lettre du 10 avril 2006, la Commission a mis en demeure cet État membre de présenter ses observations à cet égard.

15      Dans sa réponse du 27 juin 2006, le Royaume des Pays-Bas a reconnu que l’application d’un taux réduit de la TVA aux livraisons de certains animaux vivants, telle que prévue par la réglementation nationale, était plus large que celle autorisée par la sixième directive. Il a indiqué qu’un projet de loi serait soumis au Parlement néerlandais en vue de respecter cette directive et que la modification législative entrerait probablement en vigueur le 1er janvier 2007.

16      Le Royaume des Pays-Bas n’ayant cependant pas procédé à l’adoption de ce projet de loi, la Commission lui a adressé, le 23 octobre 2007, un avis motivé l’invitant à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de la notification de celui-ci.

17      Le 26 novembre 2007, le Royaume des Pays-Bas a répondu audit avis motivé en faisant valoir que le projet de loi annoncé était en discussion devant la commission permanente des finances de la deuxième chambre du Parlement. Toutefois, le 31 mars 2008, cet État membre a informé la Commission qu’il n’estimait pas opportun d’adopter actuellement ledit projet de loi.

18      C’est dans ces conditions que la Commission a introduit le présent recours.

19      Par ordonnances du président de la Cour des 18 septembre et 20 novembre 2009, la République fédérale d’Allemagne et la République française ont été respectivement admises à intervenir au soutien des conclusions du Royaume des Pays-Bas.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

20      La Commission relève que les articles 96 à 99, paragraphe 1, de la directive 2006/112, lus en combinaison avec l’annexe III, sont applicables aux livraisons et, mutatis mutandis, aux importations et aux acquisitions intracommunautaires.

21      Selon le libellé du point 1 de l’annexe III, les animaux vivants, ainsi que les graines, les plantes et les autres ingrédients, ne peuvent faire l’objet d’un taux réduit de la TVA que s’ils sont normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires, ce qui ne serait pas le cas des chevaux.

22      En outre, il résulterait de la jurisprudence de la Cour que ledit point 1 doit être interprété de manière stricte, comme toute autre disposition instaurant un taux réduit de la TVA.

23      Par conséquent, la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires, en prévoyant un taux réduit de la TVA pour les livraisons de certains animaux vivants, notamment les chevaux, même dans le cas où ceux-ci ne sont pas destinés à la fabrication ou à la production de denrées alimentaires, ne serait pas conforme aux dispositions de la directive 2006/112.

24      Dans son mémoire en réplique, la Commission ajoute que les versions en langue française, italienne et anglaise du point 1 de l’annexe III confirment que seuls les produits entrant de quelque façon que ce soit dans la préparation de denrées alimentaires pour la consommation humaine et animale peuvent faire l’objet d’un taux réduit de la TVA.

25      Par ailleurs, la Commission souligne que les animaux ne constituent pas des denrées alimentaires. Par l’emploi du terme «animaux vivants» au point 1 de l’annexe III, le législateur de l’Union aurait ainsi eu pour objectif de prendre en compte tout un pan de la production des denrées alimentaires. En effet, en l’absence de cette précision, les livraisons d’animaux vivants auraient été soumises au taux normal de la TVA, de sorte que les produits transformés finaux entrant, quant à eux, dans la catégorie des denrées alimentaires auraient coûté plus cher.

26      En outre, selon la Commission, ledit point 1 ne doit pas être interprété en ce sens que toutes les livraisons de chevaux sont soumises à un taux normal de la TVA. En effet, cette disposition prévoirait l’application d’un taux réduit de la TVA en fonction du cheval et de l’opération concernés. À cet égard, des éléments tels que le prix et la race de l’animal constitueraient des indications permettant de connaître l’utilisation prévue de celui-ci.

27      Enfin, la Commission observe que tous les chevaux ne sont pas utilisés à des fins agricoles.

28      Le Royaume des Pays-Bas soutient, tout d’abord, que, pendant la phase précontentieuse et dans sa requête introductive d’instance, la Commission n’a visé que l’espèce chevaline parmi celles mentionnées au point a. 4, sous a), du tableau I de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires. Dès lors, le recours devrait être rejeté comme irrecevable en ce qui concerne l’application d’un taux réduit de la TVA à certains animaux vivants autres que les chevaux.

29      Le Royaume des Pays-Bas fait valoir, ensuite, à titre principal, que ni la version en langue néerlandaise ni aucune autre version linguistique du point 1 de l’annexe III ne confirment que l’expression «normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires» s’applique aux animaux vivants, aux graines et aux plantes. Au contraire, il ressortirait de la version en langue allemande de la même disposition que cette expression ne vise que les ingrédients. Cette interprétation serait la seule possible, étant donné que les graines, par exemple, ne sont pas normalement destinées à être utilisées dans la préparation des denrées alimentaires. Dès lors, les chevaux, en tant qu’animaux vivants, qu’ils soient ou non normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires, seraient visés par ledit point 1.

30      À titre subsidiaire, le Royaume des Pays-Bas expose que la Commission n’a fourni aucun élément de fait dont il ressortirait que les chevaux ne sont pas normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires. Or, la Commission ne pourrait se fonder sur une présomption quelconque lorsqu’elle demande à la Cour de constater le manquement d’un État membre.

31      À titre plus subsidiaire, le Royaume des Pays-Bas prétend que les chevaux sont normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires. À cet égard, il résulterait de l’emploi de l’adverbe «normalement», au point 1 de l’annexe III, qu’il convient d’examiner non pas chaque animal pris individuellement, mais si une catégorie déterminée d’animaux est destinée à être utilisée dans la préparation des denrées alimentaires. Or, n’importe quel cheval pourrait être conduit à l’abattoir comme animal de boucherie, même si la destination d’un cheval peut être modifiée temporairement, par exemple en l’utilisant comme cheval de course. Le Royaume des Pays-Bas invoque en ce sens l’ordonnance du 1er juin 2006, V.O.F. Dressuurstal Jespers (C-233/05), ainsi que l’article 20 du règlement (CE) n° 504/2008 de la Commission, du 6 juin 2008, portant application des directives 90/426/CEE et 90/427/CEE du Conseil en ce qui concerne les méthodes d’identification des équidés (JO L 149, p. 3), dont il ressortirait qu’un équidé est considéré, en principe, comme étant destiné à l’abattage pour la consommation humaine.

32      En outre, l’approche de la Commission serait impraticable en ce qu’elle rendrait nécessaire de vérifier, à chaque livraison d’un cheval, la destination de celui-ci, et ce d’autant plus que l’intention de l’acheteur peut être différente de celle du vendeur.

33      À titre tout à fait subsidiaire, le Royaume des Pays-Bas considère que les chevaux sont des biens du type de ceux qui sont normalement destinés à être utilisés dans la production agricole. Toute livraison d’un cheval pourrait donc bénéficier d’un taux réduit de la TVA au titre du point 11 de l’annexe III.

34      Dans son mémoire en duplique, le Royaume des Pays-Bas ajoute que le résultat souhaité par la Commission, à savoir l’application d’un taux réduit de la TVA pour toutes les matières premières et les produits intermédiaires, est également atteint en considérant que le point 1 de l’annexe III vise tous les animaux vivants. En outre, le fait que le produit fini deviendrait plus cher, par un effet de rattrapage, ne se vérifierait pas.

35      Enfin, l’interprétation proposée par la Commission porterait atteinte au principe de sécurité juridique. En effet, l’assujetti devrait à chaque fois examiner si la livraison d’un cheval doit être soumise au taux normal ou au taux réduit de la TVA, alors que la destination de l’animal ne pourrait être déterminée qu’a posteriori.

36      La République fédérale d’Allemagne relève que, si aucune des versions linguistiques citées par la Commission ne permet de déterminer clairement le champ d’application du point 1 de l’annexe III, il résulte de la version en langue allemande de cette disposition que l’expression «normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires» se rapporte uniquement aux ingrédients. Par ailleurs, déterminer le taux de la TVA applicable en fonction de l’utilisation du cheval par l’acheteur constituerait une infraction au principe de neutralité de cette taxe.

37      La République française estime que ledit point 1 permet l’application d’un taux réduit de la TVA à l’ensemble des livraisons d’animaux vivants, indépendamment de leur destination. En effet, comme les plantes et les graines, ces derniers se distingueraient des ingrédients normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires. En tout état de cause, les chevaux feraient partie des animaux vivants normalement destinés à l’alimentation.

 Appréciation de la Cour

38      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, lors de l’audience, la Commission a précisé que, parmi les animaux visés au point a. 4, sous a), de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires, son recours concerne exclusivement les chevaux, dans la mesure où les bovins, les ovins, les caprins et les porcins sont en grande majorité élevés pour la consommation humaine et animale.

39      Par conséquent, le présent recours doit être compris en ce sens que la Commission fait grief au Royaume des Pays-Bas d’appliquer un taux réduit de la TVA uniquement aux livraisons, aux importations et aux acquisitions intracommunautaires de chevaux.

40      Les parties s’opposent, tout d’abord, sur l’interprétation du point 1 de l’annexe III, en invoquant chacune différentes versions linguistiques de cette disposition au soutien de leur argumentation.

41      À cet égard, il convient de constater que ledit point 1 n’a pas le même sens dans les différentes langues officielles de l’Union.

42      En effet, d’une part, il ressort des versions du point 1 de l’annexe III en langue allemande [«Nahrungs- und Futtermittel (einschließlich Getränke alkoholische Getränke jedoch ausgenommen), lebende Tiere, Saatgut, Pflanzen und üblicherweise für die Zubereitung von Nahrungs- und Futtermitteln verwendete Zutaten sowie üblicherweise als Zusatz oder als Ersatz für Nahrungs- und Futtermittel verwendete Erzeugnisse»] et en langue néerlandaise [«Levensmiddelen (met inbegrip van dranken, maar met uitsluiting van alcoholhoudende dranken) voor menselijke en dierlijke consumptie, levende dieren, zaaigoed, planten en ingrediënten die gewoonlijk bestemd zijn voor gebruik bij de bereiding van levensmiddelen, alsmede producten die gewoonlijk bestemd zijn ter aanvulling of vervanging van levensmiddelen»], sur lesquelles se fonde le Royaume des Pays-Bas, que l’expression «normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires» ne s’applique qu’aux ingrédients, ce qui signifie que l’ensemble des livraisons d’animaux vivants, quelle que soit la destination de ceux-ci, peut faire l’objet d’un taux réduit de la TVA.

43      D’autre part, les versions du même point 1 en langue anglaise [«Foodstuffs (including beverages but excluding alcoholic beverages) for human and animal consumption; live animals, seeds, plants and ingredients normally intended for use in the preparation of foodstuffs; products normally used to supplement foodstuffs or as a substitute for foodstuffs»], en langue française [«Les denrées alimentaires (y compris les boissons, à l’exclusion, toutefois, des boissons alcooliques) destinées à la consommation humaine et animale, les animaux vivants, les graines, les plantes et les ingrédients normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires; les produits normalement utilisés pour compléter ou remplacer des denrées alimentaires»] et en langue italienne [«Prodotti alimentari (incluse le bevande, ad esclusione tuttavia delle bevande alcoliche) destinati al consumo umano e animale, animali vivi, sementi, piante e ingredienti normalmente destinati ad essere utilizzati nella preparazione di prodotti alimentari, prodotti normalmente utilizzati per integrare o sostituire prodotti alimentari»], auxquelles se réfère la Commission, peuvent être interprétées, à des degrés divers, en ce sens que l’expression «normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires» ne concerne pas seulement les ingrédients, mais vise également les animaux vivants, les graines et les plantes.

44      Selon une jurisprudence constante, la formulation utilisée dans l’une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer, à cet égard, un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques. Une telle approche serait en effet incompatible avec l’exigence d’uniformité d’application du droit de l’Union. En cas de divergence entre les diverses versions linguistiques, la disposition en cause doit ainsi être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (voir arrêts du 27 mars 1990, Cricket St Thomas, C-372/88, Rec. p. I-1345, points 18 et 19; du 12 novembre 1998, Institute of the Motor Industry, C-149/97, Rec. p. I-7053, point 16, ainsi que du 25 mars 2010, Helmut Müller, C-451/08, non encore publié au Recueil, point 38).

45      S’agissant de l’économie générale du point 1 de l’annexe III, il y a lieu de relever, dans un premier temps, que le texte initial, qui a servi de référence lors de l’établissement de cette annexe III, figure au point 1 de l’annexe H de la sixième directive, annexe qui a été ajoutée à celle-ci par l’article 1er, point 5, de la directive 92/77/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, complétant le système commun de taxe sur la valeur ajoutée et modifiant la directive 77/388 (JO L 316, p. 1).

46      Ce point 1 a été légèrement modifié lors du remplacement de la sixième directive par la directive 2006/112. En effet, comme l’a souligné à juste titre la Commission lors de l’audience, l’expression «[l]es denrées alimentaires [...] destinées à la consommation humaine et animale» est suivie d’un point-virgule notamment dans les versions en langue danoise, française, italienne, néerlandaise et anglaise du point 1 de l’annexe H de la sixième directive. Or, s’agissant de ces versions, une simple virgule s’est substituée à ce point-virgule dans les versions en langue danoise, française, italienne et néerlandaise dudit point 1.

47      Cependant, selon le troisième considérant de la directive 2006/112, la refonte de la structure et du libellé de la sixième directive vise à assurer que les dispositions sont présentées d’une façon claire et rationnelle, sans provoquer, en principe, de changements de fond dans la législation existante, même si un petit nombre d’amendements substantiels devrait, en tout état de cause, être apporté dans la mesure où il est inhérent à un tel exercice de refonte.

48      En l’absence d’amendement substantiel au point 1 de l’annexe III, l’économie générale de cette disposition doit être examinée au regard du libellé du point 1 de l’annexe H de la sixième directive, qui exprime les intentions du législateur de l’Union lorsqu’il a dressé la liste des biens et des services pouvant faire l’objet d’un taux réduit de la TVA.

49      À cet égard, d’un point de vue sémantique, l’utilisation d’un point-virgule après l’expression «[l]es denrées alimentaires [...] destinées à la consommation humaine et animale» signifie clairement que le point 1 de l’annexe H de la sixième directive comprend trois parties de phrase bien distinctes. Il convient donc d’en conclure que, les intentions dudit législateur n’ayant pas changé, le point 1 de l’annexe III se compose des trois mêmes parties de phrase.

50      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 54 de ses conclusions, chacune de ces trois parties de phrase est consacrée aux denrées alimentaires destinées à la consommation humaine et animale. En effet, la première mentionne les denrées alimentaires proprement dites. La troisième partie de phrase est relative aux produits utilisés pour compléter ou remplacer des denrées alimentaires. La deuxième partie de phrase concerne les animaux vivants, les graines, les plantes et les ingrédients, qui ne constituent pas eux-mêmes des denrées alimentaires. De façon logique, cette deuxième partie de phrase, encadrée par les deux autres, doit être comprise comme visant ces éléments uniquement dans la mesure où ils sont normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires. Cette appréciation est corroborée par le fait que, contrairement à ce qu’affirme le Royaume des Pays-Bas, certaines graines et plantes peuvent être normalement destinées à être utilisées dans la préparation des denrées alimentaires. L’emploi du terme «animaux vivants», dans cette liste, signifie que le taux réduit de la TVA s’applique aux livraisons effectuées à un stade antérieur à l’abattage des animaux.

51      Par conséquent, l’économie générale du point 1 de l’annexe III conduit à retenir l’interprétation selon laquelle les livraisons d’animaux vivants peuvent faire l’objet d’un taux réduit de la TVA uniquement dans le cas où ces animaux sont normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires.

52      En ce qui concerne la finalité du point 1 de l’annexe III, il importe de relever que, en réponse à une question écrite posée par la Cour, la Commission a indiqué, sans être contredite sur ce point par les autres parties au litige, que le législateur de l’Union, en établissant l’annexe H de la sixième directive, avait pour objectif que les biens essentiels ainsi que les biens et les services correspondant à des objectifs sociaux ou culturels, pour autant qu’ils ne présentent pas ou peu de risques de distorsion de la concurrence, puissent faire l’objet d’un taux réduit de la TVA.

53      Mentionnées en tête de l’annexe III, avant même la «distribution d’eau» et les «produits pharmaceutiques», les denrées alimentaires se rattachent aux biens essentiels. En permettant l’application d’un taux réduit de la TVA aux denrées alimentaires, au lieu d’un taux normal, le législateur de l’Union a visé à rendre celles-ci moins chères, et donc plus accessibles, pour le consommateur final, qui supporte en définitive la TVA (voir, notamment, arrêts du 3 octobre 2006, Banca popolare di Cremona, C-475/03, Rec. p. I-9373, point 22, ainsi que du 11 octobre 2007, KÖGÁZ e.a., C-283/06 et C-312/06, Rec. p. I-8463, point 30). Afin d’atteindre pleinement ce but, ledit législateur a logiquement étendu l’application de ce taux réduit de la TVA aux éléments qui, n’étant pas eux-mêmes des denrées alimentaires, sont normalement destinés à être utilisés dans la préparation de ces denrées.

54      Il résulte de ce qui précède, d’une part, que le point 1 de l’annexe III n’autorise l’application d’un taux réduit de la TVA que pour les animaux vivants normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires et que, d’autre part, la finalité de cette disposition est de faciliter l’achat de ces denrées alimentaires par le consommateur final.

55      Par l’emploi de l’adverbe «normalement» dans la deuxième partie de phrase dudit point 1, le législateur de l’Union a entendu viser les animaux qui, à titre habituel et de manière générale, sont destinés à entrer dans la chaîne alimentaire humaine et animale. Tel est le cas, notamment, des espèces bovine, ovine, caprine et porcine, mentionnées au point a. 4, sous a), de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires. L’ensemble des livraisons d’animaux appartenant à ces espèces peut donc faire l’objet d’un taux réduit de la TVA, sans qu’il y ait lieu d’examiner la situation particulière de tel ou tel animal.

56      En revanche, il est notoire que, dans l’Union, l’espèce chevaline se trouve dans une situation différente de celle des espèces citées au point précédent. En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 65 de ses conclusions, les chevaux ne sont pas, à titre habituel et de manière générale, destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires, même si certains d’entre eux serviront effectivement pour la consommation humaine ou animale.

57      Eu égard à cette situation particulière des chevaux, qui, sans être normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires, peuvent néanmoins, pour certains d’entre eux, être livrés à la consommation, il y a lieu de considérer que, à la lumière de l’objectif du législateur de l’Union visant à rendre les biens essentiels moins chers pour le consommateur final, le point 1 de l’annexe III doit être interprété en ce sens que seule la livraison d’un cheval en vue de son abattage pour être utilisé dans la préparation des denrées alimentaires peut faire l’objet d’un taux réduit de la TVA.

58      Il convient d’ajouter que, selon une jurisprudence constante, les dispositions qui ont le caractère d’une dérogation à un principe doivent être interprétées de manière stricte (voir, notamment, arrêts du 12 décembre 1995, Oude Luttikhuis e.a., C-399/93, Rec. p. I-4515, point 23, ainsi que du 17 juin 2010, Commission/France, C-492/08, non encore publié au Recueil, point 35). Or, permettre l’application d’un taux réduit de la TVA pour toute livraison d’un cheval impliquerait de retenir une interprétation large du point 1 de l’annexe III.

59      Ledit point 1 ne permet donc pas à un État membre d’appliquer un taux réduit de la TVA à l’ensemble des livraisons de chevaux vivants, et ce quelle que soit la destination de ceux-ci.

60      Aucun des autres arguments invoqués par le Royaume des Pays-Bas et les deux États membres intervenus au soutien des conclusions de ce dernier n’est de nature à remettre en cause cette conclusion.

61      En effet, premièrement, s’agissant du règlement n° 504/2008, relatif aux méthodes d’identification des équidés, il est vrai que, aux termes de l’article 20, paragraphe 1, de ce règlement, un équidé est «considéré comme étant destiné à l’abattage pour la consommation humaine à moins que le contraire ne soit irréversiblement attesté» sur le document d’identification de l’animal. Le paragraphe 2 du même article précise que, avant tout traitement tel que prévu, le vétérinaire responsable établit le statut de l’équidé soit comme animal destiné à l’abattage pour la consommation humaine, «ce qui est le cas par défaut», soit comme animal non destiné à l’abattage pour la consommation humaine.

62      Cependant, il convient de relever que l’objet du règlement n° 504/2008 est très différent de celui du point 1 de l’annexe III. En effet, ce règlement prend en compte le fait qu’un cheval peut être consommé dans le cadre de l’alimentation humaine et prévoit, en conséquence, un régime visant à faire en sorte qu’un cheval entrant dans la chaîne alimentaire humaine ne soit pas impropre à la consommation. Dans ce cadre, afin de contrôler au mieux l’administration de médicaments vétérinaires, ce règlement énonce qu’un équidé est en principe destiné à l’abattage pour la consommation humaine.

63      Toutefois, le règlement n° 504/2008 ne permet pas de déterminer quels chevaux auront, en définitive, une telle destination. En outre, l’article 20 de ce règlement énonce également qu’un cheval peut ne pas être destiné à la consommation humaine.

64      Dans ces conditions, il ne peut être déduit de l’article 20 du règlement n° 504/2008 que, selon le législateur de l’Union, un cheval est normalement destiné à être utilisé dans la préparation des denrées alimentaires.

65      Deuxièmement, en ce qui concerne l’argument selon lequel l’ensemble des livraisons de chevaux devrait être soumis à un taux réduit de la TVA au titre du point 11 de l’annexe III, il convient de souligner que, dans les États membres, les chevaux ne sont pas utilisés à titre habituel et de manière générale dans la production agricole. Il en résulte que doit s’appliquer un raisonnement analogue à celui suivi dans le cadre du point 1 de la même annexe, à savoir que seules les livraisons de chevaux en vue de leur utilisation dans la production agricole peuvent faire l’objet d’un taux réduit de la TVA. Pas plus que ce point 1, ledit point 11 ne permet donc d’appliquer un taux réduit de la TVA à l’ensemble des livraisons de chevaux.

66      Troisièmement, s’agissant de l’argument tiré du principe de neutralité de la TVA, lequel ferait obstacle à la détermination du taux applicable de cette taxe en fonction de la destination des chevaux, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de TVA s’oppose à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA, de sorte que lesdites marchandises ou lesdites prestations doivent être soumises à un taux uniforme (voir, notamment, arrêts du 11 octobre 2001, Adam, C-267/99, Rec. p. I-7467, point 36, et du 6 mai 2010, Commission/France, C-94/09, non encore publié au Recueil, point 40). Cependant, compte tenu de leurs utilisations respectives, un cheval de boucherie n’est semblable ni à un cheval de compétition ni à un cheval d’agrément lorsque cet animal est vendu comme tel. Dès lors, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 78 de ses conclusions, ces catégories de chevaux ne sont pas en concurrence, de sorte qu’elles peuvent être soumises à des taux différents de la TVA.

67      Dans ces conditions, le recours introduit par la Commission doit être considéré comme fondé.

68      En conséquence, il convient de constater que, en appliquant un taux réduit de la TVA à l’ensemble des livraisons, des importations et des acquisitions intracommunautaires de chevaux, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 12, lu en combinaison avec l’annexe H, de la sixième directive ainsi que des articles 96 à 99, paragraphe 1, de la directive 2006/112, lus en combinaison avec l’annexe III. 

 Sur les dépens

69      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume des Pays-Bas et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

70      Conformément au paragraphe 4, premier alinéa, du même article, la République fédérale d’Allemagne et la République française, qui sont intervenues au litige, supportent leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      En appliquant un taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée à l’ensemble des livraisons, des importations et des acquisitions intracommunautaires de chevaux, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 12, lu en combinaison avec l’annexe H, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 2006/18/CE du Conseil, du 14 février 2006, ainsi que des articles 96 à 99, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, lus en combinaison avec l’annexe III de celle-ci.

2)      Le Royaume des Pays-Bas est condamné aux dépens.

3)      La République fédérale d’Allemagne et la République française supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.